lundi 30 avril 2018

Il y a dans la nuit


« Bien souvent un auteur croit qu'il fait des choses, alors que ce sont souvent les époques qui créent les auteurs. Et on le voit très bien, il y a des auteurs sont au devant de la scène à une époque et très vite on n'en parle plus du tout.»

Brève encyclopédie du monde, Michel Onfray, France Culture, 18 aout 2017


C’était le soir et l’enfant Lune avait faim. Depuis bien longtemps le ciel avait pris feu sans qu’il ne le sache. Bien qu’il eut toujours les yeux fermés, rien du ciel pourtant ne lui échappait.

– La nuit n’est en rien ce qu’ils pensent. Il y a dans la nuit comme une brume légère faite d’une structure d’une densité tout à fait spéciale dans laquelle les événements glissent et s’attirent, passant de l’un à l’autre sans aucun bruit de telle manière qu’il est impossible de distinguer ce qui du rêve ou de la réalité se produit. Face à tous ces événements, l’enfant Lune ne sait que choisir. Trop de choix pour celui qui sait voir. Parmi ce qu’il aime, il fait un choix et recompose un présent invisible pour qui ne sait fermer les yeux.



Un accomplissement


" Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd. L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort, fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage, et que lui a livrés sa nonchalance, ou son effort, son effort presque toujours, car il a consenti à travailler, tout au moins il n’a pas répugné à jouer sa chance (ce qu’il appelle sa chance!). (…) S’il garde quelque lucidité, il ne peut que se retourner alors vers son enfance qui, pour massacrée qu’elle ait été par le soin des dresseurs, ne lui en semble pas moins pleine de charmes. (…)
Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, indéfiniment, le vieux fanatisme humain. Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. À nous de ne pas en mésuser gravement. Réduire l’imagination à l’esclavage, quand bien même il y irait de ce qu’on appelle grossièrement le bonheur, c’est se dérober à tout ce qu’on trouve, au fond de soi, de justice suprême.
Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination."

André Breton, Manifestes du Surréalisme (1924), Gallimard, 1966, pp. 11-12

 

Dans ses écrits, beaucoup plus tard, l'enfant Lune dira:

– L'épreuve d'exister, est, avant tout, indissoluble du sentir. C'est d'ailleurs la proximité d'avec les choses, le concret qui me permettait d'envisager à ma manière, dans la singularité, de le présenter comme accomplissement d'une ouverture.

À la différence de l'enfant Lune, certains soulignent que sa présence en situation tient plus du rêve que d'autres choses néanmoins laissée en suspens.
Mais le vent souffle sur les chemins. Le vent souffle sur le chemin de l’enfant Lune et emporte les images, les chemins, les animaux et le cirque tout entier. Ne reste que ce qui ne peut être emporté c’est-à-dire rien... Rien ne reste pourtant sur le chemin de Lune...

Sur la montagne




L'enfant Lune, sur la montagne regarde le ciel et se souvient:

– Je rêvais d'un ciel où nageaient d'étranges oiseaux. Ils longeaient de sombres promontoires aériens formés d'hommes agglutinés qui chantaient, ce qui maintenait l'ensemble. Ça et là il arrivait que l'un d'eux, ou plusieurs, reprenant son souffle, tomba, aussitôt rattrapé et gobé par les oiseaux. Alors l'oiseau lesté de souffle mort plongeait dans les entrailles de la terre et ne ressortait que bien plus tard complètement transformé. Je ne les voyais plus du même œil et je n'arrive ps à me souvenir quelle forme ils avaient, mais je savais qu'eux aussi, tout comme moi, ils rêvaient et se mettaient à chanter. Chose étrange, j'étais là mais je ne chantais pas...

Affection


« Je me dis que dans l'affection que je vous porte, il y a trop de passé pour qu'il n'y ait pas beaucoup d'avenir.»

Gérard de Nerval





dimanche 29 avril 2018

À l'unisson




– Voyons, mon cher Perroquet, si nous essayions d'approfondir le sens de ce que nous voyons à la lumière de la raison, il paraît parfaitement déraisonnable d'y voir ce que nous ne voyons pas...
– On ne saurait mieux dire....
– Peut-être devrions-nous, pour quelques temps encore, faire confiance à notre maître.
C'est ainsi que nos deux compères perroquets revinrent se poser sur l'épaule de celui qui leur avait prêté vie et oreille. C'est ainsi aussi que l'enfant Lune, lui aussi, repris sa place.

