mardi 30 juin 2015

30 juin / Les lumières lentement s'éteignent


– Entièrement absorbé par ses pensées,
Marcel, tout comme Victor-Hugues,
en oublie le sens profond.

– Quel était le but de ce voyage ?
Où est cette idée magnifique qui m'a entraîné jusque là ?
Où est ce grand livre dans lequel il avait placé tout son intérêt et dans lequel il n'avait, jusqu'à ce jour, pas lu la moindre ligne ni le moindre mot ?
Au loin, là où il est, les lumières lentement s'éteignent.

lundi 29 juin 2015

29 juin / Trier le vrai



"Cette capacité de trier le vrai, quelle quelle soit en moi, et cette humeur libre de n'assujettir aisément ma créance, je la dois principalement à moi : car les plus fermes imaginations que j'aie, et générales, sont celles qui, par manière de dire, naquirent avec moi. Elles sont naturelles et toutes miennes. Je les produisis crues et simples, d'une production hardie et forte, mais un peu trouble et imparfaite ; depuis je les ai établies et fortifiées par l'autorité d'autrui, et par les saints discours des anciens, auxquels je me suis rencontré conforme en jugement : ceux-là m'en ont assuré la prise, et m'en ont donné la jouissance et possession plus entière."

Montaigne, essais:
De la présomption

dimanche 28 juin 2015

Tout est loi



"Ne vous laissez pas tromper par les apparences. Dans le profond tout est loi. Et pour ceux qui vivent mal ce mystère, qui se fourvoient – et c’est le plus grand nombre, – le mystère n’est perdu que pour eux-mêmes. Ils ne le transmettent pas moins aux autres, comme une lettre scellée, sans en rien connaître."


Lettres à un jeune poète
(Traduction de Bernard Grasset)

28 juin / Comme un enfant



Quelques jours plus tard, après mes voyages au bâtiment, et après que j'en eus tout retiré, je ne pouvais encore m'empêcher de gravir sur le sommet d'une petite montagne, et de là regarder en mer, dans l'espérance d'y apercevoir un navire. Alors j'imaginais voir poindre une voile dans le lointain. Je me complaisais dans cet espoir, mais après avoir regardé fixement jusqu'à en être presque aveuglé, mais après cette vision évanouie, je m'asseyais et je pleurais comme un enfant. Ainsi j’accroissais mes misères par ma folie.

Robinson Crusoé
Daniel Defoe

samedi 27 juin 2015

De l'autre côté



Car ces gens qui versent
goutte à goutte,
par les yeux,
le mal qui remplit le monde,
s'approchent trop du bord,
de l'autre côté...

Dante
La divine comédie
Chant XX

27 juin / Paradoxe


– Sais-tu que nous n'avons pas toujours été tels que nous sommes aujourd'hui ?
Demande incidemment Justin Perroquet.
Ce faisant, il questionne tout comme
le nouveau compagnon de Marcel.

La phrase, le questionnement, semblait simple, et pourtant Marcel était perdu dans cette simplicité.
– Veut-il dire par là que sa vie n'a pas toujours été celle d'aujourd'hui ?
Veut-il parler du temps qui passe ? Veut-il parler de lui-même ? Veut-il parler de son peuple ? Veut-il parler de moi et et de lui, ensemble, perdus dans le tourbillon du temps ?
Ce qui l’amène sans espoir de retour à une nouvelle vision de sa situation qui, selon son ancienne conception du monde, il devait se l'avouer, frisait le ridicule. Il eut envie de rajouter : des mondes...
Tout, autour de lui prend de plus en plus de significations, ce qui le fait paraître de plus en plus petit. Le petit caillou qu'il tient entre ses mains et qui l'instant d'avant n'était guère plus grand qu'un grain de sable, grandit instantanément jusqu'à le dépasser.
– Tu grandis, lui dit son ami.
Le paradoxe, à sa grande surprise, lui plaît.
– Je suis en train de disparaître, constate-t-il sans aucune amertume.

vendredi 26 juin 2015

26 juin / Un monde figé?



