« Chaque matin, au réveil, la conscience est une table rase, mais qui a vite fait de se remplir. C'est avant tout le cadre où nous nous trouvions la veille qui nous rappelle ce que nous avons pensé dans ce cadre; les événements de la journée précédente viennent s'y rattacher, et ainsi une pensée en amène une autre, jusqu'à ce que nous ayons de nouveau présent à l'esprit tout ce qui nous occupait hier. La santé de l'esprit dépend du bon ordre et de la suite rationnelle de ces associations; la folie, au contraire, comme nous le montrerons dans le troisième livre, se produit quand la mémoire de l'enchaînement de notre vie passée présente de grandes lacunes. Le sommeil, lui, interrompt complètement le fil du souvenir, qui a besoin d'être repris chaque matin; c'est ce que nous montrent les imperfections mêmes de cette reprise; ainsi une mélodie qui le soir nous trottait dans la tête jusqu'à nous obséder, ne peut quelquefois pas être retrouvée le lendemain.»
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, puf, p. 821
À l'autre bout de la corde, Sang Chaud lui aussi est entraîné dans les méandres d'une réalité que Don Carotte ne sait questionner.
– Il ne voit pas le monde, il le traverse, sans savoir.
Lié par le hasard et une minuscule cordelette il devient ce que Don Carotte ne sait ni voir ni vouloir. Il a le privilège de l'accompagner dans ses errement et peut-être de le sauver... Ce qui, au vu de la situation, va devenir quasiment impossible. Le lecteur, lui aussi entraîné dans des profondeurs lourdes à porter, va peut-être découvrir, à force d'attendre, ce qui eut dû dès le début lui sauter aux yeux. Mais pour le moment c'est Sang Chaud qui sans le vouloir va devoir sauter dans ces profondeurs inépuisables... ce qui le fait intérieurement frissonner... C’est là, dans ces profondeurs que l’œil humain n’atteindra jamais, qu’une force s’est réveillée...
– Il n’est point vrai que cet animal gigantesque n'ait point de nom! Pas plus que, malgré de trompeuses apparences, ne serait vrai le fait que la cordelette me guide…
Sang Chaud, dans l’agitation continuelle de ses pensées, prenant garde de ne point stimuler son coté subversif et veillant à maîtriser les tremblements instinctifs de son corps devant l'inéluctable, faisant sienne l'une des maximes qu'eut dû avoir Don Carotte, se console en pensant que la force de l'esprit prime sur la force du corps... La cordelette se tend et naît soudain en lui un pensée qui lui traverse l’esprit. Le mot claque: Léviathan...
– Tel est son nom!


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