" Toute vie, bien sûr, au fil du temps se délabre, mais les
chocs qui constituent la partie spectaculaire du processus, les coups
soudains et violents portés – du moins apparemment – de l’extérieur,
ceux que l’on se rappelle, auxquels on attribue ses malheurs, dont on
parle à ses amis dans des moments de faiblesse, n’ont guère d’effets
immédiats. Il existe une autre espèce de choc qui vient de l’intérieur,
que l’on n’éprouve pas avant qu’il ne soit trop tard pour y remédier,
avant d’avoir acquis l’absolue certitude que, d’une certaine manière, on
ne sera jamais plus le même homme. La première sorte de cassure paraît
survenir vite, la seconde a lieu sans presque que l’on s’en aperçoive
mais l’on s’en rend vraiment compte d’un seul coup.
Une observation d’ordre général, avant que je ne poursuive cette
histoire : ce qui caractérise une intelligence de premier ordre, c’est
son aptitude à garder simultanément à l’esprit deux idées
contradictoires sans pour autant perdre sa capacité à fonctionner. On
devrait, par exemple, être capable de voir que les choses sont sans
espoir et pourtant déterminé à les changer. Cette philosophie était
adaptée aux premières années de ma vie adulte, alors que sous mes yeux
se réalisaient l’improbable, l’invraisemblable et même souvent
l’impossible. La vie était alors quelque chose qu’on parvenait à dominer
à condition d’être quelqu’un. (…) Pendant dix-sept ans, si l’on compte
une année d’oisiveté et de repos volontaires au beau milieu, les choses
se déroulèrent ainsi, chaque corvée ne dessinant qu’une perspective
agréable pour le lendemain. (…) Et puis, dix ans avant cette ligne des
quarante-neuf ans, je me rendis soudain compte que j’étais fêlé avant
l’heure."
Francis Scott Fitzgerald, « La fêlure » (1936)
– Saviez-vous ce que faisaient ensemble Nounours et Pinocchio et quelques autres?
– Bien sûr que je le sais.
– Et comment l'avez-vous appris?
– Toujours de la même manière, mon maître me l'a dit...
– Allez-vous me le répéter?
– Voici ce que lui a dit Platon l'Ancien, de longues années après, juste avant qu'il n'écrive le Grand Livre, dans lequel, il faut le dire, la version est significativement différente...: lorsque nous créâmes le Cercle des Miroirs Récalcitrants, l’idée n'était pas, et n'a jamais été et ne sera jamais d’élire des chefs, un parti ou une quelconque forme de gouvernement… ou même, et peut-être surtout de lutter contre cette vision simpliste qui consiste à voir l'autre comme soi-même.
– Et pourtant c'est presque ce que je vous ai entendu dire en de nombreuses occasions.
– Vous avez raison: tout est dans le presque que vous avez utilisé. Si petite soit-elle, cette différence change tout, ou plus justement peut tout changer... Pour revenir à cette constitution, son but était simplement de réunir un petit groupe qui utiliserait l’idée de “conflit créatif”.
– Je croyais que le but était plutôt la paix, la concorde universelle...
– Comme vous y allez: universelle! Voilà qui est bien ambitieux!
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