« Toute rencontre a lieu dans la surprise. Ce qui étonne dans un événement ou une chose est ce qui fait son propre: premièrement qu’il y ait quelque chose de tel, deuxièmement que j’y aie ouverture… les deux à partir de rien.»
Henri Maldiney, L’art, l’éclair de l’être, Paris, Cerf, 2012, p. 71.
« L'attente commence quand il n'y a plus rien à attendre, ni même la fin de l'attente. L'attente ignore et détruit ce qu'elle attend. L'attente n'attend rien. »
Maurice Blanchot, L'Attente, l'oubli, Gallimard, 1962
– Qu'attendez-vous?
– L'attente véritable n'est pas dirigée vers un objet ou un événement spécifique, mais constitue une ouverture à l'inconnu, une disponibilité à ce qui advient sans préavis.
– Avez-vous conscience que pourrions n’être qu’un jouet?
– Plus que vous...
– Je vois ce que vous voulez dire...
– Qu’entendez-vous par là?
– J’entends une petite part de ce que l’enfant Lune entend...
– L'avez-vous rencontré?
– Une véritable rencontre, c'est ce qui se passe quand l'événement ou l'autre ne peut être anticipé ni maîtrisé; elle surgit de manière imprévisible, nous surprenant et nous ouvrant à une dimension nouvelle de l'existence...
– Qu’entend l'enfant Lune?
– Sans le savoir et sans qu’il l’eut prémédité, ni même souhaité le moins du monde, il entend ce que tout mort apprend en silence...
– Le sait-il?
– Tout dépend de ce que vous entendez par "savoir"…
– J’entends ce frémissement premier, ce tremblement d’avant la forme, quand le monde ne s’est pas encore dit, mais s’impose dans la stupeur d’être là.
– Alors vous parlez du savoir comme d’une ouverture – non pas la saisie d’un objet, mais l’épreuve d’un surgissement… une venue, sans pourquoi.
– Oui. Non pas une possession du vrai, mais l’expérience nue de ce qui nous traverse, ce qui nous précède. Ce que l’on ne maîtrise pas mais qui, pourtant, nous constitue.
– Et qui déjà nous défait. Le savoir dont vous parlez est une défaite, une dépossession qui donne lieu à la possibilité d’entendre.
– Une dépossession féconde. L’enfant Lune, que vous évoquiez, n’apprend pas au sens où l’on accumule. Il s’ouvre à ce qui le submerge, et c’est cette écoute qui le rend vivant au-delà du vivant.
– Ce qui le rend disponible au silence, à cette voix qui ne parle pas, mais qui insiste… Comme si le réel ne voulait pas être dit, mais seulement frôlé.
– Frôlé, oui. Dans le tremblé de la parole, dans l’inactuel du regard. C’est là, dans cette béance, que l’homme cesse d’être un jouet. Il devient l’hôte de l’inconnu.
– Et pourtant, c’est précisément à l’instant où il cesse de vouloir comprendre qu’il devient le plus exposé, le plus fragile. Peut-être est-ce cela que vous nommez liberté?
– Une liberté sans volonté. Une réponse sans question. L’instant où l’être n’est plus ce que je suis, mais ce qui me tient hors de moi, dans l’impossible retrait de tout.
– Dans ce retrait, il n’y a plus de jouet, plus de joueur. Il n’y a que le jeu – et c’est peut-être cela, finalement, qui nous dépasse.