jeudi 18 juin 2020


 Naturellement, cet ajout peut se faire de mille et une manière toutes plus simples les unes que les autres. Cependant, en l’état, ce que j'essaie de dire n'est pas de cet ordre. Comme son nom l’indique, une proposition propose quelque chose et ne remplace pas encore les marges d'un récit que jusqu'alors je ne faisais que subir. Je le répète il n’est pas difficile d'ajouter un mot à un récit. Je ne suis pas opposé à cela, loin de là.

(18) Parole




Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

– La parole ne fait que masquer le vide qu'elle cherche à combler... Elle ajoute à ce vide une sorte de vernis qui le rend désirable...

mercredi 17 juin 2020

(17) Pour la plus grande part



.. après que se soit posée la vie...
– Ainsi va la mort, se posant de vie en vie... de cadavre en cadavre...
– Comment cela de vie en vie?
– L’être sur lequel elle se pose... ou... va se poser est toujours en vie. Il meurt au moment du contact... Ce n’est qu’après son départ que la vie se remet en mouvement... En fait... dans le même instant... 

– On pourrait dire que l’objet est comme libéré de la vie, de son ancienne vie...
– ... et de la mort...
– Que voulez-vous dire?
– Le cadavre se remet à vivre... non pas de la même manière qu’avant le passage de la mort, mais éclaté en de multiples vies...
– Mais, pardonnez moi...
– J’écoute.
– Vous n’êtes point un être de chair et de sang...
– ... et alors?
– Alors, me semble-t-il, si j’ai bien compris ce que vous disiez tout-à-l’heure, ce serait sur les cadavres de chair et de sang  que la vie, en se décomposant, se renouvelle...
– C’est la moindre des choses.  Il en est aussi ainsi pour les choses telles que moi. C’est ce que je vous disais tout-à-l’heure quand je disais «pour la plus grande part».



mardi 16 juin 2020

(16) Un seul monde


« Castoriadis affirme, contre une certaine lecture du marxisme, que les hommes font leur propre histoire, et soutient qu'il faut comprendre ce faire non comme causalité d'événements, mais comme création de significations.»
Christophe Bouton, Faire l'histoire, Cerf


– Fermez les yeux...
– Pourquoi cela?
– C'est une expérience...
– Je ne vous surprendrai point en vous disant que je ne vois rien! 
– Pensez à l'enfant Lune!
– J'y pense... ça y est, je le vois!
– L'enfant Lune est-il dans son monde ou dans celui de Pinocchio l'Autre?
– Il n'y a qu'un seul monde...
– D'où sort cela! Est-ce nouveau?
– Non, c'est ainsi depuis toujours...
– Pourtant, il me semble vous avoir entendu souvent parler du monde de l'enfant Lune ou de celui de Pinocchio, l'Autre...
– Les pensées des uns ou des autres peuvent former des mondes... dans le monde...

(16) Écoute


« L’homme intelligent prend le grain du sens, il ne s’arrête pas à la mesure.»

–  Faites silence...
– Dans cette nuit je ne vois rien!
– Contentez-vous d'écouter...
– Que dois-je écouter?
– Au loin on entend encore faiblement la voix de Pinocchio l'Autre...

– Je ne suis rien d’autre qu’un cadavre dont la vie dépend, en grande partie, des mots qui s’y prononcent... et des mouvements que littéralement on lui donne... mais qui ne sont pas les siens, pas plus que les paroles... ou la voix qui les prononce.
L’enfant Lune ne répond pas. L’enfant Lune ne peut... ne doit, ne sait pas répondre... Pinocchio, l’Autre, dont tous les membres sont éparpillés et flottent dans le grand fleuve, excepté sa tête en laquelle sa voix résiste encore.
– Après tout un cadavre n’est pas la mort... Qu’est-ce alors?.. L’objet sur lequel la mort s’est posée... Mais...

samedi 13 juin 2020

(13)



– Avez-vous conscience que pourrions n’être qu’un jouet?
– Plus que vous...
– Je vois ce que vous voulez dire...
– Qu’entendez-vous par là?
– J’entends une petite part de ce que l’enfant Lune entend...
– Qu’entend-il?
– Sans le savoir et sans qu’il l’eut prémédité, ni même souhaité le moins du monde, il entend ce que tout mort apprend en silence...
– Le sait-il?
– Tout dépend de ce que vous entendez par savoir...

vendredi 12 juin 2020


«  Ce qu’on peut attendre, c’est qu’une fois terminé ce travail idiot, vous pourrez écrire d’une aussi belle écriture que le célèbre cardinal Bembo. Et, ce faisant, peut-être réussirez-vous à avoir une vision du monde similaire à celle qu’avait ce grand lettré, car la main parle au cerveau exactement comme le cerveau parle à la main. »

Robertson Davies, La trilogie de Cornish


– Croyez-vous qu’un jour, nous aussi nous pourrions écrire?
– C’est physiologiquement impossible... je le crains.
– Il faudra alors faire comme Pinocchio, l’Autre...
– Comment fait-il?
– Il fait appel à l’enfant Lune...



