jeudi 30 novembre 2017

Une impossibilité





L'intérieur du phare avait bien changé. C'était en tous cas l'avis de Pinocchio, celui qui se disait Autre.

– Me permettriez-vous de vous dire quelque chose d'important et de très délicat?

– Je vous en prie cher Nounours, nous nous connaissons depuis si longtemps.

– Eh bien justement... je ne crois pas... ce... n'est pas le cas...

– Comment cela? Ce que vous dites est confus. Expliquez-vous calmement. Nous avons tout le temps, bien que, si j'en crois les lumières que je vois s'allumer et cette ombre que je crois reconnaître, une certaine cérémonie va bientôt commencer.

– Nous n'irons pas...

– Pourquoi dites-vous cela?

– Parce que nous ne sommes pas qui vous croyez.

– Ne croyez-vous pas qu'il serait temps de me dire ce que vous semblez avoir sur le cœur.

– J'y venais... Je ne suis pas le Nounours que vous croyez.

– Mais c'est impossible...






Pèlerinage

  
"Lorsque, appelé à faire paraître dans des fonctions plus élevées la mâle éloquence et cette vigueur de sens et de didactique qui marquaient son enseignement, l'homme illustre que vous avez tant de fois applaudi dans cette enceinte daigna jeter les yeux sur moi pour le remplacer, l'honneur d'un pareil choix ne m'éblouit point sur ses périls, et, avant de vous surprendre, Mesdames et Messieurs, il me fit trembler."*



Découper une étoile un millions de fois et plus... pour enfin discerner ce qui dans la lumière nous éblouit.




La situation devient telle – trois générations plus tard – que l'histoire, loin de se simplifier prend de l'ampleur. Pinocchio, qui se croit Autre, devenu un membre illustre et très influent du Cercle des Miroirs Récalcitrants, la poursuit et fait de tels bonds dans le temps que Nounours, flatté d'une telle reconnaissance, ne peut l’ignorer mais ne sait comment le lui dire. Il est difficile de savoir comment agir sans trembler quand on sait ce que l'on sait sans même avoir dû faire d'efforts pour cela...  Difficile maîtrise. Pinocchio, qui se croit Autre, accompagné de Nounours, retourne sur les lieux qu'il croit être ceux de son enfance... une sorte de pèlerinage...


* Discours prononcé  par Victor Cousin à l'ouverture du cours de l'histoire de la philosophie moderne, le 7 décembre 1815


mercredi 29 novembre 2017

Une forme de doute


Pinocchio, l'Autre, bien des années après, ressent encore physiquement la présence de ces fils, aujourd'hui disparus, mais qui, autrefois, l'attachaient et lui donnaient cette impulsion nécessaire au mouvement.

– Certes j'en étais le prisonnier et je ne pouvais qu'obéir aux mouvements qu'ils me dictaient, certes la voix qui semblait sortir de ma bouche n'étaient point les miens, mais d'un autre côté, sans eux, jamais je ne serai devenu ce que je suis aujourd'hui... 


L'événement miraculeux qui suivi cette nostalgique pensée, sans doute dû au hasard... on devine le conflit qui préside à cette affirmation, eut étonné plus d'un héros, mais point ceux-là. À commencer par Pinocchio, l'Autre... ou se pensant comme tel:



– Nounours?
...
– est-ce bien vous?
...

Nounours ne bouge, ni ne parle. Ce qui, on le comprend, fait douter Pinocchio, qui ne doute point être l'Autre.

– Comment, des années après, puis-je rencontrer Nounours sans rien qui puisse me faire douter de sa présence?

Les fils disparus


Bien souvent, Pinocchio, l'Autre devenu adulte, ressent physiquement la présence de ces fils, aujourd'hui disparus, mais qui, autrefois, lui donnaient cette impulsion nécessaire au mouvement.

– Comment se fait-il qu'une absence puisse être aussi présente? 



Ces fils n'étaient pas, et de loin, les seules choses absentes à être présentes dans son esprit.

Pour la première fois une sorte d'inventaire était disponible, se dit Pinocchio l'Autre.

Bien du temps était passé depuis le temps du paquebot et de son Grand Théâtre. Difficile de mettre de l'ordre dans la mémoire... Pinocchio se demande souvent ce qu'il est devenu. Certainement perdu dans le temps, se disait-il. Dans cet ancien temps qui serait ce doux mélange de sommets, de ponts et de ravins qui se marient et charrient au loin ce qui fut à portée de main.