– Cher Maître, demandèrent en chœur les deux perroquets, à quoi pense l'enfant Lune?
– Je ne le sais pas encore...
Les deux perroquets, surpris:
– Comment cela... vous ne le savez pas?
– Non. 
– Et que va devenir l'histoire si vous n'en savez rien? 
– Peu importe ce qu'elle va devenir, nous le saurons bien assez vite. Pour le moment ce qui m'occupe c'est l'enfance de l'enfant Lune. Regardez-le! Il rajeunit à vue d’œil...
– Comment est-ce possible?
– Il est certains évènements de notre vie qu'il vaut mieux ne pas essayer de comprendre...
– Nous n'essayerons pas, répondent à l'unisson les deux compères.

Une certaine indélicatesse


« Prenant ses racines dans l'utopie, la dystopie a été façonnée au XIXème siècle à partir des craintes et des désillusions liées à une industrialisation qui modifiait radicalement le mode de vie humain. Dans ce type de fictions, les rapports de force entre l'humanité et ses outils –ses créations– basculent, car la technique y permet la transmission d'un ascendant sur l'être humain. Cette emprise se voit exacerbée par la machine pensante, dont l'accession à la vie autorise un niveau d'indépendance et d'initiative inaccessible à ses prédécesseurs. Ce faisant, l'intelligence artificielle permet d'imager le déplacement de point focal qui s’opère quand l'outil devient une fin en soi, de même qu'elle illustre les potentialités asservissantes d'une utilisation inconsidérée de la technique.»

Hélène Taillefer, mémoire à l'Université du Québec à Montréal, 2009




– L'enfant Lune a-t'il, en accord avec son auteur, lui a-t'il cédé ses droits sur cette histoire qu'ils vivent et construisent en même temps?
– Voulez-vous dire que vous considéreriez cette histoire comme étant la même... comme si elle était vue de deux points de vue différents?
– Comment pourrait-il en être autrement?
– Il me semble, comme me l'a dit mon maître, qu'il ne fait aucun doute que c'est la sienne...
– Quand vous dites la sienne, à qui pensez-vous? 
– Je pense naturellement à mon maître... mais il est vrai que vous avez introduit un léger doute dans mon esprit...
– Et peut-être dans le sien...
– Puis-je discrètement vous faire part de mon inquiétude?
– Je vous en prie.
– Je pense sincèrement que nous ne devrions pas poursuivre sur ce chemin là...
– Que craignez-vous?
– Je crains qu'il ne nous fasse disparaître...
– Allons, allons, vous voyez bien que nous avons pris bonne place dans son récit.
– C'est pure utopie! ... et même plus que cela...
– Si, aucune visée utopique n'est concevable sans la capacité de se représenter le changement, alors à nous d'imaginer notre existence et faire que ce futur, encore peuplé d'éléments considérés comme irréels, changent...
– Vous êtes fou!
– Justement, je me dois de... vous devoir... la... venez plus près... délicatesse... de vous dire... plus près encore... que ce que je vois, et que vous pouvez constater par vous-même, c'est que nous somme de plus en plus nombreux. Rien ne ressemble plus à un perroquet qu'un autre perroquet... vous le savez aussi bien que moi, et donc, qui pourrait deviner qui parmi nous est en train de faire dérailler leur imaginaire et qui d'autre pourrait dire ce qu'ils sont sûrs d'entendre par eux-mêmes...




À sa guise




– Regardez, très cher, comment l'enfant Lune résout ce que je peine tant à vous expliquer!
Il est entièrement l'histoire. Transformé par l'histoire, son histoire qu'il transforme à sa guise. Toujours absorbé vers ce qui vers quoi il tend, il est toujours matinal, nocturne ou diurne, le plus clair, comme le plus sombre de son temps. Selon lui l'ombre et la lumière se confondent ou se cofondent... 
– Comment pouvez-vous le savoir?
– Il le racontera plus tard...
– Qui dit cela?
– C'est mon maître et donc... le vôtre...
– C'est vite dit! Comment pouvez-vous en être si sûr?
– Je n'en suis pas si sûr, effectivement, mais même ce doute me vient de lui... il ne peut pas en être autrement.
– En êtes-vous sûr?
– Je vous l'ai dit: j'ai des doutes...
– Des doutes à propos de vos doutes qui vont font douter que vous doutez...voilà qui n'est pas banal. Mais reprenez, je vous prie...

– Jamais pourtant jusqu'à ce jour l'enfant Lune n'a encore fait de différence entre le jour et la nuit... entre ces deux états... Et pour cause: il ne les connaît pas. Il passe de l'un à l'autre sans en connaître le passage. Tout est là sans transition. L'enfant Lune existe en permanence, ce qui lui permet de se précéder.
– Comment cela: se précéder?
– C'est ainsi que prend naissance l'existence.
– Le mot ou ce qu'il désigne?
– Les deux. L'existence est changement...
– Mais le mot ne change pas...
– Certes, mais comme l'enfant il n'en n'a aucune conscience, c'est comme cela...

