mardi 30 avril 2024

Porte étroite

“La position du prophète est aujourd'hui particulièrement incommode et les rares qui essaient de l'assumer semblent souvent manquer de toute légitimité. Le prophète s'adresse, en effet, aux ténèbres de son temps, mais, pour ce faire, il doit se laisser investir par celles-ci et ne peut prétendre conserver intacte -par on ne sait quel don ou vertu- sa lucidité. Jérémie, au Seigneur qui l'appelle, ne répond que par un babillage: «Ah, ah, ah» - et ajoute immédiatement: «voici, je ne sais pas parler, je suis un enfant».”
Giorgio Agamben, Quand la maison brûle, Rivages, p. 39
 
 
 



Pour la première fois de sa vie, Julius, malgré le fait, évident pour nous, qu’une image se formait dans l’ombre de sa lanterne, n’arrivait pas à la distinguer très nettement. En cherchant à décrire et à expliquer ce qu’il avait sous les yeux, il en arrivait à formuler une hypothèse obscure et hautement spéculative:
... chaque présence possède en elle-même une sorte de lumière qui, à son tour et sans le vouloir, fait de l’ombre à ce qui se présente...
Joignant le geste à la pensée, il hisse la lanterne au niveau de son regard et se met avec force, vigueur et sagesse à observer la beauté du phénomène.  
Il repense alors à cet homme, un marin sans doute, un sac sur l’épaule, qu’il avait vu débarquer sur un ponton au milieu de nulle part. Pourquoi pensait-il à lui? Il ne sait mais croit l’entendre:
– Après que vous cessiez de rêver de voyages, une certaine sorte d’impulsion continue encore pendant longtemps à se conformer au déroulement ludique de votre pensée. Et il arrive souvent que celle-ci finisse par envahir totalement votre réalité et finisse par forcer la porte étroite que vous vous efforcez de fermer...