– Que sont devenus ces Nounours qui eux aussi naviguaient..? enfin... c'est peut-être beaucoup dire... mais en tous cas avaient trouvé refuge sur le bateau. Je les aimais beaucoup. Pourtant ils se méfiaient de moi, je n'ai jamais su vraiment pourquoi?  

L'espace infini de la nuit



Si l'espace infini de la nuit n'est point celui du silence, il n'est pas non plus celui de la réflexion. Bien au contraire. Tout s'y passe et se passe d'autorisation... Le moindre bruit prend forme que le jour ne pourra jamais révéler. Ainsi le monde formel perd son révélateur, le son, dans toute son ampleur, prend le relais.  Inutile de s’attarder et de réfléchir, ce qui dans la nuit se cache reprend force et vigueur. L’œil s'absente de son pouvoir au profit de ce qui sait ressentir dans l'obscurité dans laquelle notre histoire se poursuit...

mardi 28 novembre 2017

Comme elle peut...


" La façon dont les nuages se colorent est d'une beauté qui parle à mon imagination; vous voudriez en rendre compte par des explications scientifiques qui s'adressent à l'intellect plutôt qu'à l'imagination... À trente kilomètres de distance j’aperçois un nuage cramoisi sur l'horizon. Vous  me dites qu'il s'agit d'une masse gazeuse de vapeur qui réfléchit le rouge et absorbe les autres rayons , mais cela est sans intérêts pour moi qui suis exalté, dont le sang est vivifié par cette vision écarlate... Quelle est donc cette science qui  accroît  notre compréhension mais appauvrit notre imagination?"

The Journal of Henry Thoreau


Dans les décors délabrés de l'ancien théâtre du paquebot, chacun fait comme il peut. La famille Nounours, comme toutes les autres familles, se débrouille...



C'est ainsi que dans les temps, maintenant obscurs, de l'enfance, se raconte une histoire déroutante se jouant de la matérialité à laquelle nous ne cessons d'être soumis. Cependant, avec un peu d'entraînement, il nous est possible de voir en plein jour ce qui dans la nuit semble se cacher. C'est là que se trouve le piège. Si rien ne se cache et rien n'apparaît, nous ne voyons alors que ce que nous voulons voir... et entendre...
Or, dans cette histoire, c'est précisément là que le bats blesse:

– Nous ne voulions rien entendre. Chacun de nous se murait dans un silence que nous espérions protecteur mais qui ne changeait rien à ce que nous avions fait.

lundi 27 novembre 2017


"Dire la vérité à ceux qui ne sont pas en l'état de l'entendre, c'est la trahir... la dire à ceux qui sont disposés à la persécuter c'est la profaner..."

Shaftesbury, cité par Elisabeth de Fontenay (En terrain miné, Stock)










Le courroux de Maître Héliophante


Alors, l’éléphant se fâche…Il dit au forgeron :
– Enlève le fer du coq et travaille pour moi tout de suite ! Si le coq revient, je vais lui montrer qui je suis.
L’éléphant sort, il va à côté et il fait un tas de « caca »et dit au forgeron:
– Si le coq vient, tu lui dis que c’est moi, Maître Héliophante, tel est mon nom! qui ai fait ça. Voici quelle est ma force!
 
 
   
Le lendemain matin, le coq arrive. Le forgeron lui raconte ce qu’a fait Maître Héliophante. Il lui montre le tas de «caca» qu'il a posé. Le coq dit:
– Ah bon ! C’est Maître Héliophante!
Il dit au forgeron : 
– Mon frère, laisse son travail et prends le mien tout de suite ! 
Et le coq monte sur le tas de Maître Héliophante; il éparpille tout. A son tour, il pose un petit «caca». Il dit au forgeron :
– Bon ! S'il revient, tu lui dis que c’est moi, Maître Coq, qui ai fait ça !  Voici ma force ! Ce petit «caca» que j’ai fait, tu le lui montres; c’est ma force!

Le lendemain matin, l’éléphant arrive. Avant même d’arriver chez le forgeron, il ne voit pas le tas qu’il a fait : il n’y a plus rien. Il se dit : 
– C’est quoi ça ?
Il arrive et interroge le forgeron. Celui-ci explique:
– C’est Maître Coq, tel est son nom! qui est venu. Il m’a dit d’enlever ton fer et de prendre le sien. Et, montrant du doigt, voici ce qu’il a laissé.
– C’est sa force!
L’éléphant pousse un cri :
– Quoi?
Il est énervé, il sort, piétine le sol et casse des branches. Il dit:
– Ce coq-là, tu vas voir ! Je dis que moi…. Il n’y a qu’à se rencontrer et nous allons faire la bataille.
Il donne la date de cette bataille.
– Dis à Maître Coq que s’il le veut, il n’a qu’à prendre tous les animaux qui ont des ailes. Et nous allons nous affronter! 

