mardi 28 février 2017

28 février 2017

Il compte...
Un, deux, trois... dix-neuf, vingt. Voilà donc précisément aujourd'hui vingt ans que je suis relégué dans cette île déserte. Le despote qui a signé mon bannissement est peut-être mort à présent... Là-bas, dans ma pauvre patrie, on me croit brûlé par le volcan, ou déchiré sous la dent de quelques bêtes féroces, ou mangé par des anthropophages. Le volcan, les animaux carnassiers, les sauvages,
semblent avoir respecté jusqu'à ce jour la victime d'un roi... Mes bons amis tardent bien à venir : le soleil est pourtant levé !...
*




Après la chute de la colonne et par voie de conséquence, la sienne, Socrate, lentement reprenait ses esprits. On eut dit que l’ordonnance, la disposition et les conclusions qu'il tirait de ses pensées suivaient une ligne parallèle à celle suivie par les éléments.

– Soit par miracle, auquel je ne suis point disposé à croire, soit par le jeu incessant des agitations et des influences contraires, peu à peu, ou par brusques saccades suivies de légers glissements, tout avait l'air de se remettre en place... On dirait qu'en toutes choses préexiste quelque autre chose qui fait qu'elle soit ainsi faite...

Contrairement aux apparences, les remous qu'occasionnaient de tels propos ne cessaient d'agiter la tête de Socrate et ne manquaient point de l'inquiéter.
Une idée cependant, dans ce chaos invisible, y faisait son chemin.

– Je ne puis m'en remettre au seul destin sous prétexte que ce que je vois retrouve une forme d'équilibre sur lequel j'ai tout intérêt...



* Sylvain Maréchal
Le jugement dernier des rois
Prophétie en un acte, en prose

L'An second de la République Française, une et indivisible.


lundi 27 février 2017

27 février 2017

« Poids de pierres, des pensées
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle »*



La chute que Socrate craignait tant est là, devant lui. Mais, fort curieusement, rien ne va se passer comme attendu... La colonne s'était effondrée, mais il arrive que les mouvements incessants des éléments conjugués avec le pouvoir de l'imagination donnent des résultats surprenants... Les monuments les plus respectables, les édifices les plus magnifiques, les temples les plus remarquables, ceux dont on a multiplié à l'envi les plans les plus sophistiqués, tous sont soumis à la loi du temps... Ainsi en est-il de la vie de Socrate qui, pourtant n'est pas, et de loin, comparable à ces monuments, bien qu'il en soit, le plus fidèle des gardiens...Peut-être faudrait-il utiliser l'imparfait. Tant il est vrai aussi que l'utilisation de "l'imparfait" convient pleinement à ce stade de son histoire...








* Philippe Jaccotet
Paysages avec figures absentes

dimanche 26 février 2017

26 février 2017

« Ciel. Miroir de la perfection. Sur ce miroir, tout au fond, c’est comme si je voyais une porte s’ouvrir. Il était clair, elle est encore plus claire.

Pa de clocher. Mais dans toute l’étendue, l’heure de l’éternité qui bat dans des cages de buée.

Suprême harmonie, justice de l’Illimité. On aurait dit que chacun recevait sa part, la lumière qui paraît infinie distribuée selon l’aérienne convenance.»*






Le “haut” est une image inaccessible pour celui qui serait aux pied de la colonne sur laquelle Socrate tente, avec plus ou moins de succès, de rester en vie...
Les formes se devinent à peine et l’imagination se met en mouvement pour escalader, un par un, les mille et un étages d’un temps qui nous échappe...

Cette fois ça y est, Socrate ne pourra échapper à la vertigineuse chute qui l'attend depuis bien longtemps déjà...









