« Au milieu du chemin de notre vie,

je me retrouvai dans une forêt obscure,
car la voie droite était perdue.
Hélas ! dire combien elle était sauvage, âpre et rude,
cette forêt, renouvelle la crainte dans la pensée !
Elle est si amère que la mort à peine l’est davantage;
mais pour parler du bien que j’y rencontrai,
je dirai les autres choses que j’y ai vues.»

En ce lieu et en ce temps, Don Carotte, l’air hagard, pris entre l’envie d’en finir et celle de commencer, ne sait s’il bouge ou s’il est bougé.

– Don Carotte, cessez de trembler et de craindre, vous avez largement dépassé, et perdu, dans l’âpreté et la rudesse, le milieu du chemin… et il n’est point, ici, d’obscures forêts… calmez-vous et prêtez moi attention. Comme le dit Sénèque*, Lucilus et notre Virgile, les terres et les villes s’écartent en mer, ainsi dans ce parcours du temps rapide, d’abord nous avons caché l’enfance, puis l’adolescence, puis tout ce qui est le milieu entre la jeunesse et la vieillesse, posé à la frontière de l’un et de l’autre; ensuite les meilleures années de la vieillesse même; et enfin le terme public de la condition humaine commence à se faire voir.
– Comment ne pas croire à cette histoire, se dit Don Carotte contemplant la corde rompue qui maintenait son pantalon et qui, maintenant, ne le reliait plus à son compagnon.
– Vous pensiez follement que ce terme était un rocher: un port qu’on doit parfois atteindre, jamais refuser…
Refuser… Antée… ou est-ce  le Léviathan… avait insisté lourdement sur ce dernier mot prononcé… et qui ne sera point le dernier arrivé… Il poursuit sans que Don Carotte puisse se mettre à douter… ce qu’il eut bien volontiers mis en œuvre…
– Ce port, dans lequel, si quelqu’un est conduit dans ses premières années, il n’a pas à se plaindre plus que celui qui a navigué rapidement. Car la vie conduit l’un très vite, l’autre le fatigue et l’affaiblit. … 
– Où peut bien être Sang Chaud? se demande Don Carotte vite repris par la langue et les paroles qu’elle prononce en tentant de ramener celui qui essaye vainement d’y échapper…
– Qu’il regarde où il vivra, avec qui, comment, ce qu’il fera.
Don Carotte en était sûr, Antée… ou le Léviathan, peu importe, devinait ses pensées…
– Qu’il médite toujours sur la qualité de la vie, non sur sa durée. … Que l’on meure plus tôt ou plus tard ne touche pas l’affaire, mourir bien ou mal affecte l’affaire…

* Sénèque, Epistulae Morales ad Lucilium, Livre VIII, § 70