 [  à suivre... ]






dimanche 26 novembre 2017

C'est exactement ce que...



Il était une fois un éléphant et un coq...

Un beau matin, le coq amène un fer chez le forgeron et lui demande de lui faire une houe. Le lendemain, l’éléphant vient aussi chez le forgeron pour avoir sa daba, une sorte d'herminette. En arrivant, il trouve le forgeron en train de travailler sur le fer du coq. Il demande au forgeron : 
– Qui t’a donné ce travail ?
 Le forgeron répond :
– C’est le coq.
Alors l’éléphant lui crie : 
– Enlève ce fer-là ! Prends mon travail tout de suite !
Le forgeron a peur ; il enlève le fer du coq et il prend celui de l’éléphant.

Le lendemain matin, juste après le chant de l'aurore, le coq arrive. Il demande au forgeron :
–As-tu fini de fabriquer mon outil ?
Le forgeron lui répond :
– J’étais en train de travailler sur ton fer. Mais l’éléphant m’a dit de l’enlever et de prendre son fer. Alors j’ai enlevé ton fer. Il est là.
Le coq répond :
– Si c’est comme ça, enlève le fer de l’éléphant. S’il vient, tu lui dis que c’est moi qui te l'ai commandé !
Alors le forgeron enlève le fer de l’éléphant devant le coq et il se remet à travailler le fer du coq.

Le lendemain matin, l’éléphant arrive. Il demande au forgeron: 
– As-tu fini ma daba-là ?
Le forgeron lui répond :
– Non ! Le coq est arrivé et il a dit qu’il était le premier. Il m’a dit d’enlever ton fer, de le poser pour prendre son fer à lui.
Alors, l’éléphant se fâche…Il dit au forgeron :
– Enlève le fer du coq et travaille pour moi tout de suite ! Si le coq revient, je vais lui montrer qui je suis.
L’éléphant sort, il va à côté et il fait un tas de « caca »et dit au forgeron:
– Si le coq vient, tu lui dis que c’est moi, l’éléphant, qui ai fait ça. Voici quelle est ma force!   
(à suivre) 




– Et pourtant c'est presque ce que je vous ai entendu dire en de nombreuses occasions. – Vous avez raison: tout est dans le presque que vous avez utilisé. Si petite soit-elle, cette différence change tout, ou plus justement peut tout changer... Pour revenir à cette constitution, son but était simplement de réunir un petit groupe qui utiliserait l’idée de “conflit créatif”. – Je croyais que le but était plutôt la paix, la concorde universelle... – Comme vous y allez: "universelle"! 
Voilà qui est bien ambitieux! 

 – Et quelle est donc cette si petite différence qui fait que la compréhension en serait faussée si l'on en tient pas comptes?
– Elle est dans le fait que l'autre, en ce qu'il est et ce qu'il manifeste, pourrait représenter ce que nous sommes capable d'être et non ce que que nous sommes.
– Je comprend, il est ce que nous nous sommes capable d'être...
– C'est exactement ce que me disait mon maître.


 

Une sorte de fêlure


" Toute vie, bien sûr, au fil du temps se délabre, mais les chocs qui constituent la partie spectaculaire du processus, les coups soudains et violents portés – du moins apparemment – de l’extérieur, ceux que l’on se rappelle, auxquels on attribue ses malheurs, dont on parle à ses amis dans des moments de faiblesse, n’ont guère d’effets immédiats. Il existe une autre espèce de choc qui vient de l’intérieur, que l’on n’éprouve pas avant qu’il ne soit trop tard pour y remédier, avant d’avoir acquis l’absolue certitude que, d’une certaine manière, on ne sera jamais plus le même homme. La première sorte de cassure paraît survenir vite, la seconde a lieu sans presque que l’on s’en aperçoive mais l’on s’en rend vraiment compte d’un seul coup.
Une observation d’ordre général, avant que je ne poursuive cette histoire : ce qui caractérise une intelligence de premier ordre, c’est son aptitude à garder simultanément à l’esprit deux idées contradictoires sans pour autant perdre sa capacité à fonctionner. On devrait, par exemple, être capable de voir que les choses sont sans espoir et pourtant déterminé à les changer. Cette philosophie était adaptée aux premières années de ma vie adulte, alors que sous mes yeux se réalisaient l’improbable, l’invraisemblable et même souvent l’impossible. La vie était alors quelque chose qu’on parvenait à dominer à condition d’être quelqu’un. (…) Pendant dix-sept ans, si l’on compte une année d’oisiveté et de repos volontaires au beau milieu, les choses se déroulèrent ainsi, chaque corvée ne dessinant qu’une perspective agréable pour le lendemain. (…) Et puis, dix ans avant cette ligne des quarante-neuf ans, je me rendis soudain compte que j’étais fêlé avant l’heure."

