dimanche 21 décembre 2025

Autrefois

 
 

Il se trompait… à propos de Don Carotte… et de Sang Chaud…
 
La cordelette qui les liait ayant rompu, Sang Chaud est séparé de Don Carotte. Il croit celui-ci mort, ou pour le moins disparu. Igniatius voit le changement s’opérer sans qu’il y soit pour quelque chose. Ce qui le rend amer… Sans moi il ne serait rien et le voilà qui m’échappe et se permet de s’en prendre à moi… il me parle et ne m’écoute plus...
Je ne suis rien d’autre que le fruit que la pensée d’Igniatius arrache au temps... et malgré cela , je me souviens...
C'était une autre fois, comme une représentation, Don Carotte était inconscient. Pour lui ce qui se passait sur l'île était bien loin de lui. Et pour moi, c'était exactement l'inverse. Je ne savais pas où était Don Carotte... peut-être même était-il mort... en tous cas mourant.
 

 
Pendant que l’île, déserte jusqu’alors, est submergée par les racines géantes d’un arbre inconnu se multipliant infiniment, nous entraînaient dans sa chute aussi sûrement que l’aurait fait la moindre éruption, au cœur de ce chaos bigarré, serpentant aux confins de l’âme de cet inconnu, avait surgi, à mes côtés le même fantôme: une présence et absence, double complice et spectre tyrannique. Ainsi l’irrépressible acrobate ne danse jamais seul: un second partenaire, invisible, l’accompagne, et son pas hésitant cherche à combler l’ombre laissée par cet autre. Voilà le nœud de son numéro: l’amitié transformée en hantise, la mémoire qui devient personnage.
Je regarde, fasciné. Ce cirque n’a ni fauves ni dompteur, mais un homme qui se débat avec ses propres ombres qu’il tente de dompter.  L’observateur, songeur, n’a de cesse de noter. 
Tout spectateur, tôt ou tard, devient complice. Car en vérité, en écoutant cette voix étrangère, je reconnais la mienne. Oui, les hésitations de Don carotte sont devenues les miennes, ses oublis sont mes propres gouffres. Cet homme est un miroir, et moi qui croyais observer un clown, je me découvre observé par lui.
Alors, dans le silence du chapiteau, à nouveau endormi, j’applaudirais presque. Non pour saluer une prouesse, mais pour remercier cet homme et ce cirque d’oser offrir en spectacle ce que chacun de nous cache: le désordre secret d’une mémoire qui nous tient debout.
Alors que le cirque, toutes tentures déchirées et colonnes affaissées, lumières éteintes, semble disparaître, l’observateur fatigué peine à soutenir ses paupières. Lentement, il tombe dans un profond sommeil. Peu à peu des images prennent vie dans sa tête:
Un homme se tient au centre d’une piste. Mais il ne ne tient pas vraiment debout: il oscille, dérive, comme pris dans le courant invisible d’un temps qui s’épaissit et se retire. Ses gestes hésitent, mais ses hésitations ont de l’allure… tout un art. Le chapiteau l’engloutit, le recrache, comme s’il voulait faire de lui non pas un clown mais un mystère qui tente de renouer avec ses origines.
Autour de lui, comme autour de moi, les projecteurs tournent, s’allument, s’éteignent. Lumières et ombres se poursuivent, se chevauchent, comme deux bêtes furieuses dans un cercle trop étroit. 
Moi, l’autre, observateur attentif, je demeure dans l’ombre... elle-même ombre d'Igniatius...
Ses traits se dérobent. Son pas se brouille. C’est un paradoxe éclatant: le centre est invisible. La lumière ne le révèle pas, elle le contourne, comme si elle craignait d’exposer ce qui s’y tient.
Alors, au lieu de voir, j’écoute. Je tends l’oreille à cette voix qui parle dans l’air, voix qui se dit sienne et qui ne l’est peut-être pas tout à fait.
Cependant ma vision n’est jamais complète. Car devant moi se dressent les poteaux du chapiteau, colonnes massives qui coupent le cercle en morceaux. Des cordages épais, tendus comme des nerfs, m’interdisent de saisir la totalité. Je n’ai que des fragments, tronqués, voilés qui, à défaut de véritable communication, font signes de l’extérieur. Comme si je regardais une mémoire rédimée qui vole en éclats… ayant perdu son irrévocable appartenance au présent et déjà je comprends: ce que je perçois de cet homme, c’est exactement ce qu’il voit de lui-même. Une suite d’écrans, d’empêchements, de morceaux de passé qu’on ne peut rassembler.
 

samedi 20 décembre 2025

Standing

 
 
 
Lucian speaks again before Félix has time to formulate another question. He speaks more slowly than usual, as if this time he wanted to stay ahead of any interpretation.
— You see, Félix, this is a journey of Don Carotte’s, as Igniatius told it to me. A journey Don Carotte does not choose.
He points to the drawing with the tip of his fingers, without touching it.
— He is taken. Carried. In an unstable balance, like a rider–vaulter standing upright on his horse… except that this is not a horse. These are roots. Roots that trace their path through the ocean, among the waves, which sometimes carry them, sometimes assail them.
Félix listens attentively. He mentally notes the precision of the vocabulary. Taken. Does not choose. Carried.
He is struck by the coherence of the narrative, as though the image had already found its words.
— Igniatius insists a great deal on this balance, Lucian continues. On the fact that Don Carotte does not fall. That he cannot fall. Not because he would be master of the situation, but because something holds him, despite himself.
Félix inclines his head slightly.
— Something… or someone? he asks cautiously.
Lucian does not respond immediately. He goes on.
— The roots are not anchors. They fix nothing. They move forward. They search. And the ocean is not an obstacle, but a medium. That is important for Igniatius. He says Don Carotte is not fighting the sea. He is fighting to remain standing while it does its work.
Félix feels an interpretive temptation arise. He recognizes it—and sets it aside.
— And Sang Chaud? he asks. Is he present in this journey?
Lucian sketches a smile.
He nods.
— Yes. Igniatius says he is looking backward. Or rather, that he is looking at what he leaves behind, without being able to cling to it.
Félix then feels, very distinctly, that something has shifted in the session. Lucian is no longer asking him to comment. He is explaining. He is giving access to the internal logic of the drawing, as if he wanted to reclaim its authority.
— And you, Lucian, Félix asks after a moment, what do you make of this journey?
The question is simple, almost casual. But it engages something else. Lucian hesitates. Not long. Just long enough for Félix to notice.
— I’m trying not to recognize myself in it too much, he finally replies.
The answer is not without ambiguity. Félix does not smile. He does not comment.
He notes inwardly the phrasing: not too much, the use of a reflexive verb…
— And Igniatius? he resumes. Does he recognize himself in Don Carotte?
Lucian shakes his head.
— No. He says Don Carotte is braver than he is. That he accepts what Igniatius refuses.
Félix remains silent.
He senses that the session could tip over if he went any further. He limits himself to one last question, almost factual.
— Does Igniatius know who drew this scene?
Lucian looks him straight in the eyes.
— No, he replies. He only says that this drawing existed before he told the story of the journey.
The silence that follows is no longer the same.
It is neither peaceful nor tense. It is charged.
Félix understands then that, this time, it will not be up to him to restart things. The session has entered a zone where the images speak for themselves, and where each person, in their own way, is still trying not to be their author.
— Was Don Carotte accompanied by Sang Chaud?
— No. Not this time. Igniatius says Sang Chaud stayed on land, and I suppose—though this is only a hypothesis—that he would not have withstood that kind of crossing.
A silence settles in.
Félix looks again at the drawing. The stylized, almost decorative waves contrast with the density of the roots. He surprises himself by thinking that it is they, more than the ocean, that truly carry the body.
— What strikes me, Félix finally says, is that Don Carotte is not looking ahead. He does not seem to know where he is going.
He was mistaken… about Don Carotte… and about Sang Chaud…
 

De pé

 
 
