mercredi 20 juillet 2022

Sens

 « Ici c’est un mur de langage qui s’oppose à la parole, et les précautions contre le verbalisme qui sont un thème du discours de l’homme "normal" de notre culture, ne font qu’en renforcer l’épaisseur.»

Jacques Lacan
 


– De l'aveu même de ceux qui nous apportent ses indicibles messages, les plus beaux vers ne sont qu'un faible écho des harmonies qu'ils ont perçues.
– Qui dit cela?
– Je ne sais pas.
– Comment connaissez-vous ces mots?
– J'ai dû les entendre...
– Vous ne vous souvenez plus comment, mais vous vous souvenez des mots...
– N'est-ce pas là l'essentiel? 
– Je n'en suis pas sûr...
– Expliquez-moi cela!
– Ce ne sont point les mots, ni même leur agencement qui importe, mais l'effet qu'ils produisent...
– N'est-ce un peu confus... et même douteux... comme affirmation?
– On peut dire cela, mais cela ne change rien à l'histoire. Chacun sait, ou devrait savoir que le même phénomène produit des effets différents puisque les gens sont tous différents...
– Et alors... il me semble que vous tombez dans votre propre piège... si chacun est différent, que les effets produits sont différents, alors les mots sont presque aléatoires tant ils peuvent être perçus comme différent.
– C'est là qu'est le miracle. Il est des paroles qui malgré tout cela suscite dans l'esprit de la majorité, je ne dis pas tout le monde, mais la majorité qui comprenne le sens... je dis bien le sens car le sens, ici, n'est pas dans les mots...
– Où se trouve-t'il?
– Il se trouve dans ces échos que certains entendent et ce qu'ils peuvent susciter...
– C'est votre avis?
– Vous dites cela comme si c'était une limitation.
– C'en est une... en effet.
– Vous avez tort... Si ce n'est qu'un avis, l'effet produit par les mots qui ont suscités cette conversation est resté le même. Au delà de mon avis... et du vôtre...

samedi 16 juillet 2022

Entre eux et nous

 



– À mesure qu'elles nous viennent à les esprits les pensées se développent par elle-même...
– Nous n'y serions pour je rien?
– Sans doute ont-elles besoin d'une certaine énergie pour cela. Ce serait pour cette raison qu'elles passent par nos circuits, aussi imparfaits soient-ils...
– Il est probable que c'est un risque qu'elles sont obligées de prendre...
– En est-il aussi ainsi pour les idées de nos maîtres?
– D'après mon propre maître, les idées ne feraient pas la différence entre eux et nous...

lundi 11 juillet 2022

Chose courante

 


Ni Pinocchio, l'Autre, ni Nounours, le Jeune, n'avaient, jusqu'à ce jour, pensé avoir démontré de dons particuliers. C'est ce qu'ils croyaient. Comment eussent-ils pu savoir, par eux-même, que le mouvement et la vivacité dont ils étaient doués n'étaient pas chose courante?

mardi 5 juillet 2022

Métaphore

  

« – Personne ne sait comment sont les choses réelles, répondit-elle d’un ton tranchant. Tout ce que l’on voit avec les yeux résulte en fin de compte uniquement de la relation entre des choses ou des phénomènes. La lumière d’ici est la métaphore de l’ombre, l’ombre d’ici la métaphore de la lumière. Je pense que vous le savez déjà. »

Haruki Murakami



Quatre-cents-trente-et-unième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


Le soiffard, naturellement sage, comme un buvard sèche et boit tout à la fois.

lundi 4 juillet 2022

Quelque vanité

 



Clairières et falaises
En cercle réunies, immobiles pourtant,
pourchassent la harde rapace.

Quatre-cents-trente-deuxième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

 
Au-delà des intrigues presque convenues, de celles dont on dit si volontiers qu'elles sont le lot de chacun, il arrive certains faits singuliers qui ne se dissolvent point dans ce pot si commun. Ils nous conduisent vers l'autre, l'absent, l'étranger, l'inconnu ou l'exilé. Ce que tout écrivain doit à son lecteur, je parle de la clarté du récit, pour ma part je ne m’en préoccupe guère, très cher collègue. Pour une seule et simple raison : écrivain je ne suis point. Je ne fais, dans ces rapports, que relater ce que j’essaie de comprendre. Cela dit, je ne vous cache pas, beaucoup de temps ayant passé, qu’il me plairait, tout autant qu’il me parait nécessaire, de faire de cet amas de mots et d’images si divers une sorte d’ «ensemble» qui pourrait ressembler mieux à ce qui porte le nom de livre. Sans doute, pour être clair, je vous le concède bien volontiers, si il y là quelque vanité... tant pis...