lundi 31 décembre 2007

Comme deux chats à l'affût


Tout en essayant de mettre un peu d'ordre dans mes pensées dispersées, je les entendais.
- Regarde cette petite chose à alphabétiser commence à penser. Dans peu de plein-temps elle se décroîtra à réguler... Il ne lui manque que la jactance.
Domitius ne semblait pas convaincu.
- Je minervois derrière ta barrière que tes cranasses passions sont belles illusions. Cette estampe poupée, temporairement priapée de surcroît, est capable de nous faire sourire certes, mais sans plus. Je crois, par ailleurs, que nous ne devrions guère renforcer ce penchant naturel qui nous pousse à cet acte insensé : voir en cette chose la continuation de nous-même. Nous ne sommes plus des enfants Maréchal et nous devrions peut-être passer à des choses plus sérieuses. Notre temps, monstre corrompu, nous est compté et si nous ne retrouvons pas Julius...
J'étais partagé entre l'envie de parler et ainsi de leur montrer que je n'étais pas cette chose qu'ils pensaient et l'envie de me taire et ainsi d'en entendre davantage. J'avais peine à comprendre comment, par moment cet parler vulgaire qui ressemblait étrangement à ce lui de Rosa et de Sophia, se "rétablissait" insensiblement et sans effort apparent, retrouvant ainsi la ligne que nous nous efforcions de suivre dans les hautes sphères. C'est à peine si je réussis à garder ma langue immobile et malgré moi, bien que je n'eusse rien fait pour cela, un mot, un tout petit mot, comme un petit coup de vent vent soulève quelques feuilles mortes, soulève ma langue et s'échappe sans espoir. Le rattraper était chose impensable... Avant même que je ne l'entende vraiment, Domitius et Maréchal s'étaient tus et comme deux chats à l'affût, s'étaient immobilisés, la patte en l'air...

dimanche 30 décembre 2007

Questionnement


Le fait de me retrouver dans les mains de ceux que je tenais autrefois entre les miennes, n'était pas surprenant en soi. Ce qui était surprenant était la surprise même. Jamais je n'eus dû être surpris. Ils ne sont que ce que je désirais qu'ils fussent...
Plutôt que de me laisser aller aux mouvements hypnotiques que Maréchal et Domitien réussissaient à merveille, je me mis à penser intensément tout en me laissant aller, extérieurement, à l'attitude de régression qu'ils attendaient.
- Comment pourrais-je reprendre en mains mon propre destin, alors qu'il parait évident que dans la position où je suis?
Maréchal et Domitien allaient faire et tirer de moi ce qu'ils désirent et ce désir n'est que le reflet du mien. Cette pensée devrait me donner un peu d'espoir. Si je comprends ce qu'ils désirent, je pourrais comprendre ce qui autrefois, au moment de les manipuler et faire d'eux ce qu'ils sont aujourd'hui, motivait mes propres actions. Je comprendrais alors ce que je désirais vraiment hier... et par là ce qui motive peut-être les actions de ces deux êtres...

vendredi 28 décembre 2007

..."entre deux, il y a des portes" *...


Maréchal et Domitien furent les premiers hommes recrutés dans nos services de renseignements à l'époque où l'éventualité d'un éventuel soulèvement des hommes était à peine évoquée. La seule évocation d'une "pareille stupidité" avait commencé par susciter des sourires camouflant avec peine les grimaces haineuse qui frémissaient dans l'ombre de leurs visages quand nous leur présentâmes Maréchal et Domitien. Ils n'étaient alors que deux jeunes hommes à la triste figure. Du fait que j'avais eu l'idée de les enrôler, j'avais été chargé par le "Cercle restreint" de les former pour cette présentation. Le peu de temps qui me fut accordé ne me permis pas de mener ces hommes au point où je voulais mais cela s'avéra fort suffisant pour qu'ils puissent, au mépris de toutes les croyances de cette époque, montrer qu'ils étaient capables d'apprendre à lire, à écrire et bien plus encore. Je ne pouvais encore pas imaginer qu'ils seraient capables un jour de nous surpasser en certains domaines, dont notamment la capacité de sourire n'était pas le moindre. Pour l'heure, j'étais en train de le regretter. Bien qu'ils ne me touchaient pas le moins du monde, j'avais l'impression de ne plus être qu'une marionnette entre leurs mains et leurs désirs. À la différence de Marcel, que je ne pouvais oublier, je n'étais plus qu'une misérable et minuscule chose qu'ils manipulaient à leur guise.
- Voulez-vous, je vous prie, avoir l'obligeance d'ouvrir la porte, Maître Tancrède ! me dit avec un ton compassé, Domitien qui était le plus loquace des deux, pendant que Maréchal captait toute mon attention avec des gestes tellement surprenants qu'il me fallait beaucoup d'attention pour le suivre. Ce qui entraînait, outre le fait qu'il me fallait admettre qu'il mettait en lumière très exactement ce que je leur avais enseigné, ce qui entraînait une dislocation de ma pensée favorable à l'ouverture de portes qui m'étaient presque inconnues...
Je réalisais à l'instant même que c'était précisément à cela qu'avait fait allusion Domitien. Ce qui me fit trembler. Domitien prenait le pas sur moi. Pour le moment je résistais, mais pour combien de temps encore ?