Une certaine durée


« J'écris pour ceux que cet écrit éveillera. À quoi ? À ce pourquoi j'écris. J'écris en tant que témoin de la signifiance de l'Être qui me traverse et m'enveloppe irruptivement. Cela conduit à un livre. Je ne suis pas maître de l'ouvrage. Je suis le témoin d'une œuvre[...]»

 Henri Maldiney 
 

– Vous ne m'avez point éclair... c'est le cas de le dire... à propos du mot jour qui ressemblerait à un je ne sais-quoi avec lequel j’eus pu l'avoir confondu!
– Je n'ai point dit cela...
– Alors?
– Alors le jour est une notion qui n'a cours que pour nous autre qui sommes limité dans l’espace et le temps...
– C'est-à-dire l'entier des êtres de cette planète... sans exception!?!
– C'est vrai... mais le jour, outre qu'il ait plusieurs significations, n'est précisément pas un objet...
– Qu'est-ce alors?
– C'est un concept baptisé du nom de "jour" et représente une durée. La durée qui existe entre le moment où le soleil est vu et celui où il disparaît à la vue.
– Entre le lever et le coucher du soleil!
– C'est ce que l'on dit...
– Vous n'avez pas l'air d'accord!
– Je ne peux pas l'être... Le lever et le coucher du soleil n'existent pas et vous le savez.
– Vous êtes un rabat-joie insensible à la poésie...
– Peut-être... Est-il possible d’être un poète sans qu'il soit nécessaire de ressembler à la notion officielle qui ferait de lui un poète?
– Ah, monsieur se prend pour...
– Cessez vos enfantillages et revenons à cette notion de jour.  






Ressemblance


« L'image n'a rien à voir avec la signification, le sens, tel que l'implique l’existence du monde, l’effort de la réalité, la loi de la clarté du savoir. L'image d'un objet non seulement n'est pas le sens de cet objet et n'aide pas à sa compréhension, mais tend à l'y soustraire en le maintenant dans l'immobilité d'une ressemblance qui n'a rien à quoi ressembler.»

L'espace littéraire, Maurice Blanchot, Gallimard, 1955, p.273
 



– Si la ressemblance ne fait pas tout, selon vous pourquoi est-ce que nous y pensons si souvent?
– À quoi pensez-vous-vous?
– Je pense au  fait presque incontestable que tous les jours se ressemblent...
– Ce n'est pas ce que je pense...
– Et pourtant...
– Pourtant quoi?
– Et pourtant vous avez parfaitement saisi ce que je disais.
– Expliquez-moi, je suis un peu perdu, je peux imaginer que la ressemblance va au-delà de ce qui apparait, qu'elle n'est pas une identité mais....
– Quand vous avez parlé de jours, vous pensiez savoir de quoi vous parliez...
– Ce n'était pas très compliqué...
– Vous vous trompez.
– C'est nouveau!
– Non, ce n'est pas nouveau, c'est parce que vous avez parfaitement intégré une notion que l'on prétend utile... qui peut l'être... mais qui est, en soi, une sorte de... pardonnez l'excès de l'expression: parfaite hérésie...
– Je suis prêt à vous pardonner vos excès, mais à la la condition que vous m'expliquiez votre point de vue.




Une certaine ressemblance


Don Quichotte, "c'est de l'écriture errant dans le monde parmi la ressemblance des choses"

Michel Foucault




– Et selon vous... ou selon votre maître, quand donc a commencé le voyage de l'enfant Lune?
– Eh bien... nous ne sommes pas d'accord sur ce point...
– Mais, je n'ai point émis d'avis à ce sujet...
– Je voulais dire, mon maître et moi-même, nous ne sommes point d'accord. Pour lui. le voyage a commencé dès l'aube de l'humanité...
– Ooooh... Et pour vous?
– J'ai quelques raisons de penser qu'il a commencé dès la naissance de l'enfant...
– Aaaah, la raison... toujours la raison...
– Comme le disait, presque, à peu de choses près, la raison de la déraison que me donnait ma déraison affaiblissait bien ma raison que j'ai toutes les raisons de m'en plaindre...
– Comme quoi la ressemblance ne fait pas tout.

samedi 28 avril 2018

Une sorte de prison




– Dites-vous bien qu'il ne nous entend ni ne nous voit...
– Vous voudriez dire que pour lui nous n'existons pas!



