jeudi 29 février 2024

Souvenir

 


 
« Si j'écrivais l'histoire comme on écrit communément l'histoire, ou comme chacun se raconte à soi-même son histoire, c'est-à-dire en notant seulement les moments les plus glorieux pour en faire une ligne continue imaginaire, je laisserais dans l'ombre ces petits détails, et je dirais que les huit tambours de nos cœurs résonnaient du matin au soir et du soir au matin sous les baguettes d'un même désir - ou quelque mensonge de ce genre.
Mais le feu qui chauffe les désirs et qui éclaire les pensées ne durait jamais plus de quelques secondes consécutives; le reste du temps, on tâchait de s'en souvenir.»

René Daumal. Le Mont Analogue, Allia, pages 75-76




Ulysse, plongé dans une introspection profonde, sans comprendre vraiment ce qui lui est advenu, entame la rédaction enfin, juste l'introduction de son projet de recherche sur les nuages de l'esprit.
 
– Mes pensées voguent à travers les méandres de mon cerveau, mais aucun nuage ne vient les obscurcir. Serait-ce une feinte ou un tour de passe-passe, un artifice ou… un stratagème? Pas le moindre nuage dans ce ciel mental, juste une clarté indécente, un ordre dénué de toute turbulence. Étrange paradoxe, où l'absence semble être l'occasion d'une apparition dénuée de lien ou d'obéissance à de quelconques lois physiques ou morales. Cette vacuité, loin d'être un vide, offre la promesse d'une manifestation imprévisible, où la raison s'efface devant l'imagination. Je me demande alors si cette absence même ne serait pas le commencement d'une nouvelle forme de créativité, libérée des contraintes habituelles. Peut-être que dans ce néant apparent se cachent des formes de pensée insoupçonnées, prêtes à surgir sans préavis, défiant toute logique préétablie. La question se pose d'elle-même: quelles étranges créatures habiteront cet espace dépourvu de nuages?  Leur arrivée est-elle imminente? Incertaine. Leur provenance reste-t'elle une énigme?

 

mercredi 28 février 2024

Duplicité

 
« L’art de guérir, chez les Anciens, se basait en grande partie sur les plantes médicinales. Celles-ci ont été reléguées à l'arrière plan, ces derniers siècles, par les progrès de la Chimie analytique et synthétique et de la pharmacologie qui s'y associa étroitement. Mais l'intérêt de la science officielle s'est, plus récemment, retourné vers ces plantes, grâce à la découverte des antibiotiques et des propriétés, inconnues jusqu'alors, de « drogues » aux effets puissants, tels que l'Aubépine, le bois de réglisse, l'Ammi visnaga, la Rauwolfia.
(…)
Néanmoins, on peut parler d'une résurrection de la Phytothérapie, depuis que la Science spirituelle moderne (Anthroposophie), élargissant l'art de guérir, a décelé des communautés de nature entre la plante et l'homme. Une Phytothérapie de cette sorte peut être qualifiée de rationnelle au vrai sens de ce mot, car on pose à sa base une conception de l'homme et du monde végétal qui permet de les raccorder avec exactitude l'un à l'autre. Il devient possible alors à notre connaissance de projeter l'homme dans le monde végétal et la plante dans l'être humain.
»

Wilhelm Pelikan, L’homme et les plantes médicinales, Triades, page 13
 
 
 

 
 
 
Ulysse ne sait si c'est lui ou la Confrérie qui lui donné ce nom. Il sait qu'il avait un autre nom, mais ne s'en souvient plus.
– Ce ne devait être qu'un jeu mais cela ne l'a pas été... C'était un peu extrême j'eus dû demander de plus amples informations sur la tâche qui m'avait été assignée...
– Sans doute avais-je un idéal très élevé... trop peut-être...
Une voix lui répond. Il eu dû être surpris, mais il ne l'est pas. C'était comme s'il avait deux voix. Un peu comme nous dialoguons avec nous-même dans le secret de nos pensées.  
– Suis-je trop confiant? demande l'autre voix.
– On ne peut pas dire le contraire...
– Cela donne matière à réfléchir...
– Avez-vous remarqué combien, dans le fond nous nous ressemblons?
– C'est là où je voulais en venir. Toute la duplicité et la trahison de nos soi-disant frères... 
– C'est bien de cela qu'il est question...


mardi 27 février 2024

Nuages

 

« Tout ce qu'on voit encore se développer dans les airs et naître au-dessus de nous, tout ce qui se forme dans les nuages, tout enfin, neige, vents, grêle, gelées, et le gel si puissant qui durcit le cours des eaux et ralentit ou arrête çà et là la marche des fleuves, tout cela peut aisément s'expliquer, ton esprit n'éprouvera aucune peine à en comprendre les causes et à en pénétrer le secret, du moment que tu connais bien les propriétés des atomes.»

Lucrèce 

 

 

Cent-trente-sixième rapport rédigé dans le petit cahier bleu dans lequel Ulysse montre combien il est fasciné par le jeu de lumières sur l'Archipel. Mais, de manière non volontaire, il donne quelques signes qui montrent comment, légèrement, lentement, il perd pied et que peu à peu certains souvenirs reprennent corps à son insu...
 