* "Il y a des choses qui sont connues et d'autres qui ne le sont pas, et entre deux il y a des portes..."
William Blake

Maréchal et Domitien


Malgré l'évidente ressemblance qui pouvait donner à penser qu'ils étaient frères voire même des jumeaux, Maréchal et Domitien n'avaient rien à voir ensemble. Si Maréchal était plutôt attiré par la nuit, Domitien, lui, se pavanait comme un soleil dans le ciel, sûr de la lumière et de l'ombre qu'il portait sur toutes choses sauf lui-même. Ils étaient de deux origines fort différentes ce qu'ils avaient en commune apparence de l'extérieur n'avait d'équivalent que l'opposition de leurs natures profondes.
- C'est de cette nature profonde que je vais te parler ! me susurre à l'oreille Domitien qui a le don, je le sais de source sûre, qui a le don, disais-je de lire dans les pensées. Je le sais car malheureusement c'est moi qui suis à l'origine de sa "carrière".
Voilà que je me sens petit, je ne suis plus qu'une sorte de poupée vide et sans articulations hormis quelques pensées que je m'efforce de faire taire.
Je suis entièrement dépendant de la main qui me maintient en périlleuse position au-dessus du vide.
Il y a des années de cela, alors que j'exerçais de hautes fonctions dont je ne puis guère parler sans que cela puisse avoir de graves conséquences, j'avais recruté, au mépris des opinions en vigueur, un certain nombre d'hommes que j'estimais alors capables de nous renseigner sur ce qui n'était alors qu'une rumeur...

jeudi 27 décembre 2007

Tête basse


Il fallait faire quelque chose. Je le fis. Sans trop réfléchir, je sortis de la maison par la porte arrière de telle manière que Maréchal Du Compté et Domitius Le Condé puissent croire que j'arrivais de l'extérieur et m'avançais eux, la tête basse mais emplie de l'espoir qu'en me sacrifiant je sauverais l'enfant.

mercredi 26 décembre 2007

Silence stupéfait


Le temps passait comme il était déjà passé et nous passions de cet état étonnant que l'on nomme stupéfaction à celui où, quelque soit ce passé, il faut aussi respirer et s'activer, aussi peu que ce soit. Les deux policiers, soit qu'ils entendirent ce "aussi peu que ce soit", ce qui nous apparaît comme impossible, soit qu'au contraire le silence qui régnait sur l'une et l'autre part de notre maison leur parut bizarre, s'étaient arrêté net eux aussi.

mardi 25 décembre 2007

Nativité


On eut dit qu'elle s'endormait. La nuit tombait. Ses yeux fermés ne s'ouvrirent qu'un bref instant en direction de celle que je croyais être Rosa. Les deux hommes n'étaient qu'à quelques mètres de nous, et s'ils avaient déjà ouvert la porte, ils n'étaient pas encore sortis. Seule la faible lueur d'une étoile les guidait. Sophia était méconnaissable, son visage se tordait en tous sens, elle transpirait abondamment et se tournait en tous sens. Heureusement que je n'étais pas seul avec elle. J'étais comme paralysé, incapable même de penser. Sans montrer la moindre contrariété, elle prépara, dans le plus complet silence les tissus flamboyants de leurs drapeaux qu'elles avaient abandonnés. Sans que rien ne l'eut annoncé, au coeur de la nuit et de notre foyer, c'est dans ce lit rougeoyant qu'elles mirent au monde le plus beau de tous les enfants.