Lucian retoma a palavra antes que Félix tenha tempo de formular uma nova pergunta. Fala mais lentamente do que de costume, como se quisesse, desta vez, antecipar qualquer interpretação.
— Veja, Félix, trata-se de uma viagem de Don Carotte, tal como Igniatius me contou. Uma viagem que Don Carotte não escolhe.
Ele aponta para o desenho com a ponta dos dedos, sem lhe tocar.
— Ele é levado. Transportado. Em equilíbrio instável, como um cavaleiro–voltigeiro de pé sobre o seu cavalo… salvo que não se trata de um cavalo. São raízes. Raízes que traçam o seu caminho no oceano, entre as ondas, que ora as sustentam, ora as atacam.
Félix escuta com atenção. Regista mentalmente a precisão do vocabulário. Levado. Não escolhe. Transportado.
Surpreende-se com a coerência do relato, como se a imagem já tivesse encontrado as suas palavras.
— Igniatius insiste muito nesse equilíbrio, prossegue Lucian. No facto de Don Carotte não cair. De não poder cair. Não porque domine a situação, mas porque algo o mantém, apesar dele.
Félix inclina ligeiramente a cabeça.
— Algo… ou alguém? pergunta com prudência.
Lucian não reage de imediato. Continua.
— As raízes não são âncoras. Não fixam nada. Avançam. Procuram. E o oceano não é um obstáculo, mas um meio. Isso é importante para Igniatius. Ele diz que Don Carotte não luta contra o mar. Ele luta para se manter de pé enquanto o mar faz o seu trabalho.
Félix sente surgir uma tentação interpretativa. Reconhece-a, e põe-na de lado.
— E Sang Chaud? pergunta. Ele está presente nessa viagem?
Lucian esboça um sorriso.
Lucian acena afirmativamente.
— Sim. Igniatius diz que ele olha para trás. Ou melhor, que olha para aquilo que deixa para trás, sem conseguir agarrar-se a isso.
Félix sente então, de forma muito nítida, que algo se deslocou na sessão. Lucian já não lhe pede para comentar. Ele explica. Dá acesso à lógica interna do desenho, como se quisesse retomar a sua autoridade.
— E você, Lucian, pergunta Félix após um instante, o que faz dessa viagem?
A pergunta é simples, quase banal. Mas compromete outra coisa. Lucian hesita. Não por muito tempo. Apenas o suficiente para que Félix o perceba.
— Tento não me reconhecer demasiado nela, responde por fim.
A resposta não é isenta de ambiguidade. Félix não sorri. Não comenta.
Regista interiormente a formulação: não demasiado, uso de um verbo pronominal…
— E Igniatius? retoma. Ele reconhece-se em Don Carotte?
Lucian abana a cabeça.
— Não. Ele diz que Don Carotte é mais corajoso do que ele. Que aceita aquilo que Igniatius recusa.
Félix permanece em silêncio. Sente que a sessão poderia bascular se fosse mais longe. Limita-se a uma última pergunta, quase factual.
— Igniatius sabe quem desenhou esta cena?
Lucian olha-o diretamente nos olhos.
— Não, responde. Ele diz apenas que este desenho existia antes de ele contar a viagem.
O silêncio que se segue já não é o mesmo.
Não é tranquilo, nem tenso. É carregado.
Félix compreende então que, desta vez, não será ele a relançar. A sessão entrou numa zona em que as imagens falam por si mesmas, e em que cada um, à sua maneira, ainda tenta não ser o seu autor.
— Don Carotte estava acompanhado de Sang Chaud?
— Não. Não desta vez. Igniatius diz que Sang Chaud ficou em terra e eu suponho — mas é apenas uma hipótese — que ele não teria suportado esse tipo de travessia.
Um silêncio instala-se.
Félix olha de novo para o desenho. As ondas estilizadas, quase decorativas, contrastam com a densidade das raízes. Surpreende-se a pensar que são elas, mais do que o oceano, que realmente sustentam o corpo.
— O que me impressiona, diz finalmente Félix, é que Don Carotte não olha para a frente. Ele não parece saber para onde vai.
Ele estava enganado… a respeito de Don Carotte… e de Sang Chaud…
 
 

Debout

 


Lucian reprend la parole avant que Félix n’ait le temps de formuler une nouvelle question. Il parle plus lentement qu’à l’accoutumée, comme s’il voulait cette fois précéder toute interprétation.
— Voyez-vous, Félix, il s’agit d’un voyage de Don Carotte, comme me l’a raconté Igniatius. Un voyage que Don Carotte ne choisit pas.
Il désigne le dessin du bout des doigts, sans le toucher.
— Il est emmené. Transporté. En équilibre instable, comme un cavalier-voltigeur debout sur son cheval… sauf qu’il ne s’agit point d’un cheval. Ce sont des racines. Des racines qui tracent leur chemin dans l’océan, parmi les vagues, qui tantôt les portent, tantôt les assaillent.
Félix écoute attentivement. Il note mentalement la précision du vocabulaire. Emmené. Ne choisit pas. Transporté.
Il s’étonne de la cohérence du récit. Comme si l’image avait déjà trouvé ses mots.
— Igniatius insiste beaucoup sur cet équilibre, poursuit Lucian. Sur le fait que Don Carotte ne tombe pas. Qu’il ne peut pas tomber. Pas parce qu’il serait maître de la situation, mais parce que quelque chose le maintient, malgré lui.
Félix incline légèrement la tête.
— Quelque chose… ou quelqu’un ? demande-t-il, prudemment.
Lucian ne relève pas immédiatement. Il continue.
— Les racines ne sont pas des ancres. Elles ne fixent rien. Elles avancent. Elles cherchent. Et l’océan n’est pas un obstacle, mais un milieu. C’est important pour Igniatius. Il dit que Don Carotte ne lutte pas contre la mer. Il lutte pour rester debout pendant qu’elle fait son travail.
Félix sent poindre une tentation interprétative. Il la reconnaît, et la met de côté.
— Et Sang Chaud ? demande-t-il. Est-il présent dans ce voyage ?
Lucian esquisse un sourire.
Lucian acquiesce.
— Oui. Igniatius dit qu’il regarde en arrière. Ou plutôt qu’il regarde ce qu’il laisse derrière lui, sans pouvoir s’y accrocher.
Félix sent alors, très nettement, que quelque chose s’est déplacé dans la séance. Lucian ne lui demande plus de commenter. Il explique. Il donne accès à la logique interne du dessin, comme s’il voulait en reprendre l’autorité.
— Et vous, Lucian, demande-t-il après un instant, qu’est-ce que vous faites de ce voyage?
La question est simple, presque anodine. Mais elle engage autre chose. Lucian hésite. Pas longtemps. Juste assez pour que Félix le remarque.
— J’essaie de ne pas trop m’y reconnaître, répond-il finalement.
La réponse n’est pas sans ambiguïté. Félix ne sourit pas. Il ne commente pas.
Il note intérieurement la formule: ne pas trop, emploi d’un verbe pronominal…
— Et Igniatius ? reprend-il. Est-ce qu’il se reconnaît, lui, dans Don Carotte ?
Lucian secoue la tête.
— Non. Il dit que Don Carotte est plus courageux que lui. Qu’il accepte ce qu’Igniatius refuse.
Félix se tait.
Il sent que la séance pourrait basculer s’il allait plus loin. Il se contente d’une dernière question, presque factuelle.
— Est-ce qu’Igniatius sait qui a dessiné cette scène?
Lucian le regarde droit dans les yeux.
— Non, répond-il. Il dit seulement que ce dessin existait avant qu’il ne raconte le voyage.
Le silence qui suit n’est plus le même.
Il n’est ni paisible, ni tendu. Il est chargé.
Félix comprend alors que, cette fois, ce n’est pas lui qui devra relancer. La séance est entrée dans une zone où les images parlent d’elles-mêmes, et où chacun, à sa manière, tente encore de ne pas en être l’auteur.