– Les nuages, ces éthérés émissaires du ciel, déployaient leur ballet infini dans la vaste toile azurée qui recouvrait l'horizon. Leur danse, une chorégraphie céleste ininterrompue, façonnait le panorama céleste avec une majesté enchanteresse.
Au lever du jour, de timides nuages matinaux émergeaient à l'horizon, peignant le ciel de teintes pastel. Ils s'étiraient doucement, comme des voiles se déployant lentement, éveillant le monde à la lueur naissante du soleil. Des nuances délicates de rose et d'orange s'étiraient à travers leur texture cotonneuse, créant une palette éphémère qui évoquait l'aube d'une journée nouvelle.
Au fil des heures, les nuages prenaient de l'ampleur, s'agglomérant en formations majestueuses qui évoluaient constamment. Des bancs de cirrus, comme des plumes blanches légères, tricotaient des arabesques délicates dans le ciel, tandis que des cumulus, semblables à des montagnes de coton, se formaient en amas imposants, jouant avec la lumière du soleil qui filtrait à travers leurs contours.
L'après-midi apportait une transformation, les nuages prenant une teinte plus intense, reflétant les nuances chaudes du crépuscule imminent. Des stratocumulus se déployaient en une mer ondulante, projetant des ombres douces sur la terre. Les nuées élevées de lenticulaires, sculptées par les vents d'altitude, planaient comme des vaisseaux cosmiques, créant des jeux de lumière et d'ombre sur le paysage.
Souvent, le coucher du soleil était la pièce maîtresse de ce spectacle aérien. Les nuages prenaient alors des teintes embrasées, se parant d'or, de rose et de pourpre, comme des joyaux suspendus dans la voûte céleste. Leurs contours se profilaient avec une netteté particulière contre le ciel enflammé, créant une toile vivante et éphémère qui captivait les regards.
Enfin, à la tombée de la nuit, les nuages devenaient les toiles sur lesquelles les étoiles traçaient leur chemin lumineux. Des cirrostratus, semblables à des voiles diaphanes, encadraient la lueur argentée de la lune, ajoutant une note de mystère à l'obscurité grandissante.
Ainsi, le ballet incessant des nuages était une symphonie en perpétuel mouvement, tissant des histoires changeantes dans le ciel infini.
 
 

lundi 26 février 2024

Visible

 

« Quelquefois, quand le fil multicolore des heures ralentit son vertigineux déroulement, et qu'en la vivante solitude fait halte un instant la course futile que d'autres nomment la vie, j'ai écouté la querelle de mes âmes. À leurs voix souvent se mêlent celles des penseurs qu'elles aiment, voix qui déconcertent les unes et éveillent les autres encore somnolentes. Et j'ai essayé de traduire en paroles humaines la langue riche et sonore, bien connue de tous ceux qui savent l'écouter au fond d'eux-mêmes.»

Alice Berthet, Dialogues intérieurs, page 112
 
 
 
Au fond lui-même, comme tant d’autres avant lui, Ulysse entend des voix, mais sa particularité est que ces voix lui apparaissent comme des entités visibles. Pleines d’une vitalité débordante, par des biais qui n’appartiennent qu’à elles, sous une forme ou sous une autre, elles, volontairement rebelles, se croisent, virevoltent et disparaissent sans cesse…




samedi 24 février 2024

Mine

 
« La noblesse d'une langue dépend-elle précisément du nombre des syllabes et de l'enflure des paroles? Est-on de plus belle taille pour être monté sur des échasses? A-t-on meilleure mine quand on a le visage bouffi?»
 

 
Pinocchio, l'Autre, danse au-dessus des flammes de son théâtre. Il aime cette douce chaleur et en ignore la dangerosité... tout comme il aime parler, disant la moindre des choses lui passant par la tête, en ignorant combien, selon les circonstances, il peut être dangereux de le faire... En tous cas il ignore combien il peut être manipulé... et peut-être ignore-t'il complètement ce qu'il est, au-delà de ce qu'il répète, comme ses amis les perroquets... Il lui arrive de converser avec eux, même en leur absence...
– Croyez-vous que nos lecteurs soient naïfs?
– Nous n'avons pas vraiment de lecteurs...
– Alors... croyez-vous que les lecteurs de notre maître soient naïfs?
– Vous le seriez vous-même si vous croyez cela…
– En ce qui me concerne il n’y a pas de mal à le dire… tant je trouve difficile de comprendre l’entier de ce qu’il me dit… Tout juste puis-je répéter mot-à-mot ce qu’il me dit… et encore… Il m’arrive de me tromper ou d’être trompé par ma mémoire!
– Cette constatation ne doit pas occulter que malgré la difficulté à saisir son œuvre, il n’y a rien de naïf au delà des apparences à condition, en premier lieu, de fournir à son écoute ou à sa lecture, une certaine qualification…*



* Ce dialogue est une variation de: Raymond Abellio, L’Herne, avant-propos de Jean-Pierre Lombard

vendredi 23 février 2024

Principes


« Aussi longtemps que l'homme ne s'égalera pas à cette vérité, il ne comprendra pas ce discours», dit maître Eckhart.
 