– Le monde n'est pas aussi figé que je ne le croyais, pense Marcel sans s'inquiéter le moins du monde de sa propre disparition.
– Je ne suis plus que poussière parmi poussières... pensa-t-il en souriant.
Une légère ironie pouvait se lire sur son visage. Une ironie bienveillante qui l'empêchait de se prendre trop au sérieux et qui l'aidait à se sentir léger.
– Pour certains d'entre nous, le certain occupe une place primordiale sans laquelle ils ne peuvent subsister...
"Mais en admettant même que tout soit variable en ceci, on discerne clairement, parmi les choses qui pourraient être encore autrement qu'elles ne sont, celles qui par leur nature sont immuables, et celles qui, sans l'être naturellement, ne le deviennent que par l'effet de la loi et de nos conventions."*









*Aristote, Éthique à Nicomaque

jeudi 25 juin 2015

Dans un commencement



Dans un commencement
La main sur le rocher laisse une empreinte
Que le souffle trace
L'encre projetée par la bouche
Autour et à l'ombre de la main
Protège un espace qui ne sera bientôt
Plus qu'un simple reflet

Miroir



Le passant est passé. Au fond du lit de terre une rivière de larmes remplace celle du sang. L'ombre de l'enfant se projette sur les planches enfouies dans la nuit. Seul, l'enfant fuyant devra grandir encore longtemps pour y voir, de très loin, quelques étoiles dispersées qu'il tentera d'apprivoiser. Il ne sait pas encore qu'une larme est le plus juste des miroirs.

25 juin / Poésie dangereuse




– Voulez-vous entendre quelques extraits de la poésie que me récite mon maître?
– Je vous en prie.

– "L'arbre de la tristesse ne le plante pas dans ton cœur
Relis chaque matin le livre de la joie,
Tu peux boire du vin et servir tes penchants.
Notre temps, notre vie, le ciel nous les mesure."

N'avez donc point peur que cette sorte de poésie paraisse impurs à ceux qui ...
– Chut, ne prononcez pas leurs noms.
– Et pourquoi ne faut-il point prononcer leurs noms.
– Parce que c'est cela qui les fait exister.
– Voulez-vous dire par là que sans notre nom, nous n'existerions pas?
– C'est cela, d'un certain point de vue... Il n'en est pas moins que cette sorte sorte de poésie, par les temps qui courent...
– Les temps ne courent point et la poésie est immortelle. Voulez-vous que je vous raconte la suite?

mercredi 24 juin 2015

Une manière mémorable





– Tout le monde ne partage pas :
« Ce rêve traditionnel prêté aux créateurs où l'art semble une manière mémorable de s'unir à l'histoire »*...
– Vous dites cela parce vous triste de ne pas avoir été choisi...
– Non, mais je ne crois simplement pas, où plutôt je crois plus simplement que je n'adhère pas à cette idée de l'histoire.
– Et comment voyez-vous la suite?
– Je ne la vois simplement pas. Par ailleurs, cela ne changerait rien de la voir... et de plus, jamais je ne l'ai vue. J'ajouterai que je serai curieux que quelqu'un m'explique comment il voit cela.
 



* Maurice Blanchot

24 juin / Un peu d'ordre


– Votre discussion, mon cher Auguste est plutôt du genre "décousu".
Ne pourriez-vous pas mettre un peu d'ordre dans tout ce fouillis ?
– Fouillis... fouillis... c'est beaucoup dire...
Essayez-donc de raconter votre dernière journée
et vous verrez que l'ordre n'y est pas pour grand chose,
et si vous ajoutez aux faits ce que vous avez pensé, 
il se pourrait que le temps que vous y consacreriez
dépasse de beaucoup le temps qu'il vous reste...




Lorsque le premier ami de Marcel Labeille, peut-être le seul qu'il ait eu dans la hiérarchie, haut personnage, membre influent du Comité et bien mieux "introduit" que lui, mais dont il ne dépendait pas directement, apprit qu'il avait pris la fuite en emportant un document de l'office il s'en montra fort attristé. Tout comme le seront plus tard la majorité de ses collègues qui, sans prétendre être de ses amis le respectaient avec une sincère admiration pour son savoir-faire, sa vigueur au travail, son abnégation, sa capacité d'abstraction et son aptitude peu fréquente à maîtriser parfaitement ses émotions. Toutes choses bien utiles à l'édification de leur "but fondamental". À peine quelques jours auparavant, au cours de la réunion mensuelle du Comité restreint, il avait été nommément, ce qui est fort rare, cité en exemple et nul doute qu'à la prochaine réunion du Haut comité central, sans cette escapade des plus douteuses et mal-venue, nul doute qu'il eut été nommé à la tête de son service. Au vu de cet état de fait, en l'absence de document l'attestant, un nouveau comité d'urgence a pris la décision suivante, très grave :
- Au vu et surtout au de ce qui ne peut être rendu public, nous décidons que la personne qui en est la cause supposée n'existe pas. Jusqu'à preuve du contraire.

mardi 23 juin 2015

Croyances



– Je vous prie de croire que je ne suis pas croyant...