Philippe Jaccotet
Paysages avec figures absentes


samedi 25 février 2017

25 février 2017

Personne, pas plus que moi, ne saurait dire où se dirige la narration des épisodes connus de la vie de Platon. Platon, lui-même n'eut pu dire avec certitude que tel ou tel fait précédait celui qui pourtant, dans le récit, donnait clairement les raisons d'une certaine forme d'enchaînement. On pourrait en déduire, que cet enchaînement fut mensonger, mais ce n'est pas le cas... D'abord parce que c'est le cas de tout récit. En effet il n'en existe aucun, comme il n'existe aucune carte qui soit l'exacte réplique du territoire qu'elle est censée représenter. En ce cas le mot réplique devient aussitôt ambigu et la petite confusion qu'il génère vient du fait qu'il porte, lui aussi, deux significations qui peuvent apparaître comme étant contradictoires. La première est justement une équivalence, une sorte de reproduction mécanique avec toutes les imperfections possibles, et l'autre, en ce cas beaucoup plus riche, une parole qui répond... Quand on donne la réplique à quelqu'un, cela signifie qu'il est pris en considération, même si l'on n'est pas d'accord avec lui. Comment l'histoire de Platon, lente et progressive suite de situations n'ayant aucuns liens évidents, était-elle devenue une histoire dans laquelle notre héros eut pu se reconnaître. C'est là un mystère, mais ce mystère est là tout le temps... en tous cas à chaque fois qu'une histoire se raconte...

 Certaines incidences, visiblement banales recelaient-elles une vérité cachée, nous ne pouvons le dire, mais certaines sentences sont des proies faciles pour tout écrivain-débutant. Nous ne nous attarderons pas sur l'ensemble des feuillets de Platon et ne donnons celle-ci qu'à titre d'exemple:

– L'accumulation de certaines richesses ne favorise en rien le détachement.
Encore faut-il préciser que ce genre de petites phrases banales dans les feuillets est toujours accompagné d'un petit dessin qui, lui, est d'une clarté apparente quand à sa lisibilité graphique et bien mystérieux quand à leurs véritables significations. Toujours est-il que la situation est, encore une fois, bien difficile à comprendre. Après de nombreuses digressions les notes (un bon millier de feuillets... dispersés, comme il se doit) de Platon lui-même, n’étaient pas des plus lisibles... Que cela soit au niveau de la forme extérieure: son écriture, ou celle, plus importante encore, qui touche à la lisibilité du sens... 




 

vendredi 24 février 2017

24 février 2017

La dimension du monde de Platon frise l'universalité, en tous cas c'est son point de vue. Elle se manifeste de plus en plus souvent dans ses propos. Certes, pour le moment il se garde bien de discourir en présence de ses alter égaux, mais quand il se croit seul face à l'immensité du ciel, plus rien ne peut le retenir :
– Je veux de ce monde être le sanctuaire, accueillir en moi sa présence pour être uni à lui.*

Ces propos, certes empreints d'une certaine sagesse, mais tout aussi imprégné de ses nouvelles lectures, de sa soif d'enseignement, de prospective et d'une inquiétante fièvre, ne laisse pas d'inquiéter ses compagnons.

 
– « Qu’est-ce à dire, mon maître, sinon que par toute la largeur et l’épaisseur du Réel, par tout son Passé, par tout son Devenir, par tout ce que je subis et tout ce que je fais, par les servitudes, les initiatives, et l’œuvre même de ma vie, je puis vous atteindre, m’unir à vous, et progresser indéfiniment dans cette union ! » *








* Teilhard de Chardin

jeudi 23 février 2017

23 février 2017

Tout ce temps se promenant au-dessus d'un abîme qu'il n'a pas encore gommé et au-dessus de cet abîme notre singulière et pourtant plurielle petite famille n'en peut plus de jouer... Et pourtant, sans aucun doute, l'instant du grand saut se rapproche...




"Si je composais une biographie ordinaire, je procéderai chronologiquement, prendrais le sujet depuis le le plus ancien document et le suivrai jusqu'à l'ultime archive. En outre si j'écrivais sur un personnage célèbre ou même simplement connu, un personnage ayant une réputation dans une branche..."

* À la lumière de ce que nous savons
Zia Haider Rahman



mercredi 22 février 2017

22 février 2017

Les événements tout comme les choses ne restent que rarement en l'état... et l'État pas moins que tout le reste... C'est ce dont Platon, en tous ses états, commence de savoir.
– Ce que je «sais maintenant, toutefois, c'est que qu'une vie non analysée peut conduire certaines personnes à une insatisfaction morne dont il n'est pas possible de se libérer.»*



– Peut-être n'est-il point nécessaire de se libérer!
– Aïe ! Vous aussi vous trichez...
– Pas plus que vous... et ce petit animal ne fait rien de plus que vous: il joue.
– Mais il va nous faire tomber !
– Cela fait partie du jeu...


