mercredi 31 octobre 2018

(31) Éveillé


"Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant."

Héraclite, Sextus Empiricus, Contre les mathématiciens, VII, 132.





– Que faisons-nous ici?
– Je ne sais même pas où nous sommes...
– Sommes-nous enfermés dans notre bulle?
–  Si je le savais...
– Qui nous manipule?
– Je ne puis le distinguer...

(31) Entre ses mains


" Sans doute le secret, le mystère, le travesti enfin, se prêtent à une activité de jeu, mais il convient d'ajouter aussitôt que cette activité s'exerce nécessairement au détriment du secret et du mystère."

Roger Caillois, Les jeux et les hommes, nrf, 1958




Trois cents-vingt-neuvième rapport de Don Carotte
Extrait du premier et grand Cahier d'Esquisses et de Résistance à l'Ordre

Projet en vue de subtiles, méritoires et raisonnées conclusions correspondant aux précieuses choses nommées.
Maintenant, entre ses propres mains, obscur garant du bon sens, l'esprit hasardeux et téméraire qui souvent s’égare dans les méandres labyrinthiques de l'avenir y voit une certaine nécessité à l’œuvre. Une angoisse y grandit ou de grandes choses inconnues, toutes exigent qu'apparaissent dans leurs dos ce qui dans le miroir leur fait face...

(31) Un silence impossible


" Le silence exige un long cheminement d'écriture et de parole, et « se taire, c’est encore parler. Le silence est impossible, c’est pourquoi nous le désirons ».

Maurice Blanchot



Cher Cap'tain, septième non-élu du Nom,

Vous disiez, je vous ai lu, comme votre chantre et créateur, le Très Blanc Sieur Guisbert, premier des élus du Très Labyrinthique Nom, je vous cite intégralement, avec vos incorrections et tournures dont je ne sais si elles sont l'effet d'une passion, de l 'impatience, de la méconnaissance, du hasard ou du mystère initiatique:

"Chacun trouve et trouvera sont chemin. Mais personne ne peut obliger à poursuivre un cheminement qui ne lui convient pas."

Vous le savez mieux que moi, chaque lettre, chaque mot, chaque "faute" compte. Encore que, le plus plus souvent, on ne tienne pas suffisamment compte de la manière dont ils sont utilisé... ou alors... que nous abusions de cette relativité qui ne veut, à force d'usage, plus rien dire...

(31) Un effet de jeu ou de hasard


" Sous l'angle de la forme, on peut donc, en bref, définir le jeu comme une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité; qui s'accomplit en un temps et dans un espace expressément circonscrit, se déroule avec un ordre selon des règles données et suscite dans la vie des relations de groupes s'entourant volontiers de mystère ou accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel."

Huizinga, Homo ludens, 1951


Trois cents-vingt-huitième rapport de Don Carotte
Extrait du brouillon d'une lettre non expédiée

Cher Cap'tain

Voilà déjà un certain temps que je suis, en quelque sorte "librement sorti du jeu". Pour parler plus simplement que j'ai quitté votre navire. Vous le savez mieux que moi, l'attrait de certains voyages dépasse et vaut mieux par ce que promettent ces voyages que par ce qu'ils sont réellement... Si cela est ainsi, c'est que nous ne sommes pas toujours capables de nous rendre compte de tout ce que s'y passe, y compris ce qui semble totalement un effet de hasard, de circonstance ou même de fiction. J'ai fait une importante découverte: se dégager de votre discutable autorité, quitter votre navire a été, en soi, un autre voyage. Il m'a fallu réapprendre, cela pourrait vous surprendre, ce que j'avais mis si long à oublier, établir de nouvelles règles, quelles qu'elles puissent être...





(31) Plaisir aristocratique


" Au café, je n'ai que les quelques feuilles de papier et les notes ou le livre que j'ai apportés. Je m'isole, certes, mais je mets aussi mon occupation en rapport avec celles des autres habitués, que je connais ou que je devine. Leur compagnie me rassure. J'ai aussi le sentiment de me situer dans l'histoire. Les cafés ont été des lieux de liberté, où des idées sont nées, où elles ont commencé leur carrière. Je m'imagine continuant cette tradition qui va du café de la Régence où se déroule Le neveu de Rameau au Flore où Sartre a écrit l'Être et le néant, si je ne me trompe.
Mais mon goût du retrait va plus loin. Ce qui m'importe, quand je m'installe ainsi, c'est de me sentir dégagé de toute obligation, même de celles qui viennent de moi. Dans cet endroit où je ne possède rien, mais dont je prends possession en disposant à ma guise les quelques objets que j'admets sur ma table, je renoue avec moi-même. C'est un plaisir aristocratique."