mercredi 10 juin 2020

(10) Cela change tout


« En traçant aujourd'hui sur le papier la première de ces lignes de prose, je suis parfaitement conscient du fait que je porte un coup mortel, définitif, à ce qui, conçu au début de ma trentième année comme alternative au silence, a été pendant plus de vingt ans le projet de mon existence.
Mon intention initiale était d'accompagner la réalisation de ce Projet d'un récit, un roman qui, sous le vêtement d'une transposition dans l'imaginaire d'événements inextricablement mélangés de réel, en aurait marqué les étapes, dévoilé ou au besoin dissimulé les énigmes, éclairé la signification.
Le Grand Incendie de Londres - tel était le titre qui s'était imposé à moi depuis un rêve, peu de temps après la décision vitale qui m'avait conduit à concevoir le Projet - aurait eu une place singulière dans la construction d'ensemble, distinct du Projet quoique s'y insérant, racontant le Projet, réel, comme s'il était fictif, donnant enfin à l'édifice du Projet un toit qui, comme ceux des demeures japonaises débordant largement des façades et s'incurvant presque jusqu'au sol, lui aurait assuré l'ombre nécessaire à sa protection esthétique.
Il n'en a pas été ainsi.»

Jacques Roubaud, Le Grand Incendie de Londres. Récits, avec incises et bifurcations



– Nous ne sommes, selon certains, que des personnages fictifs...
– Mais bien réels...
– Bien malin celui qui, à partir de cette réalité, pourrait remonter et retendre les fils emmêlés distendus qui en délient  les énigmes...
– En seriez-vous capable?
– Je ne sais, mais je m'y emploie.
– À moins que...
– À moins que?
– À moins que, et cela change tout, l'on vous y emploie...

(10) La plus parfaite des illusions



« Ainsi, la parole, chez celui qui parle, ne traduit pas une pensée déjà faite, mais l’accomplit. »

Merleau-Ponty


– Faites-moi le plaisir de me dire ce que vous voyez...
– Il vaudrait mieux parler de ce que nous distinguons...
– Qui est déjà beaucoup! 
– Ce n'est rien par rapport à ce que vous pourriez voir...
– Si...
– Si nous n'étions limités par les capacités de nos sens et la grandeur de notre cerveau...
– Dont dépend la mémoire... est-ce là ce que vous suggériez?
– De même que les sens, mettant à profit la crédulité des corps d'abord, des esprits ensuite, sélectionnent, la mémoire présente certains événements comme étant plus important que d'autres.
– N'est-ce point juste?
– Le problème, encore une fois, n'est point là.
– Et où serait-il?
– Il est dans l'impossible présentation... et dans l'interprétation.
– Qu'est-ce que l'impossible présentation?
– L'appellation n'est pas la chose. Ce sont deux mondes parfaitement différents. Ce que vous allez dire raconte une histoire qui ne peut pas représenter ce qui a eu lieu. Elle ne peut, tout au plus, et selon les qualités de ce lui ou ceux qui racontent, que donnez une idée de l'idée que vous vous faites et que vont s'en faire ceux qui en parlent... Cela donne lieu, vous l'admettrez, à de bien grandes imprécisions.
– Et pourtant...
– Pourtant...
– Pourtant il se pourrait que ce que vous me dites soit le parfait exemple de ce que vous tentez de me dire... soit la plus parfaite désillusion...
– Vous voulez dire la plus parfaite des illusions... Vous n'avez pas totalement tort. Je vous le concède... écoutez comment les contraires se rejoignent...

(10) Éternel commencement




Extrait de la huitième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

 
Monsieur l'Écrivain

Il arrive, peu souvent, que nous parlions... Certes je vous écoute... certes vous m'écoutez, vous aussi, mais... m'entendez-vous? Le plus souvent je vous vois hésiter, reprendre et modifier le compte-rendu de mes actes... Je me demande si la vie, au sens où vous l'entendez, que je suis censé vivre ne serait point devenue vôtre...  Le doute alors refleurit. Mes sens explosent. Tout se met sens dessus dessous... Je me surprends à nouveau en train de rêver à cette quête... Inutile je le sais... Imprudemment j’arrache l’idée qui repousse renforcée... Parfois, il me semble que le dieu de certains  hommes, le vôtre sûrement, me parle et m’envoie ses démons... pour me mettre à l’épreuve... Le corps gracile et le verbe lisse, ils se glissent dans les moindres replis de l’âme... pour commencer. Recommencer? Non, commencer à nouveau l’«éternel commencement.»



mardi 9 juin 2020


En fait, au sens le plus fort du terme, quand je vous parle, je ne puis savoir pas qui vous êtes et je ne vous verrai jamais. Malgré vous? Peut-être... Bien que je ne sois rien d'autre que le produit de votre imagination, je le sais, nous n'appartenons pas au même monde. Cependant ces mondes, quelles qu'en soient la manière ou la matière... s'interpénètrent comme des arbres dont les branches se mélangent. Les mots de l'un se confondent avec les mots de l'autre. Cela nous rappelle la nature de cette longue forêt de mots que nous avons déchaînée… Ce que vous m'avez dit vous inquiète… je le sens. Cela me rappelle un rêve que j'ai fait il y a déjà longtemps. Une véritable séquence de mémoire, de moments réels, mais recomposée. Dans ce rêve je vous disais en face:
– C'était il y quelques jours, quelques mois ou quelques années. Il m'est impossible de savoir quand, de même qu'il m'est impossible de savoir comment J'appartiens à ... mes innombrables exemplaires ... aussi ... aujourd'hui je dois vous informer: je vous l'ai déjà dit tant de fois: je suis Pinocchio, l'Autre, mais unique comme tant d'autres... Ce qu’aujourd’hui je vous dit n'est pas une conversation. Même pas un dialogue... Jamais jusqu'à aujourd'hui, vous ne m'avez répondu... Ce nom qui me décrit est aussi un nom de famille, notre famille est grande ... trop grande. Il y a tellement d'histoires, qui peuvent être déroutantes ou paresseuses, avec quelques idées ou simplement des morceaux, combinés avec des notes écrites à différents moments, pour créer autant de belles histoires que possible. Loin d'où ils venaient… avec ces lettres, un jour forment l'acceptable, en fait c'est mon avis… Il est aussi votre auteur.