* À la lumière de ce que nous savons
Zia Haider Rahman 
Christian Bourgeois éditeur

mardi 21 février 2017

21 février 2017

" Il est toutefois possible de concevoir un langage de programmation et un programme le traduisent aux niveaux inférieurs admettant certains types d'imprécisions. On pourrait dire que le traducteur d'un tel langage de programmation essaie de rendre claires des choses «extérieures aux règles du langage». Mais si un langage permet certaines «transgressions», alors ces transgressions n'en sont plus vraiment, puisqu'elles sont prévues dans les règles."*



– Que serait cette arrivée dont vous me parliez hier... Je dois avouer que votre question me prend de court...
– Cela fait partie du jeu...
– De quel jeu?
– Celui dont vous me parliez tout-à-l'heure.
– Il serait peut-être temps que vous me disiez avec précision quelles en seraient les règle, de telle manière que je puisse m'y conformer et surtout que je puisse en contrôler une partie au moins... Et puis j'ai l'impression que ces règles, vous les inventez au fur et à mesure... cela , je le crois, s'accompagne d'un certain nombre de transgressions délibérées...
– Vous brûlez... c'est presque cela...  aaaaahhhh!
– Ah! vous aussi, vous brûlez, me semble-t'il... à chacun son tour...

 
* Gödel, Escher, Bach (p.333)
Douglas Hofstadter 
Les brins d'une guirlande éternelle
Éditions Dunod




lundi 20 février 2017

20 février 2017

"Il  suffit  que  nous  parlions  d’un  objet  pour  nous  croire  objectifs.  Mais, par notre premier choix, l’objet nous désigne plus que nous ne le  désignons  et  ce  que  nous  croyons  nos  pensées  fondamentales  sur  le  monde  sont  souvent  des  confidences  sur  la  jeunesse  de  notre  esprit." *



– Les jeux des uns ou les jeux des autres sont bien souvent similaires. Pourtant il suffirait parfois de bien peu de choses pour que ces très petites différences au départ, prennent des proportions toutes autres, à l'arrivée. "Quelque cerveau directeur du Parti intérieur sélectionnerait ensuite une version ou une autre, la ferait rééditer et mettrait en mouvement le complexe processus de contre-corrections et d’antéréférences qu’entraînerait ce choix. Le mensonge choisi passerait ensuite aux archives et deviendrait vérité permanente."**
– Et pour vous que serait cette arrivée ?..





* Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu. Avant-propos - 1949

** Orwell, La Ferme des Animaux

dimanche 19 février 2017

19 février 20217

"Le savoir et en particulier le savoir désagréable, ne peut par aucun artifice être totalement rejeté même de ceux qui ne le recherchent pas. La sagesse, déclara autrefois Eschyle, vient aux hommes qu'ils le veuillent ou non. La maison des illusions ne coûte pas cher à bâtir, mais ses habitants sont exposés aux courants d'air et elle menace de s'écrouler à chaque seconde ; la véritable prudence consiste à sortir nos meubles à temps plutôt que de rester à l'intérieur jusqu'au jour où notre logement s'effondre sous votre nez. Il vaut mieux et il doit mieux valoir à long terme qu'un homme voie les choses comme elles sont plutôt que de les ignorer."*



– Qu'est-ce donc que cela ?
– Vous qui savez tout, se pourrait-il que vous l'ignoriez...
– "J'ai appliqué mon cœur à connaître la sagesse  et à connaître la sottise et la folie"...
– Et maintenant, voilà que que vous citez l'Ecclésiaste... vous me surprenez...
– Et vous m'interrompez...
– Pas seulement, c'est aussi une sorte de retour dont vous pourriez tirer profit...
– Il est ancré dans votre esprit que la nature fait bien les choses...
– N'est-ce point le cas?
– Il faudrait pour cela que nous revenions sur la notion de bien et de mal... mais avant cela je poursuis ma citation...
"J'ai compris que cela, la connaissance de la sottise et de la folie, c'est la poursuite du vent. Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, est celui qui augmente sa science augmente sa douleur."**


* A. E. Housman

** Ecclésiaste 1,17-18

samedi 18 février 2017

18 février 2017

Vu de l'extérieur, il pourrait sembler que Platon se parle à lui-même. Il pense que rien n'est si  lointain qu'il ne puisse l'atteindre. Bien sûr de lui, il pense aussi que rien ne pourrait le surprendre.



