jeudi 14 août 2025

Jeudi


« Je crus alors que je devais recourir aux logoi et regarder en eux la vérité des choses.»

S
ocrate dans le Phédon, (99 e 4-6).
 

Arrêtons-nous un instant, reprenons notre souffle et observons ce qui peut l'être:
Juchés sur la scène d’un théâtre imaginaire, Don Carotte et Sang Chaud, fortement imprégnés dans ce travers, s’imaginent être sur une île volcanique qui, avant de se montrer comme un obstacle quasi insurmontable sans une aide presque miraculeuse, se révèle être bien plus qu’un simple décors…
 
– Voyez-vous Sang Chaud, nous sommes tous fait de croyance... La croyance est comme un dessin que l'on construit, que l'on efface et puis que l’on redessine autant de fois qu’il est nécessaire jusqu'à ce qu'il ressemble à la chose même... Ici, la croyance ne relève pas de l’adhésion volontaire mais de l’ordre implicite du monde. L’enfant ne croit pas en l’école, il apprend à y croire en voyant ce qu’on lui montre comme étant la «vraie» culture, la «bonne» parole, la «juste» position. Il faut donc s’arrêter un instant sur cette apparente tautologie: voir ce que l’on croit, croire ce que l’on voit.
– Don Carotte, vous qui affectez de savoir tant de choses que j'ignorais ignorer... ne croyez-vous point qu'il faille, pour commencer, se connaître soi-même avant que de tomber dans le piège flou de la croyance... en l'ignorance. Pardonnez la tautologie possible!
– Ce n’est pas un piège logique, mais un symptôme politique. Car ce que l’on croit, dans une société, ce n’est jamais qu’une forme de vision naturalisée. L’ordre social repose sur des découpages qui sont d’abord des évidences: il y a ceux qui savent et ceux qui obéissent...
–  Je vois très bien ce que vous voulez dire à ce sujet... et il y a ceux qui parlent et ceux qu’on écoute, Don Carotte...
Mais, Don Carotte, une fois lancé, n'écoute guère. Il poursuit, c'est là sa quête. 
– Or il est manifeste qu'il y a ceux dont la souffrance est audible et ceux dont elle est statistique. Voir ce que l’on croit, c’est accepter que l’inégalité s’installe dans le regard. C’est reconnaître comme naturel que tel corps soit suspect, tel accent risible, telle plainte illégitime. C’est, comme disait l’ancienne école, être dressé à «reconnaître» ce qui a déjà été assigné. Ce n'est point chose facile. Je le sais pour avoir tant essayé... jusqu'au jour... Mais je m'abstiens de tout exposer dans le détail afin de ne point être tenté de m'y perdre... une fois encore...
– Là-dessus, au moins aucun ouvrage jamais ne pourra être écrit... pense Sang Chaud, ma déjà longue familiarité avec celui qui se dit mon Maître me pousse à le croire... mais... sait-on jamais?


 

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