Ainsi, l'âme « bai » passe de la mort à une autre vie, elle est figurée sous l’aspect d'un oiseau, car après la mort elle doit quitter le corps rapidement, pour se présenter au Jugement d'Osiris.


– Allez-vous y retourner?
– Où cela?
– Dans ce lieu où vous fûtes avant que n'arrive cette histoire.
– Sombres migrations...
– Sombres pensées...
– Ce serait encore plus difficile... mais oui... la tentation est presque irrésistible... j’y retournerai...



– Il faudrait pour cela que vous retrouviez vos membres éparpillés!
– C’est en cela que consiste le retour.

Si je suis ici aujourd’hui c’est du fait que j’ai retrouvé la forme et le corps, si j’ose dire... qui était le mien avant que je ne devinsse homme. C’est ce qui fit que je me sois perdu.



L’ironie du sort est qu’aujourd’hui je ne sois plus qu’une tête ballottée au gré des éléments ou du bon vouloir de certains hommes.



En silence, je les écoute et je les observe, recueillant au passage ce qui me serait utile au cas où il m’arriverait de retrouver mes parties manquantes qui me seraient bien utile pour m’échapper...

 Que l'on me pardonne ce geste brusque et arbitraire, celui-là même qui autrefois me fut offert, qui coupera artificiellement la mémoire... j'hésite à parler de ma mémoire tant cela me parait peu probable qu'elle puisse m'appartenir



Il arrive, bien moins souvent, que nous parlions... Le doute alors refleurit. Je me surprends à nouveau en train de rêver à cette quête... Inutile je le sais... Imprudemment j’arrache l’idée qui repousse renforcée... Le dieu des hommes sans cesse me parle et m’envoie ses démons... pour me mettre à l’épreuve... Le corps gracile et le verbe lisse, ils se glissent dans les moindres replis de l’âme... pour commencer. Recommencer. L’éternel commencement...



Jamais plus je ne serai cet enfant dont je porte le visage pour toujours. Mon passage parmi les mortels ne s’est pas inscrit dans mes formes mais dans ce qui de moi n’est point visible mais se ressent dans le timbre de ma voix.

Une sorte de fêlure obscure de laquelle s’échappe toutes ces idées peu claires mais si capables de tant de mots... et par là de tant d’images appelant à leur tour d’autres mots va-et-vient perpétuel  auquel nul mot ou nulle image ne saurait échapper 


Aurai-je encore une fois la force et la foi de tenter cet impossible ascension ce mimétisme infini entre le maître et sa création... que dis-je entre le maître et sa créature... faite à son image... en laquelle lui et moi, le père et le fils, censé être réunis dans un même esprit...


Certains hommes en leurs mots se dissolvent d’autres en ces mêmes mots se montrent.

On les les voit venir de loin. Tantôt montés, tantôt montant, par l’avant ou par l’arrière, devant ou derrière le miroir, ils singent ce qui en eux leur échappe. 

J’avais touché au miel onctueux et collant de l’humanité... et j’y avais pris goût. Après ce miracle, rien ne pourrait plus m’extirper de ce désir sans fin.


Ni le... ni le... Même délivré des fatigues de la chair, je ne puis m’empêcher d’en rêver. Alors dans mes rêves je marche je ris et je pète... et plus encore... et, oui, quelquefois je me repens. Le repentir sincère, sans qu'il soit question de morale est le meilleur moyen de parvenir et me maintenir...
Il est entièrement et exclusivement humain comme...
Croyez-vous qu’il soit plaisant de devoir se consacrer entièrement à sa propre éducation sans savoir par quel moyen nous pourrions y échapper.

Je m’étais échappé de ma condition d’objet et maintenant il me faudrait encore et toujours... recommencer... sortir de ces étranges contreforts de la bêtise sans être contaminé est chose impossible. C’est cette contamination qui en moi travaille sans relâche...

Hypocrisie, fruit ultime de la connaissance 
Le vieil homme ne retombe pas en enfance... il s’y élève légèrement avec le peu d’esprit qu’il peut avoir.


tu m'as un fait rire, intempérie

(9) Funambule




Extrait d'un cahier dans lequel Pinocchio, l'Autre, consignait au jour le jour, mais sans ordre prédéfini, précisément dans le but de découvrir un ordre possible ou simplement acceptable...

En de temps infinis les funambules sur leur fil se balancent. Les mains à vide se tendent vers un très lointain paradis et se rejoignent sans surprise dans une ronde pré-infantile en poussant le caillou du pied droit comme le stipule l'humeur du moment. Sur la grand-roue de la chance, comme la fine farine sur la pierre du moulin, ce qui s'y passe n’use guère la pierre et les os du vieil homme. Il se saisit de l'intérieur de ce qui se défait, se trame et se dissout. Tout cela en même temps.