– Don Carotte était-il accompagné de Sang Chaud 
— Non. Pas cette fois. Igniatius dit que Sang Chaud est resté à terre et je suppose, mais ce n’est qu’une hypothèse, qu’il n’aurait pas supporté ce genre de traversée.
Un silence s’installe.
Félix regarde à nouveau le dessin. Les vagues stylisées, presque décoratives, contrastent avec la densité des racines. Il se surprend à penser que ce sont elles, plus que l’océan, qui portent réellement le corps.
— Ce qui me frappe, dit enfin Félix, c’est que Don Carotte ne regarde pas devant lui. Il n’a pas l’air de savoir où il va.
Il se trompait… à propos de Don Carotte… et de Sang Chaud…
 

vendredi 19 décembre 2025

Without insisting

 
 
 
Even before Lucian arrives, Félix senses that something has changed. Nothing spectacular. Nothing that could be named a rupture. An erosion, rather. Slow. Almost polished. A wear so mild as to be homeopathic, yet continuous. Until now, their exchanges had retained an amicable tone. A discreet complicity, made of trust and mutual esteem. Félix realizes that this self-evidence no longer holds. Not that Lucian has closed himself off, nor that he has become hostile. But a reserve has settled in, as though every word now had to cross an invisible border.
Félix sits down, quickly rereads his notes, then closes the notebook.
Do not insist, he tells himself. Do not push him toward what he still refuses to see.
He forms a resolution, almost a strategy: let Lucian speak of Igniatius. Return to detours, to episodes, to invented figures. There, he is certain, lie many elements he has yet to grasp. Igniatius’s characters speak too much to say nothing. They say a great deal about him—and perhaps, indirectly, about Lucian.
There is a knock at the office door. Lucian enters. This time he carries a folder, which he sets down without comment on the low table. He takes out two drawings. Same format as those Igniatius usually brings. Same paper, same nervous lines, same restrained palette.
Lucian says nothing.
He makes a simple, almost courteous gesture, inviting Félix to look.
Félix takes his time. He forces himself into slowness. He does not want to defend himself through haste—besides, what defense would that be, and where would it come from? Silence settles in, but it is not an empty silence. It is a watched silence.
 
 
 
The drawing is strange. A figure appears, inclined, almost off balance, caught in a network of vegetal or tentacular forms. Lines intertwine, coil, support as much as they hinder. The figure seems both carried and threatened, suspended in an unstable space, without any true ground.
Félix immediately understands that this is an episode from Don Carotte’s story and sees at once how much the figure resembles Lucian. Associations rise in him instantly. Too instantly. He restrains them.
Lucian finally breaks the silence.
 — I’d like you to comment on it…
The request is direct. Almost too direct.
Félix immediately senses its effect: he is, in a way, summoned to speak first. To produce meaning. To take, if only for a moment, a place that is not his. His inner plan cracks. He clears his throat slightly—not out of embarrassment, but to buy time. Then he chooses the only path that seems viable: to ask questions.
— What struck you, when you saw it for the first time? he asks softly.
Lucian sketches a brief smile, almost amused.
— It’s your turn to comment, he replies. You can see that’s what I’m asking.
Félix inclines his head slightly. He accepts the constraint, but in his own way.
— All right. Then I’ll take another path… I’ll try differently.
He pauses.
— When you say “comment,” are you expecting a description—or what it does to me?
Lucian does not answer right away. He looks again at the drawing, as though trying to absent himself… or to be absent from it.
— What it does to you, he finally says.
Félix breathes in slowly.
— What it does to me… is give me a sense of precarious balance. Something is holding, but we don’t quite know why. I feel that if a single line were to give way, everything would collapse.
He stops. Watches Lucian out of the corner of his eye. No reaction.
— I wonder, he continues, whether this body is supported by what surrounds it… or whether, on the contrary, it is trapped by it.
(He hesitates.)
— And I also wonder whether that indecision matters.
Lucian crosses his arms.
— It’s interesting that you speak of indecision, he says. Igniatius, for his part, speaks more of a struggle.
— A struggle against what? Félix asks immediately.
Lucian shrugs slightly.
— Against whatever prevents him from moving forward. Words, figures, impostures… you know the refrain.
Félix nods. He turns back to the drawing.
— What also strikes me, he says, is the absence of ground. There is no obvious point of support. Everything takes place in the in-between.
He corrects himself.
— But I’d rather ask you: do you see a ground?
Lucian looks at the image for a long time. Then:
— No.
A silence.
A real one, this time.
Félix feels something tighten between them. He has not taken Lucian’s place, but he is no longer entirely outside either. He has spoken. And that speech, however cautious, has left a trace.
— And Igniatius? he asks again. What does he say about this drawing?
Lucian answers without hesitation:
— I think he said he had never seen it before… at least not exactly as it appears to you.
Félix does not comment.
He merely nods.
The session can continue.
 
 
 

Sem insistir.

 

Antes mesmo da chegada de Lucian, Félix percebe que algo mudou. Nada de espetacular. Nada que possa ser nomeado como ruptura. Uma erosão, antes. Lenta. Quase polida. Um desgaste em dose homeopática, mas contínuo. Até então, as trocas entre eles haviam mantido um tom amistoso. Uma cumplicidade discreta, feita de confiança e estima mútua. Félix percebe que essa evidência já não se impõe. Não que Lucian se tenha fechado, nem que se mostre hostil. Mas instalou-se uma reserva, como se cada palavra tivesse agora de atravessar uma fronteira invisível.
Félix senta-se, relê rapidamente as suas notas e fecha o caderno.
Não insistir, diz para si. Não o pressionar sobre aquilo que ainda se recusa a ver.
Faz uma resolução, quase uma estratégia: deixar Lucian falar de Igniatius. Voltar aos desvios, às peripécias, às figuras inventadas. Aí, tem a certeza, há muitos elementos que ainda lhe escapam. As personagens de Igniatius falam demais para nada dizer. Dizem muito sobre ele e, talvez indiretamente, sobre Lucian.
Batem à porta do consultório. Lucian entra. Desta vez traz uma pasta na mão, que pousa sem comentário sobre a mesa baixa. Retira dela dois desenhos. Os mesmos formatos dos que Igniatius costuma trazer. O mesmo papel, os mesmos traços nervosos, a mesma economia de cores.
Lucian não diz nada.
Faz um gesto simples, quase cordial, convidando Félix a olhar.
Félix toma o seu tempo. Obriga-se à lentidão. Não quer defender-se pela pressa — além disso, que defesa seria essa, e de onde viria? O silêncio instala-se, mas não é um silêncio vazio. É um silêncio vigiado.
 
 
 