Francis Scott Fitzgerald, « La fêlure » (1936)




– Saviez-vous ce que faisaient ensemble Nounours et Pinocchio et quelques autres?
– Bien sûr que je le sais.
– Et comment l'avez-vous appris?
– Toujours de la même manière, mon maître me l'a dit...
– Allez-vous me le répéter?
– Voici ce que lui a dit Platon l'Ancien, de longues années après, juste avant qu'il n'écrive le Grand Livre, dans lequel, il faut le dire, la version est significativement différente...: lorsque nous créâmes le Cercle des Miroirs Récalcitrants, l’idée n'était pas, et n'a jamais été et ne sera jamais d’élire des chefs, un parti ou une quelconque forme de gouvernement… ou même, et peut-être surtout de lutter contre cette vision simpliste qui consiste à voir l'autre comme soi-même.
– Et pourtant c'est presque ce que je vous ai entendu dire en de nombreuses occasions.
– Vous avez raison: tout est dans le presque que vous avez utilisé. Si petite soit-elle, cette différence change tout, ou plus justement peut tout changer... Pour revenir à cette constitution, son but était simplement de réunir un petit groupe qui utiliserait l’idée de “conflit créatif”.
– Je croyais que le but était plutôt la paix, la concorde universelle...
– Comme vous y allez: universelle! Voilà qui est bien ambitieux! 



 

samedi 25 novembre 2017

La répétition


"Tout ici me laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque : il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre."

Noces, Albert Camus






– Croyez-vous que que votre récit peut être compris?

– Certainement....

– Vous laissez traîner la voix ce qui laisse à entendre quelque chose de masqué que vous ne dites pas.

– C'est bien cela. Ce qui est dit, je vous le répète me vient de plusieurs générations, mon père me l'a racontée...

– Vous nous le répétez, oui, mais l'histoire, elle, ne se répète pas...

–  Je ne puis que répéter la chose ou plutôt le récit... L'objet de notre discussion ne peut être dit entièrement. C'est pourquoi il ne se répète pas: il se représente...

– Vous voulez dire qu'il se présente à nouveau?

– Oui, et, avec un peu de patience et de curiosité, le lecteur curieux pourrait, s'il le veut, reconstituer et comprendre ce récit d'une toute autre manière que ce qui lui lui est présenté. Ce qu'il ne peut pas faire, ce à quoi il ne peut prétendre c'est de lui imposer une logique qui lui serait propre sous prétexte que ce récit n'en aurait pas...

– Pourtant, si j'en crois ce que vous me dites, il me paraîtrait normal, le moindre des savoir-vivre, que le lecteur  agisse selon la logique qui lui est propre, suivant en cela le modèle que vous prétendez ne pas lui imposer!

– C'est cela, mais dans ce que je vous disais, l'important était la deuxième partie de la phrase: il ne peut le faire "sous prétexte que ce récit n'aurait pas de logique"!

– Pourquoi cela?

– Parce que, au-delà d'une certaine logique, il existe d'autres logiques qui sont régie par des mesures parfaitement cohérentes, même si elles ne sont pas courantes.

– Je ne suis pas sûr de comprendre, mais dans le fond n'est-ce pas précisément ce que pourrait dire le lecteur qui ferait intervenir sa logique!

– Vous avez parfaitement raison... à une condition.

– Laquelle?

– Qu'il n'exclue pas ce qu'il ne comprend pas... 

De curieux liens

PS de la lettre de Pinocchio, l'Autre, adressée à Platon, l'Ancien:

Je me fais du souci pour Nounours. La dernière fois que je l'ai vu il était dans un triste état. Je ne sais comment reprendre contact avec lui. Bien que je ne puisse en être certain, il me semble, au-delà de vos différences, qu'il serait juste, conforme à vos attributions et à toute l'humanité dont je vous sais capable, que que vous vous en chargiez. Il se pourrait que la greffe de ses deux mains lui posent plus de problèmes que prévu... ce qui, vous pouvez l’imaginer, met clairement en péril le processus que nous avions imaginé...