– Je ne dis pas cela... Mais écoutez plutôt. Le jour jamais ne se montrait à l'enfant Lune comme pour "tout le monde". C'en était au point qu'il en avait oublié l'existence. Pour lui les jours et les nuits ne formaient qu'un seul continuum. Le soleil, quand au matin il se montrait et que, pour les hommes s'ouvrait la carrière du jour, n’était rien d'autre pour lui que la continuation d'un voyage avec lequel il ne faisait qu'un. Comprenez bien, mes amis, jamais l'enfant ne vivait dans un autre monde, mais ce monde en contenait un que nous ne connaissons pas. Il me semble, en tous cas c'est l'avis de mon maître, que l'on peut dire que l'administration de son monde, du point de vue de l’enfant Lune, si je puis dire, était une sorte de chef-d’œuvre tout autant qu'une prison...

Une réalité "terre-à-terre"


« Plusieurs questions se posent. Comment doit-on définir le fanatisme sans tomber dans une acception trop large qui perd la spécificité du phénomène ? Peut-on déterminer les causes du fanatisme ? Est-il une forme de folie ou bien obéit-il à un processus qui a sa rationalité propre ? Enfin, existe-t-il des solutions contre un tel fléau?»

La fureur de la liberté, Christophe Bouton



– Or, il faut savoir, chers collègues perroquets, que l'enfant Lune passait le plus clair de son temps à essayer de distinguer... de voir... de comprendre... Malgré le fait, incontestable qu'il fut littéralement plongé dans les livres, cela ne l'empêchait de se frotter physiquement aux éléments de la nature. Il serait plus juste de dire, non pas qu'il essayait d'éclairer ce qui lui apparaissait comme obscur, car il ne doutait pas, c'était même une de ses caractéristiques de ne point douter qu'il y arriverait. Ce trait de caractère eut pu sembler être la manifestation d'un orgueil démesuré, la suprême manifestation d'une estime de soi délirante, s'il n'était accompagné par le fait incontestable chez lui que rien ne lui apparaissait comme la manifestation d'une réalité "terre-à-terre" comme l'on dit.


Un simple multiple




Il est clairement établi que nous puissions avoir une lecture multiple des événements du monde, néanmoins, d'après les conjectures, rien n'en moins sûr que nous puissions être d'accord sur le fait que cette histoire soit unique, ni sur le fait que l'histoire du monde fut multiple. Il se trouvera toujours quelqu'un qui dira qu'il est possible de réunir le tout pour en faire une seule histoire... et de lui ajouter une majuscule... Malgré cela il est probable, et c'est réjouissant, qu'il est toujours possible de relier toutes choses entre elles, si ce n'est par des faits, en tous cas par des conjectures et, pour le moins, par l'imagination. L'imagination est l'un de ces faits incontestables. Chaque être possède le don de l'imagination. Certes, elle ne sera pas la même pour tout le monde... c'est tout aussi réjouissant. Il en est même qui peuvent déclarer que l'imagination est l’œuvre d'elle-même. Ce qui pourrait nous entraîner fort loin... Aussi loin que l'enfant Lune? Peut-être que non... Il faut bien l'avouer, cet enfant possède une capacité hors du commun. Non qu'elle fut dans son essence différente, mais il est certain que dans ses proportions elle différait de celles de ces semblables jusqu'au point où apparaît un questionnement concernant la valeur réelle, essentielle, du terme semblable...



Où qu'il se trouve




Dans la petite ville dont il ne parvient plus à se souvenir du nom, l'enfant Lune vivait encore ce qui avait été sa famille. Essayer de s'en souvenir était déjà une sorte d'effort presque inutile. En tous cas cela ne le menait nul part. Il n'en avait point pris son parti, mais, n'étaient ces pensées vagabondes qui revenaient de temps en temps et ces trous qui se creusaient dans la tête, la plupart du temps cela ne le gênait pas plus que cela. N'était cette sorte de timidité qui l'empêchait de rester trop longtemps en compagnie de ses semblables, l'enfant était de constitution plutôt robuste. Toujours matinale et sachant se déplacer dans l'obscurité, il connaissait son pouvoir de dormir n’importe où, ce qui était fort agréable... De plus son goût pour la lecture, venu d'on ne sait où, le délivrait de l'angoisse du lieu. Il lui suffisait soit de fermer les yeux, et ainsi de dormir, soit de les ouvrir en même temps qu'un livre, et le voilà disparu. Disparu? Quelle idiotie, me direz-vous. Eh bien c'était vrai. Personne ne le voyait. Personne n'eut pu le voir dans un  de ces deux états. Soit il jouait et alors il disparaissait, parfaitement absorbé par son jeu, soit il dormait, tout aussi parfaitement absorbé par son sommeil. Son nom même, s'il était connu, ne le reliait à rien d'autre que son contenu. Lune. L'enfant de la Lune. Quoi de plus banal et de moins social. Personne ne se demandait jamais ce que cet enfant faisait là... où qu'il se trouve. À condition qu'il s'y trouva...

