mardi 31 janvier 2006

Ahasvérus

















(...)
Je veux qu' on vous dévoile le secret que je recélai,
de ma main,dans le creux des rochers
et dans le ciel frissonnant des lacs.
Je veux qu' on vous montre la terre depuis
qu' elle échappa de ma main comme le grain du
semeur pour produire son ivraie, jusqu' au
jour où je la moissonnai toute sèche et fanée
dans la vallée (...)

Ahasvérus
Edgar Quinet

lundi 30 janvier 2006

Au-delà de la culture












Qu'y a-t-il de plus frustrant que l'impuissance? Je pense à l'enfant qui s'évertue à lacer ses chaussures, ou au supplice de l'homme victime d'une attaque qui s'efforce vainement de se faire comprendre (...) et, pire, de s'alimenter tout seul. Tout aussi frustrants, bien que moins visibles, sont les problèmes banals de la vie quotidienne. Il faut affronter la perte du sens de l'orientation ou l'incapacité à suivre les instructions d'un plan pour se déplacer d'un endroit à l'autre, le manque de progrès à l'école et dans son travail, ou l'impuissance à contrôler le système social auquel on appartient. Dans ces conditions, la vie au lieu d'être un épanouissement joyeux se transforme en une réalité sombre et desséchée qui ne vaut pratiquement pas la peine d'être vécue.
La culture (...) nous pousse à attribuer ces échecs soit à l'individu, soit au système social, en fonction de notre orientation philosophique. Il est rare que nous nous en prenions à notre manque de compréhension des faits, et l'idée ne nous effleure même pas qu'il y a peut-être quelque chose qui cloche dans nos institutions ou dans les mécanismes d'identification culturelle. Cette frustration provient en grande partie d'un sentiment de perplexité devant les manifestations les plus évidentes, les plus superficielles des institutions que nous avons créées. Songez que l'on peut vivre sans aucune connaissance de physiologie, que l'on peut parler correctement une langue sans connaître la linguistique ou même la grammaire scolaire, que l'on peut se servir d'une télévision, d'un téléphone et d'une voiture sans avoir la moindre idée de l'électronique et sans le moindre rudiment de mécanique. On peut grandir et vieillir dans une culture avec une connaissance faible ou nulle des lois fondamentales qui la gouvernent et l'opposent à toutes les autres.
Pourtant les cultures sont infiniment plus complexes que les télévisions, les automobiles et peut-être même que la physiologie humaine. Alors Comment s'y prend-on pour connàitre les structures sous-jacentes d'une culture ? La manière importe peu, tant que l'on reste conséquent avec ce que l'on observe. Tous les systèmes et sous-systèmes culturels fondamentaux peuvent servir de foyers d'observation.

Au-delà de la culture
Edward T. Hall
Ed. Points

jeudi 26 janvier 2006

Oceano nox


Oceano Nox
 
Oh! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis!
Combien ont disparu, dure et triste fortune!
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis!
Combien de patrons morts avec leurs équipages!
L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages,
Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots!
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée.
Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée,
...
Victor Hugo

Balade













"Un petit papier plié,
Quelques mots à peine liés,
Au fond d’un petit panier
Ont largués les amarres
D’un roi et puis d’un avare.
D’une histoire à peine née,
D’un homme à moitié nié
Qui jamais n’avait supplié,
Voit les charmes d’une dame..."

Chanson de Lazare
La comédie en chantant
D.W.

Au-delà


- Je ne devrais pas vous le dire, mais c’est vrai ! Mais il y a pire, les luttes et les histoire que nous jouons sont quelquefois le reflet exact de leurs actes et de leurs pensées. Ils aiment à venir nous voir, du moins pour ce qui concerne les rêveurs. Ils payent pour cela. Les autres aussi par ailleurs, sans que les rêveurs ne le sachent. Pour la raison que, pendant que les rêveurs rêvent, les autres peuvent agir à leur guise, sans témoin. Les murmures que nous croyons entendre sont les leurs. Les applaudisements ne sont pas des passages d’oiseaux qui battent des ailes ce sont leurs mains qui se joignent en cadence, telle une dance, permettant à leurs âmes de s’élever jusqu’à nous. Il arrive que les histoires que nous vivons deviennent en sens inverse, des modèles d’existence pour eux. Certains se conforment en tous points à ce que l’on nous fait dire...

