Épisode 76
Où Joachim, surpris de la réponse... ou plutôt du silence enfin rompu,
réfléchit sans vraiment y croire à la première lettre de Marcel depuis de longues années.
Cher Joachim
J'ai
été fort surpris et fortement ému par votre lettre. Sans même l'avoir
lue, le simple fait de l'avoir reçue m'a rendu heureux. Bien que la
curiosité, l'estime et l'amitié que je vous porte soient sans égales, je
ne l'ai pas ouverte immédiatement. Ce n'est que bien plus tard que je
me suis mis à la lire. Sans doute aussi, un peu, craignais-je que son
contenu ne vienne troubler mes espoirs. Je m'imaginais, ce qui est fort
crédible à l'âge que nous avons, que vous ne m'appreniez quelque
mauvaise nouvelle... J'avais tort et le souvenir que vous me racontez
est encore bien présent dans mon esprit. J'ai à ce propos un point de
vue un peu différent du votre, même si, j'en suis sûr, nous arriverons
aux mêmes conclusions. Je vais y revenir dès que j'aurais réglé quelque
affaire pressante...
Sur une île déserte, Don
Penúl et Lancinante, sa monture et son guide, conversent.
La nuit est
tombée. Brusquement, Don Penúl se lève et jette en l'air une poignée de sable.
Dans le ciel, les grains de sable et les étoiles se confondent.
Don Penúl
– Depuis que nous sommes ici, je n'ai point dormi!
Lancinante
– Cela ne fait que peu de temps, mon Maître.
Don Penúl
– Voyez-vous, tout ce que nous disons est comme ces grains de sable qui coulent entre mes doigts. J'ai beau essayer de les compter, je n'y arrive pas. Je pensais que vous pourriez être mon guide Lancinante... et pourtant quand je vous écoute vos paroles, comment dire... me perdent. Je crains qu'il en soit de même avec vous qu'avec ceux que j'ai quitté. Rien ne reste à la fin... Il me semble que je ne reconnais plus rien... Cette musique qui me charmait il y a peu, je ne l'entend plus. Où se cache le musicien que vous ne pouviez voir ? Il est peut-être là devant nous et nous ne savons le discerner, ni l'entendre. Laquelle de ces pierres ou de ces tout petits cailloux en contient la mémoire ?
Lancinante
– Peu importe, Monsieur.
Don Penúl
– Lancinante, vous avez raison, "peu" importe. Ce peu qui se rapproche tellement du rien contient tout.
Lancinante
– Il nous faudrait songer à partir.
Don Penúl
– Non, nous ne partirons d'ici qu'à l'instant où je reverrai le visage porté par le vent.
Lancinante
– Quel est ce visage ?
Don Penúl
– Celui que nous cherchons, Lancinante. Celui pour qui nous sommes partis. Celui qui nous appelle.
Lancinante
– Vous ne dormez peut-être pas, Don Penúl, mais vous rêvez. Sûrement...
Don Penúl
– Quelle est cette petite pointe d'ironie qui m'est apparue malgré l'incontestable douceur de votre voix?
– Il me semble Monsieur, que beaucoup de ce que vous croyez participe à votre présence...
– Encore, ce me semble, une parole qui ressemble à une pensée... Ne pourriez-vous pas, pour une fois, me faire une réponse claire?
– Il faudrait pour cela que votre question le soit aussi...
– Cette fois ce n'est plus de l'ironie !
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