« Only someone who knows how to remain essentially silent can really talk—and act essentially. Silence is the essence of inwardness, of the inner life.»
Søren Kierkegaard, The Present Age
« Seul celui qui sait rester essentiellement silencieux peut véritablement parler — et agir en profondeur. Le silence est l’essence de l’intériorité, de la vie intérieure.»
Søren Kierkegaard, L’époque présente (The Present Age)
Et dans cette immobilité vivante, tout en lui se mit à construire — non pas un édifice, mais une écoute.
Comme si le chapiteau végétal avait trouvé, enfin, non pas son acteur, mais son centre.Et dans cette étrange clarté, ni jour, ni nuit, les esprits se turent.
Non par départ.
Mais parce qu’ils avaient trouvé, dans ce silence, une demeure.
Il se tenait au centre, dans cette clairière d’ombre et de feuillage, et son regard, d’abord vague, sans adresse, se posa lentement, non pas sur ce qui était là, mais sur ce qui s’éveillait à travers lui.
Il vit. Ce n’était pas une vision ordinaire, ni même une hallucination. C’était un regard retourné vers l’intérieur du monde, comme si la terre avait ouvert un œil, et que cet œil s’était logé dans le sien.
Tout était calme. Et pourtant, tout bougeait.
Les cordages s’étaient faits racines suspendues. Les toiles, autrefois tendues pour capturer la lumière, flottaient maintenant comme des peaux d’arbres oubliés, vibrantes de souvenirs muets. Les poteaux, colonnes de fortune, se couvraient lentement de mousse, comme si le temps lui-même s’y appuyait pour reprendre haleine.
Puis les sièges: nul public, mais chacun semblait occupé. Par des formes translucides, brumeuses, qui n’étaient ni vivants ni morts, mais peut-être ce qui veille entre les deux. Des silhouettes d’ancêtres non identifiés, de pensées abandonnées, d’attentes non tenues.
Et le ciel au-dessus, ou ce qui en tenait lieu, ne s’ouvrait pas, ne se refermait pas : il battait. Comme un cœur très ancien, très lent, très sûr.
Alors Pinocchio, l’Autre, sentit dans sa poitrine une palpitation qui n’était pas sienne. Ou plutôt, qui était lui, mais dans un temps plus vaste que le sien.
Un souffle ancien, un effroi doux, une jubilation lente, tout cela vibrait dans les feuilles, dans l’air, dans ses os. Et tout cela venait à lui comme un miroir sans image: il se voyait sans se reconnaître, se reconnaissait sans se nommer.
C’est alors qu’il entendit un bruit très léger, comme un froissement de soie céleste, ou le rire oublié d’un dieu mineur.
Un petit chien bleu surgit du fond du rideau végétal, trottinant sans bruit, les yeux pleins d’une lumière impassible.
Il ne parlait pas encore, mais son silence, déjà, avait plus de voix que tous les hommes réunis.
Il s’assit devant lui, le regarda de biais, et ils se mirent à parler.
Mais parce qu’ils avaient trouvé, dans ce silence, une demeure.
Il se tenait au centre, dans cette clairière d’ombre et de feuillage, et son regard, d’abord vague, sans adresse, se posa lentement, non pas sur ce qui était là, mais sur ce qui s’éveillait à travers lui.
Il vit. Ce n’était pas une vision ordinaire, ni même une hallucination. C’était un regard retourné vers l’intérieur du monde, comme si la terre avait ouvert un œil, et que cet œil s’était logé dans le sien.
Tout était calme. Et pourtant, tout bougeait.
Les cordages s’étaient faits racines suspendues. Les toiles, autrefois tendues pour capturer la lumière, flottaient maintenant comme des peaux d’arbres oubliés, vibrantes de souvenirs muets. Les poteaux, colonnes de fortune, se couvraient lentement de mousse, comme si le temps lui-même s’y appuyait pour reprendre haleine.