Jean-François Billeter, Un paradigme



mardi 30 octobre 2018

(30) Dans un commencement


" On est forcé de reconnaître à l'homme une essence qui est hors et par-delà le monde: comment pourrait-il seul de toutes les créatures remonter la longue route des évolutions du présent jusqu'à la profonde nuit du passé, s'élever seul jusqu'au commencement des choses, s'il n'y avait en lui une essence du commencement des temps.

Schelling, Die Weltalter, Urfassung



– Il est des phrases qui, par leur banalité ou leur apparente simplicité, nous permettent de quitter le monde obscur dans lequel pourtant elle nous précipitent l’instant d’après...


(30) Invisible


" Loin d'être reclus en soi, un homme est présent à son espace propre que par le relais de l'espace étranger vers lequel il se dépasse, comme inversement il est à l'espace étranger par le relais de son espace propre dans l'ouverture duquel il s'explique avec lui."

Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, cerf


Trois cents-vingt-septième rapport de Don Carotte

Il y a déjà fort longtemps que je sais que l'enfant Lune voit des choses qu'il m'est impossible de voir par moi-même. C'est à ses mouvements, même et surtout les plus infimes, que je puis imaginer ce qu'il voit. Et puis j'ai appris beaucoup en prêtant l'oreille à ce que je ne vois pas... C'est ainsi que j'ai commencé à comprendre ce qu'il voulait dire par:
– L'invisible parle quand nous cessons de lui prêter les formes que nous connaissons.

(30) En-face


" Construire c'est assembler des éléments homogènes (Georges Braque), sous l'autorité d'une limite objective préétablie. Dans le cas d'une maison, la limite ainsi conçue est destinées à contenir les assauts des éléments, les attaques de l'ennemi, les insinuations de l'Inconnu. «Le dehors, l'étranger, le mauvais, dit Freud, sont d'abord pour moi, identiques.» Ils sont l'altérité qu'il s'agit de maintenir à distance d'objets, dans l'en-face d'un Gegenwelt."

Henri Maldiney, Aître de la langue et demeures de la pensée, cerf







lundi 29 octobre 2018

(29) Effigie monstrueuse


"En ceste opinion que feussent plusieurs mondes soy touchans les uns les aultres en figure triangulaire aequilaterale, en la pate & centre des quelz disoit estre le manoir de Verité, & le habiter les Parolles, les Idées, les Exemplaires & protraictz de toutes choses passées, & futures: autour d'icelles estre le Siècle. Et en certaines années par longs intervalles, part d'icelles tomber sus les humains comme catarrhes, part là rester reservée pour l'advenir, iusques à la consommation du Siècle."

Quart-Livre, territoire inconnu. Parce qu'on ne sait pas comment le prendre. Parce que l'imaginaire ne s'affirme pas contenu dans les figures obligées de la farce et du carnaval, mais dans le monde même, ce qui en ce temps était de l'ordre du noir et du terrible, et ne nous effraie plus.

" C'estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, & terrible aux petitz enfans: ayant les oeilz plus grands que le ventre, & la teste plus grosse que tout le reste du corps, avecques amples, larges, & horrificques maschouères bien endentelées tant au dessus comme au dessoubs : les quelles avecques l'engin d'une petite chorde cachée dedans le baston doré l'on faisoit l'une contre l'aultre terrificquement clicquetter, comme à Metz l'on faict du Dragon de sainct Clemens."


François Bon, Quart Livre, territoire inconnu






(29)