23 juin / Nom et réputation



"Il n'est d'homme à qui il sièse si mal de se mêler de parler de mémoire. Car je n'en reconnais quasi trace en moi, et ne pense qu'il y en ait au monde une autre si monstrueuse en défaillance. J'ai toutes mes autres parties viles et communes. Mais en celles là je pense être singulier et très rare, et très digne de gagner par là nom et réputation."


Montaigne, Essais (Des menteurs)

dimanche 21 juin 2015

21 juin / Curiosité


– Cher Platon, que diriez-vous si à la suite de Victor-Hugues, vous seriez convié à raconter ou à être raconté?
– Tout d'abord, je dois vous dire chère créature que je ne m'appelle point Platon mais... peu importe, cessez de montrer les crocs, vous ne impressionnez pas le moins du monde et je dois vous dire que je ne suis point dérangé. Mais il me semble que ma curiosité devrait être satisfaite... et justement il m'importe d'en savoir un peu plus sur ce Victor-Hugues...
– Cela ne dépend pas de moi...

samedi 20 juin 2015

20 juin / Un certain savoir



C'est dans une position des plus surprenante que notre haut fonctionnaire se met en devoir de comprendre ce qui ne peut s'appréhender sous les auspices d'un certain savoir. Ce savoir n'est pas de mise. La moindre des suspicions peut lui valoir sa place. Il s'agit de mettre, non ses oreilles, pourtant conséquentes et plutôt efficientes, mais son cerveau, directement en contact avec le phénomène inexpliqué. Cela permet à la moindre vibration, de quelque nature soit-elle, de mettre en vibration les différentes plaques osseuses de son crâne. Lesquelles plaques, en vibrant, donnent à la manière du chant des criquets, une sorte de mélodie envoûtante, dont le rythmes forment un langage articulé fort intéressant. Malheureusement cette position a plusieurs désavantages. Outre celui précité, il est susceptible d'être confondu avec une certaine somnolence. En ce cas, le prévenu opte de plaider coupable. En effet la peine sera, de très loin, sans commune mesure, avec celles infligées à celui qui serait reconnu coupable d'un "certain savoir".

vendredi 19 juin 2015

19 juin /


Une ombre, de la lune se détache et s'approche, porteuse des plus obscures pensées.
– Cette lumière ne tardera pas à éclairer mes emportements et le désordre qui, probablement, en découle !
Le fauteuil, figure emblématique de la fonction, a été renversé... Cela ne sera pas sans conséquences...

jeudi 18 juin 2015

18 juin / "Quelque chose" plutôt que...



Ayant chargé le grand livre sur son dos, Marcel s'émerveille de le trouver si léger. C'est d'un pas sautillant qu'il couvre la distance qui le sépare de sa première épreuve.
– Il commence à faire chaud, trop chaud...
Il fait en sorte que le livre lui serve de parasol, cependant, comme chacun peut le savoir, cela ne suffit pas. Avec de grandes précautions Marcel pose le livre sur sa veste qu'il a étendu sur le sol. L'ébullition de l'esprit à peine contenue, il ouvre le grand livre. Grâce à lui, grâce à ce que je vais apprendre de lui, il se pourrait que de l'ensemble des parts éparses du monde se mette à grandir une idée et, qu'à partir de cette idée,  que "quelque chose" pourrait donner, ou retrouver, un sens : celui de l'unité de toutes choses.

mercredi 17 juin 2015

La folle du logis



– Cher Justin, chien, avez-vous de l'imagination?
– Comme tout le monde... je suppose plus que je ne l'imagine, car de fait il est bien difficile de savoir de quoi l'on parle.
– L'imagination est la folle du logis.
– Selon mon maître et selon ses lectures, cette citation est faussement attribuée à Malbranche. C'est Voltaire qui la lui aurait "collée"... *



* Malebranche 
Œuvres, I. Édition établie par Geneviève Rodis- Lewis 
(Bibliothèque de la Pléiade, 277)

17 juin / Une certaine curiosité


Celui que Victor-Hugues n'avait guère eu le temps d'apercevoir, l'espace d'un très court instant, sortit enrobé du brouillard profond d'une grande lumière. C'est alors que sa ressemblance lui porta un grand coup. L'émotion qui l'avait poussé à refermer le livre s'expliquait d'un seul coup. Celui qu'il avait devant lui était un autre lui-même. C'était d'une grande incongruité. Il faillit derechef refermer l'ouvrage. Un petit soupçon de curiosité, qu'il peinera plus tard à ne pas qualifier de malsain, l'en empêcha. Après tout, il semblait être seul.

mardi 16 juin 2015

16 juin / Évolution morale...