– Malgré tout et pour des raisons qui m'échappe autant qu'à celui qui me lit aujourd'hui nous restions un groupe, une sorte de nature unitaire bien que souvent dispersée, mais unie et prête à faire face à toutes les facéties de l'existence. En sommes, d'une certaine manière, sans vouloir trahir quelque secret que ce soit, nous étions tous restés, même les plus jeunes d'entre nous, de grands enfants capables d'une certaine "hauteur de vue" et une capacité certaine de nous élever au-dessus de l'immédiat... Mais, pour des raisons très diverses, assez lamentables pour certaines, nous ne pouvions faire autrement que de faire semblant... C'était pour nous comme une seconde nature avec laquelle nous jouions en permanence. Nous étions, pour des causes tout aussi diverses, activement recherchés. Je pouvais le savoir en lisant les messages si intelligemment codés dans les journaux qui nous parvenaient flottant sur les eaux comme des bouteilles jetées à la mer et que, il faut bien l'avouer, nous envions quelquefois. Être simplement le messager doit être très reposant, pensions-nous...

vendredi 17 février 2017

17 février 2017

« En vérité, on dirait qu’ils conçoivent l’homme dans la Nature comme un empire dans un empire. Ils croient, en effet, que l’homme trouble l’ordre de la Nature plutôt qu’il ne la suit, qu’il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination. Ils cherchent donc la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaines, non dans la puissance commune de la Nature, mais dans je ne sais quel vice de la nature humaine et, pour cette raison, pleurent à son sujet, la raillent, la méprisent ou le plus souvent la détestent: qui sait le plus éloquemment ou le plus subtilement censurer l’impuissance de L’Âme humaine est tenu pour divin. »*

 




 Vu de l'extérieur, il pourrait sembler que Platon parle tout seul.

– Il n’y a pas de différence entre mon expérience, mon travail et ma vie. Tout ce que je fais de mes mains ou avec mon corps est ma vie. Tout ce avec quoi je suis en relation est part de moi-même. Il n’est rien de lointain que je ne puisse atteindre. Si ce n’est avec mes jambes ou avec mes mains cela sera par l‘esprit. Mais ce voyage sera aussi réel que ces pieds, mes jambes ou mes mains et il sera loin d’être une abstraction.





* Spinoza, Éthique, livre III, préface

jeudi 16 février 2017

16 février 2017

« Il en est de la mentale situation
comme des méandres d'un drame »*



"Il suffira que la danseuse trace son écriture corporelle pour que le corps de ballet, rassemblé autour de la danseuse étoile, mime l'écriture des constellations, inverse de celle qui se trace sur le papier."**
L’appel du vide, constant et bien au-delà de toute volonté, trace lui aussi ses méandres dans la tête de Platon. Un vide bien étrange qui partage avec Platon un infini fait de réciprocité.
– Peu de ce qui se passe en dedans ne fait son chemin jusqu'au dehors... Mais tout finit par apparaitre quand il est oublié...



* Mallarmé

** Philippe Sollers, L'écriture et l'expérience des limites

mercredi 15 février 2017

15 février 2017

Avant même de s’élancer le plongeur vit plusieurs fois son envol. Il ne peut envisager le futur que selon ce qu’il connaît. Ce qu’il connait détermine donc ce qu’il pense ne pas connaître. L’inconnu est là qui l’appelle et sème un doute, agissant dans son esprit comme un léger déséquilibre.



mardi 14 février 2017

14 février 2017

Davantage que les mots que nous utilisons pour dire ce qui ne saute pas aux yeux, c'est la façon de le dire qui importe pour celui qui qui est véritablement à l'écoute. L'écoute ici, devient un ensemble de perception dépassant largement le cadre de l'oreille...
Quant à nos amis, préjuger d'un possible équilibre demande au préalable de prendre en comptes ce déséquilibre permanent qui seul permet une quelconque évolution.
L'incessante activité, l'instable déséquilibre et le permanent désordre des colonnes ajouté à la perspective d'une chute offre à Platon l'occasion de déplacer le centre de ses pensées. Les habitudes mentales ne sont pas faciles à rompre de l'intérieur. *

Le vague sentiment d'impuissance que nous ressentons en pareilles situations ne devrait pas nous dissimuler l'énorme confiance, pour ne pas dire la foi,  que l'on nous demande d'avoir en ce que nous appelons l'humanité, n'est autre que la justification sophistiquée de l’établissement d'un pouvoir absolu, celui de l'espèce humaine... et que rien ne devrait nous empêcher de la mettre en question... 