Les deux premiers principes des ânes arboricoles, ne pas descendre de l’arbre et ne pas manger des herbes poussant à ses pieds, avaient été allègrement transgressés en même temps. C'était beaucoup pour un seul âne. Mais la seule chose qui lui importait c'était de trouver encore de cette herbe qui, dès ce moment, il ne s’en doutait point, allait le rendre prisonnier…

jeudi 22 février 2024

Organisme volant

 
« Nous en sommes tous là. Il semble que vers l'âge de l'adolescence, la vie intérieure du jeune être humain se trouve soudain aveulie, châtrée de son courage naturel. Sa pensée n'ose plus affronter la réalité ou le mystère en face, directement; elle se met à les regarder à travers les opinions des "grands", à travers les livres et les cours des professeurs. Il y a pourtant là une voix qui n'est pas tout à fait tuée, qui crie parfois, - chaque fois qu'elle le peut, chaque fois qu'un cahot de l'existence desserre le bâillon, - qui crie son interrogation, mais nous l’étouffons aussitôt.»

René Daumal, Le Mont Analogue, Allia, p.32



L'organisme volant et lumineux, dont l’apparence et les courts-circuits de mon cerveau avaient fait que je le prenais pour une luciole vint se poser à mes pieds. 


Interdits


« Les hommes-creux habitent dans la pierre, ils y circulent comme des cavernes voyageuses. Dans la glace ils se promènent comme des bulles en forme d'hommes. Mais dans l'air ils ne s'aventurent, car le vent les emporterait.
Ils ont des maisons dans la pierre, dont les murs sont faits de trous, et des tentes dans la glace, dont la toile est faite de bulles. Le jour ils restent dans la pierre, et la nuit errent dans la glace, où ils dansent à la pleine lune. Mais ne voient jamais le soleil, autrement ils éclateraient.»

René Daumal, Le Mont Analogue, Allia, p.88




Pendant que j'essayais de replanter la feuille, la vie continuait sur l'arbre que je ne voyais plus. Sur cet arbre vivaient toute une population d'ânes arboricoles dont j'apprendrais plus tard que, mis à part les règles fluctuantes inhérentes à toutes sociétés, trois interdits de base constituent le fondement de l'éducation des ânes arboricoles.
Le premier est de ne pas descendre de l'arbre sur lequel ils sont nés. Le deuxième est la défense absolue de toucher aux herbes qui poussent au pied de l'arbre. Le troisième interdit est si puissant qu'il ne peut être révélé sans danger.


mercredi 21 février 2024

 

 



 

Ni de loin...


« Pour les philosophes de la Renaissance, la vérité de la folie ne faisait qu'une avec celle de la raison. Devons-nous de nouveau définir l'imagination en fonction de la raison, de l'ordre, de l'unité, ou chercher une vérité qui n'appartienne qu'à elle ? Le XVIIème siècle reste encore prisonnier de cette démarche définitionnelle, même si Spinoza ou Malebranche consacrent à l'imagination des parties entières de leurs ouvrages. On étudie l'imagination, mais on l'encercle pour mieux l'éloigner du reste des facultés. On la définit pour mieux s'insurger contre elle, la juger inadéquate, dangereuse, l'associer à la superstition et comparer sa dynamique à un pouvoir de contagion.»

Cynthia Fleury, Métaphysique de l’imagination, folio essai,, page 47






 
– Êtes-vous philosophe?
– Vous me demandez donc, Monsieur, quel rapport je pourrais avoir avec la philosophie… Laissez moi réfléchir… Il y a parmi les gens de ce monde quelque intervalle que le genre de leurs facultés ne comble point… Ainsi je vous répondrai sans vouloir vous froisser: Ni de loin… ni de près?
– De près… je comprends votre réticence… mais de loin?
– D’abord, si je puis me permettre, votre question est mal posée…
– Je vous serais fort reconnaissant de bien vouloir m’en donner la raison et comment la reposer…
– Vous avez, dans votre question, posé d’emblée une ambiguïté…
– Laquelle?
– Quand vous parliez de philosophe, parliez-vous du fait d’être un philosophe, un être qualifié par ses pairs ou des diplômes, ou du fait d’avoir, entre autres, de l’intérêt pour la philosophie…
– Peut-être un peu des deux… je ne réfléchissais pas si loin… et si puis me permettre… il me semble… que votre réponse montre clairement ce qu’elle ne dit pas…
– Il est, je vous le concède, un point sur lequel nous pourrions avoir une sorte d’accord … Nous pourrions, vous et moi, nous mettre d’accord sur le terme d’ «observateur »…
– Nous voilà d’accord! Observateurs des esprits, du cœur et de soi-même…
– Ou alors « Curieux de nature »…
– Cette fois… c’est vous qui donnez à l’ambiguïté l’occasion de prendre place…


mardi 20 février 2024

D'autres sphères

 

« La cadence infernale de ce progrès a engendré la conviction d'une science omnipotente... et en outre a jeté dans l'arène de la consommation intellectuelle une masse brute d'idées, de postulats et de suppositions que l'on pourrait tout simplement présenter comme des mythes de l’âge moderne, s'il n'existait chez certaines personnes la certitude délirante que tout cela est véritablement réalisable: des machines pensantes, de la vie artificielle.»


Yvonne Howell

 


À des kilomètres de là, Ulysse savait que l’expédition serait fort longue et pleine de dangers, mais jamais il n'avait imaginé que que plusieurs années se passeraient jusqu'à ce qu'il puisse retourner en cet endroit à qui il avait appartenu et qu'il considérait comme sien. Il croyait pouvoir y être à nouveau chez lui. Mais cet endroit, aussi familier autrefois, depuis le temps, s'était transformé en un ailleurs qu'il ne pouvait connaître...

