samedi 28 février 2015

Dangereuse jouissance


« Celui qui s’adonne à la spéculation
est heureux au plus haut point,
aussi heureux qu’un homme
peut l’être en cette vie. »

– Ce qui est divin en l'homme serait le fait que l'homme pense...
– ... et que par la magie de sa pensée il crée...
– ... à son image...

"Tout" tourne en rond


— Ils n'ont pas l'air de savoir parler...


— À première vue, nous non plus ne sommes pas fait pour cela...

— Où sommes-nous ?

— Quels sont ces regards ?

— Ne tournons-nous pas en rond ?
— Jamais nous n'en ferons entièrement le tour...
— Si vous ne quittez jamais la périphérie vous ne connaitrez jamais le centre...
— Tout n'est-il pas déjà dans la périphérie et tout ce qui est universel n'est-il pas identique ?
— Étre enfermé pour s'évader. Voilà le paradoxe.
— Cela me semble en effet parfaitement étranger à tout ce que nous connaissons.
— Bien que nous ne connaissions que bien peu de choses il serait surprenant que ceci ne soit..
— Pourquoi vous interrompez-vous?
— Je ne le sais pas moi-même.
— Et maintenant, que va-t-il se passer?
— Comment voulez-vous que je le sache?
— Allons-nous mourir?
— C'est bien la seule chose qui soit certaine.
— Vous êtes d'une humeur spécialement joyeuse ou est-ce une plaisanterie?
— Je ne plaisante jamais, mais cela ne m'empêche nullement d'être empli de joie.
— Pourrais-je savoir ce qui vous rend joyeux?
— Tout, mais spécialement l'image qui nous transporte en cet instant.
— "Tout", mais ce "tout" ne peut être qu'un mythe...
— Peut-être, mais ce peut être aussi, comme le mythe par ailleurs, quelque chose qui nous parle...
 — Mon maître, qui l'a lu, me l'a dit et m'a demandé de le méditer :
"Aristote avait de la défiance pour tout ce qui ne vient pas de l’homme. Ce qui le conduit à dire que le bonheur n’est pas un don des dieux. Tel est l’humanisme aristotélicien : il est « un humanisme de cette terre. Le seul bonheur qu’il soit permis à l’homme d’espérer, c’est le bonheur de cette vie. »
 L’homme y sera heureux, comme un homme."

Les petits carnets d'Auguste (1-15)

Les petits carnets d'Auguste (1)



Image, trésor caché de la mémoire
si proche d’une origine inatteignable.
Ce qui qualifie l’image est
le regard que l’on porte sur elle.


Passage entre les mondes.
Va et vient continu entre la vie et la mort.
Discours du temps errant dans le temps.



Une image serait un instant qui dure,
avec le paradoxe suivant:
l'instant, dont la nature est d'être bref est devenu
un instant qui dure
en se rendant presque indépendant du temps.
On pourrait dire que cet instant figé
voyage dans le temps.
Cet instant, figé dans le temps,
“nous” fait voyager dans le temps.



La fragilité d'un voyage, dans et par l'image, dans et par le temps, rejoint la fragilité de l'instant par le fait qu'ils sont (l'image et le temps) insaisissables ou indéfinissables, c'est-à-dire infinis.
Chacun de nous verra les images à sa façon, selon ses qualités…
Une image pourrait n'être qu'un déséquilibre, une perturbation de la durée, qui annoncerait ce qui s'est passé ou ce qui va, ou peut, se passer dans une interrogation qui exprime l'incertitude. On ne sait pas, on ne peut savoir ce qui va se passer. On ne peut que le deviner…

 
L'image a-t'elle une âme?