– Ce qui nous fait, ces colonnes comme nos-mêmes, est un simple croyance... 
– Laquelle?
– Sans le savoir, et, en quelque sorte, ça c'est réjouissant, nous croyons tous plus ou moins à l'infini de chaque instant... – Mais alors que devient ce que l'on appelle l'équilibre?
Au mieux, il ne serait alors plus qu'une sorte d'état où l'immobilité serait entièrement constituée d'une suite presque ininterrompue de gestes presque imperceptibles, quasi automatiques et d'acrobaties invisibles. 
En tenant ce discours, ne craignez-vous pas de vous mettre à dos celui qui vous nourrit, vous élève, vous... constitue et à qui vous devez obéissance?


* À la lumière de ce que nous savons
Zia Haider Rahman 


lundi 13 février 2017

13 février 2017

« Si les terrasses tremblent et le piédestal penche et si "tout a ses retours", le reflux lui-même reflue et tout semble rester au même endroit.…»


Pendant longtemps, du haut jusqu'en bas,
 la colonne vacille mais ne se rend pas.
Vaille que vaille, haïssant le temps, contre vents et marées
 debout  elle reste et s'en retourne à ses assises.
 Platon a fini par céder à l'appel du vide.
C'est in extremis que Damon le retient par la queue.


– À partir de quand peut-on dire que l'on connaît la loi qui organise et régule la croissance des corps et la maturité de l'esprit?
– La complexité de nos croyances...
– Je ne parlais pas de croyance...
– Eh bien, certes, mais que voulez-vous, que vous le croyiez ou non, la croyance y participe pour une bonne part...
– Comment cela?
– Par le fait que la matière qui nous constitue n'étant pas chose inerte elle est mue par un but lointain mais bien présent, même quand elle l'ignore...
– Et ce but lointain, quel est-il?
– Eh bien, je crois que la boucle est bouclée,  la réponse est justement cette loi à propos de laquelle vous me questionniez il y a un instant.
– ... ou du moins c'est ce que vous croyez...
– Non, vous vous trompez, c'est ce que je constate.
– Et cette loi, quelle serait-elle, comment l'énonceriez-vous?
– C'est justement là que commence la vraie difficulté.
– Comment cela?
– La manière dont nous l'énonçons fait partie de la constitution de cette loi...
– Vous voulez dire que cette loi n'est pas définie et qu'elle dépend de son énonciation?
– C'est cela même... et peut-être encore plus.
– Dites-moi.
– Elle dépend du moindre accent, de la moindre intonation, du rythme et du ton avec lesquels elle serait énoncée
– Est-ce inévitable?
– Que voulez-vous dire par là?
– Discrètement et pudiquement, je ne puis que faire quelques suggestions, presque des confidences.
– Pourquoi tant de mystères?
– Parce que c'est précisément là qu'ils se trouvent... 
– C'est-à-dire?

dimanche 12 février 2017

12 février 2017

« Déjà le pavé tremble et le piédestal penche, car tout a ses retours. Le reflux est de droit, jamais le genre humain ne reste au même endroit.…»*


– La pensée n’est pas que dans le langage et la rationalité, elle est partout à l’œuvre**. Enfin quelqu'un qui marche à mes côtés... Il faudrait laisser à chacun de nous, au-delà des normes, la possibilité d'une vérité qui lui est propre.

Comment la pensée peut-elle être présente sans aucun mot ne la véhicule... Voilà bien une question qui ne peut se passer des mots qui la structure... Mais la nature est ainsi faite que l’enthousiasme de Platon, le petit chien bleu, génère immédiatement un léger déséquilibre qui n'a précisément rien à voir avec la pensée ni avec l'espèce, ni avec la vérité, si ce n'est la part qu'elle peut avoir avec la gravité...


* Victor Hugo
La colère du bronze

** La pensée sauvage
Claude Lévi-Strauss

samedi 11 février 2017

11 février 2017

"De part sa nature, l’être humain est un être «néguentropique», un être qui se bat contre l’entropie, contre le nivellement et l’usure qui règne dans tous les systèmes physiques. L’être humain est un bâtisseur. Il se bat contre le temps. La pierre est un des matériaux qui résiste le plus à l’usure du temps. "



– Le “haut” est une image inaccessible pour celui qui est aux pied du stalagmite. Et ce que je vois d'en-haut ne ressemble pas à ce que je pouvais envisager lorsque j'étais tout en-bas.
Les formes se devinent à peine et l’imagination se met en mouvement pour escalader, un par un, les mille et un étages d’un temps qui nous échappe...

