Après qu’à leur réveil, au dehors, les racines entremêlées aient enfermés nos deux compagnons et qu'elles se soient jetées dans les creux de l’océan, le ciel avait disparu derrière une épaisse muraille d’ombres menaçantes. L’homme aux aguets, attentif au moindre des mouvements, se tient au lointain et observe, dans l’invisibilité cristalline de la nuit, cette présence presque imperceptible qu’il ressent bien plus qu’il ne la voit. Du moins il le croit et médite.
– Je sens une autre présence. Elle est dans l’ombre, à l’affût, immobile, discrète au possible.
Cette présence, par illusion de perspective ou accident de simultanéité, semble lui répondre.
– Moi, invisible spectateur du dedans, si j’en crois, sans la moindre vertu, ce que plus d’une fois j’ai vu et revu, il n’est pas au centre d’un cercle: il se présente, frasques d’un autre âge, prisonnier de l’ovale qu’impose la perspective, centre obscur d’un œil qui observe autant qu’il est observé. Ce n’est pas lui qui maîtrise le regard, c’est le regard qui le maîtrise.
L’homme éclairé, se projetant loin des convenances naturelles, est à découvert, insaisissable malgré ses incessants efforts de paraître, ce qu’il est vraiment peine à se faire voir, comme si son être se tenait dans l’interstice entre la lumière et l’ombre.
Le chapiteau s’anime. Ses poteaux massifs, plantés comme des colonnes vertébrales, soutiennent l’ensemble, mais ils éclipsent tout ou partie de ce qui doit être vu. Je perçois, vision presque macabre, les fragments d’un être traversé par la toile tissée des lambeaux de sa propre mémoire. Les cordages solidaires tirent, tendus, comme des nerfs blancs qui vibrent à chaque rafale. Ils tiennent tout, mais leur tension est aussi menace: qu’ils cèdent, et tout s’effondre.


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