Extrait de "Lazare, comédien"
Daniel Will

dimanche 22 janvier 2006

Vanité?


Article premier.

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

...
Et vous mettant au rang du reste des mortels,
vous a-t-elle forcé d' encenser ses autels ?
...

Racine, Jean (1639-1699)
Phèdre
Acte I, scène première

jeudi 19 janvier 2006

Monsieur H.


Le crépuscule est un passage. Le passage d'un monde à l'autre de migrants maîtres-chanteurs, élevant au-dessus des soleils couchants, fissures et gouffres de tendresses endormies qui se font entendre à qui prête l'oreille et le coeur.

Alma, cd, William Fierro
www.williamfierro.com

mercredi 18 janvier 2006

Montalbano


Pippo Ragonese, commentateur politique de Televigàta, était doté de deux choses : une face de cul de poule et une imagination tordue qui le portait à inventer des complots. Ennemi déclaré de Montalbano, Ragonese ne rata pas l'occasion de l'attaquer encore une fois. Il soutint en effet que derrière le soi-disant vol à la tire des deux petites vieilles, il y avait un dessein politique précis, œuvre d'extrémistes de gauche pas encore identifiés. Ceux-ci, par ces actions terroristes, tentaient de dissuader les croyants d'aller à l'église en vue de l’avènement d'un nouvel athéisme. L’explication du fait que la police de Vigàta n'avait pas encore arrêté le pseudo-voleur à l'arraché, on devait la chercher dans le frein inconscient que constituaient les idées politiques du commissaire, certes pas orientées ni au centre ni à droite. « Frein inconscient », souligna bien deux fois le joumaliste, pour éviter tout malentendu ou plainte en diffamation.
Mais Montalbano ne se fâcha pas, en fait, il en rigola bien. Il ne rit pas cependant le lendemain lorsqu'il fut convoqué par le questeur Bonetti-Alderighi. Lequel, devant un Montalbano sidéré, n'épousa pas la thèse du journaliste, mais, en un certain sens, s'y fiança, invitant le commissaire à suivre « aussi » cette piste.
- Mais, monsieur le Questeur, réfléchissez : combien de pseudo-voleurs à l'arraché faut-il pour dissuader toutes les petites vieilles de Montelusa et sa province d'aller à la première messe ?
- Vous-même, Montalbano, avez employé juste à l'instant l'expression « pseudo-voleur à l'arraché ».
Vous conviendrez, j'espère, qu'il ne s'agit pas du modus operandi typique d’un voleur à l’arraché.

Andrea Camilleri
"La démission de Montalbano"
Pocket

dimanche 15 janvier 2006

La conspiration


ACTE I, SCENE VII

La maison d'Ubu.

