vendredi 1 août 2025





– Voyez Don Carotte combien ces racines nous suivent!
– Ce ne sont point les racines qui nous suivent mais nous qui suivons les racines. Il n'est point de monde sans elles... et si nous savions mieux observer nous pourrions voir qu'elles nous mènent jusque dans les profondeurs de l'océan. Je les sens et… je ne devrais pas le dire... tant cela va vous paraître curieux… je les porte dans mes entrailles, tout autant que je les vois se répandre, bien au-delà du pied de l’arbre, sur et sous le sol de ces îles et de cet océan dont nous ne pouvons percevoir les limites.
– Alors, selon vous, seraient-ce là devant nous et sous nos pieds, vos entrailles? Don Carotte!
– Ce ne sont point les miennes seulement... mais les vôtres aussi! 
 
Armé d’un courage dont il n’imagine point être dépourvu, malgré la lancinante blessure de n’être point capable de résoudre l’énigme, Don Carotte remet ses pieds dans ses pas. Il retourne en tous sens ce qui ne cesse de le faire tourner en ronds. Comment s'est-il retrouvé au cœur d’un arbre aussi étrange qu'inquiétant, en face de l’âne mystérieux, nul ne le sait. Lui, encore moins que quiconque. Tout juste se souvient-il d’avoir suivi une de ces petites lumières bleuâtres et tremblotantes qui en jalonnent l’intérieur.
Il raconte à Sang Chaud qui se garde bien de l'interroger... tout en continuant avec tact de raisonner, au risque de fâcher, autant qu'il le peut... 
Face à l’âne, je remis de l’huile dans les rouages un peu rouillés de mon éloquence…
– Voyez-vous cela! Cher… Je ne trouvais point mes mots pour qualifier ce petit je ne sais quoi en forme d’âne minuscule…
Perçant les ténèbres de mon ignorance un silence bien gênant se fit jour... qui m'éclaira de brillante façon. Cela devait se voir sur ma triste figure.
– Donc, me répondit-il, si je suis… ou vous êtes le labyrinthe, celui qui dit: je suis, est le sujet conscient, mais éclaté, qui parle depuis une partie lucide en moi, en lui, observant ma, sa propre schizophrénie.
Comprenez-vous… c’est la partie consciente du labyrinthe.
– Mais alors! lui répondis je, “Qui suis-je si je ne suis que celui qui l’entend?”
À ma grande surprise, sans que j’entreprenne quoique ce soit, les éléments de l’énigme se mettaient en place comme jamais ils ne l’avaient été jusque là. À tel point que j’en fus littéralement émerveillé. Les mots sortaient de ma bouche sans même que je les prononce.
– Je suis l’inconscient captif d’une parole intérieure que je ne contrôle pas.
– C’est cela me répondit l’âne… Autrement dit... dites-le!
Alors sans hésitation, d'une voix claire, je le lui dis:
– Je suis celui qui reçoit la voix venue de mon propre inconscient. J’écoute une parole intérieure sans pouvoir l’arrêter, comme si une autre partie de moi-même parlait à ma placeJe suis dominé par ma propre altérité intérieure: je ne suis que l’auditeur impuissant de ma propre division.
Nous restâmes silencieux un instant sans que cela ne nous gêna le moins du monde.
– Donc, repris-je, je suis le moi passif, celui qui subit la schizophrénie intérieure sans pouvoir la comprendre ni la stopper.
– Je vous félicite Don Carotte! me dit l'âne luminescent en m’appelant par mon nom… ce qui, pour le moins était surprenant… étant donné que je ne m’étais point présenté…
– Voilà qui, mon cher Sang Chaud, je le ressentis ainsi, m'ébranla jusqu’au cœur…

Je perçus alors un vertige où je mêlais ma peur.

Peut-être, oui, peut-être, ce trouble étrange et sombre
 révèle que l’homme est son propre reflet dans l’ombre. 
Sang Chaud, d'abord émerveillé, sentit sur lui revenir l'ombre tortueuse de Don Carotte que la raison menaçait de quitter à nouveau. 
– Voilà que vous retombez dans vos travers Don Carotte! Et moi, aussi vrai que l'on me nomme ..., malgré mon admiration pour les incessantes gesticulations de votre pensée... je me dois de vous dire que... lorsque vous vous laissez aller à la poésie et quittez les rivages de la raison... sans vouloir vous blesser... vous devenez soporifique... Vous me faites tant mal à l'âme que l'envie de vomir me tiraille de partout... pendant que ma tête tourne  plus vite que le monde qui nous entoure...
– C’est la partie submergée de nous-même: le labyrinthe.
– D'où vient cette chose, alors? Qu'est-ce que c'est?
– Elle est de celles, Sang Chaud, qui tombent aux penseurs,

Et qui, sournoisement, parfois, frappent les rêveurs…
– Pour résumer Don Carotte, où en sommes-nous?
– Il y a une voix qui parle et énonce l'énigme...
– C'est le labyrinthe! me dit-il.
– Il y a celui qui croit parler! lui répondis-je.
– Il est déjà piégé par le labyrinthe!
– Il y a celui qui croit entendre...
– ... et qui n'écoute que la voix du labyrinthe!
– Messire Carotte, nous voilà bien avancés! 
– On en sort point...
– Nous avons besoin d'une autre clé...
– Il va falloir que j'y retourne, je suppose...
 
 

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