" On n'accomplit pas un tel texte sans une capacité de langue hors du commun, où le progrès des temps n'a pas cours: le grand rythme hypnotique de Rabelais s'écrit à l'intérieur même des mots, dans la pâte même du texte et ses reprises sonores. Qu'on remplace cet équilibre en changeant le vocabulaire des signes, on pose sur le texte une grille visuelle redondante: les mots répètent ce que le signe ou le découpage rajouté induisent, et cesse ce déséquilibre qui fait tout pencher vers l'avant, entraîne hypnotiquement à lire toujours. Aucune édition actuellement disponible n'a pourtant résisté à la tondeuse. On s'en est tenu donc à la plus stricte fidélité, à cette force abrupte où la ponctuation ne marque que le souffle du théâtre, dans le défi qu'au bout du compte la lisibilité même y gagne. Nous aurions préféré ne pas avoir l'exclusivité de ce Rabelais-là.
La première surprise est qu'on se retrouve chez nous. Les disjonctions par glissements et sautes de Proust, et cette manière de l’œuvre de se générer par elle-même à chaque boucle: elles sont pratiquées ici. Les grands éboulements dans des mots transformant à chacun leur propre loi de fonctionnement et de compréhension, où Joyce nous fascine, ils s'élaborent ici et lui le savait. Les filées denses et sans paragraphes où toute l'acidité monte de ces collages d'interlocuteurs, charroi serré s'agrippant par les ongles à ce à quoi sa colère s'en prend : il y a, au moins plastiquement, quelque chose de nos blocs contemporains de littérature (comme se présentaient Dostoievski ou Thomas Bernhard)  dans le Rabelais tel qu'il s'imprimait, et que nous remettons sur ses pieds. Cascades de double point, insertions de parenthèses: d'autres grands textes d'aujourd'hui, pour regarder en face la violence du monde, reconduisent à la machine-prose du Pantagruel.
Alors, difficile à lire, exigeant des connaissances précises de vocabulaire obsolète et d'anciennes syntaxes? Qu'on fasse l'essai au hasard, et qu'on pense tout cela dit à grande voix. «Une langue étrangère qu'on se découvrirait savoir d'avance», dit Valéry, et c'est déjà assez pour se risquer en terrain dont même l'étrangeté ajoute à la lecture, éclairages dont nous sommes déshabitués, et la verdeur, et le bas-ventre: au théâtre on sait apprécier et désirer ces effets qui immédiatement vous déroutent, et rendent les mots plus flottants. Le Pantagruel ne s'est jamais présenté comme le livret populaire qu'on prétend. La difficulté où nous sommes nous-mêmes chaque fois qu'on reprend l'extrême de syntaxe qu'est encore Mallarmé, et ce qu'on se sait lui devoir pourtant, et cette pulsion qu'on a d'y revenir, voilà plutôt le point de départ exigeant pour lire Rabelais. Une difficulté est là, qui n'est pas due au décalage des temps, mais à ce qu'affronte en elle son écriture. "



François Bon, Quart Livre, territoire inconnu

 


Trois-cents-vingt-quatrième rapport de Don Carotte


Ce que je vous disais ne résonnait point chez vous et dans ce petit cercle que nous tentions, vainement, de former, mais dans un ailleurs certes plus large mais dont je n’avais aucune connaissance.
L’immense effort que je déployais alors ne servi à rien ou presque si peu en tous cas. Rien ne put vous enlever de la tête le fait bien ancré que je vous en voulais... Aucune base si solide soit elle n’eut pu vous convaincre du bien fondé de ma démarche bien que j’en eu soupesé le moindre terme. Il suffisait d’un simple mouvement d’humeur pour que les rails puissants dans lequel votre esprit voulait n’en point sortir, vous projetait dans cette humeur de victime qui vous est propre... qui est devenu votre fond de commerce... et dont vous savez si bien jouer...

 




(29) Défi


" [ ... ] D'abord ce défi que Rabelais est aujourd'hui lisible, et vert, pourvu qu'on s'en remette franchement à ce qui était dès l'origine son premier interlocuteur: un jeu pur d'intelligence, la passion à lire malgré l'obstacle, dans toute cette obscurité charriée qui était alors la loi du monde, qu'il fait bon redécouvrir dans notre univers aseptisé..."


François Bon






(29) Pour de vrai


" Vague decumane. Grande, forte, violente. Car la dixiesme vague est ordinairement plus grande en la mer Oceane que les autres. Parallele. Line droicte imaginée on ciel egualement distante de ses voisines."

Rabelais, Le Quart Livre


Trois-cents-vingt-quatrième rapport de Don Carotte

Que savait "pour de vrai" l'enfant Lune? Je ne l'ai jamais su... Pendant longtemps j'espérais qu'il ouvre les yeux et la bouche afin que je puisse comprendre mieux ce qu'il pouvait voir et ce que éventuellement il en dirait. Mais je fus fort surpris de constater que ce jour, lorsqu'il est arrivé, ne m'a pas plus éclairé pour autant.. J'ai presque envie de dire: au contraire...Dans ses yeux je ne pouvais rien lire et de ce qu'il disait je ne comprenais rien. On eut dit qu'il parlait une langue parfaitement étrangère... Pourtant, ces sons, dont je ne percevais que des nuances, agissaient sur moi sans que je ne puisse savoir comment.


(29) Quand elles le voudront


" Quand je m'installe au café le matin, je sais que je ne serai pas dérangé. Je pourrai suivre le développement de mes idées ou me laisser dériver en écoutant distraitement les conversations, laissant mes pensées libres de se rappeler à mon attention quand elles le voudront."