Plantons un décors:
Un parc public, à l'abri de deux grands arbres séparés par un chemin bordé à gauche et à droite de bancs publics. Au fond une imposante sculpture de marbre représentant un homme assis tenant un livre ouvert sur ses genoux, une main posée sur le livre, on ne sait si elle écrit ou si elle sert de guide à la lecture. Le regard de cet homme est levé vers le ciel. Au loin, derrière l’homme de pierre, on peut voir un lac sur lequel se reflètent le ciel et les montagnes. Un homme est assis sur un banc. Il écrit dans un petit carnet. Il est absorbé par ses pensées et par le mouvement presque imperceptible de ses mains qui dansent sur les pages qui se couvrent de petits dessins.
Tout langage est une création...

Les causes et les effets de la nature
donnent bien de la peine à celui qui voudrait penser.
Les principes en sont si bien cachés,
que sans témérité, la raison humaine
ne peut presque pas songer
à les découvrir. 


Pendant ce temps, un autre homme s'est installé sur le banc d'en face. L'homme pose son petit carnet, sort de sa poche quatre bouts de ficelles, se lève et marche en direction du monumental jeu d'échecs tracé à même le sol, il essaie d'éviter les pièces éparpillées dont certaines sont renversées. Il évite soigneusement les pigeons à la démarche claudicante qui picorent les miettes dispersées d'un repas disparu.



La (dé)marche de l'homme est incertaine.
Il semble hésiter, regarde autour de lui, se baisse et ramasse deux ou trois branches qu'il casse jusqu'à obtenir quatre segments relativement droits et retourne s'asseoir sur ce qu'il considère être "son" banc. Avec les bouts de ficelle, il noue soigneusement les quatre bâtonnets pour obtenir une sorte de cadre qu'il se hâte d'élever devant ses yeux. Les pigeons, chassés par une corneille envieuse, s'envolent dans un tumulte évoquant les pages d'un livre qui se tournent toutes en même temps. Les oiseaux, quittant leurs démarches claudicantes, montent très haut, planent un peu, s'inscrivent dans une courbe harmonieuse qui le fait revenir là où ils étaient partis. Pour un instant, leur trajectoire s'inscrit par la droite dans le rectangle de notre homme. Un sourire s'installe sur son visage. Il pose l'objet sur ses genoux, reprend son petit carnet et ses doigts se remettent à danser.

Les carnets d'Auguste (7)

L'homme assis sur le banc d'en face ne tient plus en place. Il brûle de savoir ce que peut bien faire cet étranger, mais il n'ose pas. La peur s'est installé dans son esprit:
- Que va penser cet homme si je l'aborde sans avoir été présenté?
Quelle image va-t'il avoir de moi?
Ne va-t'il pas s'imaginer quelque chose d'infamant ?
Il hésite, tourne la tête, de peur que son regard ne le trahisse. Quelle est cette confusion qui s'est emparée de son esprit et le fait, il en est persuadé, de rougir d'une lumineuse et honteuse clarté. Il rouvre les yeux, et, en effet, l'homme d'en face le regarde.

Les carnets d'Auguste (8)
- Je crois que vous ne prenez pas en compte le fait qu’en réalité, je vous ai fait la réponse la plus simple qui soit. Nous avons, vous et moi, la même chose en tête. Nous sommes constitué de la même manière (matière). Nous nous ressemblons fortement.
- Certes, pour l'essentiel, nous nous ressemblons, mais je ne crois pas que l'on puisse
nous confondre.
- Vous avez raison, nous n'avons, visiblement pas le même âge. Nous ne nous habillons pas de la même manière, la couleur de nos cheveux diffère, nous n'utilisons pas tout-à-fait les même mots et nos pensées ne sont pas les mêmes. Et pourtant, il se peut que j'aie été ce que vous êtes et que vous serez peut-être ce que je suis…
L'homme s'emporte quelque peu et brusquement interroge:
- Cela ne me dit pas ce que vous faisiez tout-à-l'heure?
- Mon ami, vous permettez que je vous appelle ainsi, vous me posez enfin une question à laquelle je puis répondre sans détour... Je contemplais.