Nous retenions notre souffle


Malgré tout et pour des raisons qui m'échappaient autant qu'à celui qui me lit aujourd'hui nous restions un groupe uni. Pour des raisons très diverses, et pour certaines assez lamentables, nous ne pouvions faire autrement. Nous étions, pour des raisons tout aussi diverses, activement recherchés. Je pouvais le savoir en lisant les messages si intelligemment codés dans les journaux qui nous parvenaient flottant sur les eaux comme des bouteilles jetées à la mer. Les deux personnages qui nous avaient suivis le jour de la représentation théâtrale n'avait pas complètement perdu notre piste. Il m'arrivait de les reconnaître au loin sur une des digues paralèlle à la notre. Lorsque c'était le cas, nous entrions alors précipitemment dans la maison et nous nous cachions dans le décor que nous avions conçu à cet usage. Au risque de paraître orgueilleux nous avions bien travaillé et je crois bien qu'il eut fallu un être remarquable pour que la mise en scène fut découverte. C'est ainsi que le jour où les deux accolytes entrèrent dans la maison, nous nous étions confortablement installé dans notre cachette et si un événement des plus curieux et le plus surprenant n'était survenu, nous n'aurions jamais été découvert...


Quelques instants après que les policiers aux sourires trompeurs, les plus affûtés et les plus redoutés du territoire, soient ressortis, que l'événement eut lieu. Dans la pièce où nous étions réfugiés, un voile très fin, trompe l'oeil parfait issu des mains si habiles de Rosa, nous séparait d'eux. Nous retenions notre souffle, attentifs au moindre bruit.


Dans une atmosphère lourde d'une tension rarement égalée, l'une de mes compagnes que je croyais être Sophia, sans le moindre bruit, comme un soleil se couche lentement se mit en boule sur le plancher. Son visage écarlate ne présageait rien de bon. Sans que nous ne puissions faire le moindre geste, nous la vîmes tourner la tête vers le ciel dans une position qui nous fit mal, tant cette position était des moins naturelles. Je crus, sans aucun doute, que sa nuque était brisée. Elle devint aussi blanche que neige...

lundi 24 décembre 2007

L'attente


Les deux jeunes hommes ne me restèrent pas longtemps inconnus. Ils étaient à l'image de Julius. Cette troublante "mimesis" me mis mal à l'aise jusqu'à ce que certains détails ambigus dans les infimes mouvements de ceux que je considérais comme des acteurs me firent comprendre que ceux-ci n'étaient autres que Rosa Et Sophia. Elles avaient coupé leurs leurs cheveux, quitté les rouges chatoyants de leurs drapeaux, revêtu le costume convenu du marin et semblaient en extase devant l'horizon.
La terre nouvelle et merveilleuse que j'envisageais et que peut-être elles guettaient si loin de moi, s'éloignait de telle manière que je n'avais plus aucune certitude d'un avenir qui pu s'ouvrir sur un bonheur que je voyais perdu à jamais. Comme si le fait de voir Julius projeté comme un adulte, vivant dans un monde qui se refuse à moi, me faisait comprendre que le monde qui me fuyait était précisément le monde qu'elles attendaient.
À la manière du marin qui scrute l'horizon, elles attendaient de voir apparaître une terre nouvelle à l'horizon :
"L'ignorance scintillante, mystérieuse alchimie du mariage des faits et des sens, voyage sur l'aveuglant miroir dansant de l'océan."*

* Julius ou le Théâtre de l'Illusion

dimanche 23 décembre 2007

Un livre-miroir


Rosa et Sophia étaient aussi proche l'une de l'autre que deux fleurs issues du même bosquet, mais chacune, si j'ose dire, me guidait dans des domaines aussi contraires que le jour et la nuit. Si je devais croire aux bribes de conversation qu'une brise irrégulière transportait à mes oreilles et si je parvenais plus ou moins bien à traduire le langage propre à leur univers, celui-ci grandissait insensiblement pendant que le mien rétrécissait sans qu'il me fut permis d'en douter. J'étais un peu perdu et sans réaction comme notre digue quand l'eau monte. Je regardais comme elle monter à mes pieds un monde nouveau qui ne demandait qu'à être déchiffré comme un livre et dans lequel je risquais fort de disparaître. Un livre dont les pages se renouvellent par vagues successives et dont je ne pouvais rien relire jamais. Il générait son propre langage sous forme d'images qu'il convenait de décoder. Un livre-miroir où le ciel dans son entier se reflète et joue infiniment. ll me fallait beaucoup de travail pour concilier l'infini des vagues et le langage ardu de mes lointaines compagnes. Insaisissables et riantes mouettes à l'assaut du sommet des vagues, elles murmuraient sans fin...
Quand un matin, alors que mes yeux à peine entrouverts peinaient encore à me reconnaître dans mon entier, sans que je n'y compris rien, je trouvais dans le miroir deux jeunes marins que je ne connaissais point. Je mis cela sur le compte d'une mauvaise nuit et refermais les yeux. Cela fit reparaître des images que je pouvais reconnaître, celles de ma jeunesse quand je fis mon premier voyage. J'avais revêtu un costume en tous points semblable à ceux que je venais de voir... La confusion reprenait place dans mon esprit. Je rouvrais les yeux. Rien d'autre que mon visage fatigué ne prenait place dans l'impassible miroir qui me tenait tête.