Jean-François Billeter, Un paradigme, Allia





dimanche 28 octobre 2018

(28) Territoires inconnus


" La littérature, ce qui s'écrit, n'est pas un à côté des savoirs ou ce qui en distrait, mais né de leur intérieur pour regarder la même part obscure sur quoi ils butent. C'est cela qu'il faut comprendre, en tout cas se dire que c'est là où nous-mêmes nous sommes le plus séparés d'eux. Dans notre histoire de lecteur. Qu'on ne lit pas une préhistoire maladroite du roman, mais bien une parole liée intimement à celle qui découvre, qui s'en va dans le noir comme, tout autour du récit de connaissance, le monde est noir, terrible et inconnu : relation du grand voyage de..."

François Bon, Quart Livre, territoire inconnu







(28) Territoires intérieurs




– Quand nous voudrions parler de terres inconnues, c'est plutôt du terme de territoires qu'il faudrait user. De territoires intérieurs... avec tous les voyages qui en secret se font et se défont...


(28) Refrain


" En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois d'être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé tous les vices; ils ont cru qu'il ne s'agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et prospère; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés contre tout ce qui s'oppose à leurs projets a tracé la ligne de démarcation entre eux et tous les gens de bien. Mais si les Verres et les Catilina de la France se croient déjà assez avancés dans la carrière du crime pour exposer sur la tribune aux harangues la tête de leur accusateur, j'ai promis aussi naguère de laisser à mes concitoyens un testament redoutable aux oppresseurs du peuple, et je leur lègue dès ce moment l'opprobre et la mort! Je conçois qu'il est facile à la ligue des tyrans du monde d'accabler un seul homme; mais je sais aussi quels sont les devoirs d'un homme qui peut mourir en défendant la cause du genre humain. [...]"


– Dans le contexte, telle est la chanson... enfin... surtout le refrain qui vient et revient...


 

samedi 27 octobre 2018

(27) Clignement




Trois-cent-vingt-deuxième rapport de Don Carotte
 
Bien que n'ayant aucune autorité en ce domaine comme en tout autre, je ne crains pas de dire combien il me semble qu'il est impossible de déplacer notre regard sans à-coup. Le passage d'une chose à une autre ne se fait jamais en douceur. C'est un changement brusque et puissant dont l'apparente et discrète douceur est un piège de l'esprit.

Note de l'éditeur:

" Don Carotte, dans ses cahiers et carnets, s'accroche à son sujet comme les serres du faucon sur sa proie. Les images de Don Carotte nous obligent à cligner des yeux. Il se peut que le voyage qu'il fait et refait en dessinant ne soit rien d'autre qu'un seul et unique voyage qui pourrait être vu sous mille et un point de vue... Serait-il en train de condenser le temps d'un long voyage en un rectangle immobile, étendant les fractions de seconde d'une colonne ou d'une vague en une forme immobile, ou brouillant les lignes nettes d'un récit. Jetez un simple coup d'œil et sur l'heure, quiconque voudrait comprendre pourrait être, sur le champ, pris au piège."

(27) Musicalité





Commentaire de l’enfant Lune

L’Accordéoniste parlait comme un perroquet, mais avec une sorte de musicalité qu'ils n'atteignaient pas... Il émanait de lui une sorte de charme un peu... bizarre... qui me mettait mal à l'aise. On eut dit que sa tête était... comme indépendante... elle n'en faisait qu'à sa tête... si j'ose dire...

(27) Mettre du sens



Commentaire de l’enfant Lune

Je n'ai jamais su qui était l’Accordéoniste, il m'effrayait, mais je me souviens parfaitement de presque toutes ses paroles. Il me suffit pour cela d'entamer secrètement la moindre parcelle de n'importe quelle mélodie qui accompagnait, le moindre petit petit air et le reste se déroule...
 
– Voyez-vous, cher enfant Lune, nous avons été éduqués pour dire ce que nous entendons... de la façon la plus exacte possible… mais notre mission, à l’origine, était celle de surprendre et surtout de charmer l’auditeur… C’est pourquoi nous nous sommes habitué à capter l’attention et surtout à guetter ce qui charmait notre auditoire. C’est pourquoi aujourd’hui je chante et je danse… Peu importe le fond de la question.. c’était et c’est toujours parfaitement rédhibitoire…
Peu importe ce que nous disons l’important est que l’auditeur pense qu’il est celui qui met un sens à ce que nous disons…




(27) Humeurs




Trois-cent-vingt-deuxième rapport de Don Carotte

En si peu de temps, comme tout peut changer. Il suffit pour cela d'accorder ses valeurs à l'humeur du moment.
 