O desenho é estranho. Nele surge uma figura inclinada, quase em desequilíbrio, presa numa rede de formas vegetais ou tentaculares. Linhas entrelaçam-se, enrolam-se, sustentam tanto quanto entravam. A figura parece ao mesmo tempo sustentada e ameaçada, suspensa num espaço instável, sem verdadeiro chão.
Félix compreende imediatamente que se trata de um episódio da história de Don Carotte e percebe de imediato o quanto a figura se parece com Lucian. Associações surgem nele de forma instantânea. Demasiado instantâneas. Ele contém-nas.
Lucian rompe finalmente o silêncio.
— Gostaria que comentasse…
O pedido é direto. Quase demasiado direto.
Félix percebe de imediato o seu efeito: ele é, de certo modo, intimado a falar primeiro. A produzir sentido. A ocupar, ainda que por um instante, um lugar que não é o seu. O seu plano interior fissura-se. Limpa levemente a garganta — não por embaraço, mas para ganhar tempo. Depois escolhe o único caminho que lhe parece possível: fazer perguntas.
— O que foi que o impressionou, a si, quando o viu pela primeira vez? pergunta suavemente.
Lucian esboça um sorriso breve, quase divertido.
— É a sua vez de comentar, responde. Vê bem que é isso que lhe peço.
Félix inclina ligeiramente a cabeça. Aceita a imposição, mas à sua maneira.
— Está bem. Então vou seguir outro caminho… tentar de outro modo.
Faz uma pausa.
— Quando diz “comentar”, espera uma descrição ou o que isso me provoca?
Lucian não responde de imediato. Olha de novo para o desenho, como se procurasse ausentar-se… ou ausentar-se dele.
— O que isso lhe provoca, diz por fim.
Félix inspira lentamente.
— O que isso me provoca… é uma sensação de equilíbrio precário. Algo se sustém, mas não sabemos bem porquê. Tenho a impressão de que, se uma única linha cedesse, tudo ruiria.
Ele pára. Observa Lucian pelo canto do olho. Nenhuma reação.
— Pergunto-me, prossegue, se este corpo é sustentado pelo que o rodeia… ou se, pelo contrário, é prisioneiro disso.
(Hesita.)
— E pergunto-me também se essa indecisão é importante.
Lucian cruza os braços.
— É interessante que fale de indecisão, diz ele. Igniatius, por seu lado, fala mais de combate.
— Combate contra o quê? pergunta Félix de imediato.
Lucian encolhe ligeiramente os ombros.
— Contra aquilo que o impede de avançar. As palavras, as figuras, as imposturas… conhece o refrão.
Félix acena com a cabeça. Volta ao desenho.
— O que também me chama a atenção, diz ele, é a ausência de chão. Não há um ponto de apoio evidente. Tudo se joga no entre-dois.
Corrige-se.
— Mas prefiro perguntar-lhe: você vê um chão?
Lucian olha longamente para a imagem. Depois:
— Não.
Um silêncio.
Um verdadeiro, desta vez.
Félix sente algo a tensionar-se entre eles. Não tomou o lugar de Lucian, mas já não está totalmente do lado de fora. Falou. E essa fala, mesmo prudente, deixou um rasto.
— E Igniatius? pergunta ainda. O que diz ele sobre este desenho?
Lucian responde sem hesitar:
— Parece-me que disse nunca o ter visto antes… pelo menos não exatamente como lhe aparece a si.
Félix não comenta.
Limita-se a acenar com a cabeça.
A sessão pode continuar.
 
 

Sans insister

 

 




 

Avant même l’arrivée de Lucian, Félix constate que quelque chose a changé. Rien de spectaculaire. Rien qui puisse être nommé comme une rupture. Une érosion, plutôt. Lente. Presque polie. Une usure à dose homéopathique, mais continue. Jusqu’ici, leurs échanges avaient gardé une tonalité amicale. Une complicité discrète, faite de confiance et d’estime mutuelle. Félix s’aperçoit que cette évidence ne va plus de soi. Non pas que Lucian se soit fermé, ni qu’il se soit montré hostile. Mais une réserve s’est installée, comme si chaque mot devait désormais franchir une frontière invisible. Félix s’assoit, relit rapidement ses notes, puis referme le carnet.
Ne pas insister, se dit-il. Ne pas le pousser sur ce qu’il refuse encore de voir.
Il se fait une résolution, presque une stratégie: Laisser Lucian parler d’Igniatius. Revenir aux détours, aux péripéties, aux figures inventées. Il y a là, il en est sûr, bien des éléments qu’il ignore encore. Les personnages d’Igniatius parlent trop pour ne rien dire. Ils en disent long sur lu, et peut-être, indirectement, sur Lucian.
On frappe à la porte du cabinet. Lucian entre. Il a cette fois un dossier à la main, qu’il pose sans commentaire sur la table basse. Il en sort deux dessins. Les mêmes formats que ceux qu’Igniatius apporte habituellement. Même papier, mêmes traits nerveux, même économie de couleurs.
Lucian ne dit rien.
Il fait un geste simple, presque aimable, invitant Félix à regarder.
Félix prend le temps. Il se contraint à la lenteur. Il ne veut pas se défendre par la hâte, d'ailleurs que vient faire cette défense et d'où vient-elle? Le silence s’installe, mais ce n’est pas un silence vide. C’est un silence surveillé.
 
 

 
Le dessin est étrange. Un personnage y apparaît, incliné, presque en déséquilibre, pris dans un réseau de formes végétales ou tentaculaires. Des lignes s’entrelacent, s’enroulent, soutiennent autant qu’elles entravent. Le personnage semble à la fois porté et menacé, suspendu dans un espace instable, sans sol véritable.
Félix comprend immédiatement qu'il s'agit d'un épisode de l'histoire de Don Carotte et voit d'emblée combien celui-ci ressemble à Lucian. Félix sent monter en lui des associations immédiates. Trop immédiates. Il les retient.
Lucian rompt enfin le silence.
— J’aimerais que vous le commentiez...
La demande est directe. Presque trop.
Félix en perçoit aussitôt l’effet: il est, en quelque sorte, sommé de parler le premier. De produire du sens. De prendre, ne serait-ce qu’un instant, une place qui n’est pas la sienne. Son programme intérieur se fissure. Il se racle légèrement la gorge, non par gêne, mais pour se donner le temps. Puis il choisit la seule voie qui lui paraît tenable: poser des questions.
— Qu’est-ce qui vous a frappé, vous, quand vous l'avez vu pour la première fois? demande-t-il doucement.
Lucian esquisse un sourire. Un sourire bref, presque amusé.
— C’est votre tour de commenter, répond-il. Vous voyez bien que c’est ce que je vous demande.
Félix incline légèrement la tête. Il accepte la contrainte, mais à sa manière.
— D’accord. Alors je vais prendre un autre chemin... je vais essayer autrement.
Il marque une pause.
– Quand vous dites commenter, est-ce que vous attendez une description, ou ce que ça me fait?
Lucian ne répond pas tout de suite. Il regarde à nouveau le dessin, comme s’il cherchait à s’absenter… ou s’en absenter.
— Ce que ça vous fait, finit-il par dire.
Félix inspire lentement.
— Ce que ça me fait… c’est une impression d’équilibre précaire. Quelque chose tient, mais on ne sait pas très bien pourquoi. J’ai l’impression que si une seule ligne cédait, tout s’effondrerait.
Il s’arrête. Il surveille Lucian du coin de l’œil. Aucune réaction.
— Je me demande, poursuit-il, si ce corps est soutenu par ce qui l’entoure… ou si au contraire il en est prisonnier.
(Il hésite.)
Et je me demande aussi si cette indécision est importante.
Lucian croise les bras.
— C’est intéressant que vous parliez d’indécision, dit-il. Igniatius, lui, parle plutôt de combat.
— Combat contre quoi ? demande Félix, immédiatement.
Lucian hausse légèrement les épaules.
— Contre ce qui l’empêche d’avancer. Les mots, les figures, les impostures… vous connaissez le refrain.
Félix acquiesce. Il revient au dessin.
— Ce qui me frappe aussi, dit-il, c’est l’absence de sol. Il n’y a pas de point d’appui évident. Tout se joue dans l’entre-deux.
Il se reprend.
– Mais je préfère vous demander: est-ce que vous voyez un sol?
Lucian regarde longuement l’image. Puis:
— Non.
Un silence.
Un vrai, cette fois.
Félix sent quelque chose se tendre entre eux. Il n’a pas pris la place de Lucian, mais il n’est plus tout à fait à l’extérieur non plus. Il a parlé. Et cette parole, même prudente, a laissé une trace.
— Et Igniatius? demande-t-il encore. Que dit-il de ce dessin-là?
Lucian répond sans hésiter:
— Il me semble qu'il a dit ne jamais l'avoir vu avant... en tous cas pas exactement comme il vous apparaît...
Félix ne commente pas.
Il se contente de hocher la tête.
La séance peut continuer.






jeudi 18 décembre 2025

Absence (english translation)

I had no intention of returning to it.
I wrote that word as one records a fact, without commentary. A material, banal absence: Lucian leaves the room for a few minutes, his notebook remains open on the desk. Nothing more.

And yet, I return to that word.
In our field, no absence is neutral. I know this too well to pretend otherwise. Absence is never merely a withdrawal of the body; it marks a momentary breach in the holding of a position. It opens something. It authorizes a gaze, an intrusion, sometimes an irreversible displacement.

