« Nous savons que la pluralité, en général, est conditionnée nécessairement par l'espace et le temps, et n'est pensable qu'au sein de ces concepts que nous nommons, sous ce point de vue, “principes d'individuation”. Mais nous avons reconnu l'espace et le temps comme des formes du principe de raison, dans lequel s'exprime toute notre connaissance a priori. Or, nous l'avons montré, elle ne convient, en tant que telle, qu'à la cognition des choses et non aux choses en elles-mêmes; c'est-à-dire qu'elle n'est que la forme de notre connaissance, non la propriété de la chose en soi, qui, en tant que telle, est indépendante de toute forme de la connaissance, même de la plus générale, celle qui consiste à être objet pour le sujet, et elle est de tous points différente de la représentation. Si donc cette chose en soi, comme je crois l'avoir suffisamment démontré et clairement fait voir, est la volonté, elle est en dehors du temps et de l'espace, en tant que telle et que séparée de son phénomène; elle ne connaît pas la pluralité, elle est une par conséquent; toutefois elle ne l'est pas à la façon d'un individu ou d'un concept, mais comme une chose à laquelle le principe d'individuation, c'est-à-dire la condition même de toute pluralité possible, est étrangère.»
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, puf
La scène est saturée. Les tentures pourpres, charnues et pendantes, donnent à la scène l’aspect d’un ventre clos. Nous sommes à l’intérieur d’un corps-théâtre en combustion lente.
Deux perroquets m’apparaissent, en arrière plan, mais bien présents. Leurs yeux arrondis sont ceux d’êtres qui voient sans pouvoir intervenir. L’un d’eux semble tenir une corde, s’y tenir ou s’y accrocher. Ils tentent, peut-être, de suspendre le récit, de ralentir le feu, en vain.
Je suis habillé d’un costume élégant, chapeau large et gants blancs. Je suis en train de toucher quelque chose qui brûle: des fibres, des filaments, comme des racines ou des nerfs. Mon nez allongé n’est plus un simple signe de mensonge: il est devenu antenne, bâton de sourcier, ligne d’écoute intérieure.
Derrière moi, à ma droite, une figure momifiée, visage sculpté dans le drapé de la tente, figure un ancien dieu ou un double spectral, enfermé ou révélé par les cordes.
Le cœur du feu n’est qu’à peine visible par quelques flammèches, mais on sent sa venue dans l’intensité des rouges, dans les tensions des lignes, dans la crispation des perroquets. Quelque chose doit s’enflammer. Et ce sera bientôt.
Deux perroquets m’apparaissent, en arrière plan, mais bien présents. Leurs yeux arrondis sont ceux d’êtres qui voient sans pouvoir intervenir. L’un d’eux semble tenir une corde, s’y tenir ou s’y accrocher. Ils tentent, peut-être, de suspendre le récit, de ralentir le feu, en vain.
Je suis habillé d’un costume élégant, chapeau large et gants blancs. Je suis en train de toucher quelque chose qui brûle: des fibres, des filaments, comme des racines ou des nerfs. Mon nez allongé n’est plus un simple signe de mensonge: il est devenu antenne, bâton de sourcier, ligne d’écoute intérieure.
Derrière moi, à ma droite, une figure momifiée, visage sculpté dans le drapé de la tente, figure un ancien dieu ou un double spectral, enfermé ou révélé par les cordes.
Le cœur du feu n’est qu’à peine visible par quelques flammèches, mais on sent sa venue dans l’intensité des rouges, dans les tensions des lignes, dans la crispation des perroquets. Quelque chose doit s’enflammer. Et ce sera bientôt.
Pendant ce temps les deux perroquets répètent…
– Qu'est-ce donc, cher ami, que ce mot qu’on murmure,
Qui roule sur les bouches, si clair et si obscur?
Ce verbe tant vanté dans l'âge des machines:
"Apprendre", disent-ils, comme on forge des ruines.
– Ce mot vient des Latins, leurs langues de conquête;
Ad-prehendere, vois! il saisit, il s’apprête.
Ce n’est point un renoncement, ni doux élan,
Mais l’assaut d’un esprit, vers le savoir galant.
– Ainsi donc j’errais mal, rêvant d’un a privatif,
D’un souffle qui sépare, humble et contemplatif.
Je croyais que l’on cesse, en ce verbe oublié,
De prendre… et qu’en l’oubli, l’âme peut s’éveiller.
– Tu n’as point fauté, frère aux plumes éclatantes.
Tu lis non dans les mots, mais dans leur fin latente.
L’homme moderne prend, pour avoir et régner,
Mais celui qui s’oublie peut enfin se gagner.
– Se gagner, dis-tu? Par le feu, par la perte?
Par l’ombre du savoir que la flamme déconcerte?
Serait-ce là l’initiation véritable,
Non point d’ajouter, mais d’être vulnérable?
– Oui, car le feu n’enseigne en brûlant que l’écorce,
Il laisse au cœur vivant la plus ancienne force.
Et Pinocchio, l’Autre, en ce ventre de feu,
Ne cherche point à prendre… Il se défait de je.
– Il ne nous voit, hélas, ni n’entend nos paroles.
Pour lui, nous sommes hors, nous jouons d’autres rôles.
Spectres ailés perchés aux rideaux consumés,
Nous ne sommes que voix par le vent déformées.
– Mais voix pourtant dictées par un maître invisible,
Dont les mots sont du feu, et la langue indicible.
Il souffle à notre bec des lueurs de raison
Que nous redisons, fous, à travers le poison.
– Et dans ce cirque en cendres, ce ventre de baleine,
Où tout acte est mangé, redit, fait et défaite,
Les spectateurs, s’ils restent, n’auront pour festin
Que leur propre stupeur, leur peur et leur destin.
– Ils ne verront le vrai qu’en devenant le drame.
Qu’ils vivent le spectacle, ou qu’ils brûlent leur âme.
Ici point d’"apprendre", mais mourir lentement
Pour qu’un autre regard naisse du fond du sang.
– Alors… Apprendre meurt. Et naît Initié.
Non par le verbe dit, mais le verbe effacé.
Non par l’avoir grossi, mais l’être dépouillé.
Non par un mot gravé, mais un cri oublié.