Encore faut-il pour cela être sûr d'être le possesseur, et non la possession, de ces humeurs qui nous submergent.

(27) À cet instant





" Et vous aviez si peu de temps pour naître à cet instant."

vendredi 26 octobre 2018

(26) À partir de tout



Commentaire de l'enfant Lune

À partir de tout ou... de rien, tout se construit et se reconstruit à l'infini...


(26) Un travail monumental




Trois-cent-vingt-et-unième rapport de Don Carotte

Avant même que de parler nous supposons implicitement que nous connaissons la langue dont nous usons. Cela ne concerne pas seulement les mots, la syntaxe et la grammaire, mais surtout  le fait que nous allons dire quelque chose. Mais encore avant cela nous connaissons comment le dire. C’est-à-dire, sans que personne ne nous ait appris comment, dès l'origine, nous avons fait l’apprentissage de notre corps.
L'enfant Lune, comme tous les enfants, se soustrait à la représentation de la réalité. Il vit, c'est tout. Il voit certains signes que nous reconnaissons en premier lieu et qui devrait permettre paradoxalement de mieux la voir, mais à l'aide de l'imagination, il fait en sorte de leur attribuer des significations différentes... Ainsi les scènes dans lesquelles il vit, quelles qu'elles soient, sont pour lui la réalité, mais deviennent des ballets abstraits dès le moment où il essaie de les dire... C'est pourquoi les formes qu'il emploie, après s'être exprimées pour elle-même, intérieurement, doivent être traduites, d'abord dans sa tête, puis dans les mots qui tendent à restituer ce qui se passe dans sa réalité afin de pouvoir sortir et prendre place dans ce que nous nommons réalité. Inutile de dire que cela constitue un travail monumental...


(26) Le récit et l'horizon




Trois-cent-vingtième rapport de Don Carotte

Y-a-t'il une possibilité de vivre dans une immédiateté propre à une vie biologique simple?
C'est la question que se pose l'enfant-Lune. Cependant, le simple fait de se poser la question, il le sait fort bien, le fait sortir de cette simplicité. De même que, comme le dit Christophe Meurée "son oralité disparait dans l'écriture... toute tentative, en vue d’estomper la différence entre son écriture et son langage parlé, autant que de créer une parfaite coïncidence entre le « récit » et l’horizon d’attente des lecteurs qui veulent voir correspondre l’univers intime de l’écrivain à son univers fictionnel". Avec comme différence essentielle, dans le cas de l'enfant Lune, que celui-ci ne vit pas dans la fiction... et qu'il n'est pas écrivain...

jeudi 25 octobre 2018

(25) Un rien


" Celui qui se contente de peu ne manque de rien..."




(25) Connaître


" Si tu veux connaître quelqu'un, n'écoute pas ce qu'il dit, mais regarde ce qu'il fait."

Dalaï Lama




mercredi 24 octobre 2018

(24) La hache


" Si l'arbre savait ce que lui réserve la hache, il ne lui fournirait pas le manche."

Proverbe africain





(24) Une énigme


" C'est le propre de l'homme de pouvoir être cause efficiente, à des degrés divers, et de produire du nouveau, qui l'étonne lui-même. Cela lui arrive parce qu'il a en lui une dimension d'inconnu et qu'il s'y forme des phénomènes d'intégration dont il ne connaît que très partiellement, ou pas du tout, les sources. Et c'est pour cette raison qu'il a été et restera toujours pour lui-même une énigme."

Jean-François Billeter, Un paradigme, Allia






mardi 23 octobre 2018

(23) Un poli miroitant


"S’il est vrai que photographier, c’est écrire avec la lumière. La photo serait donc, d’après l’étymologie du mot et son fonctionnement, une empreinte de la lumière puisqu’une image photographique est issue des rayonnements réfléchis ou émis (dans le cas d’une source lumineuse photographiée) par l’objet photographié. Selon cette définition, la lumière écrirait sur le support photographique comme le cachet de cire marque la cire fondue de son empreinte. En fait, il me paraît judicieux d’emprunter le conditionnel, car il faut distinguer le processus physico-chimique de fabrication d’une image (argentique ou électronique-numérique) du processus de construction de son sens. Si le premier est bien une empreinte avec toutes les réserves nécessaires, même à ce niveau du processus ; le second, s’il conserve partiellement ce caractère d’empreinte, est loin d’être simplement une trace de la réalité. C’est de cette conception de la photographie comme miroir de la réalité que réside l’une des équivoques de cette technique. Ce truchement va bien au-delà du rôle de « miroir à mémoire » que l’on attribue à la photographie depuis son invention comme le montre les premières publicité pour le daguerréotype. Inscrite dans le mot photographie lui-même, cette équivoque est renforcée par les origines du mot image quand on lui adjoint ce mot. C’est pourquoi, je parle de construction sur une équivoque sémantique. Cette équivoque, à ma connaissance existe dans toutes les langues européennes."