Les mots sont un guide bien mystérieux. Platon, chien de son état, légèrement désabusé, poursuit une ascension dont il ne pourrait deviner où elle pourrait le mener et , regardant au loin, se demande quelle sorte d'événement peut bien produire une si lancinante fumée.

vendredi 10 février 2017

10 février 2017



– Le stalagmite n'est point la mer... Si la pluie en fines gouttes se répand sur la mer, elles ne peuvent s'accumuler en couches distinctes, elles roulent et se mélangent sans fin dès le début et cela sera sans fin...
– Vous vous trompez... que faites-vous de ces ces banquises qui pendant longtemps s'étaient établies aux pôles et dans lesquelles ces strates que vous me refusez livrent, pour celles qui existent encore, d'innombrables secrets venus de temps que vous n'avez point connu et que jamais vous ne connaîtrez...

Sur la mer et bien au delà, les vents s'opposent et quadrille l'eau et le sable d'une géométrie radicalement incongrue, faisant apparaître des crevasses que l'on eu cru celle d'une terre desséchée et au loin faisant paraître une mer en furie dans les sable assoiffés d'un désert. Curieuse pensée que celle de Platon: des lignes de fuite sans droiture, des courbes qui ne sont pas courbes..., à moins que ce ne soit le ciel, majestueux palais de plein air qui reflète de guingois ce qui, dans les profondeurs vient au ciel ? Miroirs éparpillés sur ces parois en terrasses, des tableaux, souvent de petite taille, gris, noirs, argentés ou blancs, aux motifs simples. L'infiniment petit s'entrechoque avec l'infiniment grand. Platon vieillissant, comme tout spectateur, perd ses repères, sous les feux d'un soleil aveuglant, ses yeux lui jouent des tours, et trahissent ce qui dans esprit prenait forme d'équilibre.

jeudi 9 février 2017

9 février 2017

Dans une grotte, une stalagmite est une colonne partant du sol. Elle est formée de concrétions calcaire, calcaire encore dissous dans les gouttes d’eau qui tombent sur le sol, nous dit le dictionnaire Larousse.

– La mer est peut-être ainsi faite... après tout, inlassablement les gouttes d'eau tombent du ciel et forment des couches qui s'accumulent et puis s'évaporent et retombent...

Platon et les siens... curieuse formulation qui implique une sorte de possession, terme tout aussi curieux qui évoque à son tour un double sens... Dans leurs grottes, bien à l'abri des regards, se posent d'innombrables questions qui portent, notamment, à propos de ces stalagmites en constante formation et déformations.
– Il faut bien que ce qui constituent ces mille et une strates dans lesquelles sont enfermés à jamais des souvenirs qui à jamais réécrivent leurs histoires en formes de magmas indéchiffrable, vienne de quelque part...

mercredi 8 février 2017

8 février 2017




– Comme dit l'annoncier… "C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle".*


* Le Soulier de satin

mardi 7 février 2017

7 février 2017

Les lumières du ciel projettent sur la terre ce que les hommes projettent dans leurs esprits. Ainsi l'homme sur le bateau que les enfants avaient vu n'en était pas un. Cependant, en d'autres circonstances l'illusion se fait plus clémente.



Ainsi l'homme n'en était pas un mais amarré au rocher le bateau, lui, était bien réel.




En d'autre temps bien lointains, non loin de là...  

lundi 6 février 2017

6 février 2017

 Platon, enfant, "trouvait du réconfort dans les mathématiques, qui stimulaient son esprit, l'attiraient et le vidaient de tout. Il entr'apercevait un genre de vérité. Il se rappelle avoir d'abord rencontré la division posée, qui était présentée dans un manuel comme pur procédé  – quelque chose à comprendre, du moins à faire. Mais il ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi l'opération marchait. Nous admettons beaucoup de choses, beaucoup de ce qui est admis par les autres, et l'on nous dit d'obéir et nous acceptons. Et nous devons accepter. Je n'ai pas le temps ou, en l’occurrence, la disposition pour pour établir que la Terre est fondamentalement sphérique, mais quand je vois la couche de l'horizon depuis un avion, je crois avoir perçu quelque chose qui est cohérent avec ce que l'on m'a dit être la vérité : que la planète est ronde comme une boule. Mais comment pouvons-nous savoir que nous acceptons une chose que nous ne devrions pas accepter, sans connaissance du pourquoi? En mathématique, le pourquoi est tout. Comment ou plutôt pourquoi ce procédé mécanique de division posée marchait-il - calculer combien de fois un nombre est inclus dans un autre, trouver le reste, puis le reporter? Pourquoi quelqu'un avait-il pensé que cela marcherait toujours? Que se passait-il?"*




Que se passe-t'il? Deux enfants de sept ans, n'ayant rien et "tout", les deux à la fois, dérivent d'une histoire à une autre sans jamais connaître les liens qui les attachent l'un à l'autre excepté le dialogue. Le jeu infini qui lient les signes, les lettres, les mots, les phrases aux infinies représentations qu'elles suscitent à l'infini sur un horizon qui tourne en rond.