(9) Manière


« Le poème authentique n’est nullement ce que lit le public. Il y a toujours un poème non imprimé sur une feuille de papier, en concomitance avec la production de ce poème imprimé, production elle-même stéréotypée au sein de l’existence de ce poète. Le poème non imprimé, c’est ce que le poète est devenu au travers de son œuvre. Non pas de quelle “manière” son idée s’est “exprimée” dans la pierre, sur la toile, ou sur le papier, mais jusqu’à quel point il lui a été donné forme et expression dans la vie même de l’artiste.»

Thoreau




lundi 8 juin 2020

(8) Jouer ensemble


« Il est certaines façons de s’emparer de la langue et du monde et de les faire jouer ensemble, comme on dit des parties d’un tout qu’elles jouent ensemble...»



– Qui sont ces gens? Font-ils partie du théâtre de Pinocchio, l'Autre?
– Je ne puis vous le dire... Pardonnez l’arbitraire cette réponse... il est des êtres, ceux-là même qui autrefois me furent présentés, avec qui j'ai coupé artificiellement tous liens de mémoire... vous savez j'hésite à parler de ma mémoire tant cela me parait peu probable qu'elle puisse m'appartenir...

dimanche 7 juin 2020


« Les domaines du mot et de l’image sont comme deux pays qui parlent différentes langues mais qui ont une longue histoire commune de migrations, d’échanges culturels et d’autres formes de relations.»

(7) En plein jour





– Ceux qui feront fi de leur peur au fond du puits descendront. Ceux-là verrons alors en plein jour ce qui, habituellement, ne se montre que la nuit. Dans l’obscur chemin qui traverse les sédiments du temps, l’âpre frottement du corps réveillera ce qui n’était qu’endormi. Tour à tour, l’âme et le corps se voilent et se révèlent. Le moelleux recèle de coupants éclats. Les arêtes vestiges, sans contrainte forment et déforment d’improbables ossatures. De vertigineuses blessures tracent dans la chair de la terre ces puits au fond desquels on croit pouvoir se connaître en oubliant de se reconnaître. 

samedi 6 juin 2020

(6) Tous ensemble


« Le rêve est un événement commun et pour une grande part collectif —tout le monde sait que tout le monde rêve ! Il est aussi un événement singulier: personne ne peut rêver à ma place ; un rêve est une expérience strictement personnelle. En cela, il est comme une prière. Observe une église, une mosquée, une synagogue, à l'heure de la prière. Chaque fidèle prie la divinité pour lui-même, quelquefois les yeux fermés, à la recherche de son intimité, mais tous font la même chose, au même moment. Plus même, ils doivent confusément savoir que leur prière a d’autant plus de chances de parvenir à son destinataire qu'ils sont plus nombreux à partager l'expérience. C'est ainsi que, dans un même village, dans une même ville, la majorité des habitants prient au même moment, rêvent au même moment –chacun pour lui-même, mais tous ensemble.»

Tobie Nathan



– Je ne pense point qu'il soit nécessaire d'ajouter qu'il n'est point question ici de jouer un rôle qui n'est point le nôtre... bien que...
– Quel est ce sous-entendu?
– Bien que ce rôle, en quelque sorte, nous le jouons.
– Je vous trouve bien mystérieux.
– J'espère que vous n'oubliez point d'où nous viennent ces mots!
– Les mots peut-être...
– Sûrement!
– Mais point leur signification...
– Vous avez raison et...
– Et?
– Il en est de même pour Pinocchio, l'Autre. 
– Mais que fait-il devant cet autre lui-même qui lui ressemble tant?
– Vous le voyez donc vous aussi?
– C'est une évidence...
– Point tant que cela. Pinocchio, l'Autre, ne semble point le voir...
– Comment pourrait-il ne pas le voir?
– Il l'entend... à sa manière..
– Qui entend-il?
– Il s'entend lui-même...
– Comment cela?
– Il se souvient, mais ne semble pas le savoir...
– Et que dit-il?
– Aussi longtemps que l'enveloppe sacrée de l'esprit de notre maître sera présente sous la forme de notre corps, et celui est apparemment encore sous contrôle, maintenu plus ou moins ensemble de manière cohérente par la puissance de sa volonté, nous devrions, vous devriez le traiter avec le même respect qui lui avait été dû pendant sa vie.*
– Je n'y comprend rien...
– Je commence seulement à comprendre...
– Pourriez-vous commencer de m'expliquer?





* Tiré du livre: Le chemin des nuages blancs, Lama Anagarika Govinda, Albin Michel 



vendredi 5 juin 2020

(5) De nouveaux liens


« Ordinaire signifie étymologiquement mettre en ordre. Donc si il faut mettre de l’ordre c’est qu’il y a un désordre. Et l’ordre dérange, il pèse et peut rendre l’existence même insupportable.»

