vendredi 26 septembre 2025

 Don Carotte, soulevant la voix comme une épée rouillée, répondit: 
– Tu es la force obscure des racines, le fils de Gaïa et de Poséidon, le géant qu’aucune chute n’épuise. Tu es Antée, invaincu, invincible tant que la Terre et la Mer t’enlacent!

Alors le monstre rit, et la mer tremble.
– Tu m’as nommé, étranger, mais nommer n’est pas vaincre. Si tu veux vraiment me connaître, franchis ce seuil.
Et il ouvrit sa gueule. Les dents se dressèrent comme des colonnes blanches, la langue rouge se déroula comme un tapis d’honneur.


Au fond de l’eau la mer a tremblé. Don Carotte lui aussi est nommé. Il tremble mais ne cède point.
–  Je suis celui que vous croyez… mais comment pourriez-vous savoir ce que je crois?
– Parce que je suis celui que vous croyez être! 
– Ainsi puisque vous seriez celui que je crois que vous soyez… vous pourriez savoir ce que je crois… Sans vouloir vous manquer de respect… quelque chose ne tourne pas rond… ou quelque chose tourne en rond!
– Entrez donc… homme de bon sens… mais prenez garde à ce qui sort de votre bouche plutôt qu’à la mienne … “Allons, allons, prenez courage, l’abattement dans les infortunes détruit la santé et hâte la mort.”

S’il n’eut été au fond des océans, Don Carotte aurait probablement ressenti l’air tournoyer dans le vide béant de son cerveau… mais en ces circonstances, rien ne bougeait. L’inerte dort, sans voix, sans dessein. Le signe, lui, s’élance: une craie blanche, une cicatrice, une lettre noire sur la page. Une langue qui se déroule et invite… Mais toujours inerte, il reste adossé à son corps de matière, comme un souffle retenu dans la glaise. Un signe est une pierre qui s’ouvre quand on la regarde ou la gueule du monstre qui nous invite…
Et nous marchons dans cet entre-deux, à la lisière de l’utile et du secret, du silence et du langage. Nous faisons parler ce qui ne dit rien, nous prêtons nos lèvres aux choses muettes. Nous transformons la poussière en mémoire, les éclats en étoiles, la trace en promesse.
Car habiter le monde, c’est demeurer là: entre la main et l’ombre, entre le poids des choses et la légèreté du sens. Entre le courage et la détresse et, surtout, entre la folie et la raison. Mais ce n’est point la raison qui fait signe…


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