Il existerait donc un lien entre Platon, l'Ancien, Nounours et Pinocchio, l'Autre...




– ... Sous l’influence probable du très Haut et de la voix que j'entends en moi-même, je ne fais que répéter ce que j’ai moi-même entendu, mélangé à ce que j’ai entendu de la bouche même de ceux qui avaient aussi entendu, mais point de la même manière… quand je les connais, je les cite par souci d’honnêteté…
Il m'est difficile de répéter ce que je n'ai entendu que de très loin. Je vais essayer tout-de-même. Si ma mémoire est bonne, aussi bonne que celle de mon maître... je veux dire mon vrai maître et non celui auquel j'ai longtemps cru et qui n'existait que par la toute-puissance de l'imagination de son créateur, lequel dit l'avoir mise au service de la mienne... alors si ma mémoire me le permet, je vais remonter jusqu'au moment où... je ne me souviendrai plus. Il existe une frontière, même si elle est floue, où tout s'arrête et au-delà de laquelle la mémoire, si elle existe, n'est plus rien d'autre que le néant ou de l'imagination.
Reprenons, au début il y a Platon, l'Ancien, encore enfant. D'où sort-il? Personne ne le sait. Il est un de ces enfants dont on peine à connaître les origines tant ils ne ressemblent point à leurs parents. Cette dissemblance n'est point tant une histoire d'apparence, on pourrait certes reconnaître certains détails physiques qui pourraient établir une ressemblance, mais là n'est pas le problème de Platon, l'Ancien. Il est différent parce qu'il refuse de se soumettre. Vous me direz que cela est banal! Je veux bien... Que tout est histoire de mesure... je veux bien encore. Mais justement cette mesure dépend de l'instrument qui mesure. Or le principe même de l'instrument dépend de la mesure qui va s'inscrire sur lui. Il ne pourra mesurer que ce qui se rapporte à lui. Si, par malheur, l'objet qui doit être mesurer, dépasse la mesure, alors l'instrument ne sera plus d'aucune utilité...



Tout cela pour vous dire que "l'instrument," pour des raisons que tous ignorent, était largement dépassé en ce qui concerne Platon, l'Ancien. Cela ne serait pas grave si la conséquence de cet état de fait n’eut été que le constat de l'incompétence de l'instrument de mesure. Non, l’incompétence ne peut et ne doit pas exister dans cette sorte de mesure. La mesure doit être faite et elle doit correspondre à l'instrument qui la mesure. De force, s'il le faut. Et la force, croyez-moi, "l'instrument" n'en manque pas...

L'histoire se poursuit


L'histoire se poursuit et fait des bonds que l'on ne maîtrise pas toujours comme il faudrait. Pinocchio, l'Autre, devenu un membre influent du Cercle des Miroirs Récalcitrants, s'adresse à Platon, l'Ancien.



Cher Platon l'Ancien

Pardonnez mon retard. Hier au cours de la conversation que nous avons eue, vous aviez parlé de divers points que vous souhaitiez faire apparaitre dans le texte qui eut dû paraître aujourd'hui. Je vous avoue que je ne les ai pas retenu. J'étais un peu perdu dans une certaine "euphorie"... Il me serait très utile que vous me les envoyiez par écrit sans toutefois y consacrer trop de temps. J'ai déjà commencé à retravailler mes notes, mais, comme vous pouvez vous en douter, au vu de la trop longue nuit que nous avons passé à réfléchir et argumenter, j'ai quand même un peu moins d'énergie qu'hier. Croyez-moi, si le rythme et le ton de la voix semble se marier aux couleurs de ce qui dure et s’étend, le temps, me semble-t'il, est purement un produit de l’imagination. Une forme vide dans laquelle le discours ne peut que se sentir à l’étroit.

Bien à vous
Pinocchio, l'Autre

PS:
Je me fais du souci pour Nounours. La dernière fois que je l'ai vu il était dans un triste état. Je ne sais comment reprendre contact avec lui. Bien que je ne puisse en être certain, il me semble, au-delà de vos différences, qu'il serait juste, conforme à vos attributions et à toute l'humanité dont je vous sais capable, que que vous vous en chargiez. Il se pourrait que la greffe de ses deux mains lui posent plus de problèmes que prévu... ce qui, vous pouvez l’imaginer, met clairement en péril le processus que nous avions imaginé...

vendredi 24 novembre 2017

C'est ce qui arrive

"Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs."

