mercredi 20 août 2025

Mercredi






Don Carotte, pris en étau entre le feu et le verbe, ne se lasse point de fuir une réalité qui le poursuit avec ardeur. Sang Chaud qui n’a de cesse de tenter de le remettre à l’endroit où ils devraient être, patiente du mieux qu’il peut, mais à peine allumée, la moindre étincelle, dans le cerveau de Don Carotte, allume un feu qui lui semble éternel et dont le moindre reflet projette une ombre, fugitive et inquiétante, dans la tête de Sang Chaud.

– Voilà, Sang Chaud, ici, le feu ne dort jamais. L’ile entière est constellée de flammèches, de petits yeux incandescents qui clignent au hasard des fissures, et les fumerolles qui s’en échappent semblent parfois me suivre comme des esprits lents et chauds. Lorsque l’une d’elles frôle les racines, le vert s’assombrit, se pique de taches cendrées, puis bascule, en quelques jours ou semaines, vers un noir de charbon humide.
– Elles meurent?
– Ce n’est pas une mort; c’est un combat. Le végétal, s’il en est, sécrète alors une liqueur dense et claire, que je crois chargée d’huiles inconnues, formant un mince vernis qui crépite sous l’assaut des braises. J’ai songé à un contrefeu, un feu intérieur, invisible, qui répond au feu extérieur pour l’épuiser, et qui, par une chimie propre à l’île, fige la progression de la brûlure.
Sous mes yeux, une métamorphose s’opère: la peau carbonisée s’épaissit, se ride comme un cuir antique, puis se crevasse en losanges irréguliers. Très vite, bien qu’à l’échelle des siècles, ce «très vite» n’ait pas de sens, la matière prend l’aspect d’une coulée de lave solidifiée. À distance, impossible de distinguer racine et basalte; la plante s’y camoufle, devient relief, devient pierre, jusqu’à ce que la surface se fende, laissant choir des écailles entières de minéral.
Alors, comme le serpent fait peau neuve, apparaît, d’un seul coup, un vert éclatant, presque douloureux au regard; une chair neuve qui s’élance à travers la croûte comme si la roche n’était qu’une gaine temporaire. Rien d’étonnant, me dis-je, qu’un novice croie voir ici la lave elle-même prendre vie.
– Mais ces phénomènes ne nous appartiennent pas, Don Carotte… Nous, créatures rapides et impatientes, sommes façonnés pour lire le monde dans l’instant… Pardonnez mon insolence mais est-ce que vous avez peur de la mort?
– Vous plaisantez Sang Chaud, nos cerveaux, en quête d’alignements avec ce qu’ils connaissent déjà, court-circuitent tout ce qui s’y oppose. Nous effaçons ce qui nous contredit, comme on biffe d’un geste rageur une phrase qui dérange! Mais les rêves, Sang Chaud, ne s’effacent point… Ils vont et viennent selon les besoins… croque-mots comme croque-morts… à leur guise… mais ils ne perdent rien pour attendre…
Dans la tête de Sang Chaud, les images refusent de mourir. Il a, parfois, le sentiment dangereux mais presque joyeux, d’échapper à la vie mouvementée des vivants 




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