samedi 22 décembre 2007

Compétence et appétence

..."une forte chute produit des nuages de vapeurs légères,
qui s'agitent, retombent en pluie, arrosant les cimes des forêts ;
elle étourdit de son vacarme bien plus que les alentours.
C'est là que se trouvaient la demeure, le séjour, la sainte retraite
du grand fleuve ; installé là, dans une grotte faite de rochers
il imposait des lois aux eaux et aux nymphes leurs hôtesses." *


Le plus souvent installées face à la mer, au bout de la jettée, Sophia et Rosa me semblaient de plus en plus distantes. Dans les premiers temps de notre retraite nous avions eu les mêmes rapports qu'autrefois, du temps où j'étais un notable apprécié. Il s'était instauré une sorte de connivence qui faisait la part belle à leurs compétences et qui se confondaient joyeusement avec mes vigoureuses appétences naturelles. Il me fallut considérer que ce temps-là s'était terminé juste le jour où nous avions retrouvé Julius. Dès ce jour-là il ne me fut plus possible de les approcher. À peine avais-je fait un pas vers elles que la distance qui me nous séparait, loin de se réduire, au contraire augmentait de façon significative un peu de la même manière que les objets se mouvaient devant Julius... Ce ne sera que beaucoup plus tard que cette forme d'analogie parviendra à réveiller une certaine partie endormie, étourdie par le vacarme de mes innombrables pensées, conséquence presque certaine de mon absence au monde, lequel me semblait comme un bannissement aux extrémités des monde. Ce double exil eut été l'événement le plus curieux et le plus douloureux de ma vie si la transformation de Sophia ne vint alors me jeter dans plus obscur et incompréhensible encore.

* Ovide, Les Métamorphoses, livre 1
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/METAM/Met01/M01-568-779.html

vendredi 21 décembre 2007

Miroir des réalités


"Donc, dès qu’une image viendra te troubler l’esprit, pense à te dire : « Tu n’es qu’image, et non la réalité dont tu as l’apparence. » Puis, examine la et soumets la à l’épreuve des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n’en dépend pas ; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire :
- Cela ne me regarde pas."*



* Épictète

jeudi 20 décembre 2007

Jean-Marie




Dans la rue il est sorti pour acheter le journal et des clopes au kiosque du coin. Son chemin en même temps que son cœur s'est arrêté. Les mots peinent à se rassembler. Quelques idées, un peu de fumée et puis des enthousiasmes, et puis la voix de Nathalie* venue de loin dans une langue que je ne comprends pas mais qui sans peine se fraie un chemin jusqu'au cœur et lui rend un chaleureux hommage. Une voix qui nous transporte jusqu'à hier quand nous n'étions, Jean-Marie, encore que des enfants, et vers demain, quand nos chemins se perdront dans la mémoire de ceux qui chercheront peut-être quelques mots...



* Nathalie El-Baze
http://www.jazzphone.ch/musique/musiques.htm#El-Baze
http://www.mx3.ch/artist/elbaze

mercredi 19 décembre 2007

mardi 18 décembre 2007

« N’écoute les conseils de personne...»


J'étais bien loin de m'imaginer combien le pouvoir de Sophia et de Rosa était grand. Sans que je le sache, dès le jour où je le leur avais présenté, elles avaient su entrer dans son monde dont je ne possédais pas la clef.

« N’écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et nous raconte les histoires du monde. »
(Debussy)
« Commute les feuillus communicants qui défigurent en nous, saignantes turpitudes du sondé, les exèdres du redonde, laisse les chignons du vent décoiffer ce qui nous rascasse et nous équivalente. »
Rosa & Sophia

lundi 17 décembre 2007

Jeux de rôles

Inutile de vous dire que dans l'instant, je ne compris rien du langage qu'utilisait Rosa et Sophia. Je mis un certain temps à m'y habituer, mais j'avoue qu'aujourd'hui encore, bien que de nombreuses années aient passés et que je me sois mis avec acharnement à l'étude de cette curieuse langue, je ne la maîtrise que bien imparfaitement. Si j'arrive à en retenir l'orientation générale, le sens, je devrais dire les sens, m'échappent presque à tous coups. Je dois me contenter de naviguer à vue, ce qui semble plaire à mes compagnes. Elle connaissent à la perfection la mienne mais refusent de la parler en dehors des situations qu'elles appellent les "situations de représentation" où elles prétendent n'y exercer que des rôles aux travers desquels, en vraies professionnelles, elles apprennent à montrer et à connaître le monde mais où personne ne découvrira jamais la moindre parcelle de ce qu'elles sont.

