dimanche 2 novembre 2025

Nu sous le ciel

 
 « Le simulacre n'est jamais ce qui cache la vérité, c'est la vérité qui cache qu'il n'y en a pas.
Le simulacre est vrai.»


L'Ecclésiaste


 
 
Ignatius, sous le coup de la révélation de celui qu’il croyait être son ami, humilié, terrassé même, tel un poète touché par la langue de feu, se relève et se met à déclamer:

– L’homme, en son clair savoir, fuit la loi naturelle,
Nu sous le ciel, sans frein, sans borne, sans tutelle;
Insaisissable esprit que son effort dévore,
Il veut paraître au jour, mais se dérobe encore.
Car son être est suspendu, tremblant et solitaire,
Entre l’ombre et la flamme où respire la terre.
Le chapiteau s’éveille, et l’ombre a des éclats;
Les piliers, tels des os dressés dans le verglas,
Portent tout l’édifice, et leur masse opaline
Cache à demi le cœur dont l’âme est la ruine.
J’aperçois, frémissant sous ce voile d’effroi,
Des morceaux d’un vivant que son passé déploie:
Des fils de souvenirs tissés en toile étroite,
Où le vent fait trembler l’oubli qui s’y projette.
Les cordages sont là, nerveux, blancs, palpitants,
Vibrant à chaque assaut du souffle et du temps.
Ils retiennent le monde en sa fragile étreinte.
Qu’ils cèdent: tout bascule, lumière et contraintes.

Lucian, impressionné, prend note et dessine en silence… ce passé si largement dépassé…

– Il est impressionnant de voir combien l’être humain peut se dépasser. Igniatius saura-t’il un jour relier sa langue à sa main… et reprendre pied sans les mouvances de son esprit tourmenté… Soit, faisons preuve d’humilité… Du reste il s’accroche, on peut le voir… il veut tenir, durer, s’enraciner…  Il lui reste à apprendre à passer

Igniatius s’est calmé. Il reste là, les yeux presque fermés. Qui pourrait imaginer ce qui, dans sa tête, ne fait que passer… sans que jamais il ne s’en souvienne… mais qui dans ses dessins apparaissent soudain…

– Voyez-vous Igniatius, le monde, lui aussi, passe.
Mais il y a des passages qui créent du sens. Chaque fois que quelqu’un parle, regarde, se souvient, aime… ou dessine, il crée un passage. Il relie ce qui, sans lui, resterait séparé.
Et c’est cela, je crois, être vivant. Ce pourrait être un pont entre deux bords qui ne se rejoignent jamais tout à fait…
Ces deux bords, ce pourrait être vous… celui qui est ici… et celui qui dessine… L’un apporte à l’autre ce qu’il sait et que l’autre ignore… avant que ne s’inverse le processus… Il se trouve que je connais l’auteur des dessins que vous avez achetés et amenés dans ce cabinet… et la signature illisible qui les orne… n’est autre que la vôtre… parce que nul autre que vous-même ne peut mieux illustrer ce qui dans l’ombre reste vous-même…



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires sont les bienvenus