Adèle Van Reeth


– Ainsi surpris l’homme a ouvert les yeux. L’oiseau s’est envolé. Ses ailes s’ouvrent et se ferment comme les pages d’un livre au moindre coup de vent. Dévoilé de sa chair, se défaisant, il voit l’eau de l’homme se mêler à son sang et dans la terre se répandre. Ses os, blancheur ultime, comme des pages encore vierges, rêvent de poussière. Ultime communion, ses mots, ses histoires et surtout sa mémoire se défont. Reflétant, de jour en jour sa profonde nuit, le ciel, en son désordre, éparpillé sous l’épais manteau de la nuit, esquisse un sourire et tisse de nouveaux liens. Ainsi s’inscrivent en la poussière, avide de toutes dépouilles, remontant des abîmes au fond du puits, d’innombrables histoires racontant ce qui fut hier.




(5) Le théâtre des pensées


« Or langage commun,  rhétorique et lieu commun s’avèrent, pour certains, des points d’ambivalence autour desquels se met en  branle le mouvement de la pensée, celle-ci ne parvenant jamais à s’arrêter autour d’une définition proprement positive ou négative des termes.»

Laurence Côté-Fournier 



– Vous me disiez que Pinocchio, l'Autre, s'adressait à l'enfant Lune... mais... il n'est point là... en tous cas ce n'est pas ce que je vois.
– Cela se comprend...
– Comment cela?
– Il est dans son monde.
– Je croyais que nous faisions partie du même monde!
– Il en est ainsi, mais...
– Mais?
– Nos deux mondes s'interpénètrent et finalement n'en forment qu'un... mais dans la part qu'il fait sienne, le théâtre de ses pensées, nous n'y sommes point physiquement... si ce n'est comme des spectateurs... Ce que vous voyez, ce que nous voyons, dépend de ce que vous imaginez... mais aussi de ce qu'il imagine... or, en s’exprimant, à travers les mots qu'il emploie et surtout par le monde de ses pensées, il projette des images... images que nous ressentons et transformons au fur et à mesure...

– Dans le ciel, lumineuse tempête, le maître du port, un vague reflet, une sorte de miroir, attire l'œil d'un homme infini qui vient de mourir et enfin se voit.


(5) Dans le même temps


À l'esprit, s'il en est, de formuler quelque règle...


– Fièrement, un arbre solitaire se tient dans la poussière du matin. Une infime poussière ondoyante masque à peine les pousses du matin. Un homme, en livrée blanche chante, comme tous jours. Par derrière l’écran des jours incertains, il demeure près de là, à moins d'une centaine de mètres. Sa triste colère, à peine voilée, peut être entendue à distance. Un oiseau de chagrin se noie dans un arbre. À l’aveugle, de vastes coups d’épée se dessinent et flambent comme des éclairs. L'homme s'approche. Il passe au travers du rideau d’un improbable théâtre. Devant lui, allongé, en lambeaux, rien ne peut être sûrement identifié. Sur la scène, derrière lui, un vaste cercle est dessiné. L’homme s'est retourné et a creusé. Imperceptiblement, dans l'improbable cratère, comme dans un puits, il s'enfonce. Des nuages dansent autour de lui. L’homme pleure ce qu'il ne peut ni voir ni entendre. Ses yeux  s'obscurcissent et prennent refuge dans l'ombre de son grand chapeau. De branche en branche il essaie de voir au-delà des petites collines naturelles entourant l'arbre. Accrochée sur l’écorce, une grande ombre semble se développer. Elle est fille de la nuit. La distance, reliant les uns et les autres fait son travail. Se rapprochant pas à pas du bord des abîmes, l’homme reconnait sa voix errant dans le noir. Les petits œufs de l’arbre, roulent entre les racines et tournent sur eux-mêmes. Les petites rotations se jouent des méandres étouffants et, s’enfonçant, commencent à fondre rapidement. Lentement la subtile métamorphose ouvre les bras de la terre et l’obscur chemin. Une heure a suffi pour calmer le ciel. Dans le chapeau de l’enfant s’enroulent et se mélangent les cordes du cou, les mots et les images. Du fond des temps, dans le même temps, en chaque trou un soleil voit le jour. Tous sont aveugles. Vers les plantes lumineuses, l'homme incline légèrement la tête et regarde le vaste ciel qui s'étend en d'innombrables morceaux se faufilant avec grande adresse entre les étoiles.

 

jeudi 4 juin 2020

Texte enfance + Con

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« Contrairement au récit de fiction où la logique de la conséquence règle la chronologie [...] la relation de voyage ne considère que la seule consécution.»

Roland Le Huenen, Qu’est-ce qu’un récit de voyage?