À l'endroit du monde où, malgré un nombre croissant de doutes, se déroule cette histoire fort nombreux étaient les ânes arboricoles que jamais il ne reverra et dont il dira avec, semble-t'il, quelques regrets...

– Tout juste avons-nous eu quelques croisement de regards qui n'en dirent pas long... à propos d'autres sphères imaginaires de la connaissance... 

 

 

lundi 19 février 2024

Dérive


« Il convient pourtant de faire preuve de précaution quant à l'analyse de ces ouvrages. Comme le note Sarga Moussa, «le voyageur possède avec l'historien, au sens où l'entendait Hérodote, la vocation de témoigner.» Or, un témoin se veut être le plus crédible possible afin de donner une vision d'un «ailleurs» aussi réel que lui-même le voit. Afin de paraître objectif, il n'est alors pas rare de voir des termes tels que «j'ai vu... j'ai entendu...» comme on le retrouve une multitude de fois dans les récits de Park et Mollien. Pourtant, il faut savoir que les explorateurs que nous étudions portent avec eux des connaissances, que certains qualifient même de «bibliothèque». Ils répandent un savoir qui «oriente et configure, en fonction de leur propre culture, ce qu'ils croient être une perception directe de la réalité». Il sont donc, en tant que témoins, des interprètes de ce qu'ils voient, observent et entendent. En conséquence, l'analyse du récit de voyage est à manier avec précautions.»

Gauthier Julien, Les explorateurs en Afrique au début du XIXe siècle

 
 
 C’est ainsi que dans un premier temps Ulysse, se voulant crédible et objectif dans ses rapports, réussit à se persuader que le monde qu’il avait découvert et dont il portait témoignage pouvait correspondre avec le sien. Il vivait son voyage avec une ingénue obstination. Rien ne lui faisait prendre conscience de sa propre dérive…



dimanche 18 février 2024

Force et vigueur

« Le territoire cherché doit pouvoir exister en une région quelconque de la surface de la planète; il faut donc étudier sous quelles conditions il se trouve être inaccessible, non seulement aux navires, avions ou autres véhicules, mais même au regard. Je veux dire qu'il pourrait très bien, théoriquement, exister au milieu de cette table, sans que nous en ayons la moindre notion.»

René Daumal, Le Mont Analogue, Allia, page 54
 
 
 
 
 Quiconque, croyant déjouer les normes du langage, se met à jouer avec, lui redonne force et vigueur… tout ce qu’il avait perdu… Ulysse, à son tour, ne sachant point démêler le vrai du faux, sans savoir où il se trouve et donc se croyant perdu, est pris au piège… Sans le savoir, en des mouvements infinis, il joue et rejoue sans cesse ce qui sans lui ne serait point…





samedi 17 février 2024

Théâtre

 

 

 


Aujourd’hui encore je ne sais comment je suis arrivé sur l’Archipel. Il en est de même pour ce théâtre dont je ne sais s’il se trouve sur l’Archipel où si l’Archipel se trouve dans le théâtre. Toutes mes hypothèses se heurtent à la logique… Je n'avais pas réalisé  qu'il pouvait y avoir une présence. J'avais aperçu les arbustes dont j'ai déjà parlé et puis ils ont disparus sans que j'en saisisse la raison ni même la cause. Sans que je n'en retrouve la moindre trace... Et puis brusquement sans aucune raison je les retrouvais ailleurs où à la même place sans que je puisse aucunement y trouver quelque explication rationnelle.