Les profondeurs, de même que les hauteurs de la société des ânes arboricoles restent en grande partie méconnues ou incomprises de la plupart des analystes, ceux-là mêmes qui sont consultés en tant que
spécialistes du monde animal. Des études empiriques concernant les structures de cette société sont inexistantes tant dans sa terre d'origine que dans l'ensemble du monde civilisé. Elles pourraient pourtant fournir un cadre d'analyse qui fait souvent défaut à l'information de nature journalistique, voire scientifique en passant par tant autres, sur cette espèce, sa société, ses rites et sa constante adaptation à notre monde si changeant. Une connaissance scientifique du "même et de l'autre", acquise par une observation systématique de faits quantitatifs et surtout qualitatifs, concernant la réalité sociale de ce pays, dont l'importance ne cesse de croître sur le plan de la morale et de l'éthique,
s'avère plus que jamais nécessaire. Une première tentative eut lieu, il y a quelques années de cela, qui ne fut guère couronnée de succès. Nous espérons que ce nouvel essai, enrichi de faits nouveaux et inédits, pourrait contribuer, aussi modestement que ce soit, à l'évolution morale et matérielle de l'homme et de la société.

lundi 15 juin 2015

15 juin / D'où vient le pont ?




Je ne sais d'où vient le pont, ni où il mène, mais tous nous y marchons...
– "Sur quel rivage, écrit Francesco Sassetti, la Fortune nous fera accoster, je l'ignore, en voyant les bouleversements et périls où nous sommes et hors desquels "on" veuille nous conduire jusqu'au port du salut. Mais quel que soit mon sort, j'ordonne et j'exige, si vous voulez que je parte content, que vous ne refusiez sous aucun prétexte de revendiquer mon héritage, et même si je devais vous laisser plus de dettes que de bien, je veux que vous viviez et mouriez sous la même Fortune, parce qu'il me semble que tel est votre devoir. "
Marsile Ficin, pourrait lui répondre :
– "Il est bon de combattre la Fortune avec les armes de la patience et de la magnanimité; mieux de se retirer et de fuir une telle guerre, dans laquelle seul le plus petit nombre est victorieux, et ce au prix de fatigue de l'esprit et de pénibles efforts. Le mieux est de faire la paix avec elle et de passer trêve en conformant votre volonté à la sienne et d'aller de bon cœur où elle nous envoie, afin qu'elle ne nous y envoie pas de force. Nous ferons tout cela si s'accordent en nous la patience, la sagesse et la volonté."

dimanche 14 juin 2015


samedi 13 juin 2015



vendredi 12 juin 2015



"Il y a des choses qui sont connues et d'autres qui ne le sont pas, et entre deux il y a des portes..."
 
William Blake 


mercredi 10 juin 2015

10 juin /


"Aimez-vous à ce point les oiseaux 
Que paternellement vous vous préoccupâtes 
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ?"


"La bulle de savon qui descend les rivière
Nous apprend qu'il y a, plus haut,  des lavandières."*




*Edmond Rostand, Chantecler

lundi 8 juin 2015

8 juin /


dimanche 7 juin 2015


samedi 6 juin 2015

6 juin / À l'ombre de la lanterne



Malgré le fait évident qu'une image se formait dans l'ombre de la lanterne,  Victot-Hugues n'arrivait pas à la distinguer très nettement. En cherchant à décrire et à expliquer ce qu'il avait sous les yeux, il en arrivait à formuler une hypothèse hautement spéculative:
... chaque présence possède en elle-même une sorte de lumière qui sans le vouloir fait de l'ombre à son tour...
Il ne visait pas à l'originalité et, par ailleurs, les raisons qui l'incitaient à mettre ce principe en question étaient tellement évidentes qu'il n'est guère possible, à l'instar de la lanterne, de ne pas les apercevoir.

vendredi 5 juin 2015

5 mai / Sentinelles



 – Je vous parle de notre histoire.
– L'histoire se déroule et ne nous appartient pas.
– Rien ne nous appartient.
– Excepté nous.
– Et encore...