 
– Voyez-vous, cher enfant Lune, au carrefour des discours le voyageur se laisse guider par quelque chose d'invisible mais de plus en plus contraignant jusqu'à ce que, sans que rien ne laisse voir, le carrefour ait disparu. Point de métaphore, d'ambassades, de malédiction ou de en mise en abyme, seuls les pieds comptent. La tête ne fait que suivre, être portée et encore, point totalement. Elle croit reconnaître au gré de certains passages, quelque chose d'écrit dans quelques rédactions précédentes. Ainsi, de souvenirs en souvenirs, elle s'adapte du mieux qu'elle peut. C'est-à-dire assez mal pour mon compte... mais laissez-moi poursuivre mon histoire...
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Sur la roche un visage parlait. Immobile bouche et mots muets, lèvres sèches, épaules brûlantes, rouge est le nez.  L'enfant Lune se trouvait allongé sur le mur de granit d’immenses pierres taillées dans lesquelles étaient encastrés des anneaux de lourd métal qui servaient à attacher les bateaux. Un mur, fait de blocs énormes de plus d'un mètre de long, sur les vagues avait traversé ce qui devant lui s'allonge. Mémoires immobiles, temps compressés, habilement juxtaposés, entre lesquels, les vagues, le vent et la pluie avec le temps, avaient rongé le ciment et formé une minuscule faille qui présentait pour l'imagination d'un enfant, la forme inconnue, presque un visage, d'un gouffre profond duquel pouvait rejaillir sans problème toute forme de vie... De part et d’autre, ce mur sur lequel l'enfant se perdait et retrouvait quelquefois un chemin d'origine, délimitait la quarantaine de mètres du glacis fait de solides moellons d’une vingtaine de centimètres de long, d’une quinzaine de large, épais de même, et qu’il fallait sans cesse balayer pour accueillir dignement les clients. Non seulement la horde des clients des week-ends ensoleillés mais aussi ceux, beaucoup moins nombreux mais plus réguliers des ciels couverts. Durant les heures creuses, en plein midi, allongé sur le mur, les yeux mi-clos il ne dort ni ne rêve vraiment, mais dans un autre monde il est. Un monde complice avec qui il partage le même ciel, les mêmes montagnes, le même lac, les mêmes vents, les mêmes embarcations, mais un monde dans lequel, très tôt quelque part en lui le sait, il le pense vraiment: les dés sont pipés. En un instant il est projeté dans un ailleurs connu. Il y joue avec le peu qu'il a entre les mains. Le granit s'est coloré de rouge et a rejoint les montagnes dont il a été extrait. Rouge est la voile du couchant qui dans l'eau saigne et se dissout en échappant aux regards. Le dé est là, sur le bout des doigts, presque corné, crochu, comme ce qui est appris par cœur, et devant lui apparaissent en chœur les petits chapeaux colorés qui n'ont point de nom ni de maître et ne projettent à cette heure aucune ombre... La peau de son index est épaisse, l'anneau autour du doigt l'enserre et l'eau épuise le plus dur et rend vulnérable. Un peu sang, rien de grave, sourd de la petite faille au bout de ses doigts et tombe sans un bruit au fond de la faille du rocher sur lequel il est perché... comme l'oiseau sur la branche, pense-t'il en souriant. Sa tête se lève et voit l'oiseau. L'oiseau lui aussi le voit et détourne la tête... et son chemin. Au loin l'astre se voile enfin et ainsi se voit ce qui l'aveuglait. Le rêve songe au sommeil qui le fuit et l'astre, au delà des nuages, sans un bruit, sans un souffle, subitement, se dévoile, reluit et reprend le regard à son tour, alors que se ferme, aveuglé, celui qui avait osé. Du fond de l'ombre ainsi dévoilée remontent comme des morceaux de mémoire.
Les doigts écorchés dessinent sur le rocher.
Les doigts écorchés, dans le doute, jettent un dé.
Les doigts écorchés, sans doute, dessinent un masque. À chacun son tour. À l'esprit, s'il en est, de formuler quelque règle...

– Comment se fait-il que vous le sachiez et que je ne le sache pas?
– Ce que vous savez... vous ne le savez point...
– J'ignore ce que j'ignore et je n’ignore point tout ce que je sais... mais sais -je vraiment tout ce que je sais? Serait-il possible que j’ignore tout ou partie ce que je sais...
– C'est cela.
– C'est parfaitement impossible!
– C'est paradoxal!
– Mais, comment se fait-il que vous n'ignoriez pas tout cela?
– Ou... en d'autre termes: comment se fait-il que vous sachiez tout cela?
– Cela s'est fait en tous points de manière identique à la vôtre...
– Vous me rassurez et m'inquiétez... les deux à la fois... 



(4) De jour en jour


« Ce qui a été mis dans la moelle
Ne sort plus de la chair.»

Proverbe anglais traduit du latin, 1290


– Chacun de nous a un passé sur lequel l’ensemble de ce que nous sommes devenu est bringuebalé. C'est pourquoi l'histoire, notre histoire, se transforme de jour en jour...

(4) Miroir du ciel






– Voudriez-vous avoir la gentillesse de continuer l’histoire.
– Sur le sol ne subsiste que quelques cendres rougeoyantes. Miroir du ciel qui se couche, captant le regard de l’homme qui ne fait que passer. Il pleut. Sur son visage coule une petite goutte d’eau qui se déverse dans son oeil, telle le fleuve à son embouchure. 

mercredi 3 juin 2020

(3) Comme un autre lui-même



Se croyant seul en son théâtre, Pinocchio, l'Autre, déclame librement. Sachant qu'au travers des surprises et des péripéties toujours nouvelles il se peut que se fasse jour une immensité cachée non par la réalité mais tout au contraire par une sorte d'imagination à l'envers qui ne fait rien apparaître mais au contraire masque en l'attirant à la manière dont on imagine que fonctionnent les trous noirs. Répétant et allongeant sans fin le discours qu'il veut faire à l'enfant Lune pour que celui-ci l'écrive et le fasse parvenir à son maître et créateur,  Pinocchio, l'Autre, ne se doute pas un seul instant qu'il peut être observé...