dimanche 16 décembre 2007

Joyeux éparpillement


Quand nous eûmes suffisamment marché et couru et que que notre tranquillité nous parut assurée pour un temps nous nous remîmes à parler. Il serait plus juste de dire qu'elles se remirent à parler. Je n'avais à ce moment-là pas voix au chapitre. Ce qui , il me faut l'avouer ne me déplaisait pas du tout, au contraire, mes pensées, libérées de l'obligation de paraître se mirent à s'éparpiller si joyeusement que j'en oubliais la situation dans laquelle nous nous trouvions. Il faut dire aussi que je me sentais aussi seul que quand je l'étais face à mes dossiers. Rosa et Sophia avaient cessé de se montrer comme des objets de désirs. Elles parlaient comme des hommes, langue à laquelle je ne m'étais encore point habitué.
Rosa dira plus tard à propos de cet instant :
- "En tant qu'gentilhomme désencagé, il n'mirait pas, colligé de s'emplumer aux pensées que quelqu'un d'vautre a acculé. C'tait un vrai pluviomètre cumulé. Rin de plus qu'mollissante populace impassibe à frégater. Le fait que le nous ne l'agilions pas régalait le tu en désassorti préfrittage. Bref, on nu dit un binheureux décranté à r'programmer".

samedi 15 décembre 2007

Signes


Beaucoup de changements intervinrent rapidement depuis notre représentation publique. Nous dûmes prendre des mesures urgentes. Je fus extrêmement surpris de constater que je ne devrais pas y réfléchir et les imposer par moi-même. Rosa, sans que je lui demande avait quitté son personnage de femme provocante et publique et s'était métamorphosée. Je ne la reconnaissais pas plus que Sophia. Nous étions médusés, incapables du moindre mouvement ce qui était fort dangereux car nous étions suivi. Un personnage inquiétant, au vu de son costume probablement un policier issu de l'ancien régime, nous suivait en faisant de grands signes qui nous inquiétaient profondément.

Concert à l'ETM










ETM, école prodiguant l'enseignement du jazz, du rock, du blues, du funk, de la fusion, et des musiques actuelles pour débutants et professionnels.
http://www.etm.ch

vendredi 14 décembre 2007

L'étranger


L'étranger
-- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
-- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
-- Tes amis?
-- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
-- Ta patrie?
-- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
-- La beauté?
-- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
-- L'or?
-- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
-- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
-- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Baudelaire in Petits poëmes en prose

Un sommet

De même qu'un montagnard atteignant un sommet qu'il a depuis longtemps désiré, grâce à l'expérience et aux aptitudes personnelles de Sophia et Rosa, dont le rôle n'a pas encore été présenté, je ressentais des sensations et des impressions très diverses parmi lesquelles la joie dominait. Nous avions réussi à capter l'attention de Julius. Peu importe que le ciel fut alourdi de sombres nuages porteurs certainement de mauvais présages. Sortant de l'ombre, les formes floues de sombres uniformes qui marchaient vers nous ne pouvaient pas être autre que la conséquence de l'apparition publique un peu scandaleuse de mes deux compagnes. Il faut dire qu'en ce temps-là leur présence n'était guère tolérée qu'à l'église, dans la chaleur du foyer ou au bordel. Nous ne nous attardâmes point et sans demander notre dû nous filâmes "ventres à terre"ce qui fit bien rire mes deux protégées. Ainsi c’est dans la joie et la joyeuse reconnaissance que nous avons pu constater avec quel sérieux nous avions su nous y prendre.
Constatant combien la dangereuse liberté que nous nous attribuions et la promesse d'une arrestation prochaine n’influençait en aucune manière le sentiment de se sentir étroitement uni, bien au contraire,
 Rosa, fière de l'accomplissement de notre tâche et qui ne manquait pas d'humour gaillard sourit en prononçant sa conclusion :
- Notre tâche n'est pas achevée et si notre travail a produit un fruit dans lequel je me réjouis de mordre à pleine dent, nous devons veiller à ne pas nous endormir en cédant à l'engourdissement de la joie qui ne peut être que passagère!
C'est alors que je compris combien Rosa, sous des apparences légères, était, en faits et en gestes, tout à fait porteuse d'une idée puissante qui me la fit découvrir comme un guide sûr auquel je me promis de rester fidèle.
- Bandons nos arcs et visons, dans la mesure de nos possibilités, au coeur des profondeurs de nos espoirs les plus fous !
Il est vrai que Rosa était surprenante, cette dernière réplique à laquelle je devrais consacrer un peu de temps pour bien la comprendre eût pu être attribuée à un âne, mais ce fut bien elle qui la prononça de farouche et fière manière.