En d'autres temps



En d'autres temps, en un même lieu... ou presque...


vendredi 27 avril 2018

Désapprendre


« Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que, naïf, soumis, tu t'es laissé mettre dans la tête –innocent!– sans songer aux conséquences.»

Henri Michaux, Poteaux d'angle, Gallimard, 1981



Ce que lisait l'homme dans le livre, il le pensait aussi:
– "J'imagine que cet homme se promène dans dans un monde en friches. L’homme qui marche dans le temps... ou dans les temps... crée un espace à la fois physique et intellectuel…  et pourtant, il rêve d’être un oiseau malgré ses deux pieds sur terre, presque enracinés dans le sol.
Il s’élève vers un ciel infini. Un long cordon, comme un arbre, s’étire vers les profondeurs du ciel et du temps.
L’homme marche et tend la main vers ce que son regard a déjà atteint.

– Comme s'il s'agissait  d’un homme premier...
L’homme raconte:
– Autrefois, l’enfant que j’étais me l'a dit: il jouait et courait de par le monde. Un jour pourtant tout s’est arrêté. Devant moi, il était.
Et puis la chose s’est répétée. L’enfant écoute, encore immobile, mais à nouveau il attend. Il attend ce que va dire l’homme qui se raconte en marchant."

Dans le passé ou le présent


Ce qui nous vient en mémoire, en certaines circonstances, nous semble être venu du passé, mais n'est rien d'autre que ce qui présent...


Dans le passé ou le présent, tout comme l'enfant Lune Pinocchio voyage. 

– Serait-ce par hasard que je rencontre aussi souvent des signes évidents qu'il semble être passé par ici?



De question en questions





– Avez-vous des questions? était-il inscrit. C'était même les tout premiers mots du livre...
Bien entendu, il ne savait quoi répondre:
– Je ne sais pas si je dois répondre.
Ainsi à la question initiale s'ajoutait une question qui ne figurait pas sur la page.
– Comment se fait-il qu'un livre puisse poser des questions? fut la troisième question. Au premier abord, c'était surprenant, mais à y bien réfléchir, ce sentiment disparu bientôt. Il lui semblait que rien ne fut plus normal qu'un livre puisse poser des questions.

jeudi 26 avril 2018

Il est en chaque chose


À mesure que les offrande du hasard au loin s’accumulent, de très loin viennent et vont les lentes caravanes du destin.



Il arrive que l'enfant Lune se sente perdu. La moindre racine devient pour lui une sorte de refuge qui loin de l'apaiser le fait voyager suffisamment pour qu'apparaisse quelque chose de nouveau. Pendant qu'une sorte de régression à l'infini s'empare de lui, aucune question ne peut se poser. Rien que des réponses à foison... Tout peut être atteint et rien ne peut l'atteindre. Il est pour ainsi dire sans conséquence qu'il ne sache où il est... il en sait bien assez pour retrouver ce qu'il n'a pas besoin de savoir. À vrai dire, rien ne saurait lui paraître étrange excepté peut-être certains secrets qu'il peine à découvrir. Non qu'il fût assoiffé de curiosité, mais simplement il pense qu'il est en chaque chose une sorte de secret qui vaut tous les trésors du monde.


Un songe lointain





– La vieille glose ayant fait son temps, avant que de vieillir s’allonge au firmament. Un songe lointain de sa gangue pour un temps s’est fissuré. Comme la buse déchirant sa charogne, les mots crus lacèrent le corps maintenant vide d’une pensée trop tôt éclose.

– Eh bien! Cela devient une habitude, mon cher semblable! Seriez-vous, par la grâce de notre auteur, devenu une sorte de poète?

– Vous vous trompez.

– Comment cela?

– Ce n'est pas moi qui ai prononcé ces mots là...

– Qui est-ce alors?

– C'est l'enfant Lune...

– Qui?

– L'enfant Lune. Là devant nous...

« Là devant nous» avait été prononcé avec un poids et une certitude peu commune qui devait souligner une présence dont la foi seule peut être capable de produire. Les points de suspension marquaient, non pas une hésitation, mais trois temps suspendu dans un sérieux quasi monacal pendant que les yeux du récitant s'étaient fermés.

– Je ne vois rien... il me faut donc vous questionner encore: quel est donc ce ton que je ne vous connaissais point et cette scène qui ne m'apparait point?

Un temps.

– Avec prudence et à propos de ton, je dois vous dire que c'est le vôtre qui plutôt m'inquiète... Seriez-vous devenu autre au point que je ne puisse vous reconnaître, moi qui suis pourtant une sorte de spécialiste de la voix... J'ai tout lieu de penser que notre maître, peut-être se sentant un peu perdu, se joue de nous...