vendredi 16 février 2024

Retournement

«  Je fouillai en silence mes souvenirs, des souvenirs profonds où les mots ne s'étaient pas encore mis. Et je dis, difficilement:
- Oui. Vers l'âge de six ans, j'avais entendu parler de mouches qui piquent les gens pendant leur sommeil; quelqu'un avait fait cette plaisanterie que "quand on se réveille on est mort". Cette phrase m'obsédait. Le soir, dans mon lit, la lumière éteinte, j'essayais de me représenter la mort, le "plus rien du tout"; je supprimais en imagination tout ce qui faisait le décor de ma vie et j'étais serré dans des cercles de plus en plus étroits d'angoisse: il n'y aura plus "moi"... moi, qu'est-ce que c'est, moi? - je n'arrivais pas à le saisir, "moi" me glissait de la pensée comme un poisson des mains d'un aveugle, je ne pouvais plus dormir. Pendant trois ans, ces nuits d'interrogation dans le noir revinrent plus ou moins fréquemment. Puis, une certaine nuit, une idée merveilleuse m'est venue: au lieu de subir cette angoisse, tâcher de l'observer, de voir où elle est, ce qu'elle est. Je vis alors qu'elle était liée à une crispation de quelque chose dans le ventre, et un peu sous les côtes, et aussi dans la gorge; je me rappelai que j'étais sujet à des angines; je m'efforçai de me relâcher, de détendre mon ventre. L'angoisse disparut.
J'essayai de penser encore, dans cet état, à la mort, et cette fois, au lieu d'être saisi par la griffe de l'angoisse, je fus envahi d'un sentiment tout nouveau, auquel je ne connaissais pas de nom, qui tenait du mystère et de l'espérance...
- Et puis vous avez grandi, vous avez étudié, et vous avez commencé à philosopher, n'est-ce pas? Nous en sommes tous là. Il semble que vers l'âge de l'adolescence, la vie intérieure du jeune être humain se trouve soudain aveulie, châtrée de son courage naturel. Sa pensée n'ose plus affronter la réalité ou le mystère en face, directement; elle se met à les regarder à travers les opinions des "grands", à travers les livres et les cours des professeurs. Il y a pourtant là une voix qui n'est pas tout à fait tuée, qui crie parfois, - chaque fois qu'elle le peut, chaque fois qu'un cahot de l'existence desserre le bâillon, -qui crie son interrogation, mais nous l'étouffons aussitôt. Ainsi, nous nous comprenons déjà un peu. Je puis vous dire, donc, que j'ai peur de la mort. Non pas de ce qu'on imagine de la mort, car cette peur est elle-même imaginaire. Non pas de ma mort dont la date sera consignée dans les registres de l'état civil. Mais de cette mort que je subis à chaque instant, de la mort de cette voix qui, du fond de mon enfance, à moi aussi, inter-roge: "Que suis-je?" et que tout, en nous et autour de nous, semble agencé pour étouffer encore et toujours. Quand cette voix ne parle pas - et elle ne parle pas souvent! -je suis une carcasse vide, un cadavre agité. J'ai peur qu'un jour elle ne se taise à jamais; ou qu'elle ne se réveille trop tard- comme dans votre histoire de mouches: quand on se réveille, on est mort.
"Et voilà! fit-il, presque violemment. Je vous ai dit l'essentiel. Tout le reste, ce sont des détails. Depuis des années, j'attends de pouvoir dire cela à quelqu'un."»
 


J'étais arrivé au bout de quelque chose que je n'arrivais pas à envisager. C'était un peu ce qui correspondait à l'idée de ce que j'avais du désespoir. J'allais faire le grand saut dans le vide, quand un léger vrombissement attira mon attention et me fit un peu peur, je l'avoue. Ce qui était un vrai paradoxe, au vu de la situation où je m'étais mis. Sans que je l'aie décidé le moins du monde, sans la moindre pensée, d'un seul coup je me retournais. Tout me parut différent… non seulement ce qui était derrière était maintenant devant, ce que chacun comprend, mais aussi et surtout ma vision du monde s’était retournée… Tout me parut différent… Mon questionnement aussi, tout autant que les mots qui le formaient, avait changé…





jeudi 15 février 2024

Plus tôt

 


– Croyez-vous que notre maître prendrait le risque de venir dans notre monde?
–  La véritable question serait plutôt de savoir quel risque pourrait-il y avoir…
– En tous cas, si risque il y a, il ne serait point comparable à ceux qui nous guettent dans le sien…
– Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
– Je ne fais que répéter ce qu’il m’a dit.
– Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt?


mercredi 14 février 2024

Doute


 « Ici c’est un mur de langage qui s’oppose à la parole, et les précautions contre le verbalisme qui sont un thème du discours de l’homme "normal" de notre culture, ne font qu’en renforcer l’épaisseur.»

Jacques Lacan





 – Douteriez vous de la véracité de ses propos?
– Il me semble que tout cela ressemble fort à une mise en scène
– Je crois simplement que vous doutez parce que vous croyez son récit possible
– Que voulez-vous insinuer?
– Je n'insinue rien... je constate que vous vous étonnez de le voir sur scène alors qu'il n'y a aucun doute qu'il est sur scène... Où voulez-vous qu'il soit? Il raconte ce qu'il a vécu... Il ne le vit pas, mais il raconte avec suffisamment d'authenticité, avec une indiscutable présence, pour que nous entendions plus qu'il ne dit et c'est cela qui vous fait douter... Rassurez-vous ce n'est qu'un récit et ce que vous voyez n'est pas son fait...
– De qui est-il?
– Ce que vous voyez est dépendant de votre imagination qui elle-même est plus ou moins soumise aux mots qu'il prononce...


 


– De l'aveu même de ceux qui nous apportent ses indicibles messages, les plus beaux vers ne sont qu'un faible écho des harmonies qu'ils ont perçues.
– Qui dit cela?
– Je ne sais pas.
– Comment connaissez-vous ces mots?
– J'ai dû les entendre...
– Vous ne vous souvenez plus comment, mais vous vous souvenez des mots...
– N'est-ce pas là l'essentiel? 
– Je n'en suis pas sûr...
– Expliquez-moi cela!
– Ce ne sont point les mots, ni même leur agencement qui importe, mais l'effet qu'ils produisent...
– N'est-ce un peu confus... et même douteux... comme affirmation?
– On peut dire cela, mais cela ne change rien à l'histoire. Chacun sait, ou devrait savoir que le même phénomène produit des effets différents puisque les gens sont tous différents...
– Et alors... il me semble que vous tombez dans votre propre piège... si chacun est différent, que les effets produits sont différents, alors les mots sont presque aléatoires tant ils peuvent être perçus comme différent.
– C'est là qu'est le miracle. Il est des paroles qui malgré tout cela suscite dans l'esprit de la majorité, je ne dis pas tout le monde, mais la majorité qui comprenne le sens... je dis bien le sens car le sens, ici, n'est pas dans les mots...
– Où se trouve-t'il?
– Il se trouve dans ces échos que certains entendent et ce qu'ils peuvent susciter...
– C'est votre avis?
– Vous dites cela comme si c'était une limitation.
– C'en est une... en effet.
– Vous avez tort... Si ce n'est qu'un avis, l'effet produit par les mots qui ont suscités cette conversation est resté le même. Au delà de mon avis... et du vôtre...
 