mercredi 12 décembre 2007

Noir sur blanc


"Sous les regards dansants des innombrables flocons, le corps dégrisé du papillon, noir sur blanc, dans son habit de nuit s'efface, tremblotant sous le manteau aveuglant de la neige..."

mardi 11 décembre 2007

Brêche-cousue

Je n'étais pas le seul à avoir remarqué la présence de Julius. Sophia, qui semblait complètement absorbée par son chant, l'observait tout autant que moi. C'est dans la forme particulière de son langage qu'elle me transmit ce qu'elle avait ressenti à ce moment-là.
- "Si ce mutant Brêche-cousue ne me fente, il ne peut pas me débrutir. Il falloit que par mes mains je m'émoussure de lui."
La simplicité n'était pas la forme en vigueur dans les tournures de Sophia. On peut avec une certaine expérience-qui ne garantit rien-traduire ce qu'elle dit alors par:
- Si ce muet qui se mue sans un regard ne me voit, il ne peut pas ne pas me sentir. Il faudrait que de mes mains je m'assure qu'il a raviné dans mes pensées.
L'apparition du langage de Sophia reste un mystère que la pauvreté de mes mots ne peut pas expliquer en profondeur. Les tournures de Sophia restent marquées par du surnaturel qui échappe souvent à notre compréhension logique. Aussi, ce matin-là, je suppose qu'elle a su parler à son cœur plutôt qu'à son cerveau.

lundi 10 décembre 2007

Les têtes tournent


Il ne se passa guère longtemps jusqu'à ce que je distingue Julius au dernier rang des spectateurs. Il avait la tête clairement tournée vers nous et semblait complètement absorbé par ce qui se passait devant lui. Il émanait de lui une sorte de calme et de bien-être assez communicatif. Il me semblait qu'à ce moment-là il n'était guère différent, du point de vue des sens, des autres spectateurs. Bien entendu il ne pouvait être sensible à la beauté extérieure de ces deux femmes, mais il semblait tout aussi fasciné et lorsque, pour tester ses capacités je décidais de changer de place en entraînant Rosa dans un mouvement dansant qui nous emmena de l'autre côté de notre petit théâtre ambulant, il tourna la tête tout autant que n'importe qui mais bien plus rapidement. C'est alors qu'une question me vint à l'esprit. Et si son mutisme et sa surdité était en quelque sorte le résultat d'une sorte de dysfonctionnement provisoire plus que l'objet d'une absence irrémédiable ?

dimanche 9 décembre 2007

Une belle amitié


Au nom de notre belle amitié et de certains services que j'avais, au vu de mon ancienne situation, pu leur rendre, elles furent d'accord pour me donner une sorte de coup de main. Ce qu'elles firent avec grand plaisir qu'elles savaient fort bien dissimuler. Nous nous mîmes à parcourir les quais en jouant certaines sortes de pièces dont le public de l'époque était friand. Sous le couvert d'une certaine légèreté, ces pièces n'en contenaient pas moins une certaine part de sagesse. Par dessus tout elles parlaient, et même chantaient l'amour, ce qui était le gage certain qu'elles seraient écoutées. Ils faut dire que mes associées, sur ce sujet en connaissaient un rayon. Quand l'une d'elle, spécialement Rosa, se mettait à chanter, toutes les têtes se mettaient à tourner.

samedi 8 décembre 2007

"Fais ce qu'il te plaît"


"La" solution à mon problème s'appelaient Rosa et Sophia. Je les avais connues au temps où elles s'occupaient de faire régner "la paix et l'harmonie" entre les peuples. Il est vrai que toutes deux étaient des êtres humains qu'officiellement nous n'avions pas le droit de fréquenter et surtout pas d'entretenir avec elles des relations plus... personnelles. Toutes deux avaient élu domicile dans le bâtiment qui formait l'extrême rempart ouest de notre citadelle- à l'opposé du bâtiment qui regroupait les forces spirituelles de notre élite dont j'avais, à un certain degré, la chance de faire partie. À l'époque, le bâtiment au fronton duquel était gravé la sentence bien connue : "Fais ce qu'il te plaît", laquelle sentence était comme il se doit fort différemment interprétée selon les divers moments de la vie et les humeurs changeantes des êtres avec une liberté et une tolérance sans égale, était considéré comme un instrument, plus précisément un laboratoire dans lequel on pouvait observer à l'envi tous les comportements "à l'état naturel". Rosa et Sophia en était d'une manière qui leur était très naturelle les deux pièces maîtresses et remarquablement dirigeantes. J'avais la chance, non seulement d'avoir été en quelque sorte formé par elles, mais en plus, ce qui était fort rare, d'avoir leur "oreille".

