Revenons un peu en arrière... Non pas au début de l'histoire car personne ne la connaît... pas même l'auteur qui, je le soupçonne, compte sur certain des acteurs pour la découvrir... L'enfant Lune, après avoir passé beaucoup de temps dans la nuit de ses pensées, s'est réveillé un jour. Un jour ... et non pas un beau jour comme il est dit dans les contes. Imaginez qu'à ma place se trouve, non pas un narrateur quelconque ou l'un de ses personnages mais l'auteur lui-même qui prend la parole.
Or, que pouvait produire ma pauvre cervelle stérile et mal cultivée
sinon l’histoire d’un enfant, trop petit, fantasque, plein d’étranges
pensées que nul autre n’a jamais partagé avec lui – comme peut l’être ce qui a
été engendré dans une prison, séjour des plus incommodes, où tout
triste bruit a sa demeure? *
Carnet de l’Enfant Lune
Cinquième page
Au
moment où la lumière et ses ombres se figent, le voyage peut commencer.
La nuit ne diffère guère du jour. Certains détails apparaissent, de plus en
plus profonds. Un sens leur est donné et puis l'objet comme le sens disparait. C'est, je m'en souviens, ce qui m'était arrivé le jour
du passage. Ce jour-là, pour un instant, la perception fut trop intense. Ma tête avait
brûlé. J'avais eu la sensation de m'envoler. Je suis tombé. J'étais
brisé. La nuit était tombée. Je ne voyais plus rien. Je ne sais comment je rentrais chez moi ni combien de temps je dormais. Je ne sais qui prenait soin de
moi ni si ce fut le cas. Quand je me levais, je ne pouvais croire mes yeux: je ne
reconnaissais rien, tout m'était étranger, tout était flou, tout n'était que ruines, mes jambes
étaient lourdes, mon esprit embué, je toussais et je boitais bien bas. À chaque respiration une odeur âcre me
tailladait la gorge et enflammait mes poumons. En tremblant mes mains
prirent le relais de mes yeux malades.
C'était exactement ce que j'étais en train de revivre... Le jour du passage j'avais dû me rendre à l'évidence, il
ne restait plus que cendre du village qui m'entourait. J'étais seul comme aujourd'hui.
Patiemment, je recommençais à mentalement reconstituer l'image de mon corps, puis
l'image du village... sauf que cette fois de village il n'y avait pas. Des ruines et quelques éléments de naufrage qui commençaient de prendre feu. Dans amas confus, mes yeux et mon esprit se remirent en place, je finis par avoir du monde qui m'entourait, et dont je faisais partie, une vision si précise que je
pouvais me déplacer sans l'aide de mes yeux. En tous cas je le pensais. L'image que je concevais
agissait comme un guide et se superposait à celle du monde. Je ne
discernais plus guère entre les deux. Cela me plaisait beaucoup mais
pouvait aussi devenir dangereux... L'illusion dans la flamme guette sa proie... Elle la charme, l'illumine, la caresse et la réchauffe... jusqu'à ce que...
* Librement adapté de Cervantès, prologue de Don Quichotte
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