GIRON, PILE, COTICE, PERE UBU, MERE UBU,
CONJURES ET SOLDATS, CAPITAINE BORDURE

PERE UBU
Eh! mes bons amis, il est grand temps d'arrêter le plan de la conspiration. Que chacun donne son avis. Je vais d'abord donner le mien, si vous le permettez.
CAPITAINE BORDURE
Parlez, Père Ubu.
PERE UBU
Eh bien, mes amis, je suis d'avis d'empoisonner simplement le roi en lui fourrant de l'arsenic dans son déjeuner. Quand il voudra le brouter il tombera mort, et ainsi je serai roi.
TOUS
Fi, le sagouin!
PERE UBU
Eh quoi, cela ne vous plaît pas? Alors, que Bordure donne son avis.
CAPITAINE BORDURE
Moi, je suis d'avis de lui ficher un grand coup d'épée qui le fendra de la tête à la ceinture.
TOUS
Oui! voilà qui est noble et vaillant.
PERE UBU
Et s'il vous donne des coups de pied? Je me rappelle maintenant qu'il a pour les revues des souliers de fer qui font très mal. Si je savais, je filerais vous dénoncer pour me tirer de cette sale affaire, et je pense qu'il me donnerait aussi de la monnaie.
MERE UBU
Oh! le traître, le lâche, le vilain et plat ladre.
TOUS
Conspuez le Père Ubu!
PERE UBU
Hé! messieurs, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez visiter mes poches. Enfin je consens à m'exposer pour vous. De la sorte, Bordure, tu te charges de pourfendre le roi.
CAPITAINE BORDURE
Ne vaudrait-il pas mieux nous jeter tous à la fois sur lui en braillant et gueulant? Nous aurions chance ainsi d'entraîner les troupes.
PERE UBU
Alors, voilà. Je tâcherai de lui marcher sur les pieds, il regimbera, alors je lui dirai: MERDRE, et à ce signal vous vous jetterez sur lui.
MERE UBU
Oui, et dès qu'il sera mort tu prendras son sceptre et sa couronne.
CAPITAINE BORDURE
Et je courrai avec mes hommes à la poursuite de la famille royale.
PERE UBU
Oui, et je te recommande spécialement le jeune Bougrelas.
Ils sortent.
PERE UBU, courant après et les faisant revenir.
Messieurs, nous avons oublié une cérémonie indispensable, il faut jurer de nous escrimer vaillamment.
CAPITAINE BORDURE
Et comment faire? Nous n'avons pas de prêtre.
PERE UBU
La Mère Ubu va en tenir lieu.
TOUS
Eh bien, soit.
PERE UBU
Ainsi, vous jurez de bien tuer le roi?
TOUS
Oui, nous le jurons. Vive le Père Ubu!

Alfred Jarry
"Ubu roi"

vendredi 13 janvier 2006

Des frissons dans la bibliothèque


Le pantin, perdant courage, était à deux doigts de se jeter à terre et de se rendre quand, promenant son regard alentour, il vit luire au loin dans les arbres vert sombre une maisonnette blanche comme la neige. "Si j'avais assez de souffle pour l'atteindre, je pourrais m'en tirer", se dit-il. Et, sans hésiter plus longtemps, il reprit sa course à toute allure à travers le bois ; et les brigands étaient toujours à ses trousses. Après une course éperdue qui dura près de deux heures, il finit par arriver tout essoufflé à la porte de la maisonnette, et frappa. Pas de réponse.
Il frappa une deuxième fois plus fort, car il entendait de plus en plus distinctement les pas de ses tortionnaires et leur respiration rauque et saccadée.
Même silence.
Comprenant qu'il était vain de frapper une troisième fois, il se mit à donner des coups de pied et des coups de tête désespérés dans la porte. Apparut alors à la fenêtre une belle enfant qui avait les cheveux bleus et le teint blanc comme une poupée de cire, les yeux clos et les mains croisées sur la poitrine. Sans le moindre mouvement des lèvres, elle lui dit d'une voix qui était si faible qu'elle semblait venir de l'autre monde:
- Il n'y a personne dans cette maison. Tout le monde est mort.
- Mais toi, s'écria Pinocchio tout en larmes, toi, du moins, ouvre-moi par pitié !
- Moi aussi je suis morte.
- Morte ? Mais alors, que fais-tu à cette fenêtre ?
- J'attends que le corbillard vienne me prendre.
Elle avait à peine achevé ces mots qu'elle disparut, et que la fenêtre se referma sans bruit.
- Oh ! belle enfant aux cheveux bleus, cria Pinocchio, ouvre-moi par charité ! Prends pitié d'un pauvre garçon poursuivi par des bri...
Il ne put finir sa phrase : il sentit les autres le saisir au collet, et les entendit grommeler de leurs voix sinistres :
- Maintenant nous te tenons !
Le pantin, voyant déjà la mort brandir ses foudres sur lui, fut saisi d'un tremblement si violent, si impérieux, qu'on entendit craquer les jointures de ses jambes de bois et tinter les quatre sequins dissimulés sous sa langue.

Carlo Collodi
"Les aventures de Pinocchio"
Traduction de Nicolas Cazelles
Babel

Le poing le plus robuste dirigé vers le ciel...


J'ai vu les hommes, à la tête laide et aux yeux terribles enfoncés dans l'orbite obscur, surpasser la dureté du roc, la rigidité de l'acier fondu, la cruauté du requin, l'insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de l'hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel; lasser les moralistes à découvrir leur coeur, et faire retomber sur eux la colère implacable d'en haut. Je les ai vus tous à la fois, tantôt, le poing le plus robuste dirigé vers le ciel...