– L'homme est-il une machine supérieure à celles qu'il crée ?
– Pour répondre à cette question, il faut évaluer la question qui précède... ou plutôt les questions...
– Lesquelles?
– L'homme est-il une machine? L'homme est-il le créateur des machines qu'il prétend inventer? L'homme est-il au service d'une machine? 
– Cela fait beaucoup pour des "petits enfants de sept ans" comme nous...
– Et ce d'autant plus que la liste des questions n'est de loin pas finie...
– Par exemple...
– Par exemple quand nous disons "l'homme" a inventé une machine, s'agit-il d'un homme en particulier, qui porte un nom qui l’identifie, ou de l'ensemble d'"êtres" que l'on appelle "homme?
– Qu'est-ce que cela change?
– C'est une question de justice... ou peut-être d'éthique... à plusieurs niveaux... et d'abord, pour le moins, que je sache l'individu n'est pas l'ensemble...
– Je ne vais pas vous étonner, à ce point, je n'y comprend rien...
– Voyez-vous. il est très compliqué d'être simple...
– Je ne vous le fais pas dire...
– Regardez cet homme, là-bas, au loin, debout sur sa barque!
– Vous changez habilement de sujet et moi je ne vois rien.
– Pas du tout regardez bien juste à l'endroit où l'étoile est tombée.
– Là où les nuages ressemblent à de la fumée?
– C'est cela. Et, par un curieux effet du hasard, si je puis dire, au-delà du cliché...: Il n'y a pas de fumée sans feu... 
– Nous voilà bien loin des machines....
– Et peut-être bien près d'un homme...
– Se pourrait-il qu'il soit une espèce de reste?
– Un reste reste issu d'une division... par exemple...


* À la lumière de ce que nous savons
Zia Haider Rahman
Christian Bourgeois  Éditeur

dimanche 5 février 2017

5 février 2017

Êtes-vous capable de garder un secret?
Ce qui nous anime est le désir...
Oui, me dites-vous, mais jusqu'à quel point? 
Parlons-nous du désir ou du secret? Il en va peut-être de même.
À quel niveau de difficulté, quelle que soit cette difficulté, allez-vous céder au sentiment que la trahison n'en serait pas vraiment une? Je crois qu'à cette question, il importe peu de répondre puisque de toutes manière, un jour ou l'autre nous céderons... Platon, lui même, ne cesse d'y penser. La tentation est grande d'y céder. Céder à quelle révélation, le moment n'est pas encore venu où, moi-même, dans le même équilibre instable où nous nous trouvions, je céderai à la même tentation, même si le secret que je porte pour ma part, n'est évidemment pas le même que pour lui...

– Regarde, à l'endroit même où la pierre, enfin... l'étoile... est tombée, un homme s'approche, debout sur sa barque.

samedi 4 février 2017

4 février 2017

Loin, très loin de là. En d'autres temps...
« Conduisant ceux qui les connaîtront à négliger d'exercer leur mémoire, c'est l'oubli qu'ils introduiront dans leurs âmes : faisant confiance à l'écrit, c'est du dehors en recourant à des signes étrangers, et non du dedans, par leurs ressources propres, qu'ils se ressouviendront ; ce n'est donc pas pour la mémoire mais pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède. »*


- Regarde, une lumière venue du ciel!

La succession des règnes et des faits du plus simple au plus complexes est soumise aux cycles qui une fois enclenchés ne s'arrête que pour mettre mettre en route d'autres. Comment les choses ont-elles été nommées, comment conduisent-elles à la suivante et quels sont les liens qui les attachent? Telles sont les préoccupations de Platon enfant? Ainsi le petit caillou qui s'enflamme en pénétrant dans l'espace vivifiant de la terre enflamme tout autant l'esprit des enfants qui voient dans ce reste minuscule l'étoile toute entière sans savoir qu'elle meurt sous leurs yeux et qu'au même moment en d'autre temps, en d'autres lieux, comme les deux faces d'un même miroir...