Noces, Albert Camus



– N'importe qui peut avoir une sorte de relation amoureuse avec le monde, et puis arrive un moment où quelque chose bloque l'histoire. Tout allait bien. Quelque chose arrive qui semblait aller de soi et qui subitement ne l'est plus du tout. La logique se détraque, plus rien ne fonctionne et pourtant beaucoup d'entre eux pensaient comme moi. Quelques-uns, aussi, se sont retrouvés devant les insondables regards noirs des profondeurs....

C'est ce qui est arrivé à Pinocchio, l'Autre.




Les vifs débats qui eurent lieu lors de la rencontre avec les Nounours ne donnèrent pas les résultats escomptés. Au lieu de faire cause communes, la dispute avait dégénéré en bataille d'ego. Au nom des mêmes valeurs qui étaient les leurs, chacun des deux camps avait délimité son propre territoire...

Le gémissement de tout un peuple



Rosencrantz

– Une existence isolée et particulière est tenue de se couvrir de
toute, la puissante armure de l’âme contre le malheur ; à plus forte raison une vie au souffle de laquelle sont suspendues et liées tant d’autres existences. Le décès d’une Majesté n’est pas la mort d’un seul : comme l’abîme, elle attire à elle ce qui est près d’elle. C’est une roue colossale fixée sur le sommet de la plus haute montagne, et dont dix mille menus morceaux, adaptés et joints, forment les rayons gigantesques : quand elle tombe, tous ces petits fragments sont, par une conséquence minime, entraînés dans sa ruine bruyante. Un roi ne rend jamais le dernier soupir que dans le gémissement de tout un peuple.

Le Roi

Équipez­-vous, je vous prie, pour ce pressant voyage; car nous voulons enchaîner cet épouvantail qui va maintenant d’un pas trop libre. 

Hamlet, William Shakespeare


En pleine réorganisation, un petit groupe s’était donné pour tâche de jeter un regard critique leurs propres actions. Faisant fi de toute autorité, ses membres se livrèrent notamment à une critique de la politique d'éducation qu’ils percevaient comme une continuation forcée de la politique d’assimilation:

– Nous ne voulons plus être de simples marionnettes. Ce que nous désirons le plus est la liberté. Cette même liberté que jusqu'ici nous chantions en sacrifiant ce que nous étions au profit de nos maîtres.

Mais au sein du groupe, la lutte faisait rage et le débat des plus ardents... L'unanimité ne régnait pas, et de très loin et, pour certains, le questionnement n'eut  pas dû dépasser une certaine limite.

Nous ne voudrions pas brandir l'épouvantail du chaos comme jusqu'ici nous l'avons été, mais, une question en entraînant une autre, l'ordre du monde, celui de notre monde, pourrait, encore une fois, se retrouver menacé... Tenons nous en à ce que l'on nous a enseigné!

– Pour nous retrouver à cette même place que nous venons de quitter... 

La nature est impitoyable, chacun le sait, et c'est ainsi que, lentement, le chemin qui eut dû être nouveau, à force d'habitude, s'est mis à ressembler étrangement à celui, bien connu, qui mène aux origines... et à la pyramide des pouvoirs. La science des uns n'est pas la force des autres et le miroir sépare des mondes qui ne s'entendent pas. Ils ont beau avoir la même image ils ne racontent pas la même histoire... Si chacun, pour un temps, avait pris ses responsabilités en leurs propres mains, il ne fallut guère longtemps pour qu'en chacun renaisse cette douceur de vivre sans responsabilité. La quiétude du savoir enseigné et la nostalgie des chefs se fit sentir. Ceux-ci n'en demandaient point tant. Ils allaient bientôt pouvoir parader comme des sauveurs... et pour le coup devenir vraiment à l'image de leurs maîtres qu'ils n'avaient nullement cessé de voir... en secret.






jeudi 23 novembre 2017

Un possible


" Un moi qui se regarde dans son propre possible n'est guère qu'à demi vrai; car, dans ce possible-là, il est bien loin encore d'être lui-même, ou ne l'est qu'à moitié. On ne peut savoir encore ce que sa nécessité décidera par la suite."