Hervé Bernard, Regard sur l’image !  




– Il me semble depuis un certain temps que parler n’est plus pour vous un but à atteindre.
– Que serait-ce alors?
– Une sorte d’état d’être qui n’a presque plus rien à voir avec une recherche.
– Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
– Quand je vous observe...


– Que voyez-vous ?
– Souvent je vois que vous ne faites silence que pour être poli et...
– Et?
– Il arrive... quelque fois que cette politesse dissimule avec peine une sorte d’impatience...
– Continuez!
– Cette impatience, je ne sais trop comment l’interpréter...
– Je vous écoute.
– Il me semble dans ces moments là que parler vous est plus nécessaire que ce qui est l’objet de votre parole...
– Vous n’y allez pas par quatre chemins.
– Ce n’est pas toujours nécessaire, mais il y a mieux...
– Cela promet!
– Il me semble que, plus encore que l’objet de votre parole, c’est la relation que vous avez... comment dire... perdue...
– Quelle relation?
– Presque toutes...
– Je ne vois pas ce dont vous parlez.
– Cela me parait normal.
– Pourquoi?
– Parce que l’aveuglement vous menace.
– Après être devenu sourd, je suppose...
– Vu d’un certain angle on pourrait le dire... mais je ne le dis pas...
– Il me semble que vous voilà empêtré dans le poli miroitant de vos propres pièges!
– Là, c’est vrai, je vois que vous m’avez écouté...




(23) Imitation


" Pourtant, bien souvent, le mot "image" dans le cas de la photographie sous-tend une reproduction exacte de la réalité. N’oublions pas que l’image imite et qu’une imitation, comme le montre le métier d’imitateur n’est qu’une copie plus ou moins caricaturale.
Nous rencontrons donc une infinité d’image. Mais, quel est le point commun entre une image produite par résonance magnétique, par un accélérateur de particules, par un appareil photo, par un radar comme les photos faites sur Mars ou encore par un système de détection thermique? Hormis la technique photographique, elles représentent toutes quelque chose. C’est-à-dire que nous les regardons à la place de, en lieu de. Elles ne sont que des simulacres, des truchements –il en est de même de La Ronde de Nuit de Rembrandt ou de tout autre tableau figuratif–. Ce rôle de truchement n’est donc pas propre à la photographie et englobe le monde de l’image figurative.
Dans le monde contemporain, depuis l’apparition de la photo et de l’impression offset, rares sont les images vues pour elles-mêmes. Comme nous pouvons le constater quotidiennement dans la presse comme à la télévision, l’usage le plus fréquent de l’image est l’illustration or, l’étymologie de ce mot indique que l’illustration est la mise en lumière de quelque chose. L’image est-elle encore réellement utilisée dans ce rôle?"


Hervé Bernard, Regard sur l’image !







lundi 22 octobre 2018

(22) Ophtalmoscopie


" Durant on enfance à Far Rockaway, j'avais un ami, Bernie. Nous avions tous deux des «labos» à la maison, où nous réalisions diverses expériences. Un jour, nous discutions de quelque chose –nous devions avoir onze ou douze ans à l'époque– et je dis: 
– Mais penser, c'est juste se parler à soi-même à l'intérieur.
– Ah bon! me dit Bernie. Connais-tu la forme biscornue du vilebrequin dans un moteur de voiture?
– Oui, et alors?
– Parfait. Maintenant, dis-moi: comment l'as-tu décrite quand tu te parlais à toi-même?
Grâce à Bernie, j'appris donc que les pensées peuvent être aussi bien visuelles que verbales.