 
 
 
...

mardi 13 février 2024

Explorateur


« Ce que le travail anthropologique veut dire.
En quoi consiste le travail de l'anthropologue ? Comment peut-on le représenter? L'anthropologue «possède» en tout premier lieu un terrain qu'il s'est choisi pour des raisons aussi bien scientifiques que personnelles, où il va séjourner un certain nombre de mois ou d'années. Sur le terrain, il fait l'apprentissage d'une culture, d'un mode de pensée, il interagit avec des femmes et des hommes, fait des découvertes, expérimente des erreurs, recueille des données, élabore des premières synthèses, formule des hypothèses. Au terme de son travail sur le terrain, il revient chez lui avec divers « objets » prêts à être pensés et traités au moyen de concepts, de mots techniques et de modèles théoriques dans le cadre d'un texte monographique. Bref, au temps du terrain succède le temps de l'écriture, la finalité du travail de l'anthropologue étant en effet de fournir un texte élaboré à travers lequel il communique à un lecteur potentiel, généralement un collègue (mais pas seulement), son expérience de l'expérience des membres de la société dans laquelle il a vécu. Voilà comment peut être schématisée l'activité de l'anthropologue.» 

Mondher Kilani
Du terrain au texte
Sur l'écriture de l'anthropologie
 
 


– Ne dirait-on pas que nous sommes sur une scène de théâtre?
– Si l'on en croit les cahiers d'Ulysse, il savait que quelque chose n'allait sur cet Archipel... Écoutez ce qu'il écrivait...
– Non...non...il y a mieux à faire... Vous qui vouliez savoir ce que faisait Ulysse dans l'Archipel, demandez le lui! Il est là
– Dites-nous Ulysse, puisque tel est votre nom, comment vous êtes arrivé sur ces îles, ce que vous y fîtes et comment s'est passé votre retour?
– J'ai su très vite, presque dès mon arrivée sur l’Archipel que quelque chose n’allait pas… J'avais un peu l'impression d'être un explorateur... mais je n'en avais nullement les rudiments. Tout me paraissait étrange… ce qui précisément n’eut pas dû m’étonner puisque j’arrivais sur un territoire qui m’était inconnu. Aussi inconnu que les moyens matériels qui me transportèrent jusque là-bas. De plus la mission que l’on m’avait confié manquait de précision. Il me fallait observer avec précision la forme, la couleur et la lumière des nuages de même que l’influence qu’elles pourraient avoir sur une mystérieuse maladie dont je ne connaissais rien, si ce n’est le nom provisoire d’aniome stellaire, Rosaluce ou je ne sais plus quelle autre appellation, maladie à propos de laquelle on m’avait promis de m’envoyer des renseignements. Renseignements que je n’ai jamais reçu et dont aujourd’hui je doute qu’ils puissent exister. Pourquoi avais-je été choisi pour cette mission? Je n’en sais rien. Peut-être avait-on supposé en Haut lieu que j’étais porteur d’une hypothétique et mystérieuse maladie dont ils semblaient redouter les effets. Sur cet Archipel il n’y avait presque rien. Mis à part des rochers de toutes formes, structures et couleurs, presque rien n’y poussait. La végétation se limitait à de très maigres plantes et surtout à une infinité de mousses aux couleurs diverses bataillant avec celles des roches qu’elles envahissaient…


 
 
 
 
 

lundi 12 février 2024

Incomplet

 
« La vraie vie, pour lui, c'est la connaissance de plus en plus pénétrante, c'est une aspiration entrainant, de l'être, des éléments de plus en plus nombreux. L'âme s'harmonise et s'assainit à mesure que la fonction de connaissance y devient dominante; elle entraine le corps qui voudrait lui faire mener une vie pour laquelle elle n'est point faite; puis, lorsqu'elle est bien organisée, elle cherche la Justice.
Une Idée qui cesserait d'être désirée et aimée ne serait plus Idée, de même qu'une âme qui ne chercherait plus l'Idée ne serait plus une âme. Âme et Idée ne peuvent se dissocier l'une de l'autre. Ce n'est que de leur corrélation telle qu'elle est vécue dans l'expérience philosophique que les deux termes reçoivent leur sens plein.
Quant au sort de l'homme, c'est-à-dire à l'aventure que vit l'âme dans le monde, cela, c'est de l'ordre du mythe.
C'est le mythe qui rétablit l'unité entre la vie et la pensée, irréalisable ici-bas, puisque l'âme contemplatrice des Idées n'a nullement besoin du monde, tandis que l'homme ne peut exister en dehors du monde. Le monde est nécessaire pour donner à l'homme la plénitude de son être et de sa signification: idée qui sera développée et achevée par Aristote, tandis que le thème de l'âme sera repris dans le néo-platonisme et chez saint Augustin. Les deux thèmes conjugués détermineront toute l'ambiance philosophique du moyen âge.
Aristote est le premier à situer l'homme dans le monde et par rapport au monde, le monde étant un tout bien organisé où l'homme tient sa place. Il ne s'agit plus ici de l'homme platonicien dépouillé, transformé par l'activité philosophique, être vivant subordonné à l'âme qui pense et qui cherche. Voici l'homme normal, tel qu'il est par nature et dans la nature, déterminé par tout un ensemble de relations; il fait partie d'un système donné de moyens et de fins sans lequel il ne peut se comprendre et qui est incomplet sans lui.»