– Revenons à Victor-Hugues, je vous en prie. Et pour une fois, si vous pouviez être...
– Je vous l'ai dit, l'histoire ne nous appartient pas...
Victor-Hugues, lui non plus ne sait pas où il se trouve. Emmené par de mystérieux gardiens, il peine à comprendre ce qui lui arrive:
– Qu'y-a-t'il dans ces profondeurs ?
– Rien que nous ne connaissions déjà. Je crois vous l'avoir déjà dit...

– Je crois que je le sais.
– Comment pouvez-vous être sûr que ce voyage a eu lieu ?
– Je ne le saurais jamais et cela m'importe peu.
– N'avez-vous pas peur de devenir fou ?
– La question pourrait être inversée.
– Vous êtes fou !
– À votre façon d'envisager le monde, sûrement.
– Regardez, on dirait que l'eau se retire !

La vérité de l’erreur est erreur elle-même.
– Peut-être est-il déjà trop tard.
– Pourquoi dites-vous cela ? Alors même que vous savez très bien à quel point ces paroles me dérangent. Vous ne me tranquillisez guère.
– Ce n'est point mon intention.
– Quel est votre intention ?
– Je ne sais si je peux vous le dire.

– Et pourquoi donc ?
– Cessez de poser sans cesse des questions et préparez-vous à agir plus que de parler.
– Que dois-je faire ?
– Ce que vous pensez.
– Je ne sais que penser, pensa-t'il, contribuant par cette pensée à l'embarras de l'ensemble de sa pensée.
Pris par le bras et entraîné vers l'extrémité de la porte, il se laisse porter.
– Laissez-vous aller, il ne vous reste qu'un tout petit geste à faire et vous serez de l'autre côté. J'ai observé avec attention, rien n'est là qui soit à craindre.
– C'est précisément cette absence que je crains. Comment saurais-je
que je suis de l'autre côté ?
– Je ne le sais pas. Tout y est semblable à ce que vous connaissez déjà et pourtant il se peut que tout vous apparaisse comme étant nouveau.

jeudi 4 juin 2015

4 juin / Un certain bourdonnement




Auguste Perroquet est légèrement perturbé par la présence lancinante d'une certaine musique dont il ne perçoit pas la cause, qui vient, s'en retourne et revient sans cesse.
– Pensez-vous, cher Justin Perroquet, que le bourdonnement des moustiques vînt de la trompe ou du derrière.
– Qu'est-ce là pour un questionnement, vous avez été piqué?
– Point du tout. Il se trouve que je me trouve en plein questionnement et que, par ma foi, je ne trouve point de sujet qu'il ne faille traiter. Je voyais cet homme, assis sur son banc, plongé dans la lecture des "Nuées". Je me suis posé avec une extrême légèreté sur son épaule, de telle manière qu'il lui soit impossible de ressentir ma présence, et j'ai lu, moi aussi. Alors si votre science est celle que vous prétendez, répondez à la question.
– Aristophane fait dire à l'un de ses personnages "que l'intestin du cousin est étroit ; et que, à cause de cette étroitesse, l'air est poussé tout de suite avec force vers le derrière ; ensuite, l'ouverture de derrière communiquant avec l’intestin, le derrière résonne par la force de l'air.
Ainsi le derrière des cousins est une trompette. Trois fois heureux l'auteur de cette découverte ! Il doit être facile d'échapper à une poursuite en justice, quand on connaît à fond l'intestin du cousin." *



 – Vous comprendrez, cher Auguste Perroquet, que je ne puis m'attarder à répondre à votre question. Laissons là Aristophane. Je vous rappelle que nous sommes en plein milieu de l'histoire de Victor-Hugues.


– Auguste, cessez donc ces manières ! Nous ne sommes plus... enfin nous devrions... faire preuve d'un peu de tenue...

 Résumé :
Victor-Hugues discute avec son surveillant. Depuis quelque temps, il ressent, dans son dos, la présence d'un autre homme, muet jusqu'à présent et dont il ne perçoit pas le rôle.