Ficelles


- J'eus beau utiliser toutes le ficelles de mon métier de marionnettiste, durement acquise lors des trois années d'apprentissage que je passais auprès de Maître Mariolle, rien n'y fit. Il me semblait que Julius ne participait pas du même monde que moi ou apparemment de quiconque. Soit il ne ressentait nullement ma présence, soit il ne voulait pas me le faire savoir. C'est alors que je sus précisément quoi faire. La marionnette était un excellent intermédiaire, mais il fallait qu'elle soit d'un tout autre ordre...

vendredi 7 décembre 2007


« Ceux qui ne bougent pas ne sentent pas leurs chaînes.»*

* Rosa Luxembourg

jeudi 6 décembre 2007

Ressemblance


Nous étions sept à avoir été choisis. Le premier devoir qui nous fut imposé était de construire une image de nous-même de telle manière qu'elle nous représente de la manière la plus fidèle possible. Nous devions travailler ensemble et ce que faisait l'un était censé servir de modèle aux autres. Ce qui fit qu'après de longues hésitations et brusques élans de créativité répercutés en cascades plus ou moins canalisées, de miroirs en miroirs, d'influences en rejets, nous en étions arrivés à tenir entre nos mains la même marionnette derrière laquelle nous pensions tous pouvoir aisément nous cacher. Pensée qui fit naître un large sourire sur le visage de notre Maître.
- Vous pouvez penser ce que vous voulez, nous dit René Mariolle. Cependant aucune de ces marionnettes ne peut être confondue avec une autre, et pour cela il faut avoir un oeil exercé allié à une oreille attentive. Car en vérité votre marionnette, du fait que chacun de vous a du la réaliser de ses propres mains, sans l'aide matérielle de quiconque, et bien que de prime abord elle ressemblât en tous points aux autres, possède profondément les caractéristique de chacun de vous... et plus encore...
Ce "plus encore" nous sembla bien mystérieux mais il ne voulut pas nous en dire plus... pour le moment...

mercredi 5 décembre 2007

"Tout vient à point pour qui sait attendre"


René Mariolle, en principe, n'existait pas dans notre brave et vénéré système dont il se fichait éperdumment et ne se gênait pas pour le dire.
- Je ne suis, tout comme vous qu'une parcelle infime de ce que je peine à connaître et dont je suis, nous sommes, à la fois les maître et les esclaves confondus.
Rien de ce que nous disait René Mariolle n'était facile à comprendre.
- C'est le destin de tous les ânes que d'essayer vainement de tout comprendre ! nous répondait-il quand nous avions le courage de le lui dire.
"Tout vient à point pour qui sait attendre". Le calendrier de votre vie est inscrit à l'intérieur de vous-même et vous ne le connaîtrez que jour après jour et quand vous saurez le comprendre, il sera trop tard... Méfiez-vous de prendre soin de lui et de ne point l'oublier.
Il avait mis au point une méthode d'enseignement bien particulière et particulièrement non conforme aux instructions en vigueur. Et la vigueur, sous-entendu de l'État, en ce temps-là, prenait tout son sens et ne se gênait, pas plus que René, de se manifester sans aucune retenue.
Quand j'écris que René Mariolle, en principe, n'existait pas, je veux dire par là que personne, hormis nous élèves de sa classe, ne le connaissait ni ne se doutait de son existence. Nous avions une vague idée de ce qu'il était réellement mais nous n'osions en parler tant le sujet était considéré comme dangereux. Le fait est qu'il maniait le Bâton aussi bien que l'archet et le verbe. Aucun des deux, pas plus que le troisième, même s'il savait le rendre discret, ne le quittaient jamais.
- Action par le verbe, réaction par les mots et conclusion par le bâton ! disait-il en souriant.

mardi 4 décembre 2007

Confusion


Je devais à tout moment m'adapter à l'inattendu qui sans cesse me guettait. Je m'étais, de façon inconsciente mis dans une position similaire à celle de Julius. Dès ce moment, rien ne me fut plus favorable pour le comprendre, bien que Julius, je le saurais plus tard avec certitude, ne concevait pas le monde sous forme de mots. Il faudrait ajouter qu'il ne pouvait le concevoir ainsi, ce qui fut la cause d'une grande perte de temps où je me fourvoyais à chercher selon les modèles de mon propre fonctionnement. Ainsi ce que j'écrivais se lisait comme un élément de mémoire. Mais cette histoire, aussi intéressante qu'elle puisse se révéler à me yeux, était la mienne et non la sienne. Une confusion s'était établie contre laquelle il me fallait lutter en changeant radicalement de point de vue. Pour cela je fis l'effort de me souvenir de ce que nous avait appris notre "Grand Maître de Justice", René Mariolle. L'enseignement de Maître René n'était pas banale du tout. Il utilisait un langage symbolique extrêmement vulgaire et imagé recouvrant une profondeur véritablement abyssale qui ne nous apparaissait que bien longtemps après. Ce fut le cas ce jour là.