L’homme et le monde dans les philosophies anciennes Marie Delcourt



 
– Est-ce que vous pensez qu'Ulysse soit un homme normal?
– Je ne sais ce que vous mettez derrière cette appellation... mais il me semble que le terme d'explorateur conviendrait mieux...
– Cependant... si j’ose insister... je ne crois pas un instant que cet Archipel puisse exister "en nature"...
– Je ne sais jusqu'à quel point cette nature pourrait être un horizon indépassable... comme le disait notre maître...
– Que voulez-vous dire par là?
– Je crois que cet endroit existe de la même manière que nous existons... et qu'existent toutes ces notes qu'Ulysse a écrit.
– Comment pouvez-vous... pourrions-nous, être sûr que c'est bien lui l'auteur de ces notes? Et en plus, il me semble, si l'on en croit la numérotation, que ces écrits ont incomplets...
– Il en va de même pour toutes choses de notre vie... Rien n'est absolument certain... ni complet... à moins que... 
– À moins que?
– Il suffirait pour cela de devenir ce que nous ne sommes point.
– Vous recommencez avec vos mystères...
– Ce ne sont pas uniquement les miens, je vous rappelle que je ne fais que répéter ce que l'on me dit de dire.
– Je suis de plus en plus sûr que vous en rajoutez...
– J'en serais bienheureux... mais là n'est pas entièrement la question.
– Et la question est?
– Que fait Ulysse dans cet Archipel dont nous ne connaissons même pas le nom?








dimanche 11 février 2024

Notre monde


« Selon le baron Jacob von Uexküll (1864-1944), chaque espèce animale vit dans un " monde à elle " (Umwelt) lié à son système perceptif. On ne perçoit pas le même monde selon que l'on a l'odorat du chien, la vision de l'aigle, qu'on perçoit les ultrasons comme la chauve-souris, que l'on voit les couleurs ultraviolettes comme beaucoup d'insectes. Même placés dans un milieu identique, la mouche, le chien et l'homme ne perçoivent pas le même univers.»

 
 

 
– Qu'en était-il du monde des ânes arboricoles? Était-il le fruit de l'imagination d'Ulysse ou de celle de quelqu'un d'autre?
– Sans doute ne le saurons-nous jamais...
– Notre monde n’est pas le leur…
– Pourtant… il se pourrait qu’ils en fassent partie… et puis… de quel monde parlez-vous quand vous dites notre monde? 
– Je crois que vous prenez plaisir à compliquer les choses!
– Je ne suis pas sûr que ce que vous croyez être simple le soit tant que cela… Selon notre maître rien ne serait totalement isolé et indépendant.
– En tous cas nous sommes dépendants de son monde…
– Cela ne fait aucun doute… mais l’homme est-il le seul à avoir un monde?




samedi 10 février 2024

Mission

 
 
 
 

 
Dans un de ses feuillets séparés consacré à la genèse de son histoire, il est écrit que l'on ne devrait pas considérer son histoire comme faisant part d'un domaine séparé, mais comme une branche de l'histoire sociale. Certes le mouvement dont il faisait partie était une sorte d'institution particulière et secrète, quoique connue. Mais les idées et les agissements de ce mouvement peuvent et doivent être analysés exactement de la même manière que l'histoire d'autres institutions.
Dans ce feuillet Ulysse revient aussi sur l'histoire marginale qu'il a vécu lors d'une expédition et dont il dit que ce n'est en rien un délire ou des excès d'imagination... C'est ce qui se passa lors de cette mission qui l'amenèrent à prendre une certaine distance de cette Compagnie ou Confrérie, l'appellation varie selon les sources, qui, de son côté, selon les dire d'Ulysse, eut beau jeu de le considérer et surtout de le faire passer pour plus ou moins dérangé... en oubliant le rôle, non négligeable, qu'elle eut dans cette affaire et qu'elle n'eut aucune peine à faire oublier...
 
 
 

vendredi 9 février 2024

Équilibre instable

 


 

