J’ai toujours tenu pour suspects ou illusoires des récits de ce genre: récits d'aventures, feuilles de route, racontars, joufflus de mots sincères, d'actes qu'on affirmait avoir commis dans des lieux bien précisés, au long de jours catalogués.
C'est pourtant un récit de ce genre, récit de voyage et d'aventures, que ce livre propose dans ses pages mesurées, mises bout à bout comme des étapes. Mais qu'on le sache: le voyage n'est pas accompli encore. Le départ n'est pas donné. Tout est immobile et suspendu. On peut à volonté fermer ce livre et s'affranchir de ce qui suit. Que l'on ne croie point, du même geste, s'affranchir de ce problème, - doute fervent et pénétrant qui doit remplir les moindres mots ici comme le sang les plus petits vaisseaux et jusqu'à la pulpe sous l'ongle, et qui s'impose ainsi: l'imaginaire déchoit-il ou se renforce quand il se confronte au réel? Le réel n'aurait-il. point lui-même sa grande saveur et sa joie?
Car ces deux mondes s'attribuent tour à tour la seule existence.
Ils restent si étranges l'un à l'autre, que les représentants humains, les disciples en la chair desquels ils s'incarnent, s'efforcent de se fuir plutôt que de se chercher et de combattre. Ce qui, supprimant tout conflit, permet aux deux partis de se croire vainqueurs.
Et ils éconduisent ainsi l'un des moments mystérieux les plus divinisables par la qualité d'exotisme qu'il contient, sa puissance du Divers. Et cependant la plupart des objets dans ces deux mondes sont communs. Il n'était pas nécessaire, pour en obtenir le choc, de recourir à l'épisode périmé d'un voyage, ni de se mouvoir à l'extrême pour être témoin d'un duel qui est toujours là.
Certes. Mais l'épisode et la mise en scène du voyage, mieux que tout autre subterfuge, permettent ce corps à corps rapide, brutal, impitoyable, et marquent mieux chacun des coups. La loi d'exotisme et sa formule, comme d'une esthétique du divers, se sont d'abord dégagées d'une opposition concrète et rude: celle des climats et des races. De même, par le mécanisme quotidien de la route, l'opposition sera flagrante entre ces deux mondes: celui que l'on pense et celui que l'on heurte, ce qu'on rêve et ce que l'on fait, entre ce qu'on désire et cela que l'on obtient; entre la cime conquise par une métaphore et l'altitude lourdement gagnée par les jambes; entre le fleuve coulant dans les alexandrins longs, et l'eau qui dévale vers la mer et qui noie; entre la danse ailée de l'idée, et le rude piétinement de la route; tous objets dont s'aperçoit le double jeu, soit qu'un écrivain s'en empare en voyageant dans le monde des mots, soit qu’un voyageur verbalisant parfois contre son gré, les décrive ou les évalue.
C'est pourtant un récit de ce genre, récit de voyage et d'aventures, que ce livre propose dans ses pages mesurées, mises bout à bout comme des étapes. Mais qu'on le sache: le voyage n'est pas accompli encore. Le départ n'est pas donné. Tout est immobile et suspendu. On peut à volonté fermer ce livre et s'affranchir de ce qui suit. Que l'on ne croie point, du même geste, s'affranchir de ce problème, - doute fervent et pénétrant qui doit remplir les moindres mots ici comme le sang les plus petits vaisseaux et jusqu'à la pulpe sous l'ongle, et qui s'impose ainsi: l'imaginaire déchoit-il ou se renforce quand il se confronte au réel? Le réel n'aurait-il. point lui-même sa grande saveur et sa joie?
Car ces deux mondes s'attribuent tour à tour la seule existence.
Ils restent si étranges l'un à l'autre, que les représentants humains, les disciples en la chair desquels ils s'incarnent, s'efforcent de se fuir plutôt que de se chercher et de combattre. Ce qui, supprimant tout conflit, permet aux deux partis de se croire vainqueurs.
Et ils éconduisent ainsi l'un des moments mystérieux les plus divinisables par la qualité d'exotisme qu'il contient, sa puissance du Divers. Et cependant la plupart des objets dans ces deux mondes sont communs. Il n'était pas nécessaire, pour en obtenir le choc, de recourir à l'épisode périmé d'un voyage, ni de se mouvoir à l'extrême pour être témoin d'un duel qui est toujours là.
Certes. Mais l'épisode et la mise en scène du voyage, mieux que tout autre subterfuge, permettent ce corps à corps rapide, brutal, impitoyable, et marquent mieux chacun des coups. La loi d'exotisme et sa formule, comme d'une esthétique du divers, se sont d'abord dégagées d'une opposition concrète et rude: celle des climats et des races. De même, par le mécanisme quotidien de la route, l'opposition sera flagrante entre ces deux mondes: celui que l'on pense et celui que l'on heurte, ce qu'on rêve et ce que l'on fait, entre ce qu'on désire et cela que l'on obtient; entre la cime conquise par une métaphore et l'altitude lourdement gagnée par les jambes; entre le fleuve coulant dans les alexandrins longs, et l'eau qui dévale vers la mer et qui noie; entre la danse ailée de l'idée, et le rude piétinement de la route; tous objets dont s'aperçoit le double jeu, soit qu'un écrivain s'en empare en voyageant dans le monde des mots, soit qu’un voyageur verbalisant parfois contre son gré, les décrive ou les évalue.
Victor Segalen, Équipée (Voyage au pays du réel)
En un instant, un cri démentiel et la très longue litanie de ses échos avait traversé le ciel de part en part. Le soir était tombé lui aussi. Les gesticulations et les gémissements de Don Carotte allongé et presque mourant, c'est ainsi qu'il se voyait, dans un repli de racines étaient presque devenus inaudibles tant sa voix au loin s’était perdue. Don Carotte, la mémoire défaillante, dans un murmure aphone, appelait son bon Sang Chaud alors que le sien, froid au demeurant, sans bruit se déversait et le fuyait comme le torrent dans la vallée, emportant avec lui la misérable vie et la quête qu’il s’était assigné. D’une misérable égratignure perlait une minuscule goutte de sang, mais le pied, avait enflé et enflait encore… se propageant au mollet… puis à la cuisse… puis dans le corps entier de Don Carotte qui, dans l’instant même où l’enflure atteignait son cerveau, se vit comme un de ces géants qu’il avait mission de combattre. En un rien de temps il fut sur pied… hélas sur le mauvais… et l’instant suivant, Sang Chaud vit débouler sur lui un amas de bras de tête, de mains, de pieds et de jambes emmêlés et tous enflés qui lui firent fort heureusement répéter le petit pas de côté qui l’avait déjà sauvé.
Sang Chaud, incapable de choisir entre rire et pleurer, avait profité de l’apparition de Céleste pour s’éclipser. Depuis peu il s’était mis à craindre ce qu’il supposait être la folie grandissante de celui qu’il ne voyait plus comme son Maître. Il avait choisi la fuite…

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