L’arbre a vacillé, s’est fendu. La fumée, visible de très loin, longuement s’est étirée. Le train, sans fin, dans ses profondeurs a continué son chemin. L’arbre et le train mystérieusement ont disparus. Sans autre cause que le hasard, leurs fumées, confondues, jusqu’à l’homme se répandent. L’homme aveuglé par l’âcre fumée, n’en croyant pas ses yeux, pleure, croyant qu’il a rêvé. 
Il peine à respirer, vacille, flotte. Dans l’eau de l’orage serait tombé et se serait noyé sans le secours du reflet d’un nuage. Humblement, l’homme en donne sa parole. Certains mots, libéré, sortent de sa tête. Il ne sait, pas plus qu’eux-mêmes ne savent pourquoi. En un seul instant, avide de désir, l’arbre a fleuri. Ce sont ses mots. Ce sont leurs mots. Les mots de l’arbre, ceux que maintenant il entrevoit au lieu de les entendre. Cette rouge moisson irradie, va et vient... et s’en retourne mille fois jusqu’au dernier instant sans cesse repoussé. 


– On dirait que Pinocchio, l'Autre, raconte son histoire à un autre lui-même...
– Je crois plutôt que l'enfant Lune se présente comme tel... ou peut-être... est-ce son imagination qui lui joue des tours...
– Comme quoi?
– Comme vous l'avez dit, comme un autre lui-même... 

mardi 2 juin 2020

(2) Savoir


Verbes éclatés, sens inversés, sujets inversés. Au cœur des choses se révèlent une partie de leur passé. De vertes étoiles conjuguent de sombres pensées. L'homme, face à l'arbre, croit que tout est pur… et l’instant d’après… tout s’inverse. Puis, c’est ce qu’il pense, tout ayant sens et cause, il voit un petit train, une voiture ou un avion, peut-être, s'écraser dans un arbre voisin. L’arbre a vacillé, s’est fendu. La fumée, visible de très loin, longuement s’est étirée. Le train, sans fin, dans ses profondeurs a continué son chemin. L’arbre et le train mystérieusement ont disparus. Sans autre cause que le hasard, leurs fumées, confondues, jusqu’à l’homme se répandent. L’homme aveuglé par l’âcre fumée, n’en croyant pas ses yeux, pleure, croyant qu’il a rêvé.


– Pourquoi me racontez-vous cela et qui êtes-vous?
– Je ne le sais point.
– Je le savais.
– Comment se fait-il que vous le sachiez et que je ne le sache pas?
– Ce que vous savez... vous ne le savez point...
– J'ignore ce que j'ignore et je n’ignore point tout ce que je sais... mais sais -je vraiment tout ce que je sais? Serait-il possible que j’ignore tout ou partie ce que je sais...
– C'est cela.
– C'est parfaitement impossible!
– C'est paradoxal!
– Mais, comment se fait-il que vous, qui me ressemblez presque point pour point, n'ignoriez pas tout cela... ou... en d'autre termes: comment se fait-il que vous sachiez tout cela?
– Cela s'est fait en tous points de manière identique à la vôtre...
– Vous me rassurez et m'inquiétez... les deux à la fois...  

(2) À défaut




– À défaut de porte qui le mènerait vers une autre porte qui , à son tour... l'enfant Lune se contente d'ouvrir les yeux quand tout le monde les a fermé... C'est ainsi qu'au cœur des choses se révèlent une partie de leur passé.

(2) Plus que vous...


Sous l'arbre, il y a un cahier, ou peut-être un livre. L'homme s’assied et, délicatement, en prend une feuille. Il tire lentement, sans déchirer. Le papier s’allonge et dangereusement se déforme. L’eau, coulant sur la terre, se change en encre. Ainsi les mots, plus ou moins décomposés, traversé de part en part, lettre après lettre, sans autre raison, traversent la terre. Au coeur de toutes choses, les yeux de l'homme s'ouvrent enfin. Je donne, tu donnes, cela s’allume, se prononce, cela s’éteint ou se dénonce, et à jamais le cycle, se représentant, à nouveau commence. Sous l'arbre, parmi les racines, l’eau et les signes hasardeux pénètrent dans la forêt, descendent dans les obscures profondeurs, puis remontent sous le puits, parlent de feu, d’étincelles, d’incendie et de créatures incandescentes libérant les regards de leurs sombres pensées. 


– Avez-vous conscience de n’être qu’un jouet?
– Plus que vous...
– Je vois ce que vous voulez dire...
– Qu’entendez-vous par là?
– J’entends une petite part de ce que l’enfant Lune entend...
– Qu’entend-il?
– Sans le savoir et sans qu’il l’eut prémédité, ni même souhaité le moins du monde, il entend ce que tout mort apprend en silence...
– Le sait-il?
– Tout dépend de ce que vous entendez par savoir...

dimanche 31 mai 2020

(31) C'est là qu'il en est...