Le surveillant :
– Je ne peux comprendre que si vous m'expliquez avec un peu plus de détails. Pour commencer, où se trouve cette porte ?
– Elle est là, sous vos pieds.
– Voulez-vous dire que ce sur quoi nous vivons est une porte ?
– Oui.
– Là, précisément où nous sommes... ou bien, où que nous soyons?





* Aristophane, Les Nuées

mercredi 3 juin 2015

3 juin / D'un seul regard


– La mémoire n'est pas formée que de mots et de pensées, mais aussi de gestes et d'émotions. Réveillez-vous ! Tout ce qui naît,n’apparaît qu’en vertu d’une hypothèse venue de son fond individuel et doit être pensé avant lui.
– Pensez-vous que nous pourrions tous deux passer la porte de cette chambre noire ?
– La mémoire accumule patiemment dans tous les recoins de notre corps le désir d’être partout chez soi.
– Vous voulez dire que, par exemple, dans mon petit doigt se trouverait une partie de mon histoire qui pourrait être la clef de mon bonheur ?
Mais j'ai beau l'approcher de mon oreille, je ne l'entends pas.
– Comment pourrions nous savoir tout ce que nous sommes et l'embrasser d'un seul regard ? Comment pourrions rassembler dans une seule et unique image tous les gestes et les regards dont nous sommes, dès notre naissance, les acteurs autant que les spectateurs.
Quel est le lieu de cette mémoire ?
– Se pourrait-il que ce soit cette porte que vous me dites avoir traversé?

mardi 2 juin 2015

2 juin / L'éclairage du passé




– Me demandez-vous si vous et moi sommes identiques ou si nous avons des particularités communes?
– Pourquoi répondez-vous à ma question par une de vos questions ?
– Parce que je suis comme vous. J'éclaire mon passé à la lumière de ce que vous me présentez.
– Il me semble que c'est chose bizarre que de vouloir éclairer son passé dans la position que vous avez adoptée?
– Ce n'est pas le cas.
– Mais enfin, le projecteur se trouve derrière vous...
– Ce n'est point de cette lumière dont il est question...
- Je ne crois pas que vous n'y voyiez rien partout ou nulle part . Je ne crois plus que nous puissions savoir l'entier de ce que nous faisons. Pour commencer, souvenons-nous qu'au fond de nous-même subsiste une petite part de l'homme que nous avons été. Nous ne sommes pas ce que nous sommes de toute éternité et à jamais... À tout moment nous pourrions redevenir ce que nous avons longtemps été.

lundi 1 juin 2015

1 juin / L'absolu de l'absolu




Résumé :
Depuis des temps immémoriaux,
Victor-Hugues et celui qu'il considère comme son gardien parlent en toute liberté.
Chacun présente un absolu qui semble contraire à celui de l'autre,
et qui, de la sorte, en devient parfaitement similaire.

– Si votre absolu n'est pas le mien... il n'a donc pas cette qualité que vous appelez l'universalité...
– C'est juste... et cela vaut aussi pour le votre.
– Comment pourrions-nous arriver à un absolu qui soit conforme à son essence absolue?
– C'est très simple.
– Dites-moi!
– En renonçant de manière absolue à tout absolu...



Proximité et distanciation : les deux approches se séparent et se rejoignent.
– Il m'arrive aussi de croire que je vois. Alors, quand ma main se tend vers le verre que ma soi désire.
Quand, par miracle, son ventre froid se colle à la paume de ma main, je vois une lumière frétillante plutôt que tremblante dont vous me parliez tantôt qui tombe du ciel et s'installe dans le verre que je me dépêche d'engloutir. J'ai le sentiment d'engloutir tout ce que le verre avait, à son tour, bien avant moi, englouti. Alors je regarde le verre vide...
– Et vous devez avoir le sentiment  que si vous vous êtes identifié à lui l'instant précédent, vous êtes  ou vous pourriez, tout comme lui, et dès maintenant, être vidé de tout contenu...
Lentement, les liens se défont et la chambre noire reprend ses droits.
Cependant, les images continuent de défiler dans la tête de Victor-Hugues et c'était comme s'il "les voyait vraiment".
– D'ailleurs, j'en suis sûr, je les vois. Je ne sais si d'autres les voient, ou peuvent les voir, mais moi je sais que je les vois.
– Je ne vois rien...
– Je ne suis juste pas sûr que vous vous puissiez les voir de la même manière que moi. Dites-moi, vous qui semblez me voir, est-ce que je vous ressemble ?