« Le temps est donc bien là: mais comme cristal, comme nœud, comme brèche, comme tourbillon, comme feu d'artifice, que sais-je encore, comme image en tout cas. Il défie les ordres chronologiques de la succession, et c'est à ce titre qu'il est à penser comme un temps inactuel. Le «rapprochement dans le temps», par exemple, devient ici «corrélation dans les choses» que remonte, au sens du photomontage surréaliste ou politique, la scène de rêve. Ou bien «la succession dans le temps peut être inversée», bouleversant du coup toutes les relations causales et instaurant l'étrangeté anachronique d'un «il y aura une fois» ou bien d'une «épiphanie de l'après-demain». Un exemple très simple illustre d'ailleurs le processus par lequel «le temps est traduit en espace» (ce qui ne veut pas dire qu'il est dissous: au contraire, c'est l'espace qui devient alors une nappe, une atmosphère, un bloc, un rhizome ou un plan de temps): il s´agit d'un rêve où «toutes les personnes de l'action étaient particulièrement grandes». La rêveuse comprendra alors aisément que cette image visuelle n'était autre qu'une image de temps: n'est-ce pas, en effet, lorsque nous fûmes enfants, autrefois, que tout le monde alentour nous paraissait si grand?»
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, Les Éditions de Minuit
– Hum… per sanctum linguarum chaos, cher Don Carotte, il me vient une pensade, ou plustost un frisson de l’âme…
Vous parliez naguères, me semble, in voce humaine, simple, terrestre et fort bien timbrée ; et or, par ma foi et mon tympan, vos paroles se font autres, rythmiques, numerosae, comme si chaque mot marchoit au pas d’un vers invisible.
Miror hoc mirabile! Est-ce vostre esprit qui se hausse, ou bien l’air du Léviathan qui module vostre voir?
Je vous oye, et soudain tout s’ordonne : caesura, rithmus, resonantia! Il y a des douzains en vostre haleine, des césures en vostre silence!
Par Jupiter et par la Muse qui ne ment point, je ne sçay si je rêve ou si je veille, car vostre langue, jadis prose, devient vers; vostre voix, jadis homme, devient souffle; et vostre parole, mehercule, a pris forme d’oracle.
D’où vient cela, je vous supplie? Est-ce vostre art, vostre volonté, ou quelque inspiratio supra humana?
Parlez, mais doucement, car j’ai peur d’éveiller les mots mesmes, tant ils semblent dormans et lumineux autour de vous.
Miror hoc mirabile! Est-ce vostre esprit qui se hausse, ou bien l’air du Léviathan qui module vostre voir?
Je vous oye, et soudain tout s’ordonne : caesura, rithmus, resonantia! Il y a des douzains en vostre haleine, des césures en vostre silence!
Par Jupiter et par la Muse qui ne ment point, je ne sçay si je rêve ou si je veille, car vostre langue, jadis prose, devient vers; vostre voix, jadis homme, devient souffle; et vostre parole, mehercule, a pris forme d’oracle.
D’où vient cela, je vous supplie? Est-ce vostre art, vostre volonté, ou quelque inspiratio supra humana?
Parlez, mais doucement, car j’ai peur d’éveiller les mots mesmes, tant ils semblent dormans et lumineux autour de vous.
Don Carotte n’écoute plus Sang Chaud. Il est perdu dans une sorte de douce rêverie. Ayant pris largement le temps de réfléchir, il se voit touché par la grâce. Tel l’enfant qu’il fut jadis il entend à nouveau ce que depuis longtemps il ne percevait plus…

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