Richard P. Feynman, The Pleasure of Finding Things Out



– Pourriez-vous me dire ce que vous avez sous les yeux?
– La même chose que vous... je suppose...
– C'est étrange...
– Ce qui est sous nos yeux ou...
– Il m'est impossible de comprendre ce que je vois, mais je vais vous raconter une histoire que mon maître m'a lue il y déjà quelques temps de cela:

 – " En 1896, depuis son observatoire dans l'Arizona, Percival Lowell découvrit un motif d'empreintes à la surface de Vénus. La disposition des lignes ressemblait aux rayons d'une roue partant d'un moyeu. Lowell crut distinguer des caractéristiques du terrain, «de la roche ou du sable usé par des millions d'années d'exposition au soleil». Les rayons apparaissaient «avec netteté propre à convaincre le regardeur d'une objectivité qui excluait la possibilité de l'illusion». Ses recherches, y compris sa découverte de canaux sur Mars, enflammèrent l'imagination d'une génération entière. H.G. Wells cita les travaux de Lowell comme source d'inspiration pour La Guerre des mondes.
Néanmoins Lowell était le seul à discerner ces marques étranges et, par la suite, avec l'arrivée des télescopes plus perfectionnés, ses affirmations furent discréditées. Mais que voyait Lowell? L'énigme fut résolue un siècle plus tard lorsqu'un optométriste , astronome amateur, nota que Lowell avait diaphragmé –réduit l'ouverture de l'objectif– au point de transformer sans le savoir son télescope en ophtalmoscope. Ce que voyait Lowell en fait était le réseau de vaisseaux sanguins sur sa rétine. Alors qu'il croyait avoir découvert la preuve que l'homme n'était pas seul dans l'univers, Percival Lowell avait en réalité observé son propre œil."*

* Cité dans le livre de Zia Haider Rahman, À la lumière de ce que nous savons, et attribué à Winston Churchill dans les carnets de Zafar...

 






(22) Ils chassent


"Le poème est essentiellement une aspiration à des images nouvelles. Il correspond au besoin essentiel de nouveauté qui caractérise le psychisme humain.
Ainsi le caractère sacrifié par une psychologie de l'imagination qui ne s'occupe que de la constitution des images est un caractère essentiel, évident, connu de tous : c'est la mobilité des images. Il y a opposition — dans le règne de l'imagination comme dans tant d'autres domaines —entre la constitution et la mobilité. Et comme la description des formes est plus facile que la description des mouvements, on s'explique que la psychologie s'occupe d'abord de la première tâche. C'est pourtant la seconde qui est la plus importante. L'imagination, pour une psychologie complète, est, avant tout, un type de mobilité spirituelle, le type de la mobilité spirituelle la plus grande, la plus vive, la plus vivante. Il faut donc ajouter systématiquement à l'étude d'une image particulière l'étude de sa mobilité, de sa fécondité, de sa vie."

Gaston Bachelard , L'air et les songes, Éditions José Corti




Ils chassent la nuit, le matin du jour et de la nuit et jettent les secrets dans un grand sommeil.
– Qu'est-ce que vous cherchez? Qu'est-ce que vous cherchez?
Le ton était monté... Son souffle brûle.
– Mon Dieu, que dois-je faire? surtout ne pas bouger... Peut-être, juste un très petit placement. Très lentement... presque imperceptible... il ne trouve pas ses mots... comme le phare, posé loin, très loin, sur deux niveaux, près du port, ainsi le cœur bataille, s'anime par intermittence.

(22) En dehors

" [ ... ]
une image qui quitte son principe imaginaire et qui se fixe dans une forme définitive prend peu à peu les caractères de la perception présente. Bientôt, au lieu de nous faire rêver et parler, elle nous fait agir. Autant dire qu'une image stable et achevée coupe les ailes à l'imagination. Elle nous fait déchoir de cette imagination rêveuse qui ne s'emprisonne dans aucune image et qu'on pourrait appeler pour cela une imagination sans images dans le style où l'on reconnaît une pensée sans images. Sans doute, en sa vie prodigieuse, l'imaginaire dépose des images, mais il se présente toujours comme un au-delà de ses images, il est toujours un peu plus que ses images. Le poème est essentiellement une aspiration à des images nouvelles. Il correspond au besoin essentiel de nouveauté qui caractérise le psychisme humain."

Gaston Bachelard , L'air et les songes, José Corti



– Mon dieu! Dit le Cap'tain, vous, si grand... Comme en dehors du miroir?

(22) Face à l’inconnu




L’homme et l’enfant au ciel se sont adressés.
Ce qu’ils se sont dit s'est perdu. En chemin, face à l’inconnu, aussi vite qu’ils étaient parus, les mots se volatilisèrent. Sans le savoir, ils allaient rejoindre un autre destin dont ils ignorent encore tout... et dont pourtant ils seront les messagers et peut-être aussi les auteurs. L'enfant Lune dans les images chemine et soulève à chaque pas une petit nuage de mots.