"Les chants de Maldoror"
Isidore Ducasse,
Comte de Lautréamont

Le livre noir


...ou encore vous prononcez à haute voix les si belles paroles qui vous viennent à l'esprit; vous fournissez des réponses intelligentes; tous comprennent leur erreur, ils se taisent et ressentent pour vous de l'admiration, même s’ils ne la manifestent pas; vous serrez dans vos bras le corps qui est si beau et que vous aimez tant, et qui se serre contre vous ; vous retournez à ce jardin que vous n'avez jamais pu oublier, vous y cueillez des cerises bien mûres; c'est l'été, c'est l'hiver, c'est le printemps ; et ce sera bientôt le matin, un matin tout bleu, un matin si beau, ensoleillé, un matin heureux où tout ira bien... Mais vous ne parvenez toujours pas à vous endormir. Alors, faites comme moi : en remuant très lentement vos bras, vos jambes, sans trop les déranger, tournez-vous lentement dans votre lit, de sorte que votre tête atteigne l'autre extrémité de l'oreiller, et votre joue, un coin frais de la taie. Ensuite, pensez à la princesse Maria Paléologue qui, il y a sept cents ans, quitta Byzance pour devenir l'épouse du khan mongol Hûlagû. Elle partit de Constantinopolis, de la ville où vous vivez aujourd'hui, pour épouser Hûlagû, qui régnait en Iran, mais Hûlagû étant mort avant son arrivée, elle épousa alors Abaka, qui avait succédé à son père. Elle vécut quinze ans dans le palais du Grand Moghol puis, son mari avant été assassiné, elle revint à ces sept collines, là même où vous désirez tant dormir paisiblement.
...
Et quand tout cela n'a pas réussi à m'endormir, mes chers lecteurs, j'imagine alors un homme tourmenté, inquiet, qui va et vient sur le quai d'une gare déserte, où il attend un train qui n'arrive pas. Et dès que j'ai décidé de l'endroit où il compte se rendre, c'est que je suis devenu cet homme. Je pense à ceux qui s'escrimèrent dans un souterrain à la porte de Silivri, il y a sept cents ans, pour aider les Grecs qui assiégeaient Istanbul à pénétrer dans la ville. J'imagine la stupéfaction de l'homme qui découvrit l'autre signification des choses. Je rêve de l'autre univers, celui qui surgit du nôtre. Je me plais à imaginer mon ivresse dans cet univers-là, entouré de significations entièrement nouvelles. J'imagine l'étonnement bienheureux de l'amnésique. Je m'imagine abandonné dans une ville fantôme qui m'est inconnue; là où vivaient autrefois des millions d'hommes, les quartiers, les rues, les ponts, les mosquées, les navires, tout est désert, et alors que j'errerais sur ces places vides et fantomatiques, je me souviendrais, les larmes aux yeux, de mon passé et de ma ville à moi, et je me verrais marcher à pas lents vers...

Ohran Pamuk : “Le livre noir”, folio

mercredi 11 janvier 2006

La théorie des nuages


"C'est alors seulement que Luke Howard avise un homme âgé, appuyé sur sur la berrière de bois, à vingt pas de lui sur sa droite, penché vers l'abîme. En ce temps d'avant la photographie, tous les voyageurs savent dessiner un peu; sur son carnet de voyage abrité derrière un pan de sa pèlerine, il croque un vieillard courbé vers le vide. L'homme sent peut-être ce regard posé sur lui; il s'arrache à sa contemplation, il se redresse, esquisse un léger salut et sourit...

Stéphane Audeguy : "La théorie des nuages", roman, nrf Gallimard

mardi 10 janvier 2006

Tremblement de mer




Car ces gens qui versent goutte à goutte, par les yeux, le mal qui remplit le monde, s'approchent trop du bord, de l'autre côté...

Dante La divine comédie Chant XX

La lumière des barbares


Bonne nouvelle: la lumière des barbares brille à l'ombre des magiciens. À moins que ce ne soit le contraire.
D.W.
La première image est maintenant la dernière.

dimanche 8 janvier 2006

Entre passé et futur...


Entre le passé et le futur, chacun choisira son présent.