I could write: absence of the analyst.
I try to prevent myself. Too late. That formulation is already charged, too quickly interpretable. I prefer to remain as close as possible to the fact. Lucian steps out. His notebook remains there. What strikes me is not so much that Igniatius saw the drawings, but that they offered themselves to him without mediation. Not shown, but left visible. As if, for a moment, the boundary between what is noted for oneself and what may be seen by the other had been erased.

I wonder—and this question irritates me—whether this absence was merely contingent. Whether it was not, on the contrary, necessary for what was to follow. Images acquire authority only from the moment no one can explicitly claim their origin. Present, Lucian could have spoken. Absent, he let them be seen.

I note this, then reproach myself for noting it. I have the impression of forcing meaning, of exaggerating the importance of a detail. And yet, I cannot consider this episode indifferent. Perhaps absence is not what is lacking here, but what acts.

I close this parenthesis. Provisionally.

I reread what I have written about absence.
It is not false. It is even too accurate. Too well contained. As if I had closed too quickly what I had opened. Something is missing.

I feel it without being able to name it. And this very feeling—this lack, this slight discomfort—brings me back precisely to what I am trying to think: absence is never only what is not there. It is what leaves a vacant place, a place that continues to exist even when it is no longer occupied.

I spoke of absence as withdrawal, suspension, lack of presence. But I was not attentive enough to this point: one is absent only from something. One is absent in relation to an expectation.

Absens, ab esse. To be separated from being-there. Not not to be, but to be elsewhere than where one should be.

What may have escaped me in my first note is that absence does not produce emptiness. It produces a charge. A tension. Something that insists precisely because it is no longer there.

I wonder whether what troubles me so much in Lucian’s absence is that it displaced authority. As long as he was present, Lucian could speak, explain, orient. That is his role. His gaze and his words held the images at a distance. But when he stepped away, the drawings ceased to be held within discourse. They presented themselves as they were.

Present, he could have said: these are my sketches, or these are yours.
Absent, he said nothing. And that silence is not neutral.

I realize that I am still confusing absence and lack. Yet they are not the same. Lack refers to a loss. Absence refers to a place left vacant—a place that continues to call for someone. Who?

In the consulting room that day, the analyst’s place was not empty. It was unoccupied. And perhaps that is what made Igniatius’s gaze toward the notebook possible. As if absence had authorized a crossing.

What was absent may not have been Lucian as a person, but the function he embodied at that precise moment. And with it, the guarantee of origin.

I understand better now what disturbed me in my own writing. I analyzed absence as a concept, whereas what troubles me is simpler and more unsettling: absence acts. It does not erase; it displaces. It opens a space where attribution becomes uncertain, where authority wavers.

I believe this is what was still missing from my first note: the recognition that absence is not merely what one observes after the fact, but what produces the situation itself.

I stop here. Not because everything is clear, but because I sense that continuing would take me too far. There are absences that are better not filled too quickly.



Ausência

 



Eu não tinha intenção de voltar a isso.
Escrevi essa palavra como quem regista um facto, sem comentário. Uma ausência material, banal: Lucian sai da sala por alguns minutos, o seu caderno fica aberto sobre a mesa. Nada mais.

E, no entanto, volto a essa palavra.
Na nossa área, nenhuma ausência é neutra. Sei-o demasiado bem para fingir ignorá-lo. A ausência nunca é apenas um afastamento do corpo; ela designa uma falha momentânea na sustentação de um lugar. Abre algo. Autoriza um olhar, uma intrusão, por vezes um deslocamento irreversível.

Poderia escrever: ausência do analista.
Tento impedir-me. Tarde demais. Essa fórmula já vem carregada, demasiado rapidamente interpretável. Prefiro manter-me o mais próximo possível do facto. Lucian ausenta-se. O seu caderno permanece ali. O que me interpela não é tanto o facto de Igniatius ter visto os desenhos, mas que eles se tenham oferecido a ele sem mediação. Não mostrados, mas deixados visíveis. Como se, por um instante, a fronteira entre o que se anota para si e o que pode ser visto pelo outro tivesse sido apagada.

Pergunto-me — e essa pergunta irrita-me — se essa ausência foi apenas contingente. Ou se não foi, pelo contrário, necessária para o que viria a seguir. As imagens só adquirem autoridade a partir do momento em que ninguém pode reivindicar explicitamente a sua origem. Presente, Lucian poderia ter falado. Ausente, deixou ver.

Anoto isso, depois censuro-me por tê-lo anotado. Tenho a impressão de forçar o sentido, de exagerar a importância de um detalhe. Mas não consigo considerar este episódio indiferente. Talvez a ausência não seja aqui aquilo que falta, mas aquilo que age.

Fecho esta parêntese. Provisoriamente.

Releio o que escrevi sobre a ausência.
Não é falso. É até demasiado justo. Demasiado bem contido. Como se eu tivesse fechado depressa demais aquilo que havia aberto. Falta algo.

Sinto-o sem conseguir nomeá-lo. E esse próprio sentimento — essa falta, esse ligeiro desconforto — lembra-me precisamente aquilo que tento pensar: a ausência nunca é apenas aquilo que não está. É aquilo que deixa um lugar vago, um lugar que continua a existir mesmo quando já não está ocupado.

Falei da ausência como retirada, suspensão, falha de presença. Mas não fui suficientemente atento a este ponto: só se está ausente de alguma coisa. Está-se ausente em relação a uma expectativa.

Absens, ab esse. Ser separado do estar-aí. Não não ser, mas estar noutro lugar que não aquele onde se deveria estar.

O que talvez me tenha escapado na minha primeira nota é que a ausência não produz vazio. Produz uma carga. Uma tensão. Algo que insiste precisamente porque já não está lá.

Pergunto-me se o que tanto me perturba na ausência de Lucian não é o facto de ela ter deslocado a autoridade. Enquanto estava presente, Lucian podia falar, explicar, orientar. Esse é o seu papel. O seu olhar e a sua palavra mantinham as imagens à distância. Mas quando se ausentou, os desenhos deixaram de estar presos a um discurso. Ofereceram-se tal como eram.

Presente, ele poderia ter dito: são os meus esboços, ou são os seus.
Ausente, não disse nada. E esse silêncio não é neutro.

Dou-me conta de que ainda confundo ausência e falta. Mas não são a mesma coisa. A falta remete para uma perda. A ausência remete para um lugar deixado vago. Um lugar que continua a chamar alguém. Quem?

No consultório, naquele dia, o lugar do analista não estava vazio. Estava desocupado. E talvez tenha sido isso que tornou possível o olhar de Igniatius sobre o caderno. Como se a ausência tivesse autorizado uma travessia.

O que se ausentou talvez não tenha sido Lucian enquanto pessoa, mas a função que ele encarnava naquele momento preciso. E com ela, a garantia da origem.

Compreendo melhor agora o que me incomodou na minha própria escrita. Analisei a ausência como um conceito, quando aquilo que me trabalha é mais simples e mais inquietante: a ausência age. Ela não apaga, desloca. Abre um espaço onde a atribuição se torna incerta, onde a autoridade vacila.

Creio que é isso que ainda faltava na minha primeira nota: reconhecer que a ausência não é apenas aquilo que se constata depois, mas aquilo que produz a situação.

Paro aqui. Não porque tudo esteja claro, mas porque sinto que continuar me levaria longe demais. Há ausências que é melhor não preencher demasiado depressa.



