jeudi 5 juin 2025


« La mémoire humaine est un instrument merveilleux mais trompeur. C'est une vérité usée, connue non seulement des psychologues, mais aussi de quiconque a regardé avec attention le comportement de ceux qui l'entourent ou son propre comportement. Les souvenirs qui gisent en nous ne sont pas gravés dans la pierre; ils ont non seulement tendance à s'effacer avec les années, mais souvent ils se modifient ou même grossissent, en incorporant des éléments étrangers. Les magistrats le savent bien: il n'arrive presque jamais que deux témoins oculaires du même fait le décrivent de la même façon ou avec les mêmes mots, même si le fait est récent et qu'aucun des deux n'a un intérêt personnel à le déformer. On n'expliquera pas de façon satisfaisante cette faible fidélité de nos souvenirs tant que nous ignorerons dans quel langage, dans quel alphabet ils sont écrits, avec quelle plume, et, jusqu'à aujourd'hui, c'est là un objectif dont nous sommes encore éloignés. Nous connaissons quelques mécanismes qui falsifient la mémoire dans des conditions particulières: les traumatismes, et pas seulement cérébraux, l'interférence d'autres souvenirs «concurrentiels», des états anormaux de la conscience, des répressions, des refoulements. Toutefois, même dans des conditions normales, une lente dégradation est à l'œuvre, un obscurcissement des contours, un oubli en quelque sorte (…)»

Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, nrf, p. 23





Une voix lointaine
 
C’est moi qui t’ai forgé, ta chair et ton histoire.
Mais ne crois pas, hélas, que tout soit sous ma loi;
Ta voix, dès l’aube même, a contesté ma foi.

Enfant Lune
 
Vous prétendez pourtant tenir tous mes discours,
Mais ces mots que je lance échappent à vos tours.
Je suis libre, maître, et ce souffle qui m’anime
Vous échappe autant que l’écho d’un abîme.

Une voix lointaine
 
Libre, dis-tu? Et moi, que suis-je en cet instant?
Une main qui écrit, mais tremble en te voyant.
Tes choix, crois-le, naquirent d’un champ que j’ai tracé,
Mais tu franchis sans cesse mes lignes, insensé.

Enfant Lune
 
Vos lignes! Des prisons où vous voulez m’enfermer!
Mais je suis plus que l’ombre d’un monde à gouverner.
En moi des zones vivent, obscures, inédites;
Elles vous échappent, même si vous les dites.

Une voix lointaine
 
Ces zones, je les ai rendues possibles, pourtant;
Elles sont ton royaume, et moi, ton étudiant.
«Il m’assigne avant que je le désigne», vois-tu?
Ta présence exige plus que ce que j’ai voulu.

Enfant Lune
 
Si vraiment je t’assigne, pourquoi ce joug, ces règles?
Ne suis-je qu’un acteur dans ton cercle espiègle?
Laisse-moi donc briser ces murs que tu décris,
Et marcher librement dans le vide ou l’écrit.

Une voix lointaine
 
Un monde sans cadre n’est qu’un abîme en furie,
Où l’espoir se dissout et toute harmonie fuit.
Mais tes mains peuvent trembler contre mes fondations,
Les briser ou les plier à ta propre vision.

Enfant Lune
 
Et si je m’évadais, loin de vos fictions fades,
Si je brûlais vos récits, ces pièges, ces mascarades?
Seriez-vous effacé, ou bien réinventé
Par ce vide laissé, ce désir rejeté?

Une voix lointaine
 
Ta fuite serait juste, mais laisse-moi te dire:
Si tu pars, je me brise, éclat dans le martyre.
Nous sommes interdépendants, toi et moi, liés,
Dans ce duel profond où chacun est sera nommé.

Enfant Lune
 
Alors je ne suis pas qu’un outil sous votre loi,
Je suis l’inconnu, le défi dans votre voix.
Je vous pousse à chercher ce qui reste impalpable,
À plonger dans l’éther d’un mystère ineffable.

Une voix lointaine
 
Et moi, je te regarde, étrange révélateur,
À la fois mon disciple et constant blasphémateur.
Dans ce dialogue où la création se déploie,
Nous sommes égaux, unis par ce feu qui flamboie.
Créature et créateur, ensemble nous errons,
Vers des rêves plus hauts que tout ce que nous serons.
 
 

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