Certes. Mais l'épisode et la mise en scène du voyage, mieux que tout autre subterfuge, permettent ce corps à corps rapide, brutal, impitoyable, et marquent mieux chacun des coups. La loi d'exotisme et sa formule, comme d'une esthétique du divers, se sont d'abord dégagées d'une opposition concrète et rude: celle des climats et des races. De même, par le mécanisme quotidien de la route, l'opposition sera flagrante entre ces deux mondes: celui que l'on pense et celui que l'on heurte, ce qu'on rêve et ce que l'on fait, entre ce qu'on désire et cela que l'on obtient; entre la cime conquise par une métaphore et l'altitude lourdement gagnée par les jambes; entre le fleuve coulant dans les alexandrins longs, et l'eau, rapide comme la prose qui dévale vers la mer et qui noie; entre la danse ailée de l'idée, et le rude piétinement de la route; tous objets dont s'aperçoit le double jeu, soit qu'un écrivain s'en empare en voyageant dans le monde des mots, soit qu’un voyageur verbalisant parfois contre son gré, les décrive ou les évalue.
Cette histoire ne veut donc être ni le poème d'un voyage, ni le journal de route d'un rêve vagabond. Cette fois, portant le conflit au moment de l'acte, refusant de séparer, au pied du mont, le poète de l'alpiniste, et, sur le fleuve, l'écrivain du marinier, et, sur la plaine, le peintre et l'arpenteur ou le pèlerin du topographe, se proposant de saisir au même instant la joie dans les muscles, dans les yeux, dans la pensée, dans le rêve, il n'est ici question que de chercher en quelles mystérieuses cavernes du profond de l'humain ces mondes divers peuvent s'unir et se renforcent à la plénitude.
Ou bien, si, décidément ils se nuisent, se détruisent jusqu'au choix impérieux d'un seul d'entre eux, sans préjuger duquel d'entre eux, et s'il faut, au retour de cette Expédition dans le Réel, renoncer au double jeu plein de promesse sans quoi l'homme vivant n'est plus corps, ou n'est plus esprit.
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