Absence

 

 

 



Je n’avais pas l’intention d’y revenir. J’ai écrit ce mot comme on enregistre un fait, sans commentaire. Une absence matérielle, banale: Lucian quitte la pièce quelques minutes, son carnet reste ouvert sur le bureau. Rien de plus. 
Et pourtant, je reviens sur ce mot. Dans notre domaine, aucune absence n’est neutre. Je le sais trop bien pour feindre l’ignorer. L’absence n’est jamais seulement un retrait du corps; elle désigne une faille momentanée dans la tenue d’une place. Elle ouvre quelque chose. Elle autorise un regard, une intrusion, parfois un déplacement irréversible.
Je pourrais écrire: absence de l’analyste
J'essaie de m’en empêcher. Trop tard.... Cette formule est déjà chargée, trop rapidement interprétable. Je préfère rester au plus près du fait. Lucian s’absente. Son carnet reste là. Ce qui m’interpelle, ce n’est pas tant qu’Igniatius ait vu les dessins, que le fait qu’ils se soient offerts à lui sans médiation. Non pas montrés, mais laissés visibles. Comme si, l’espace d’un instant, la frontière entre ce qui se note pour soi et ce qui peut être vu par l’autre s’était effacée. Je me demande, et cette question m’agace, si cette absence était seulement contingente. Si elle n’était pas, au contraire, nécessaire à ce qui devait advenir ensuite. Les images ne prennent autorité qu’à partir du moment où personne ne peut en revendiquer explicitement l’origine. Présent, Lucian aurait pu parler. Absent, il a laissé voir. Je note cela, puis je me reproche de le noter. J’ai l’impression de forcer le sens, d’exagérer l’importance d’un détail. Mais je n’arrive pas à considérer cet épisode comme indifférent. Peut-être que l’absence n’est pas ce qui manque ici, mais ce qui agit.
Je ferme cette parenthèse. Provisoirement...

Je relis ce que j’ai écrit sur l’absence.
Ce n’est pas faux. C’est même trop juste. Trop bien tenu. Comme si j’avais refermé trop vite ce que j’avais ouvert. Il manque quelque chose.
Je le sens sans parvenir à le nommer. Et ce sentiment même, ce défaut, ce léger inconfort, me rappelle précisément ce que j’essaie de penser: l’absence n’est jamais seulement ce qui n’est pas là. Elle est ce qui laisse une place vacante, une place qui continue d’exister alors même qu’elle n’est plus occupée.
J’ai parlé d’absence comme d’un retrait, d’une suspension, d’un défaut de présence. Mais je n’ai pas été assez attentif à ce point : on n’est absent que de quelque chose. On est absent par rapport à une attente.
Absens, ab esse. Être séparé de l’être-là. Non pas ne pas être, mais être ailleurs que là où l’on devrait être.
Ce qui m’a peut-être échappé, dans ma première note, c’est que l’absence ne produit pas du vide. Elle produit une charge. Une tension. Quelque chose qui insiste précisément parce que cela n’est plus là.
Je me demande si ce qui me trouble tant dans l’absence de Lucian n’est pas qu’elle a déplacé l’autorité. Tant qu’il était présent, Lucian pouvait parler, expliquer, orienter. C'st son rôle. Son regard et sa parole tenaient les images à distance. Mais lorsqu’il s’est absenté, les dessins ont cessé d’être pris dans un discours. Ils se sont offerts tels quels.
Présent, il aurait pu dire : ce sont mes croquis, ou ce sont les vôtres.
Absent, il n’a rien dit. Et ce silence n’est pas neutre.
Je m’aperçois que je confonds encore absence et manque. Or ce n’est pas la même chose. Le manque renvoie à une perte. L’absence, elle, renvoie à une place laissée vacante. Une place qui continue d’appeler quelqu’un. Qui?
Dans le cabinet, ce jour-là, la place de l’analyste n’était pas vide. Elle était inoccupée. Et c’est peut-être cela qui a rendu possible le regard d’Igniatius sur le carnet. Comme si l’absence avait autorisé une traversée.
Ce qui s’est absenté, ce n’est peut-être pas Lucian en tant que personne. C’est la fonction qu’il incarnait à cet instant précis. Et avec elle, la garantie de l’origine.
Je comprends mieux maintenant ce qui m’a gêné dans ma propre écriture. J’ai analysé l’absence comme un concept, alors que ce qui me travaille est plus simple et plus inquiétant: l’absence agit. Elle n’efface pas, elle déplace. Elle ouvre un espace où l’attribution devient incertaine, où l’autorité vacille.
Je crois que c’est cela qui me manque encore dans ma première note : la reconnaissance que l’absence n’est pas seulement ce que l’on constate après coup, mais ce qui produit la situation.
Je m’arrête ici. Non parce que tout est clair, mais parce que je sens que continuer risquerait de me conduire trop loin. Il y a des absences qu’il vaut mieux ne pas combler trop vite.

mercredi 17 décembre 2025

Recap

 

In the evening, alone in my office, I open my notebook and try to take stock.
I tell myself it’s a session like any other. An ordinary supervision. Nothing that should justify this urge to write.
Yet I note down, almost in spite of myself:
I am not Lucian’s patient.
I stop immediately.
Why this sentence? What does this assertion respond to?
No one has ever assigned me such a place. And yet I wrote it, as one draws a line to prevent an overflow. I could cross it out. I don’t.
I tell myself it is merely a clarification. A way of recalling the frame.
Lucian is my colleague. He speaks to me about his patient, Igniatius.
I listen. I supervise. That is all.
I continue.
Igniatius tells a story he struggles to recognize as his own. He speaks of Sang Chaud, a recurring character, always the same and always other, companion of a certain Don Carotte, grotesque and obstinate figure who fights against the power of words.
He also takes himself for Sang Chaud and others still. Already, the two are ghosts…
And not just any ghosts: Don Quixote and Sancho Panza themselves. No less.
From what I know, the narrative repeats itself, folds back onto itself.
There is no event.
Nothing happens, except the repetition itself.
I write:
Assignment to continuity.
I could have stopped there. Perhaps I should have… this material is familiar. Too familiar.
Here before me I have a fiction that speaks in place of the subject, maintaining a distance from what might otherwise be said.
But Igniatius does not merely tell a story.
One day, he discovers — in a gallery at the foot of Lucian’s building — a series of surprising drawings in which he literally discovers, in images, what he cannot express in words.
His confusion grows when he realizes that these drawings, which in a certain way tell his story, strongly resemble the sketches Lucian writes and draws in his notebook while Igniatius speaks…
All these images, including Lucian’s, persist in taking place in his mind.
All seem strangely close to his story.
Not illustrations, rather displaced symbolic equivalents.
Figures that say something other than what he says, yet seem to concern him deeply — even intimately.
The drawings do not represent exactly what Igniatius says, at least not as far as I know. They are like riddles that can be read in many ways.
Yet Igniatius, while sensing that the drawings speak to him, does not truly understand them.
And above all, he insists he does not know them.
He struggles to decipher them in Lucian’s presence — who, for his part, could speak about them for hours…
This awakens more than suspicion in Igniatius’s mind.
I notice I am detailing this episode.
I tell myself it is necessary.
Yet I can feel that I could summarize it.
I don’t.
Igniatius is troubled.
Even more when he recognizes, in the drawings, the figure of Don Carotte — and when he notices that this character looks exactly like Lucian.
As if the images told more, and better, than his own words.
That is when everything shifts.
I cannot ignore that Igniatius clearly possesses a double personality — if not more…
But Lucian’s concerns me as well.
There would therefore be a resemblance between the two gestures:
the gesture of telling one’s story through fictional characters,
and the gesture of drawing that story without illustrating it.
Igniatius is convinced that Lucian is the author of the images.
He believes it outright.
For him, the drawings are no coincidence.
They sometimes precede his own words.
They seem to know what he has not yet said.
This anteriority gives them, in his eyes, a troubling authority.
Lucian, for his part, does not doubt.
For him, Igniatius draws.
He does so secretly, perhaps without knowing it.
He tells himself through images as he tells himself through fiction, without recognizing his own gesture.
An author who ignores that he is one.
I realize I wrote: does not doubt.
This annoys me.
Such certainty.
For what troubles me is not their respective theses,
but their symmetry.
Each attributes the origin of the images to the other.
Each refuses to assume authorship.
And each, by doing so, grants the images an authority greater than speech.
I note this, then stop.
Authority of images.
I don’t like the phrase.
Too heavy. Too theoretical.
I leave it anyway.
Igniatius claims not to know the drawings, yet admits they speak to him.
He struggles to decipher them, especially in Lucian’s presence — who, again, could talk for hours.
This asymmetry fuels Igniatius’s suspicion:
How could Lucian speak so well of images he did not make?
Lucian told me of a specific moment.
He had stepped out for a few minutes.
His notebook had been left open on the desk.
Igniatius saw sketches similar to those from the gallery.
I write: Absence.
I could analyse this word. I refrain.
Lucian explains he practices reproducing the drawings brought by his patient, to better understand why they arise.
It is a reasonable explanation.
I repeat this to myself.
Yet some annotations resemble Lucian’s handwriting.
He told me so himself.
As a detail. Almost casually.
I feel myself resisting here.
Preferring not to linger.
Sliding quickly toward a reassuring hypothesis:
Igniatius might create these images in a secondary state, then forget them.
It happens. Nothing extraordinary.
I write it.
But writing does not ease me.
For I saw the images.
I recognized Igniatius.
But I also recognized Lucian.
And I recognized something else:
their perfect resemblance.
Lucian should have seen it.
He said nothing.
And how is it that, by curious coincidence, a gallery sits at the foot of his building…
and that Igniatius should have found there drawings on which they both appear?
This silence troubles me more than anything else.
I return, once more, to the opening sentence:
I am not Lucian’s patient.
I now understand why I wrote it.
Because ever since I began listening to this story,
I no longer know very well what place is being required of me.
And because I sense, despite myself, that the authority of the images does not stop at the door of my office.
I tell myself I am overthinking and that I will resist better next time.
Beneath our respective meanderings, I can hardly discern what “is happening in him.”
For now, I supervise.
I should say: that is all…
but I am no longer so sure.
I close the notebook.