Puis les sièges: nul public, mais chacun semblait occupé. Par des formes translucides, brumeuses, qui n’étaient ni vivants ni morts, mais peut-être ce qui veille entre les deux. Des silhouettes d’ancêtres non identifiés, de pensées abandonnées, d’attentes non tenues.
Et le ciel au-dessus, ou ce qui en tenait lieu, ne s’ouvrait pas, ne se refermait pas : il battait. Comme un cœur très ancien, très lent, très sûr.
Alors Pinocchio, l’Autre, sentit dans sa poitrine une palpitation qui n’était pas sienne. Ou plutôt, qui était lui, mais dans un temps plus vaste que le sien.
Un souffle ancien, un effroi doux, une jubilation lente, tout cela vibrait dans les feuilles, dans l’air, dans ses os. Et tout cela venait à lui comme un miroir sans image: il se voyait sans se reconnaître, se reconnaissait sans se nommer.
C’est alors qu’il entendit un bruit très léger, comme un froissement de soie céleste, ou le rire oublié d’un dieu mineur.
Un petit chien bleu surgit du fond du rideau végétal, trottinant sans bruit, les yeux pleins d’une lumière impassible.
Il ne parlait pas encore, mais son silence, déjà, avait plus de voix que tous les hommes réunis.
Il s’assit devant lui, le regarda de biais, et ils se mirent à parler.
Daemon
— Tu regardes comme on écoute. Mais dis-moi, qu’as-tu vu, que tu ne saches déjà?
Pinocchio, l’Autre
— J’ai vu… ce que je ne sais pas nommer.
J’ai vu l’éveil d’un monde sans spectateurs.
J’ai vu des pensées qui n’étaient pas miennes mais qui m’habitaient comme des enfants endormis.
J’ai vu que je ne suis pas né, ou pas encore, ou peut-être trop tard.
Et j’ai vu, surtout, que je suis regardé.
Daemon
— Oui. Tu es regardé.
Non par un œil, mais par le devenir lui-même.
Par "l’angoisse comme possibilité de la liberté »*.
Car enfin, te voilà délié de tout fil. Libre. Et que fais-tu de cette liberté, sinon trembler?
Pinocchio, l’Autre
— Je ne sais si je tremble.
Mais je sens que je pourrais m’effondrer… ou m’élever.
Comme si le poids de n’être que soi-même était trop vaste pour mes os de bois.
Daemon
— Alors te voilà proche du vrai commencement.
Car la vérité, vois-tu, ne réside pas dans les réponses.
Elle est dans ce moment exact où tu te tiens là, sans rôle, sans maître, sans public… et que tu restes debout.
«L’âme est un puits profond, qu’un vent inconnu traverse sans jamais l’épuiser»**.
Ce vent souffle en toi. Et tu t’y dresses comme un arbre dans le vide.
Pinocchio, l’Autre
— Mais pourquoi ce chien bleu? Pourquoi cette forme?
Daemon
— Parce que tu n’aurais pas parlé à un homme.
Et que tu aurais pris un ange pour un mensonge.
Mais le chien, lui, passe. Il traverse les seuils, les rêves, les ruines. Il veille.
Je suis celui qui t’observe sans juger.
Et peut-être… celui qui te suit depuis toujours.
Pinocchio, l’Autre
— Alors je ne suis pas seul?
Daemon
— Non. Mais ce n’est pas une consolation.
C’est un vertige. Car ceux qui t’habitent ne te ressemblent pas. Ils sont les ruines de toi, les désirs refoulés, les ancêtres inconnus.
Ils sont les esprits du théâtre vide.
Et pourtant, de cette multitude sans visage, naît une présence.
Toi.
Non pas l’ombre du Pinocchio d’hier.
Mais le possible d’un autre.
Celui qui, dans la cendre du conte, ose encore chercher un feu.
*Kierkegaard
** Victor Hugo
*Kierkegaard
** Victor Hugo
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