Le désespoir du possible ou le manque de nécessité, Kierkegaard


Malgré tout, au petit bonheur, ou presque, le petit monde des marionnettes échouées, par opportunité, par ennui ou même par idéal, tant bien que mal, essaie de s'organiser. Il arrive, ça et là, selon le vent qui souffle, que des discussions s'installent.

– Le monde n'a aucun sens...
– Comment pouvez-vous dire cela?

– Pourquoi ne le ferais-je point?
– N'est-ce pas là une pensée... un peu... extrême?

– Pourquoi nous serait-il interdit de cheminer, ou, au moins, les penser, dans ces zones que vous appelez "extrême"?
– Ne seriez-vous pas un "nihiliste"?

– Tout dépend de ce que vous entendez par là...
– Il me semble que vous avez cédé à la tentation de l'étrange...

– L’étrange n'est pas toujours ce que l'on croit...
– Soit que mon cerveau serait dépassé, soit qu'il ne serait pas assez développé, soit que le vôtre ne me soit incompréhensible, soit il serait corrompu... en tous cas je peine à voir ou comprendre la cohérence qui pourrait naître de vos propos.

– Vous oubliez qui nous sommes et quelle est notre nature. Peut-être oubliez-vous aussi le fait que vos propres propos qualifient tout autant le vôtre que le mien dont je certifie, à ce jour... jusqu'à ce jour, qu'il n'est point, ou plus le mien. En tous cas plus totalement le mien...

– Faites-vous allusion au fait que nous ne serions que des marionnettes?


– Pas tout-à-fait...
– Expliquez-moi!

– La réponse peut être oui, puisque c'est bien au fait que nous ne soyons que des marionnettes, sous-entendu: au service de nos maîtres, que je faisais allusion, et pourtant ce n'est plus tout-à-fait cela, puisque le simple fait de le penser et de le dire montre la possibilité que je n'en sois plus tout-à-fait une... et peut-être que vous-même...
– À moins que...

  



Ce sont là des semblants

 
HAMLET

"– Elle me semble, madame ! Non : elle est. Je ne connais pas les
semblants. Ce n’est pas seulement ce manteau noir comme l’encre, bonne mre, ni ce costume obligd’un deuil solennel, ni le souffle violent d’un soupir forc, ni le ruisseau intarissable qui inonde les yeux, ni la mine abattue du visage, ni toutes ces formes, tous ces modes, toutes ces apparences de la douleur, qui peuvent rvler ce que j’prouve. Ce sont ldes semblants, car ce sont des actions qu’un homme peut jouer ; mais j’ai en moi ce qui ne peut se feindre. Tout le reste n’est que le harnais et le vtement de la douleur."
...

HAMLET

– Eh bien ! voyez maintenant quel peu de cas vous faites de moi. Vous voulez jouer de moi, vous voulez avoir l’air de connatre mes trous, vous voulez arracher l’me de mon secret, vous voulez me faire rsonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu’au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix admirable, vous ne pouvez pas le faire parler. Sang­dieu ! croyez-­vous qu’il soit plus aisde jouer de moi que d’une flte ? Prenez-moi pour l’instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi.

Hamlet, William Shakespeare



Maintenant, Pinocchio, l'Autre, n'est plus seul. Un grand nombre de sosies s'est échoué sur la même plage que lui. Peu à peu ils ont découvert le plaisir d'être en vie mais aussi certaines difficultés... Ils doivent apprendre à vivre ensemble. Les tentations sont nombreuses.
Pinocchio, avec ses deux nouvelles mains  ne sait plus où il en est ni qui il est. Il en est sûr, il n'est  pas le prototype du héros. Cependant, jamais il ne choisirait de passer sa vie tranquillement, "comme tout le monde", une vie tranquille qui le mènera à une mort tranquille, dans son lit au terme de son âge. Avec des bonheurs et des malheurs quotidiens sur lesquels il n'a que bien peu de prise. Il peut avoir tout cela et en être content si la question :
Et après? 
... ne se présente pas, ne se pose pas...
Commence alors une démarche qui pourrait remettre tout cela en question. Une question en entraînant une autre, l'ordre du monde, son ordre du monde, pourrait se retrouver menacé...