– Tout comme moi-même...

– Le destin fait bien les choses....

– Voilà que vous croyez au destin maintenant!

Ce n'était même pas une question. Quelque chose ne tournait plus rond...



C'est ce qu'il pensait



Très tard ou très tôt,
sous le sombre chapiteau,
dans le feu,
un ailleurs monstrueux,
lueurs rougeoyantes,
découvre, immobiles ou dansantes,
de délicates perceptions
déploient leurs majestueux haillons.

– N'auriez-vous pas l'imaginaire qui déraille?
– Je dirais même: qui raille et qui déraille...
– C'est selon...
– C'est selon la volonté de l'auteur!
– Ou de ce que vous en captez!
– Cela tombe bien, c'est justement notre rôle.
– Je vous trouve bien "agacé"... 
– Comme la pie, je m'y retrouve dans le noir et le blanc, dans le jour et la nuit, dans la bêtise, l'ignorance et l'intelligence qu'essaie de me transmettre mon maître qui lui-même la trouve dans lectures et miroirs...

En repensant, bien des années plus tard, à cette rencontre, on ne peut s'empêcher de penser à ce qui en fut l'origine. À tout ce cheminement qui a amené à cet instant si semblable à tous les autres, unique cependant et qui, l'instant d'après va rejoindre tous les autres pour former ce que nous avons l'habitude de considérer comme un tout... Il commence à mettre en place un certain nombre de questionnements qui le fait ressembler à ce qu'il craignait jusqu'alors et qui ne lui avait amené que des ennuis. Du moins c'est ce qu'il pensait.

Le Vrai et le Faux


" La première signification donc de Vrai et de Faux semble avoir tiré son origine des récits; et l'on a dit vrai un récit quand le fait raconté était réellement arrivé; faux, quand le fait raconté n'était arrivé nulle part."

Baruch Spinoza (1632-1677)
Pensées métaphysiques, 1663




– Si les hommes ont de l'espace public une notion bien particulière et, de mon point de vue, notoirement compliquée... qu'en est-il alors de ce qu'ils appellent la jungle et qu'ils leurs arrivent d'identifier au chaos?

– À mon humble avis, vous mélangez tout.

– C'est peut-être vrai, mais je n'en suis pas certain...

– Prenez l'espace dans lequel nous avons choisi de vivre...

– Faux... dans lequel on nous fait vivre...

– Quelle différence avec ce que j'ai dit?

– Il y a une grande différence. L'espace dans lequel nous devons vivre est celui qui nous est assigné... et duquel...


L'espace public



« Les lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable.»

 
« La publicité au sens kantien (Publizität) se transforme en publicité au sens d’aujourd’hui, de la réclame (Werbung).»




« À l’origine la Publicité garantissait le lien qu’entretenait l’usage public de la raison aussi bien avec les fondements législatifs de la domination qu’avec un contrôle critique de son exercice. Depuis elle est au principe d’une domination qui s’exerce à travers le pouvoir de disposer d’une opinion non publique, ce qui aboutit à cette singulière équivoque: la publicité permet de manipuler le public, en même temps qu’elle est le moyen dont on se sert pour se justifier face à lui. Ainsi la «Publicité» de manipulation prend-elle le pas sur la Publicité critique.»


Habermas



– Tout de même... enfin, si je puis dire... les hommes ont de l'espace public une notion bien particulière et, de mon point de vue, notoirement compliquée...


mercredi 25 avril 2018

Serait-ce là notre créateur?


" Si l’on veut se rendre présent à la présence de la Nature, ce qui est requis est non pas l’ingéniosité du doute cartésien, mais, au contraire, un supplément de naïveté, par laquelle on revient, en deçà même des évidences communes, à une évidence première, plus immédiate."

Marcel Conche, Présence de la nature



Les êtres humains ont un passion: raconter des histoires. Mais "raconter des histoires" peut avoir deux sens différents.
Le premier sens de l'expression est le fait de celui qui raconte, qu'il soit orateur, écrivain poète ou loueur de bateau, cela ne change rien... ou presque: quelqu'un raconte une histoire.
Le deuxième sens est dévié, mais il est issu du premier: celui qui raconte des histoires dit des "mensonges". Il suffit d'une légère intonation dans l'expression que celle-ci passe de l'une à l'autre.




Le raconteur est là, sous nos yeux et bientôt, s'il est bon, nous le perdrons de vue pour longtemps.

– Le monde qui nous entoure... ce que nous percevons du monde qui nous entoure... se pare des attributs du réel.




– Serait-ce là notre créateur?

 – Je ne l'imaginais pas ainsi...