(22) En soi


" [ ... ]
– Vous avez lu «La Critique de la raison pure»?
– Euh... non.
Saraiva soupira.
– C'est le texte philosophique le plus important jamais écrit, mon cher, proclama-t'il en fixant Tomás du regard. Selon Kant, on ne connaît pas le monde tel qu'il est en soi, la vérité ontologique des choses, mais seulement leurs représentations. On ne connaît pas la nature des objets eux-mêmes, mais seulement notre perception de ces objets, ce qui est spécifique à l’humanité. Par exemple, les êtres humains ne ressentent pas le monde de la même manière que les chauves-souris: ils voient des images, tandis qu'elles détectent des ondes grâce à leur sonar. Les humains voient les couleurs, tandis que les chiens voient en noir et blanc."

Codex 632, Le secret de Christophe Colomb, J.R. Dos Santos, Pocket






dimanche 21 octobre 2018

(21) Rêve


" Fermons les yeux et voyons ce qui va passer. Beaucoup de personnes diront qu'il ne se passe rien: c'est qu'elles ne regardent pas attentivement. En réalité, on aperçoit beaucoup de choses. D'abord un fond noir. Puis des taches de diverses couleurs, quelquefois ternes, quelquefois aussi d'un éclat singulier. Ces taches se dilatent et se contractent, changent de forme  et de nuance empiètent les unes sur les autres. Le changement peut être lent et graduel. Il s'accomplit aussi parfois avec une extrême rapidité. D'où vient cette fantasmagorie? Les physiologistes et les psychologues ont parlé de «poussière lumineuse», de «spectres oculaires», de «phosphènes»; ils attribuent d'ailleurs ces apparences aux modifications légères qui se produisent sans cesse dans la circulation rétinienne, ou bien encore à la pression que la paupière fermée  exerce sur le globe oculaire, excitant mécaniquement le nerf optique. Mais peu importe l'explication du phénomène et le nom qu'on lui donne. Il se rencontre chez tout le monde, et il fournit, sans aucun doute, l'étoffe où nous taillons beaucoup de nos rêves."

Henri Bergson, Le rêve




(21) Changeant


"Pour être grand, sois entier: rien
En toi n'exagère ou n'exclus
Soi en chaque chose.
Mets tout ce que tu es
Dans le moindre de tes actes.
Ainsi en chaque lac brille la lune entière
Pour ce qu'elle vit haut."

Fernando Pessoa


 
– Ce que je vous demandais était plutôt: où se trouvent-ils en réalité?
– Je ne puis vous répondre...
– Pourquoi cela?
– Parce que c'est changeant...
– Comment cela?
– Tout est changeant... en permanence cela change... tout comme les mots qu'ils contemplent...
– Mais...
– Il n'y a pas de mais pour qui se pose vraiment la question.



 
– Pourtant nous sommes là, bien posés sur notre branche et nous savons que nous sommes là. Telle est notre réalité!
– Ce n'est cela que parce que c'est ce à quoi vous croyez...
– Comment cela ce que je crois?
– Non, ce à quoi vous croyez...
– Vous jouez sur les mots... encore...
– Tout comme eux.


(21) Au feu!




– Et eux?
– Oui, que voulez savoir d'eux?
– Savent-ils où ils sont?
– Non.
– Que croient-ils?
– C'est une vaste question dans laquelle nous pourrions creuser à l'infini...
- Sans aller jusque là, où croient-ils être?
– Sur une plage...
– Où est-elle?
– Nous ne la voyons pas... et ne pouvons la voir...
– Ce que je vous demandais était plutôt: où se trouvent-t'ils en réalité?
– Je ne puis vous répondre...
– Pourquoi cela?
– Regardez!
– Je ne vois plus rien...
– Regardez, on dirait qu'un de leurs mots a pris feu!


( 21) Hors les frontières


" Je ne sais  pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention."

Samuel Beckett


 

– D'où viennent-ils?
– Des confins de notre monde et même au-delà...
– Que font-il?
Il ajoutent, selon leurs capacités, un peu de ce qui ne peut être conçu que hors les frontières, centre véritable et parfaitement impermanent de ce qui nous et nécessaire.
– Quelles frontières?
Symboliques, les frontières. 
– Quelle est cette chose qu'ils ont entre leurs mains?
– Une parole.
– Cela n'y ressemble pas.
– Que faisons-nous ici?
– Nous traversons les profondeurs.
– Est-ce notre choix?
– Peu importe puisque nous y sommes.
– Mais nous ne sommes pas dans notre élément.
– Cela dépend.
– De quoi?
– De ce que nous sommes.
– Comment pourrions-nous le savoir?
– En le découvrant.
– Ce que nous sommes censé faire?
– C’est cela.

– Et eux?