* Platon, Phèdre

vendredi 3 février 2017

3 février 2017

"La reprise est cette catégorie paradoxale qui unit dans l'existence concrète ce qui a été, le même, à ce qui est nouveau, l'autre."*




« [...] pouvoir spirituel, bien calé dans des fortunes, des patrimoines et des réseaux temporels s'étend par delà les méridiens et parallèles connus. Terra incognita et mare nostrum postulent que les frontières sont affaire de navigation et de force. Le premier arrivé plante bannière et armoiries, nomme et exploite. » **

– Dites-moi, comment pourrions nous, avec modestie***, séparer le concept de reprise de celui de répétition? Vous admettrez, du moins je l'espère, qu'il y a là, malgré un bien faible écart sémantique, une différence de taille qui ne se mesure point à la ligne, ni à la lettre, mais aux effets qu'elles produisent...

 Platon, le petit chien Damon, Platon, l'autre petit chien, les deux jumeaux dont personne ne connait le nom sont réunis sur cet amas incompréhensible, au sens fort, dont ils ne savent s'il est une île, un reste de naufrage accroché aux restes d'une île, ou un radeau sur lequel, malgré les doutes et les interrogations ils avancent...
– Peu importe que cela soit l'un ou l'autre ou les deux ou les trois à la fois. L'important n'est-il pas d'être là?

Il eut envie d'ajouter "tous ensemble", mais quelque chose le retint. Et ce ne fut pas le fait de se retenir qu'il retint mais ce quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier et qui s'ajoutait au fait, tout aussi incompréhensible, que la voix qu'ils entendaient n'était pas la leur.

 – Il me semble pourtant que nous ne sommes pas "au complet"...
– Regardez, là au loin, une étoile filante...
Si la chose est nouvelle, peut-elle se répéter... En l’occurrence cette étoile...





* Sören Kierkegaard

** Codes noirs, Éditions Dalloz 

*** François Jullien, cours enregistré en 2017:
https://www.franceculture.fr/conferences/bibliotheque-nationale-de-france/acceder-une-seconde-vie-ou-passer-cote

jeudi 2 février 2017

2 février 2017

"La peur est un des plus grands problèmes inhérents à la vie. Être sa victime c'est avoir l'esprit confus, déformé, violent, agressif, en perpétuel conflit. C'est ne pas oser s'éloigner du mode conventionnel de pensée, qui engendre l'hypocrisie. tant qu'on est pas délivré de la peur, on peut escalader les plus hautes montagnes, inventer toutes sortes de dieux, mais on demeure dans les ténèbres."*



– Venez ici, n'ayez pas peur... où que nous soyons... que ceci soit un naufrage ou n'en soit pas un, peu importe. Qui que nous soyons et quoi que nous voyions: agissons, dites-moi ce que nous faisons, ou ce que nous pourrions faire ensemble?
"Il n’avait pas conscience, à ce moment-là, que son désir impliquât un but déterminé."**


* Krishmamurti, Se libérer du connu
** George Orwell, 1984

mercredi 1 février 2017

1er février 2017

"En chacun de nous est une tendance à s’accommoder des choses, à s'y habituer, à blâmer les circonstances.«Ah ! Si les choses étaient autres, je serai différent», disons-nous. Ou bien : « Donnez-moi une occasion favorable et je me réaliserai.» Ou : « L'injustice de tout cela m'écrase.» Nous ne cessons d'accuser les autres, notre milieu, la situation économique, d'être la cause de tous nos désordres."*


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– Dis-moi où tu vis et je te dirai qui tu es!
– N'est-ce pas un peu vite dit?
– Sans doute, tout comme c'est un peu vite répondu... enfin "répondu"... après réflexion, ce n'est pas une réponse... vous émettez une critique sur la forme de ce qui est dit et non sur le fond de la proposition. C'est une manière d'éluder qui a fait ses preuves et son chemin. Toujours est-il, maintenant qu'il semble que nous soyons tous réunis, qu'aucun de nous ne sait où nous sommes et moins encore qui nous sommes. Si la proposition que j'ai énoncé vaut quelque chose peut-être devrions nous y songer au lieu de dire que c'est vite dit!
– Pourquoi devrions-nous savoir qui nous sommes. Ne pourrions-nous pas nous conter d'être "qui nous sommes" ?


* Krishmamurti, Se libérer du connu