Tout occupé à mes observations à propos du ciel des nuages, je ne faisais guère attention à ce qui se passait dans mon dos. Quelque chose ou mouvement se fit connaître qui éveillât mon attention.
– Peut-être ne nous voyez-vous pas encore... mais d'être ici en face de nous, croyez-moi je vous prie, que vous n'êtes point le premier. Nombreux sont ceux qui vous ont précédé... Et si tous venaient de même origine, tous ont eu des manières et des motivations différentes. Il n'empêche que tous ont disparus. La majorité pour une même cause. Nous verrons ce qu'il adviendra de vous.
Il parlait au nom de tous mais je ne voyais rien et n'entendais que lui. Je veux dire qu'entendre, au sens habituel, ne signifiait pas entièrement ce qui se passait. Ce que j’entendais venait de l’intérieur de moi-même… Sans même remuer les lèvres, simplement en y pensant, comme si cela eut été normal, je lui fis part de mes doutes concernant la réalité de notre relation… À cela il répondit:
– Certes on peut dire que nous ne sommes qu’un mythe mais l’homme que vous êtes y participe autant que nous… Tout cela n'est qu'un jeu...
Je ne savais plus quelle attitude adopter. D’un côté si je participais au jeu tel qu’il me le présentait je pouvais apprendre beaucoup, mais d’un autre côté je risquais de me prendre à ce jeu… ou d’y être pris, sans, peut-être, pouvoir en sortir. L’équilibre était difficile à trouver…
D’où était venu ce jeu? Était-ce une illusion de l’esprit? Et dans ce cas comment et pourquoi cet esprit avait-il fabriqué cette illusion? Par que sorte de cheminement sommes-nous attachés à ces histoires qui se racontent, la plupart du temps malgré nous?



jeudi 8 février 2024

Des mots…

 « Comment notre monde réagirait-il s'il devait entrer en contact avec des formes d'intelligence totalement étrangères à la planète Terre, impossibles à dominer, et même à comprendre? Certains parieront sans doute sur les capacités de la science à appréhender le phénomène à terme et augmenter notre savoir sur l'univers. D'autres pourraient voir là l'occasion d'accéder à une dimension d'un autre ordre, plus intime, de quelque manière interdite mais révélatrice du sens de la vie. Au final, ce qui était perçu comme un seuil possible vers l'inconnu peut aussi s'avérer infranchissable, et comme tel juste apte à nous renvoyer à nos faiblesses, nos vaines prétentions et nos éternelles interrogations. Enfin, il se pourrait que face à cette barrière qui lui est imposée, l'homme - nous, notre monde, la société - s'interdise tout simplement d'agir, qu'il soit préféré ne rien faire, que ce soit par peur, calcul ou superstition.»
 
 


Quelles que soient les raisons qui m’ont amené ici, je sais aujourd’hui que ce n’est pas pour elles que je m’en souviens. Je sais aussi qu’il ne s’agit point, au sens strict, de réalité… Mais la vérité n’est pas une chose mais seulement des mots… et les mots ne suffisent point pour la connaître… surtout que le petit peuple des ânes arboricoles ne communiquent point avec ces mots. Il m’est impossible de dire comment il se fait que j’aie, de mon point de vue, pu échanger avec eux, pas plus que je ne peux situer dans le temps l’époque à laquelle cela s’est passé. Aujourd’hui, après bien des années, en essayant encore une fois de traduire ce que je pense avoir compris, je me rends compte de l’impossibilité d’en extraire ne serait-ce que la moitié. Je connais aussi la «prépondérance de la représentation par rapport au mouvement du devenir réel…»*,  mais cette connaissance ne résistait pas aux mouvements internes d’une énergie incontrôlable. C’était comme si à chaque mot je me retrouvais comme sur un chemin qui bifurque en de multiples directions et sur chacune de ces possibilités je pouvais retrouver une part des sensations que j’ai ressenti avec eux mais avec une sorte de mélancolie qui me faisait penser à ce qui manque… et il en est ainsi à chaque fois que j’y pense…


* Contini


mercredi 7 février 2024

D’une certaine façon


« Au temps des ténèbres. Y aura-t-il encore des chants? Oui, il y aura encore des chants. Sur le temps des ténèbres.»

Brecht





Le temps des rencontres était les seuls moments de lumière véritables. En dehors tout n’était pas obscur, mais s’il manquait de lumière, ce n’était pas au sens où l’on en parle généralement mais en un sens plus intérieur. Je voyais les îles clairement mais elles n’étaient pas spécialement éclairées, je veux dire par là que ce que je pouvais observer, sans aller jusqu’à pouvoir le qualifier de banal, je le connaissais déjà… mais cela ne dégageait rien qui puisse me surprendre et encore moins m’éclairer… D’une certaine façon, je…






mardi 6 février 2024

Disparition

 
 
 

 
Extrait du cahier noir d'Ulysse, envoyé spécial du Très Grand Examinateur des Croyances
 
Il m'était arrivé, bien des années auparavant, alors que je n'étais encore qu'un adolescent, de me demander comment je réagirais si je devais entrer en contact avec une intelligence différente... Les choses sont ce qu'elles sont, mais elles dépendent de ce que nous sommes et ce que nous sommes dépend de notre état d'esprit qui, comme chacun le sait, est changeant. Le moindre courant d'air le fait vaciller... Comme surgissant d'un décors ou du souvenir, il m'arrivait de les voir de très loin... C'est pourquoi ils me paraissaient si petits. Cependant, je dois à la vérité que j'avais des doutes... J'entendais les branches et les feuilles de l'arbre vibrer, j'entendais au loin les vagues s'échouer sur la plage, mais je ne les entendais pas... Ils étaient parfaitement silencieux. Trop silencieux. C'est ce qui alimentait les doutes que j'avais à l'esprit. Et quand ces doutes, malgré moi,  devenaient assez grands, une sorte de brume se répandait et je ne les voyais plus. Ils disparaissaient... et l'arbre juste après. Ainsi je les voyais apparaître et disparaître sans que je sache comment et pourquoi...