« Le réel est toujours ce qu’on n’attendait pas et dont l’épreuve est toute de saisissement, parce qu’il se révèle à chaque fois, non pas une fois pour toutes, mais toutes pour celle‑là, comme toujours déjà là.»
Henri Maldiney, Le legs des choses dans l’œuvre de Francis Ponge
–
Voyez-vous Sang Chaud, la grandeur des choses dépend pour une bonne
part du point de vue duquel nous nous plaçons. Elle peut, de même que notre personne, changer considérablement.
– Ainsi, il se pourrait qu’une chose qui nous paraîtrait parfaitement normale soit beaucoup plus petite…
– Ou l’inverse! Sang Chaud! Voyez-vous ce petit théâtre n’est pas si petit que cela… et si vous me faites l’honneur de m’accompagner, vous verriez combien j’ai raison.
Sang Chaud ne peut faire autrement que d’accepter et les voilà qui entrent gaillardement pour l’un, timidement pour l’autre…
– Pénétrez Sang Chaud, ne faites point l’enfant et voyez comment les gradins s’élèvent. C’est comme une colline de visages à venir. On les monte à l’aide de traverses emboîtées, planches rabotées, fixées par des chevilles de frêne. Plus on monte, plus le bois est brut, rude, noueux. Tout en bas, près de la piste, les fauteuils sont creusés dans des planches claires, sculptées et poncées jusqu’à briller. Ils encadrent les nobles tissus de brocard prêt à accueillir les nobles postérieurs, brocardés eux aussi. Les riches, les élégants, s’y installent à portée de sueur. Suivent les sièges à dossiers, parfois recouverts de toile. Plus haut, les planches sont raides, étroites, sans dossier. Ce sont de simples bancs rugueux pour les gueux. Pourtant, c’est un secret… c’est là que l’air circule le mieux et c’est de là qu’on est le plus proche des étoiles. Mais c’est aussi là qu’on entend les craquements du bois sous les pieds, les soupirs du cirque entier dans sa charpente. Et au sommet, tout en haut, une sorte de jubé sans foi, où les solitaires, les rêveurs, les yeux fous, les acrobates et les oiseaux peuvent tout voir et se sentir vus par l’invisible.

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