mercredi 3 septembre 2025


“Au monde où le langage apparut, chaque mot de chaque langue renvoie, chaque mot se souvient du sens auquel il a voulu répondre. Le langage est le frayage humain, c'est le répons que les hommes ont donné à l'énigme de l'exister, c'est-à-dire à l'excès qu'est l'existence. Cette énigme et cet excès sont la condition, ils inclinent au silence mais on les traverse en parlant. Le répons (le langage) n'est pas à proprement parler une réponse, c'est un écho, c'est une suite d'échos: ce que l'homme entend dans l'écho qu'il déclenche quand il parle, ce n'est pas seulement sa voix, c'est d'abord le fait même qu'il y ait du sens: le langage humain n'invente pas le sens, il doit se contenter de l'éveiller et c'est comme tel, en tant qu'il est cet écho ou ce renvoi, ce répons, que justement il se décale par rapport à ce que l'on attend de lui: quelque chose, en lui, sans fin défaille ou se dérobe.
Ce qui est en jeu avec cette perte, c'est à la fois tout ce qui se ramasse dans ce qu'il est convenu d'appeler l'arbitraire du signe, à quoi il faut toujours revenir, et tout ce qui déferle quand nous submerge le sentiment, si commun et si récurrent, de ne pas parvenir à dire ce que nous avons à dire.”

Jean-Christophe Bailly, Naissance de la phrase, Nous




Le cirque à la dérive, planches brisées, voiles défaites, mâts penchés, rouille d’ancres mortes, cordages dénoués, poussé par les racines et les vagues vers ce qui va inéluctablement disparaître. 
C’est là, dans ces profondeurs que l’œil humain n’atteindra jamais, que les premières forces se sont réveillées. Déjà quelques flammèches isolées se libèrent de la prison du volcan. Perché sur une racine, happé par une vague, Sang Chaud voit tomber Don Carotte.
– Par mon nombril, fit Sang Chaud, resté pantois sur leur radeau, encore un migrant qu’il va falloir rapatrier!
Le vent grossit. Le couchant, qui avait d’abord caressé, frappe le lointain. Le rouge devient plus rouge, au point d’outrepasser son destin de couleur pour devenir chaleur. La mer se fait pourpre, la toile saigne, le visage de Don Carotte, qui, au contraire de son esprit, n’en a guère besoin, reçoit la lumière comme des gifles.
– Ces vagues se lèvent, sans cesse elles vont, viennent et reviennent, non pour passer, mais tenter de me faire trépasser… Elles en ont clairement l’intention. De ces affronts sans cesse renouvelés je dois me laver!



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