jeudi 24 juillet 2025






– Dites-moi Don Carotte, quelque pensée me tourmente… nonobstant cette clairière dont je sais si elle est enchantée ou maudite, que dois-je penser de cette mystérieuse île sur laquelle je ne puis deviner ce que nous y faisons?
– Est-ce encore une de ces énigmes équivoques, fruit de tes liaisons dangereuses?
– La liaison à laquelle vous faites mauvaise réputation n’était, de loin, point dangereuse… mais, pour répondre au fond de votre question, non, ces pensées précèdent largement cette rencontre!
– Avant tout… très cher Sang Chaud, il faut se méfier de nos émerveillements et plonger loin dans le temps, bien avant que les premiers arbres ne dressent leur voûte verte sur la terre…
– Se pourrait-il que cette forêt et la clairière habitée par cet arbre-monde soit une sorte de prémisse…
– Plutôt un souvenir… je le crains.
– Un souvenir personnel?
– Non, un de ces souvenirs qui nous guette en permanence et qui remplit un vide soudain dans lequel l’esprit terrifié se jette avec l’espoir d’y trouver un point de chute qui puisse satisfaire ses désirs secrets…
– Et quels seraient ces désirs secrets?
– Les mêmes que ceux de cette île, quelque chose de beaucoup plus grand qui date de bien avant nous, bien avant que les grands reptiles n’arpentent la terre encore jeune.
– Vous me faites peur. Y a-t-il de grands reptiles sur cette île?
– Je parle de temps anciens… N’ayez crainte, à cette époque, que l’on mesure non en siècles mais en millions d’années, l’archipel n’était qu’un soupir sous la croûte du monde…
– Et nous n’existions point…
– … Avez-vous entendu?
– Ne paniquez point pour si peu… c’est juste un frémissement oublié dans l’épaisseur du manteau terrestre.
– Tout de même! Je tremble quelque peu…
– Cela fait partie de notre quête! C’est là…
– Où donc?
– Dans ces profondeurs que l’œil humain n’atteindra jamais, que les premières forces se sont réveillées.
– Permettez quand même que je tremble…
– Reprenez vous! C’est à plus de cent kilomètres sous le plancher océanique, une anomalie thermique, un panache mantellique, commença à s’élever: une colonne de matière chaude, plastique, montée lentement, inexorablement, depuis les zones abyssales du globe.
– Que c’est beau! On jurerait que vous parlez de vous-même!
– C’est ce que les géologues modernes nomment un point chaud, mon cher Sang Chaud, mais ce nom technique ne rend pas justice à la lenteur souveraine, presque cosmique, avec laquelle cette force façonne la surface terrestre.
– De quelle manière tout cela est monté dans votre cerveau?
– Je ne sais point, mais lorsque cette matière en fusion toucha la base de la lithosphère océanique, elle la fit gonfler.
– Parlez-vous de votre tête?
– La croûte, tendue, craqua.
– Vous faites une drôle de tête!
– Des failles s’ouvrirent.
– Vous sentez-vous bien? D’où vient ce rougeoiement sur votre visage et ces fumerolles?
– Des chambres magmatiques se formèrent, se pressurisèrent, puis explosèrent.
– Mon Dieu!
– C’est ainsi que naquit la première île…dans un chaos de feu, de cendres, et de vapeur.
– On aurait dit que vous n’étiez plus vous-même!
– Qui serais-je si je n’étais point moi-même? Et qui serais-je si je n’étais celui qui le dit?
– On dirait que, par un insolent tour de passe passe, vous vous êtes mis de votre plein gré à répondre à notre énigme…
– C’est toi qui le dit!
– Qui seriez-vous si vous n’étiez que celui qui l’entendait?
– Qui entendrait quoi?
– Les mots de l’énigme: « Qui suis-je si je suis celui qui le dit et qui suis-je si je ne suis que celui qui l’entend? C’est alors que je compris comment en quelques mots peut se former un labyrinthe.»



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