« Il lui vint dans l’âme une pensée terrible: il n’avait pas vécu de la bonne manière. Toutes les choses de sa vie, tout ce qu’il avait fait ou entrepris jusque-là, le travail, la maison, la société, les convenances, tout cela peut-être avait été faux. Ses efforts à lutter contre ce qu’on appelait le «bien» de la haute société, ses impulsions à peine perceptibles, qu’il avait toujours étouffées, pouvaient précisément être ce qu’il y avait de plus réel, tandis que tout le reste était artificiel.
Le tumulte s’éleva dans son âme: pourquoi n’avait-il pas suivi ce qu’il sentait comme vérité intérieure? Pourquoi avait-il passé tant d’années à se conformer, à sacrifier ses désirs, à jouer un rôle social? Et maintenant c’était trop tard. Le temps lui échappait. Il avait devant lui ce qu’il craignait le plus: la mort. Il comprit que, jusqu’à ce moment, il avait ignoré la mort comme une abstraction, jamais comme une réalité personnelle. Mais désormais, elle devenait très proche, et rien ne pouvait l’éloigner.»
La Mort d’Ivan Ilitch de Léon Tolstoï
Don Carotte, immobile sur la monstrueuse langue de Antée, non qu’il fut prisonnier, mais parce qu’incapable de bouger autrement qu’en pensée devant cette mort qui lui tendait la main… enfin… plutôt la langue, ne cessait de voir défiler devant lui ce qu’en d’autres circonstances il n’eut jamais pu imaginer. Comme si la gueule du monstre était une scène de théâtre… qui l’invitait à devenir acteur de cette sarabande, entrecoupée de pensées plus sages dont il ne savait plus si elles venaient du fond de sa mémoire ou du fond de la gueule théâtrale qui lui tirait la langue:
« Considère-toi comme mort, tu auras accompli ta vie jusqu’à maintenant; et vis comme il te reste à vivre selon la nature ce qui t’est permis.»
Marc-Aurèle, Méditations, livre 7, § 56
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