« Elle commençait à se sentir très lasse de rester assise sur le talus à ne rien faire; une ou deux fois, elle avait jeté un coup d’œil sur le livre que lisait sa sœur, mais il ne contenait ni images ni dialogues. “Et à quoi peut bien servir un livre,” pensa Alice, “sans images ni dialogues?”»

Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (1865)

À l’intérieur du Léviathan, Sang Chaud a rejoint Don Carotte qui, l’air de rien, l’attendait, confortablement installé sur les gigantesques racines dont ils ignoraient à peu près tout si ce n’est que s’ils se trouvaient là, c’était à cause d’elles. Sang Chaud, sans s’étonner pourtant, ne savait plus que croire. Il voyait bien que Don Carotte, perdu dans la lecture de ses chers livres croyait être encore sans son propre monde alors que lui, bien que tout eut pu donner l’illusion qu’ils étaient là où ils devaient être… savait ne pas y être… Le fait même de ne plus pouvoir parler comme il l’avait toujours fait lui faisait tourner la tête. Le fait d’avoir plongé sans trop réfléchir à la suite de son maître, brûlant de curiosité plus que du désir de lui porter un secours, se révèlera bien aléatoire. En ce moment, restant silencieux, il ressentait un trouble intérieur, un vacillement de la conscience qui mimait, sans le secours des mots et la béquille des images, le flottement du rêve. Au-dessus de tout, il sentait au dedans de lui comme un passage… le passage entre les mondes.