Recapitulação

 

À noite, na solidão do meu gabinete, abro o meu caderno e tento recapitular. Digo a mim mesmo que é uma sessão como outra qualquer. Uma supervisão banal. Nada que justifique tal insistência em escrever.
Ainda assim escrevo, quase apesar de mim:
Não sou o paciente do Lucian.
Paro de imediato.
Porque esta frase? A que responde tal afirmação?
Ninguém jamais me atribuiu esse lugar.
E, no entanto, escrevi-a, como quem traça uma linha para impedir um transbordamento.
Poderia riscá-la. Não o faço.
Digo a mim mesmo que é apenas um esclarecimento.
Uma forma de recordar o enquadramento.
Lucian é meu colega.
Fala-me do seu paciente, Igniatius.
Eu escuto. Eu supervisiono. Só isso. Continuo.
Igniatius conta uma história que tem dificuldade em reconhecer como sua.
Fala de Sang Chaud, personagem recorrente, sempre o mesmo e sempre outro, companheiro de um tal Don Carotte, figura grotesca e obstinada que luta contra o poder das palavras.
Também se toma por Sang Chaud e por outros ainda.
Já aí, ambos são fantasmas…
E não quaisquer fantasmas: nada menos que D. Quixote e Sancho Pança.
Pelo que sei, o relato repete-se, dobra-se sobre si mesmo.
Não há acontecimento.
Nada acontece, salvo a própria repetição.
Escrevo:
Atribuição à continuidade.
Poderia ter parado aqui. Talvez devesse…
Este material é-me familiar. Demasiado familiar.
À minha frente tenho uma ficção que fala no lugar do sujeito,
mantendo distância daquilo que poderia dizer-se de outro modo.
Mas Igniatius não se limita a contar.
Um dia, descobre — numa galeria ao rés-do-chão do prédio de Lucian — uma série de desenhos surpreendentes nos quais descobre, literalmente em imagem, o que não consegue exprimir em palavras.
A confusão aumenta quando percebe que esses desenhos, que de certo modo contam a sua história, se parecem muito com os esboços que Lucian faz no seu caderno enquanto ele fala…
Todas essas imagens, incluindo as de Lucian, instalam-se na sua mente.
Parecem-lhe estranhamente próximas da sua história.
Não ilustrações, mas equivalentes simbólicos deslocados.
Figuras que dizem outra coisa para além do que ele diz, mas que o tocam profundamente… intimamente até.
Os desenhos não representam exatamente o que Igniatius conta — pelo menos pelo que sei.
São como rébus, legíveis de várias maneiras.
Ainda assim, Igniatius sente que eles lhe falam, mas não os entende realmente.
E sobretudo, afirma não os conhecer.
Tem dificuldade em decifrá-los diante de Lucian — que poderia falar deles horas a fio…
Isto desperta mais do que suspeitas na mente de Igniatius.
Dou por mim a detalhar este episódio.
Digo que é necessário.
Mas sei que poderia resumi-lo.
Não o faço.
Igniatius está perturbado.
Ainda mais quando reconhece, nos desenhos, a figura de Don Carotte —
e quando constata que esse personagem se parece em tudo com Lucian.
Como se as imagens contassem mais, e melhor, que as suas próprias palavras.
É então que tudo se desloca.
Não posso ignorar que Igniatius manifesta claramente uma personalidade dupla — talvez mais…
Mas a de Lucian também me inquieta.
Haveria, portanto, uma semelhança entre dois gestos:
o de contar-se através de personagens fictícios
e o de desenhar essa história sem a ilustrar.
Igniatius está convencido de que Lucian é o autor das imagens.
Acredita sem rodeios.
Para ele, os desenhos não são coincidência.
Por vezes antecedem as suas palavras.
Parecem saber o que ainda não disse.
Essa anterioridade confere-lhes uma autoridade inquietante.
Lucian, por sua vez, não duvida.
Para ele, Igniatius desenha.
Fá-lo em segredo, talvez sem o saber.
Conta-se pela imagem tal como se conta pela ficção, sem reconhecer o seu próprio gesto.
Um autor que se ignora.
Dou-me conta de que escrevi: não duvida.
Irrita-me.
Essa certeza.
O que me perturba não é a tese de um ou de outro,
mas a sua simetria.
Cada um atribui ao outro a origem das imagens.
Cada um recusa assumir a paternidade.
E cada um, assim, reconhece às imagens uma autoridade superior à da palavra.
Anoto isto, depois paro.
Autoridade das imagens.
Não gosto da expressão.
Demasiado pesada, demasiado teórica.
Ainda assim deixo-a ficar.
Igniatius afirma não conhecer os desenhos, mas admite que lhe falam.
Dificulta-se a decifrá-los, sobretudo na presença de Lucian, que poderia falar deles durante horas.
Essa assimetria alimenta a suspeita:
Como poderia Lucian falar tão bem de imagens que não teria feito?
Lucian contou-me um momento específico.
Ausentou-se alguns minutos.
O seu caderno ficou aberto sobre a secretária.
Igniatius viu esboços semelhantes aos da galeria.
Escrevo: Ausência.
Poderia analisar a palavra. Evito.
Lucian explica que se exercita a reproduzir os desenhos trazidos pelo paciente, para compreender porque surgem.
É uma explicação plausível.
Repito-o a mim mesmo.
Mas algumas anotações parecem-se estranhamente com a escrita de Lucian.
Ele próprio o disse.
Como um detalhe. Quase com despreocupação.
Sinto resistência aqui.
Prefiro não insistir.
Deslizo rapidamente para uma hipótese tranquilizadora:
Igniatius poderia produzir estas imagens num estado segundo e esquecê-las depois.
Acontece. Nada extraordinário.
Escrevo-o.
Mas a escrita não me alivia.
Porque eu vi as imagens.
Reconheci Igniatius.
Mas também reconheci Lucian.
E reconheci outra coisa ainda:
a sua perfeita semelhança.
Lucian devia tê-la visto.
Nada disse.
E como explicar que, por coincidência, exista uma galeria sob a sua casa…
e que justamente ali Igniatius tenha encontrado desenhos nos quais ambos figuram?
Esse silêncio inquieta-me mais do que tudo o resto.
Volto, mais uma vez, à frase inicial:
Não sou o paciente do Lucian.
Agora compreendo porque a escrevi.
Porque, desde que escuto esta história,
já não sei bem que lugar me é pedido.
E porque sinto, apesar de mim, que a autoridade das imagens não se detém à porta do meu gabinete.
Digo a mim mesmo que exagero e que resistirei melhor da próxima vez.
Através dos meandros próprios de cada um, mal distingo o que “se passa nele”.
Por agora, supervisiono.
Deveria dizer: é tudo…
mas já não estou tão certo disso.
Fecho o caderno.

