lundi 28 juillet 2025

 
 
« Toute pensée est un tremblement. On pense contre soi, on pense contre la pensée, on pense pour ne pas sombrer dans le pathétique. Il y a plus de vérité dans une chute que dans toutes les philosophies. La logique n’est qu’un vertige dompté.»
 
Émile Cioran, La chute dans le temps (1964), Gallimard, p. 79
 
 

  
Le vie de don Carotte de la Plancha... ou (selon diverses sources: de la Manche), tout comme celle de Sang Chaud de la Panse avait pris une tournure singulière. Rien de ce qu’il avait appelé de ses vœux ne s’était en encore présenté et rien ne laissait présager qu’il pourrait échapper à cette énigme qui le rendait prisonnier. Sang Chaud agissait avec tout le tact possible en ce genre de situation, mais en pareil état de chose: “À l’impossible nul n’est tenu!”

Don Carotte, pourtant, avait glissé quelques petites gouttes de vin dans son eau. Ce qui, de prime abord, le fit paraître plus aimable:
– Rappelez-moi en détail ce dont vous parliez Sang Chaud … de cette énigme qui naît chez ceux de notre front… dans l’instant retiré au cœur de cet arbre… avec… peut-être… notre futur destrier…

– Maître, je vois sans déplaisir qu’une certaine idée fait son chemin… loin de moi l’idée d’enfoncer quelque clou… 

– Continue donc! Et si l’idée fait son chemin …

– Les idées comme les pensées vont et viennent à leur guise . Si elles veulent aller par là elles y vont, si elles veulent aller par ici elles y viennent. Rien ne leur résiste. En chaque chose elles creusent d’invisibles chemins…

– Qu’en est-il de notre chemin… Parle puisque telle est ma demande. Je veux être inclus.

– Comme l’on dit, vous le savez sûrement, … le chemin n’est pas le chemin… et, malgré notre long cheminement, rien n’est encore résolu…

– Résolvez… résolvons donc! Sonnez le rappel des mots!

– Voilà! D’où donc, sinon de lui, me vint cette prose étrangère?

– Sans même reposer l’énigme, l’énigmatique est de retour… Qui donc est ce lui? Est-ce peut-être à nouveau un piège où mon propre esprit va pêcher?

– Je vous le dis… presque sans détour… il s’agit peut-être… de votre futur destrier…
– Quoi? De ces ânes sans prestige?
– Ridicules, ils ne sont point. Brisez ce litige.
– Ne me redites surtout qu’ils parlaient, sacrebleu!
– Je ne dis rien de tel… mais… ouvrez un peu mieux…
– Mais ? Qu’est-ce que mais? Achevez donc votre phrase.
– Mais… sans qu’il me parlât, sans parole, sans emphase, je me vis tout à coup penser, à une énigme obscure échappée de chez lui.

– Trêve de détour, rappelle ici cette parole amère qu’on en finisse!

– En ces termes précis elle se présenta:

« Qui suis-je si, me réveillant sans cesse, de jour en jours me poursuit l’écho des mots entendus dans mon sommeil:

Je suis un infiltré chez un agent double schizophrène que je suis. Qui suis-je si je suis celui qui le dit et qui suis-je si je ne suis que celui qui l’entend?” C’est alors que je compris comment en quelques mots peut se former un labyrinthe.»

– Et quelle sera notre réponse à ce noir embarras?
– Nulle, Monseigneur, nulle. Le trouble m’envahit. Je l’avoue.

– Qu’allons-nous faire? Tu le sais, quand l’inactivité me pèse… le bouillonnement se fait sentir… Ressens-tu les tremblements de l’île?

– Messire, gardez votre calme, vous me faites frémir à mon tour. Point n’est besoin d’éructer… pardon… d’érupter… enfin… d’éruption… excusez la confusion… je voulais dire exploser… Je crois fermement, comme l’âne m’y guide, qu’il vous faut le rencontrer…

– Faudra-t-il pour cela, dans cette confusion, que je m’abaisse?
– Cette question vous appartient, noble Maître, et fluide est la réponse..

– Pourquoi, diantre, devrais-je à ces jeux me livrer?
– Ce pourrait être le destin… votre destin… et nul ne peut l’ignorer. Le moment est venu d’implorer une clé!


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