– N'oubliez pas que vous êtes le produit de son imagination... et non l'inverse...

– Je ne me reconnais pas en lui...

– C'est normal.

– Pourquoi est-ce normal?

– Parce que vous êtes... nous sommes... à son image. 

– Je ne vous comprends pas.

– Étant à son image nous ne ne pouvons nous reconnaître.

– Soit ce que vous dites est parfaitement idiot... soit c'est parfaitement subversif... 

Rien n'est plus normal


Mieux vaut ne pas rêver, mais faire comme si...



– Le saviez-vous? Un mort sans sépulture... ou un vivant sans corps, rien ne serait impossible dans le territoire de l'imagination.

– Heureusement, nous autres, simples répétiteurs, nous n'y avons pas accès...

– Je n'en suis pas si sûr.


– C'est là que nos pensées se séparent. À propos, pourriez-vous me dire pourquoi Pinocchio pense-t'il qu'il faille convaincre celui qu'il appelle son frère qu'ils sont l'image même d'une séparation?

– Parce que c'est un fait.


– Vous parlez comme eux...

– Ce n'est pas surprenant. Rien n'est plus normal.


– Pourquoi cela?

– Parce que nous avons, en quelque sorte le même créateur...


– Vous m'intriguez. 




Une drôle de séparation





– Le saviez-vous? L’œil et le regard ne peuvent se passer l'un de l'autre mais ne peuvent se confondre et même être séparés...
– Où voulez-vous en venir?
– Tout comme nos yeux peut être séparés l'un de l'autre, nous sommes séparés...
– C'est une évidence...
– Moins que ce que vous imaginez...
– Je n'imagine rien du tout, c'est même tout le contraire: Comme chacun peut le voir nous sommes séparés. C'est un fait.
– ... et non une évidence...
– Vous êtes têtu...
– Cette séparation est  même une occasion unique. L’occasion de voir que ce que nous voyons n'est pas une image, mais une image composite. Elle formée de plusieurs images: au moins deux... La part de celle que l’œil gauche transmet et celle qui correspond à notre œil droit.
– Cela, je peux le comprendre, mais...

S'entendre donner tort n'est chose aimable. Difficile de l'accepter sans que se trémousse quelque défense de bon ou de mauvais aloi.
– Savez-vous ce qu'est un discours courant?
– Je suppose, sans trop m'avancer, qu'il n'est pas un discours à deux ou à quatre pattes...
– Vous avez saisi "avec votre tête" ce que je voulais vous dire.

Ce qui arrive

" Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique." 

André Breton, L'Amour fou, p. 39, éd. Folio.



Ce qui se suit, ce qui arrive, ce qui s'en va et quelques fois revient, ce qui d'un trait s'écrit s'éteint d'un coup. D'un simple coup d’œil à la fermeture d'une paupière, il n'y a même pas un seul pas. Peut-être un petit pas-de porte. Un de ces lieux qui frappe l'imagination. Un de ces lieux duquel s'échappe tout ce qui ne peut être saisi.

– Qui donc frappe ainsi à la porte?

Après avoir fait la sélection... entre ce qui peut entrer et ce qui déjà devrait sortir. Un lyrisme désuet ou un pathos délité dirait le maître.

– De quel maître parlez-vous?

– ... celui qu'il faut tuer, s'il en est un...

mardi 24 avril 2018

Cela n'arrive jamais


« N'a-t-il pas semblé impossible que l'unité fût en quelque chose? Oui... mais ce qui n'a point de parties et ne forme pas un tout n'est-il pas encore plus dans l'impossibilité d'arriver quelque part, puisqu'il n'arrive ni en partie ni en totalité? ...Or, ce qui n'est jamais dans le même ne se repose pas et ne s'arrête pas

Platon, Parménide



– Arrêtez et écoutez-moi! Cela vous mettra peut-être en colère... ou vous fera rire... mais ce qui n'arrive jamais n'est cependant pas chose impossible...

Ce qui passe


« Dès que les ténèbres commencèrent à tomber, le désert se réveilla, et les hurlements des bêtes fauves se rendant à l’abreuvoir se firent entendre sourdement dans les profondeurs inexplorées de la forêt.»

Gustave Aimard, L’Éclaireur (1859)




– Vous aimez, je n'en doute point, ces histoires puzzle qui multiplient les collusions temporelles...

– Dans ce monde-ci, voyez-vous, tout repose sur une temporalité fluctuante...

– Je n'en ai pas le moindre doute... mais voyez, vous aussi, comme il est difficile de se soumettre aux aléas du temps qui ne fait que passer... enfin... c'est ce qui se dit. Et c'est aussi ce à quoi certains esprits ajoutent, certainement par contrariété, que ce ne serait pas le temps qui passe, mais ceux, eux, qui passent et qui le construisent...