Les carnets d'Auguste (9)

Augure est un mot qui signifie, entre autres significations: le "nom animé".
N'est-ce pas là une vraie merveille?
- Oui, mais ce n'est pas vraiment ce que j'ai appris à propos du mot augure.

Pour nous qui n'avons pas votre culture, avant tout, ce mot a un rapport très net avec la divination. Pratique dont on sait, ou à propos de laquelle, tout de même, tout homme raisonnable et raisonné, sait qu'il s'agit de croyances et non de sciences.
- Il se pourrait, mon cher semblable, que la croyance ou les croyances soient des savoirs comme les autres… simplement il ne faut faut pas les confondre, un lion et un agneau ne doivent pas être confondus pour des raisons évidentes, même s'ils ont tous deux, quatre pattes, un pelage, un système digestif, un cerveau et sont tous deux des animaux…
... comme nous..
- Comme nous?
- Oui, comme nous. Nous sommes des êtres animés (comme l'augure) et donc par définition:
dotés d'un âme (anima).
- N'allez-vous pas un peu vite en besogne ? L'homme n'est-il que cela? Et l'âme peut elle être confondue avec l'animal ?
- Vous avez raison "Ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but: ce que l'on peut aimer en l'homme, c'est qu'il est un passage… (silence)
- Il me semble que vous tronquez la citation de Nietzsche… Il dit, ou plutôt il fait dire à Zarathoustra, image de lui-même, que l'homme est un passage… mais il ajoute: un passage "et" un déclin… Pourquoi n'avez pas énoncé cette citation en entier?
- Nous ne pouvons citer entièrement ou alors il faudrait citer l'entier du livre, l'entier de l'image et non seulement ce que nous décidons de mettre dans le cadre, qui pourtant constitue un tout.
- J'entends bien ce que vous me dites, mais quel est le rapport avec ce dont nous parlions:
la contemplation, l'image et sa projection dans le temps, le rapport entre l'animal et l'anima, c'est-à-dire l'âme qui serait alors ce qui nous meut, ce qui nous fait bouger, ce qui nous met en mouvement comme je contemplais, moi aussi, votre main qui dansait tout-à-l'heure au-dessus d’un carnet semblable au mien et dans lequel est posée une question:
“N'est-ce pas grand défaut que de vouloir tout embrasser d'un seul et unique regard?”

Les carnets d'Auguste (10)


- Nous ne pouvons citer entièrement ou alors il faudrait citer l'entier du livre, l'entier de l'image et non seulement ce que nous décidons de mettre dans le cadre, qui pourtant constitue un tout.
- J'entends bien ce que vous me dites, mais quel est le rapport avec ce dont nous parlions: la contemplation, l'image et sa projection dans le temps, le rapport entre l'animal et l'anima, c'est-à-dire l'âme qui serait alors ce qui nous meut, ce qui nous fait bouger, ce qui nous met en mouvement comme je contemplais, moi aussi, votre main qui dansait tout-à-l'heure au-dessus d’un carnet semblable au mien et dans lequel est posée une question:
“N'est-ce pas grand défaut que de vouloir tout embrasser d'un seul et unique regard?”
- Vous ne croyez pas si bien dire…. Mais laissez -moi vous exposer quelques arguments et vous verrez peut-être que tout cela n'est pas sans rapport avec ce que vous me faites le plaisir non seulement d'écouter mais aussi d’imaginer et de commenter. Auparavant, laissez-moi vous poser, moi aussi, une question:
- D’où vient ce carnet que vous avez entre les mains et qui ressemble tant au mien?
- Je l’ai trouvé sur ce banc il y a de cela quelques jours...


