« L'avenir qui s'invente au présent n'est pas celui qui se réalise au futur.»
Le vent, chargé de signification, fait vibrer les cordages. Nos deux perroquets se taisent, témoins attentifs de la phénoménologie du souffle et du miracle de l’incarnation.
– Savez-vous ce que pense Lucien Joyeux, perdu dans l’archipel aux îles mouvantes, là où la roche se couvre et se découvre comme un souvenir?
– Il marche lentement sur une langue de basalte noircie, encore humide du reflux. Les algues qui s’y étaient accrochées comme des cheveux oubliés par la mer se sont détachées sans bruit. Autour de lui, le vent s’élève en silences coupants.
– Savez-vous ce que pense Lucien Joyeux, perdu dans l’archipel aux îles mouvantes, là où la roche se couvre et se découvre comme un souvenir?
– Il marche lentement sur une langue de basalte noircie, encore humide du reflux. Les algues qui s’y étaient accrochées comme des cheveux oubliés par la mer se sont détachées sans bruit. Autour de lui, le vent s’élève en silences coupants.
– Lucien Joyeux ne sait plus ce qu’il est venu chercher, ni même si c’est bien lui qui a choisi de venir.
– Serait-il inquiet?
– Il ne se sent pas inquiet. C’est cela qui l’étonne le plus.
Quelque chose en lui continue de fonctionner: une logique, froide, presque clinique. Les roches effritées sous ses pieds, la végétation qui s’épanouit soudainement pour se retirer aussitôt, il note cela, non sur ses carnets…
Quelque chose en lui continue de fonctionner: une logique, froide, presque clinique. Les roches effritées sous ses pieds, la végétation qui s’épanouit soudainement pour se retirer aussitôt, il note cela, non sur ses carnets…
– …qu’il a perdu…
– Mais, dans cette mémoire sans intention qui persiste malgré lui, subsiste une mémoire comme un muscle autonome…
– Regardez comme il observe les mousses, leur couleur, leur rareté, leur prolifération ponctuelle. Il se surprend à vouloir leur donner des noms. “Muscus apparens”…
– “Phyllium fugax...” Il invente des latins comme d’autres rêvent de portes et de clés.
– Et voilà que surgit une image. Floue, d’abord. Un fauteuil, rouge bordeaux. L’odeur sèche du cuir. Un bureau en acajou. Une voix…
– La sienne?
– Elle interroge quelqu’un, ou quelque chose. Il se souvient vaguement d’avoir eu un rôle. Il était là pour comprendre. Pour consigner. Peut-être pour... aider?
–Il me semble que le mot lui semble à la fois juste et déplacé…
– … presque incongru. Il ne sait plus qui l’avait envoyé ici. Était-ce une institution? Une mission personnelle?
– Avait-il fui quelque chose?
– Il s’arrête devant une conque de pierre remplie d’eau saumâtre.
– Il s’arrête devant une conque de pierre remplie d’eau saumâtre.
– Son reflet est trouble. Ce visage, il sait qui il est mais il ne le reconnaît pas. Mais quelque chose en lui dit qu’il le reconnaît… suffisamment pour ne pas paniquer.
– Autour de lui, le cirque échoué se redéploie lentement dans sa mémoire comme un rêve interrompu pendant qu’imperceptiblement l’eau monte.
– Autour de lui, le cirque échoué se redéploie lentement dans sa mémoire comme un rêve interrompu pendant qu’imperceptiblement l’eau monte.
– Le chien bleu qui parle en questionnant…
– L’âne vert semble manger des pages arrachées aux livres…
– Il mâche lentement les phrases puis les mots, puis les lettres…
– Regardez l’enfant Lune dont le silence semble plus chargé que mille mots.
– Le sourire du Souriant, ce personnage dont la présence dérange sans jamais accuser.
– Et ce Daemon, couleur d’orage.
– Il se souvient maintenant: il aurait aimer les comprendre.
– Ou peut-être avait-il été envoyé pour l’aider à se comprendre lui-même.
– Mais alors... ce carnet qu’il a perdu, que contenait-il?
– Ou peut-être avait-il été envoyé pour l’aider à se comprendre lui-même.
– Mais alors... ce carnet qu’il a perdu, que contenait-il?
– Était-ce un outil, ou un piège?
– Était-ce à lui, ou à un autre “lui”, plus ancien?
– Il s’assoit, sans raison. Le vent soulève ses cheveux. Une voix intérieure, paisible, presque moqueuse, lui murmure…
– Il s’assoit, sans raison. Le vent soulève ses cheveux. Une voix intérieure, paisible, presque moqueuse, lui murmure…
– Tu continues d’observer. Tu continues d’écouter. Tu continues d’analyser. Mais tu ne sais plus pourquoi. Alors peut-être, enfin, vas-tu voir.
– Et à cet instant, il ne se souvient toujours pas de son commanditaire, ni même de son propre nom. Mais il sent revenir cette étrange lucidité sans racines: celle d’un esprit professionnel détaché de son passé, comme un oiseau volant sans savoir d’où il est parti.
– Lucien Joyeux, psychiatre oublié de lui-même, redevient, sans le vouloir, témoin silencieux d’un monde dont la logique n’est plus rationnelle, mais poétique. Et cela ne lui semble pas anormal.
– Alors, sans le formuler, il sait: il est peut-être venu pour perdre la mémoire… afin de pouvoir entendre ce que seul l’oubli permet d’écouter.
– Et à cet instant, il ne se souvient toujours pas de son commanditaire, ni même de son propre nom. Mais il sent revenir cette étrange lucidité sans racines: celle d’un esprit professionnel détaché de son passé, comme un oiseau volant sans savoir d’où il est parti.
– Lucien Joyeux, psychiatre oublié de lui-même, redevient, sans le vouloir, témoin silencieux d’un monde dont la logique n’est plus rationnelle, mais poétique. Et cela ne lui semble pas anormal.
– Alors, sans le formuler, il sait: il est peut-être venu pour perdre la mémoire… afin de pouvoir entendre ce que seul l’oubli permet d’écouter.
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