dimanche 8 juin 2025

 
« Ce qui éclaire n’est pas ce qui illumine, mais ce qui, dans la nuit, fait que la nuit soit visible.»
 
Maurice Blanchot, L’Entretien infini 
 
 


– Imaginez Pinocchio, l’Autre, et le langage comme une maison, Pinocchio, l’Autre, serait ce corps qui, à force d’avoir été parlé, s’est vidé de toute voix propre.
– Il serait alors comme une maison vide…
– Oui mais ce vide n’est pas un néant.
– Que serait-ce alors?
– Il est possibilité. Il devient l’espace même de l’energeia aristotélicienne, ce passage de la puissance à l’acte, non pas dans la finalité d’un devenir-homme, mais dans la venue d’une parole inédite.
– Mais cette parole, peut-être, ne sera jamais prononcée.
– Elle brillera comme une absence pleine. Elle sera l’indice qu’il a traversé le langage, qu’il l’a laissé parler à travers lui, sans se confondre avec son maître.
– Un sujet qui résiste à sa propre nomination?
– C’est cela, il persiste dans une altérité irreprésentable…
– Et pourtant représenté… ici, là, devant nous!
– Cependant, il n’est plus un pantin.
– Il n’est pas encore un homme. 
– Il est le seuil.
– Comme une fêlure.
– Et dans cette fêlure, peut-être, naît ce que Heidegger appelait une «clarté obscure», une lumière qui n’éclaire pas, mais qui creuse. Une parole qui n’explique rien, mais qui rend possible d’habiter l’inexpliqué.
 – Ce que vous appelez clarté… est-ce encore de la lumière
– Non. Ou alors une lumière retournée. Non pas celle qui dissipe les ombres, mais celle qui les révèle.
– Une lumière qui éclaire l’obscur, en tant qu’obscur?
– Plutôt une lumière qui, comme le dit Blanchot, «dans la nuit, fait que la nuit soit visible». Elle n’éclaire rien, elle ne désigne pas, elle ne montre pas. Elle rend simplement la nuit habitable.
– Alors ce n’est plus le langage comme flambeau. C’est le langage comme fissure.
– Oui. Dans cette fêlure naît une clarté obscure, un dire sans direction, une parole qui n’explique rien mais rend possible d’habiter l’inexpliqué. Ce n’est plus une parole pour comprendre, mais une parole pour être.
– Ou pour errer.
– Peut-être. Mais une errance digne. Une errance qui refuse les chemins balisés, les fables toutes faites. Une errance qui consent à ne pas savoir, à ne pas nommer, mais à s’ouvrir.
– Ainsi l’Autre ne cherche plus la vérité comme un soleil, mais comme cette veilleuse intérieure… un feu qui ne brûle pas, mais creuse.
– Et la vérité dans tout cela?
– Dans ce creux, il n’y a plus de fable, plus de Geppetto, plus de maître, plus de marionnettiste. Il y a l’espace nu du non-savoir. Et ce silence-là… c’est peut-être ça, la vérité
 – Ainsi, dans cette lumière qui ne montre pas, mais qui creuse, on ne cherche plus la vérité. On l’éprouve comme une absence qui palpite.
 – Une absence active…? Voilà qui est curieux…
– Oui. Une absence pleine de présence. La vérité ne réside pas dans l’éclat de l’être, mais dans le frémissement de ce qui se retire*. C’est le visage de l’autre, justement, qui ne se donne jamais tout entier. Qui échappe, mais dans cette fuite, oblige.
– Comme si le sens n’était pas à saisir, mais à recevoir?

*Levinas 
 
 


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