Les carnets d'Auguste (11)


Seules trois pages étaient remplies de quelques dessins et quelques lignes d’une écriture  presque illisible. Il me fallut plusieurs jours pour le déchiffrer et aujourd’hui encore je ne  suis pas sûr que ma transcription soit conforme à ce qui y est présenté. Je l’ai trouvé  intéressant. Je savais que je pénétrais dans l’intimité de quelqu’un, mais, en le lisant, je ne pouvais m’empêcher de penser que les pensées qui s’y trouvaient ressemblaient aux  miennes.. Ou plutôt que ces pensées auraient pu être miennes... Et puis, petite merveille,  quand je les lisais me venaient d’autres pensées tout-à-fait différentes de celles qui y  figuraient et qui étaient comme une continuation de celles-ci. Je m’enhardis et profitais du  fait que de nombreuses pages étaient restées vierges pour, à mon tour, griffonner quelques  mots jusqu’à ce que le carnet fut presque plein.
- Avez-vous pensé à rechercher la personne qui avait perdu ce carnet pour le lui rendre.
- Oui, mais peu à peu je vous avoue, je sentais qu’il était devenu mien au point que je ne  puis presque plus distinguer ce qui y était déjà écrit de ce que j’y ai moi-même écrit.
- Ainsi, ce qui se trouve dans ce qui est devenu votre carnet est devenu une image dans  laquelle vous contemplez une absence. (silence)
- Là, je ne peux vous suivre dans cette sorte d'élucubration! Je suis un homme simple et  raisonnable.
- Soyez patient, vous êtes tout-à-fait apte à comprendre ce dont je vous parle, même si  vous n'êtes peut-être pas ce que vous croyez être.
- Bien entendu… Depuis quand détenez-vous cette vérité qui vous fait dire que je ne ne  serai pas un homme simple… ce qui revient à dire que je serai un homme orgueilleux alors  même qu'il suffit de vous regarder et vous écouter, puisque les deux semblent être liés,  pour voir et comprendre que, à mon avis, il faut être un peu “tordu”, pardonnez-moi  l'expression, pour prétendre cela… 


Les carnets d'Auguste (12)


- Eh bien, je suis, je serais, selon vos dires, un peu “tordu” ou tourmenté. Et vous seriez,  vous, homme qui vous dites simple, épargné par la tourmente, selon votre avis…
Eh bien, je vous vous le dis franchement, je ne crois pas un seul instant que je sois un  homme simple. Je ne suis pas assez orgueilleux pour cela…
Et puisque nous en somme au partage des avis, je vous rappelle que le mot découle du  mot oiseau. Un avis n'égale pas celui d'autrui, il se place à ses côtés, c'est tout. En soi,  un avis ne vaut pas plus que ces oiseaux que je contemple à l'intérieur de ce petit cadre  qui a l'air de tant vous déplaire, ou du moins vous intriguer. Ce n'est pas parce que vous  ne voulez pas réfléchir que le questionnement vous laissera tranquille. Réjouissez-vous,  le questionnement peut mener au-delà du simple avis, et si "l'homme est un passage", il  se pourrait qu'il mène jusqu'à de véritables pensées… Or la pensée, sauf exceptions, ne  peut se passer d'images. Le fait est que vous avez traversé l'entre-deux qui nous séparait.
Et voilà déjà longtemps que nous conversons malgré nos points de vues opposés. Vous  me faites face, nous nous faisons face et attendons tous deux que quelque chose apparaisse,  naisse de ce face-à-face circonscrit à l'intérieur du rectangle formé dans l'enceinte de ces  arbres tout comme je contemplais le ciel, espace sacré immémorial qui m'est inaccessible et qui est pourtant mon origine.