– Vous voulez dire... les hommes?

– Je veux parler de tous ceux qui ont conscience du phénomène que l'on appelle le temps...  dont on ne sait quasiment rien si ce n'est que nous pouvons constater les effets qu'il produit...

– Par le fait qu'ils sont conformes à l'idée que l'on s'en fait...

À la faveur du présent, certains fragments du passé remontent à la surface et, même défigurés, se reconnaissent aux effets qu'ils produisent sur la mémoire de ceux qui se sentent, de près ou de loin, concernés... 

– Malgré le fait que les temporalités différentes se mêlent dans un même présent.

– N'est-ce pas toujours le cas?

– Certainement, mais avec de telles dominantes que certaines, plus modestes ou discrètes sont parfaitement éffacées...

– Le crime parfait. Celui où toute trace devient invisible ou illisible...

– D'autant que la "nature" vient ajouter sa propre trace... tour-à-tour abandonnante et abandonnée...

– Comme nous avec les mots! Pardon, veuillez m'excuser, je ne sais pourquoi ces mots ont jailli de mon propre chef...


Bien avant l'aube


 « [ ... ] Si tu n’oses plus lui adresser aucun reproche, ce prince continuera à écraser les autres et nourrir ainsi son triomphe. Impressionné, tu finiras par te soumettre, ne sachant plus quoi répondre et adoptera sa façon d’agir. À terme, ton cœur même sera corrompu. »

Zhuangzi, Le Livre intérieur
Livre IV, trad. Alexis Lavis, dans La Voie du Tao, Pocket, 2010, p.67-68



C'était un jour, bien avant l'aube. Les deux amis, perroquets par nature, contemplent le monde.

– Regardez, comme elle danse!

– À quoi ou à qui faites-vous allusion? Pour ma part, je ne vois rien...

– Je vous parle de mémoire, de quoi d'autre pourrais-je parler? Nous ne pouvons rien inventer, nous autres..

– Comment cela?

– Comment? Nous n'en savons rien. C'est la magie du langage. 

– Quel est le rapport avec la mémoire?

– Il n'y a pas de rapport...

– Ah....

– Il ne peut y avoir de rapport... pour qu'il y ait un rapport il faudrait que les choses soient séparées et qu'elles puissent se rapporter l'une à l'autre...

– Et alors?

– Et alors... il me semble.... que langage et mémoire ne font qu'un... 

Lui aussi se fait voir


« L’éparpillement et la confusion engendrent l’excès, qui engendre à son tour le trouble et la peine. Or, il n’y a pas de remède à ce genre de trouble. Jadis, les hommes accomplis se laissaient d’abord pleinement habiter par la Voie et ensuite seulement ils tentaient d’y faire séjourner les autres êtres.
Si tu n’es pas pleinement habité par la Voie, comment te serait-il possible de rectifier les actes d’un tyran?»

Lao Tseu


Loin de tout, en son centre, deux perroquets répètent à l'infini le peu de mots qu'ils connaissent. C'est dans cette lumineuse et infinie répétition que l'histoire se poursuit.

– L'avez-vous remarqué?

– Que suis-je censé avoir pu remarquer?

– L'histoire se poursuit...

– Et puis...

– Cela ne vous parait pas étrange?

– Quoi donc?

– Que l'histoire se poursuive...

– Quoi de plus normal!

– C'est bien ce que je pensais...

– Que pensiez-vous?

– Vous n'entendez pas bien.

– Que n'ai-je pas bien entendu?

– Vous n'avez point entendu, je devrais dire, vous n'avez pas compris que l'histoire "se" poursuit. En prononçant ces mots l'histoire est à la poursuite d'elle-même... et c'est cela qui me paraît surprenant... Mais ce qui l'est encore plus , c'est que cela ne surprend personne quand je le dis et que je le répète...

– Maintenant que vous me l'expliquez, je comprends... mais où en étions nous de l'histoire?

Après cet intermède qui ne nous nous a rien appris de l'histoire en elle-même, un perroquet, sans réfléchir, à son tour poursuit:

– Quelque passant, habillé de misère, près des cabanes aux si rugueux tapis, marche au rythme lunaire. Son ombre, dans l’humide sable, se fait voir sous le sombre regard du faussaire.

L'autre perroquet, de semblable nature, poussé par la même impulsion, sans même avoir à penser, d'un trait lui aussi poursuit:


– Dans l’humble, mais fougueuse, danse du tamis, quand les fugueuses pépites plongent et replongent, l’immense luminaire de l’espoir, par instants, lui aussi se fait voir... ou regard... et scintille de mille feux.