Récapitulatif



Le soir venu, dans la solitude de mon cabinet, j’ouvre mon carnet et je tente de récapituler. Je me dis que c’est une séance comme une autre. Une supervision ordinaire. Rien qui mérite cet acharnement à écrire. J’inscris pourtant, presque malgré moi :
Je ne suis pas le patient de Lucian.
Je m’arrête aussitôt.
Pourquoi cette phrase? À quoi répond cette affirmation?
Personne ne m’a jamais attribué une telle place. Et cependant je l’ai écrite, comme on trace une ligne pour empêcher un débordement. Je pourrais la rayer. Je ne le fais pas. Je me dis que c’est une simple mise au point. Une manière de rappeler le cadre. Lucian est mon collègue. Il me parle de son patient, Igniatius. Je l’écoute. Je supervise. C’est tout.
Je poursuis.
Igniatius raconte une histoire qu’il peine à reconnaître comme sienne. Il parle de Sang Chaud, personnage récurrent, toujours le même et toujours autre, compagnon d’un certain Don Carotte, figure grotesque et obstinée qui lutte contre le pouvoir des mots. Il se prend aussi pour Sang Chaud et d'autres encore. Déjà, les deux sont des fantômes... Et pas n'importe quels fantômes! Ni plus ni moins que Don Quichotte et Sancho Panza. Excusez du peu...
 De ce que j'en connais, le récit se répète, se replie sur lui-même. Il n’y a pas d’événement. Rien n’advient, sinon la répétition elle-même.
Je note:
Assignation à la continuité.
J’aurais pu m’arrêter là. Peut-être aurais-je dû... ce matériau est familier. Trop familier...
J'ai ici devant moi une fiction qui parle à la place du sujet, qui maintient une distance avec ce qui pourrait se dire autrement.
Mais Igniatius ne se contente pas de raconter.
Un jour, il découvre, dans une galerie située au pied de l’immeuble de Lucian, une série de dessins surprenants dans lesquels il découvre littéralement par l'image ce qu'il ne peut exprimer par des mots. Sa confusion augmente lorsqu'il s'aperçoit que ces dessins qui, d'une certaine manière, racontent son histoire, ressemblent fortement aux images que Lucian note et dessine dans son carnet pendant qu'Igniatius parle...
Toutes ces images, y compris celles de Lucian, ne cessent de prendre place dans son esprit. Toutes lui paraissent étrangement proches de son histoire. Pas des illustrations, plutôt des équivalents symboliques déplacés. Des figures qui disent autre chose que ce qu’il dit, mais qui semblent le concerner profondément... et même intimement. Les dessins ne représentent pas exactement ce que dit Igniatius ou du moins ce que j'en sais. Ils sont comme des rébus qui peuvent se lire de différentes manières. Toutefois, Igniatius, s'il comprend que les dessins lui parlent, ne les comprend pas vraiment et, surtout, prétend ne pas les connaître. Il a de la peine à les déchiffrer en présence de Lucian qui, lui, pourrait en parler pendant des heures... ce qui éveille plus que des soupçons dans l'esprit d'Igniatius.
Je remarque que je détaille cet épisode. Je me dis que c’est nécessaire. Pourtant, je sens bien que je pourrais le résumer. Je ne le fais pas.
Igniatius est troublé. Plus encore lorsqu’il reconnaît, dans les dessins, le personnage de Don Carotte. Et lorsqu’il constate que ce personnage ressemble trait pour trait à Lucian. Comme si les images racontaient plus et mieux encore que ses propres paroles.
C’est là que tout se déplace. Je ne peux ignorer que, manifestement, Igniatius possède une personnalité double... si ce n'est plus... Mais celle de Lucian m'inquiète quelque peu. 
Il y aurait donc une similitude entre les deux gestes: celui de se raconter par une histoire mettant en scène des personnages fictifs et celui de dessiner cette histoire sans toutefois l'illustrer. 
Igniatius est convaincu que Lucian est l’auteur des images. Il le pense sans détour. Pour lui, les dessins ne sont pas une coïncidence. Ils précèdent parfois ses propres paroles. Ils semblent savoir ce qu’il n’a pas encore dit. Cette antériorité lui donne à ses yeux une autorité inquiétante 
Lucian, de son côté, ne doute pas. Pour lui, Igniatius dessine. Il le fait en secret, peut-être à son insu. Il se raconte par l’image comme il se raconte par la fiction, sans reconnaître son propre geste. Un auteur qui s’ignore.
Je m’aperçois que j’ai écrit : ne doute pas.
Cela m’agace. Cette certitude.
Car ce qui me trouble n’est pas tant la thèse de l’un ou de l’autre que leur symétrie. Chacun attribue à l’autre l’origine des images. Chacun refuse d’en assumer la paternité. Et chacun, ce faisant, reconnaît aux images une autorité supérieure à la parole. Elles sont comme des rébus qui peuvent se lire de différentes manières.
Je note cela, puis je m’arrête.
Autorité des images.
Je n’aime pas cette formule. Elle est trop massive. Trop théorique. Je la laisse néanmoins.
Igniatius prétend ne pas connaître les dessins, mais admet qu’ils lui parlent. Il peine à les déchiffrer, surtout en présence de Lucian, qui, lui, pourrait en parler des heures. Cette asymétrie alimente la suspicion d’Igniatius : comment Lucian pourrait-il si bien parler d’images qu’il n’aurait pas faites ?
Lucian m’a parlé d’un épisode précis. Il s’était absenté quelques minutes. Son carnet était resté ouvert sur le bureau. Igniatius y a vu des croquis semblables à ceux de la galerie.
Je note: Absence.
Je pourrais analyser ce mot. Je m’en empêche.
Lucian explique qu’il s’exerce à reproduire les dessins apportés par son patient, pour mieux comprendre pourquoi ils surgissent. L’explication est recevable. Je me le répète.
Pourtant, certaines annotations au bas des images ressemblent étrangement à l’écriture de Lucian. Il me l’a dit lui-même. Comme un détail. Presque avec désinvolture.
Je sens que je résiste ici. Que je préfère ne pas m’attarder. Que je glisse rapidement vers une hypothèse rassurante : Igniatius pourrait produire ces images dans un état second, puis les oublier. Cas connu. Rien d’extraordinaire.
Je l’écris.
Mais l’écriture ne me soulage pas.
Car j’ai vu les images.
J’ai reconnu Igniatius. Mais j’ai aussi reconnu Lucian.
Et j’ai reconnu autre chose encore: leur ressemblance parfaite.
Lucian aurait dû la voir. Il ne m’en a rien dit. Comment se fait-il aussi, curieux hasard, qu'il y ait une galerie en bas de chez lui... et que, justement, par un curieux hasard, Igniatius y aurait trouvé des images, des dessins, sur lesquels, ils figurent. Je dis bien "ils"... Car, je le répète, sur les les dessins que j'ai pu voir, ce n'est pas seulement le portrait de Lucian que j'ai vu! Ce silence m’inquiète plus que tout le reste.
Je reviens, encore une fois, à la phrase du début :
Je ne suis pas le patient de Lucian.
Je comprends maintenant pourquoi je l’ai écrite. Parce que, depuis que j’écoute cette histoire, je ne sais plus très bien à quelle place je suis requis. Et parce que je sens, malgré moi, que l’autorité des images ne s’arrête pas à la porte de mon cabinet. Je me dis que j’en fais trop et que je résisterai mieux la prochaine fois. Au-delà des méandres propre à chacun de nous, je discerne mal ce qui "se passe en lui".
Pour le moment, je supervise. Je devrais dire: c’est tout... mais je n'en suis plus si sûr...
Je ferme le carnet.