lundi 3 décembre 2007

Émerveillement

- Pour la première fois de ma vie mes paroles ne contredisaient plus mes pensées, mais encore, par moment elles cheminaient si allègrement, que j'avais peine à les suivre. On eut dit que ces mots étaient animés d'une intention qui me dépassait. Dès le moment où j'en pris conscience, un sentiment d'inquiétude me gagna. Je ne pouvais écrire un mot sans m'inquiéter du sens dans lequel il allait m'emmener tout entier. En quelque sorte ma pensée était devenue aveugle et chaque geste que je faisais me racontait la surprise et l'émerveillement d'un monde nouveau pour moi.

Sur les marches


De plus, chaque matin, alors que je gravissais les marches pour me rendre à mon bureau situé dans la bibliothèque en pleine rénovation, je croisais le chemin de Julius. Le bâtiment dans lequel la bibliothèque avait été installée se trouvait être l'ancien palais de Justice. Par le plus grand des hasard le bureau qui m'avait été attribué en tant que professeur de littérature et de philosophie était exactement celui que j'occupais en tant que Grand Juge.

dimanche 2 décembre 2007

Improvisation


- Cet exercice, nouveau pour moi, donna un résultat assez inattendu. Non seulement je pris plaisir à me mettre à écrire, mais ce que j'écrivais me paraissaient mieux correspondre à mes pensées que tout ce que j'avais pu dire jusque là à haute voix. Je suivais Julius pas à pas. Il m'était facile de le trouver puisqu'il ne passait pas un instant qu'il n'improvise une musique merveilleusement adaptée aux circonstances et qui s'inscrivait tellement bien dans la topographie des lieux qu'elle semblait en émaner ou, plus encore, à l'illustrer.

Simplicité


Beaucoup de temps est passé. Bien des années après les événements, le juge Tancrède est devenu professeur.
- Les quelques mots sur l'origine du texte que nous allons, ces prochains jours, soumettre à votre digne attention vous en feront, nous l'espérons, comprendre l'intention. Le texte dont nous parlons n'a pas été écrit exclusivement dans le but d'être publié. Il fait suite à ma rencontre avec un personnage étrange répondant, si j'ose dire, au nom de Julius.
En écrivant cet essai, je voulais savoir dans quelle mesure notre conception de la vie était compatible avec les vues, s'il est possible de dire cela à propos d'un aveugle, je parle de Julius, sur le temps. L'admiration que j'avais pour Julius, la conviction qu'il m'apportait non seulement une nouvelle présence physique mais aussi certaines interrogations sur sa ou ses manières de penser. L'idée que sensations et philosophie seraient des domaines différents mais qui pourraient, sous un certain angle, se compléter, tout cela m'inspirait le profond désir d'essayer de pénétrer dans le monde, que je pensais obscur, de Julius. Mais cette recherche allait bientôt m'offrir un intérêt plus large. La conception du temps que semblait se faire Julius se manifestait par une expérience si directe et si immédiate qu'il semblait n'avoir aucune idée du caractère passager de ce temps. Il semblait vivre dans un présent qui me semblait, à moi spectateur complètement extérieur, comme quelque chose qui serait à la fois absolument innocent et complètement effrayant tout autant qu'immuable. Sans s'aventurer dans l'hypothèse d'un Temps absolu et primitif, comme abandonné de toutes spéculations intellectuelles, je pensais que la présence au monde de Julius s'harmonisait avec une croyance en un monde idyllique qui lui paraissait très naturelle. Julius devenait pour moi, comme pour tous ceux qui l'approchait, l'être le plus simple du monde. J'écrivis alors cette phrase qui était le point de départ de mon étude :
- Julius devenait ainsi, par son extrême simplicité, le phénomène le plus incompréhensible qui puisse exister.

samedi 1 décembre 2007

Mimésis


Au couchant, Mimésis, la barque éventrée, aux travers de ses entrailles, convoque le passé disparu. Tout au long de la plage au rythme de la houle le temps s'écoule.
"Un soir, t'en souvient-il, nous voguions en silence..."
Julius sentait, enfin, sur son épaule, le soupir de la mer, soulagée de ne plus les porter.