– La quête perpétuelle de la vérité et de la justice n'est pas chose aisée... il se pourrait qu'elle ne puisse se faire qu'à l’abri de toute querelle religieuse ou politique.



mercredi 22 novembre 2017

Majorité


"Lorsqu'un certain nombre d'hommes ont, grâce au consentement de chaque individu, formé une communauté, ils ont par là même fait de cette communauté un corps, doté d'un pouvoir d'agir en tant que corps, ce qui n'est possible que par la volonté et la décision de la majorité. Car ce qui fait agir une communauté quelconque, ce ne peut être que le consentement des individus qui la composent ; et puisqu'il est nécessaire à ce qui constitue un corps de se mouvoir dans une seule direction à la fois, il est nécessaire que ce corps se meuve dans la direction où l'emporte la force la plus grande, c'est-à-dire le consentement de la majorité ; dans le cas contraire, il est impossible qu'il agisse ou qu'il continue de former un corps ou une communauté, ce que la volonté de chaque individu qui s'y était joint avait pourtant voulu qu'il soit ; ainsi, chacun est obligé, par ce consentement, de se soumettre à la majorité."

Second traité du gouvernement civil, John Locke, 1690




– Très Respectables Nounours, je vous invite à faire silence et, en préambule, sachez que ce que j'ai à vous dire n’a pas pour but de polémiquer. Il s’agit plutôt de vous faire prendre conscience des effets qu’engendrent et qu’engendreront les décisions prises récemment par cette Respectable Assemblée. Nous passons notre temps à mettre notre vie en jeu... il nous est impossible de faire autrement...
Écoutez-moi, je vous prie, rappelez-vous l’Iliade, qui précède l'Odyssée, c'est l'histoire d'Achille, le poème du héros guerrier. Il a une grande ardeur à réaliser une vie de courage beaucoup plus intense incomparable avec la vie de la plupart des hommes. C'est le héros modèle et je comprend celui qui voudrait s'identifier à lui...



Pinocchio eut dû, si l'on écoute la voix de la raison, se soumettre à la majorité évidente des nounours, mais une voix profonde  lui dictait ce qui devenait instantanément l'objet de sa propre pensée jusqu'à ce que cet objet disparaisse en produisant une énergie telle qu'elle se transformait en paroles que Pinocchio ne pouvait retenir.

– Pourquoi, d'ailleurs, l'eussé-je fait?




 

L'obscurcissement


" Entre nous, il y avait, comme je l'ai déjà dit quelque part, le lien de la mer. Outre qu'il maintenait nos cœurs ensemble pendant les longues périodes de séparation, il avait pour effet de nous rendre réciproquement tolérants des histoires racontées et même des convictions exprimées." 

Au cœur des ténèbres, Joseph Conrad





La vie de Platon, l'Ancien, un jour s'est obscurcie. Hormis lui-même, personne ne sait pourquoi. Encore faut-il relativiser quelque peu. Il sait à peu près comment, mais il ne sait pas vraiment pourquoi. En ce temps-là, se souvenant de l'autre, celui de l'obscurcissement, dont on vient de parler, Platon a pris une grande décision. Il a quitté son île... et parle avec lui-même... enfin, pas tout-à-fait.

Augure est un mot qui signifierait: le "nom animé". Ne serait-ce pas là une vraie merveille?

– Oui... mais ce n'est pas vraiment ce que j'ai appris à propos du mot augure. Pour nous qui n'avons pas votre culture, ce mot a un rapport très net avec la divination. Pratique dont on sait, ou à propos de laquelle, tout de même, tout homme raisonnable et raisonné, sait qu'il s'agit plutôt de croyance et non de sciences.









mardi 21 novembre 2017


" Tel j'étais moi-même dans cette foule épaisse,
tournant mes regards ici et là;
ainsi, en me promettant, je me dégageais d'elle."

La divine comédie, Le purgatoire, Dante










Entre-deux

" Car n'allez pas croire que j'écris pour être publié. ni que j'écrive pour écrire, ni même pour faire de l'art. J'écris parce que c'est là le but ultime, le raffinement suprême, viscéralement illogique, de mon art de cultiver les états d'âme."

Le livre de l'intranquillité, Fernando Pessoa


– Il a toujours un intervalle entre deux... 
– ... mais entre deux quoi?
– Entre-deux, c'est tout...
– Votre phrase ne tient pas debout!
– Il est plusieurs façons de se tenir debout...
– Cela. je le vois bien, mais pour ce qui est de l'entre deux, je ne le vois pas...
– C'est parfaitement compréhensible.
– À quoi faites-vous référence?
– Au fait que vous ne voyez pas l'entre-deux...
– Pourquoi cela?
– Parce que c'est précisément ce qu'est, en partie, l'entre-deux. Il arrive souvent qu'il soit invisible.
– Vous avez dit: en partie, quelle serait l'autre ou les autres parties?