– Est-ce que vous arrivez à suivre l'histoire de Pinocchio, l'Autre?
– Pour autant que je sache... oui.
– Comment faites-vous?
– Je la mémorise.
– Vous pourriez me la répéter dès le début?
– Sans problème. « Hier, comme tant d’autres jours jours, en une brume matinale, au premier temps d’une lune, un arbre isolé se dresse. Dans cet arbre, une voix, impatiente mais quelque peu hésitante, se fait entendre: Ceci… ou cela arrivera demain, ou peut-être avant… ou peut-être après. Un jour, peu importe quand, un homme, hors de lui, discrètement, comme s'il se glissait par la fenêtre, verra un arbre sur un grand arbre. Avez-vous entendu ce petit bruit?  Un cri peut-être, qui, au loin, comme un tout petit incident, déclenche ce que vous ne savez pas. Pas encore. À l’exacte moitié du temps d’une lune, plus qu’il ne suffit, les nuages chantent, protègent et arrosent les grands champs. Au loin, à nouveau on entend un sourd grondement. Tremblant, un oiseau silencieux, perché sur un arbre, écoute venir à lui les assauts furieux de l’eau et du feu venu des cieux. Le nombre de leurs batailles augmente rapidement. Escarmouches bruyantes, brusques fureurs et lancinantes brulures, dialoguent comme des sourds. Chagrins barbares. Au-delà des frontières du visible, les yeux et les ailes de l’oiseau fatigué se sont fermés. Au temps plein d’une lune, ses plumes en bataille, elles aussi, ne pouvaient plus couvrir sa maigre tête. Aujourd'hui, au temps premier du déclin d’une lune, l’homme sur la rive du déluge est rivé. Vis-à-vis impie, clair rival et sombres rivalités, les courants sont contraires. Difficile de traverser la folie d’une rivière qui traverse une forêt de troncs charriée par la mort. Dans son lit, Charon y assemble les arbres morts. À travers la forêt, broyant les rochers, la barque du passeur grossit. Le lit aussi. Une nouvelle lune, pour un temps, à nouveau se présente. L’homme au loin, pourtant, malgré son impuissance, se met en mouvement. Il ferme les yeux. Sa marche se fait dans l'ombre de l'arbre qu’hier, demain ou jamais, avec ou sans lune, il ne voyait. Bientôt, il entendra, sans pour autant les voir, des gens gémir et pleurer au prix de leur passage. Certains mots étranges se dispersent dans le bois mort, gisante forêt grandissante. Ils révèlent une vérité inattendue liée aux images et aux créatures de l'obscurité. Secrètement, lorsque le temps d’une lune est épuisé, les arbres se connectent et collectent des volcans. Lentement la sève monte. L'arbre se transforme et, de temps à autre, fleurit. Des fleurs comme des oreilles. L’arbre est à l’écoute, il se donne à voir, pendant qu’en son intime son écorce craquelle et puis se fend. Percé de toutes parts, l’arbre s’étend et vers le ciel se penche. L'arbre poursuit sa mue. De temps à autre, s’arrachant à leurs maux, certains rameaux disparaissent. Cette nuit-là, sans se faire voir, un arbre voisin a pris la fuite. Déraciné sans bruit, il a sauté dans les nuages. Mots étranges. Très loin, un autre son se fait entendre. Pour certains c’est comme un craquement et pour d’autres comme une longue plainte. À peine vous comprenez sa signification, elle disparaît. En secret l’arbre poursuit sa mue. Au matin, sans violence, des cellules en fusion emplissent ses branches. L’arbre s’étend. Il lui faut quelques heures pour briser la voûte de l’au-delà. Dans la nuit, le soleil rouge se meurt... 
La saignée se répand sur les lointains horizons. Maintenant, comme en plein jour, dans le feuillage de l’arbre transpercé, en pleine nuit, dans le ciel, sa lumière éclatée brille de partout. L’homme se croit en pays sage et contemple au loin ce qu’il avait sous la main. Dans le chaos de la nuit s’inscrit l’ordre qu’il imagine. Il peut y voir l'endroit idéal pour ses ravissements et diverses croyances.»
C'est là qu'il en est...




(31) Lointains horizons







– Savent-ils qu'ils sont dans leur théâtre et que ces horizons qu'ils croient être infini n'est qu'un décor?
– Vous vous trompez...
– À quel propos? Vous pensez qu'ils le savent...
– Je parlais de l'infini... des horizons infinis de leur décor...
– Et alors?
– Et alors... vous vous trompez... ils sont infinis.
– Vous vous moquez.
– Point du tout... mais écoutons...
– Dans la nuit, le soleil rouge se meurt...
La saignée dans le ciel se répand sur les lointains horizons. Maintenant, comme en plein jour, dans le feuillage de l’arbre transpercé, en pleine nuit, dans le ciel, sa lumière éclatée brille de partout. L’homme se croit en pays sage et contemple au loin ce qu’il avait sous la main. Dans le chaos de la nuit s’inscrit l’ordre qu’il imagine. Il peut y voir l'endroit idéal pour ses ravissements et diverses croyances. 

samedi 30 mai 2020

(30) Le grain du sens


« L’homme intelligent prend le grain du sens, il ne s’arrête pas à la mesure.»


Pinocchio, l’Autre, dont l’enfant Lune tient la tête entre ses mains avec une infinie tendresse, s’empare de la moindre parcelle de silence. Il poursuit son histoire:
Certains mots étranges, en un va-et-vient obstiné, se dispersent et se rassemblent dans le bois mort, gisante forêt grandissante. En secret l’arbre poursuit sa mue. Au matin, sans violence, mais puissamment, en errance ne lente coulée, des cellules en fusion emplissent ses branches. L’arbre s’étend. Il lui faut quelques heures pour briser la voûte de l’au-delà. Dans la nuit, pénétrant la moindre roche jusqu’au centre des montagnes, le soleil rouge se meurt.