Les carnets d'Auguste (13)


- C'est cela, vous êtes donc tombé du ciel et dans quelques instants vous allez me dire  que vous êtes l'image du père. Vous allez me parler du concile de Nicée où l'image fut mise  en accusation. Du fait que la vraie image est celle du fils, puisque "celui qui voit le fils voit  le père"… et puis quoi encore? Personne ne croit plus en ces élucubrations…
- Votre nihilisme est le fait de considérer que l'être ne viendrait de rien. C'est une sorte de  krach. Tout ce à quoi on faisait crédit s’écroule. Tout ce à quoi on ajoutait foi et tout ce qu'on  imaginait disparait. Par exemple, on ne croit plus aux images. Nous sommes la civilisation  de l'image… et à ces images nous ne croyons plus. Rien de plus facile à maquiller qu'une  image. Mais de quoi parlons nous, de quelle image parlons nous. De celle qui est vôtre:
de votre image? De l'image de votre société? Dont vous faites partie et dont vous êtes  censé être le représentant en adoptant ses coutumes, le comportement qu'elle désire, et  les signes qu'elle essaie d'imposer selon ce qu'elle appelle des temps immémoriaux ou de  façon plus simple: la tradition. Êtes-vous l'image conforme de ce que la société à laquelle  vous appartenez attend de vous?
- Ahhhh! Là on peut dire que vous vous dévoilez. Vous commencez par me traiter de nihiliste  et pour finir, je crois que le nihiliste c'est vous!
- Vous croyez… La croyance est-elle un savoir comme un autre?
- Une personne censée sait bien qu'il ne peut pas y avoir de confusion entre savoir et croire.
- Et pourtant cette équivalence me semble envisageable dès le moment où croire ne vise  pas à être considéré autrement que comme un moyen de partager: croire serait une sorte  de savoir. C'est ce que font les athées ou les agnostiques quand ils disent ne pas croire  en Dieu. Mais qu'en est-il de leurs croyances quand ils disent croire en l'humanité et au  progrès de celle-ci? Qu’en est-il de la croyance en la réalisation d’un commun accord?
Il faudrait alors avoir le courage de mettre sur la table la difficile question de savoir (ou de  croire) qui est le père quand tous se disent frères.
Un silence s'installe.


Les carnets d'Auguste (14)


- Vous fuyez! Seriez-vous à court d'arguments?
Il se peut que nous soyons l'un et l'autre des miroirs.
- Le miroir est un objet puissant qui dépasse largement l'usage journalier pour lequel nous  l'utilisons. Le miroir est un objet qui contient une image. Cette image dépend de l'orientation  de ce miroir. Selon le point de vue, l'image du miroir change sans que pour cela il ne  manifeste aucune volonté. La seule volonté est du côté de celui qui regarde. L'image est  dans l'oeil de celui qui regarde et l'homme est un miroir pour l'homme.
- Vous dites que l'homme est un miroir pour l'homme et ce que j'entends en même temps  ou presque, comme un écho ou une image dans le miroir: l'homme est un loup pour  l'homme… Voulez-vous dire qu'une image peut en manger une autre? Voilà bien des  mystères que nous n'aurons pas le temps de dévoiler. La nuit commence à tomber. Avant  que les portes de ce petit parc ne se ferment aux hôtes indésirables de la nuit, expliquez-moi , je vous prie, ou répondez à la question que vous me proposiez, il y a déjà longtemps:
les images ont-elles une âme?


Les carnets d'auguste (15)

– Je vais peut-être vous surprendre...
Oui il se peut que les images aient une âme si l'on considère que la seule véritable image  est celle de l'autre… Je suis l'un et vous êtes l'autre ou inversement. Il y a donc deux entités  qui se font face comme dans un miroir. L'un devient l'autre et l'autre devient soi-même à  condition qu'il y ait un regard. Pour qu'il y ait un regard il faut que l'un ou l'autre regarde.
Pour que ce pouvoir existe, il faut que l'un et l'autre soient présents. Ce qui les fait "êtres  présents" c'est l'être. L'être est double. Il possède deux qualités complémentaires: il est  concept (idée) et matière (chair). Un être est. Le verbe et sa matière ne font qu'un. Le verbe  anime la matière sans laquelle le verbe n'est rien.
L'un et l'autre, par définition différents se rejoignent par le fait que l'être les habitent.
Les hommes voient leur image dans l'homme qui les regarde.
– Dites-moi si j’ai bien compris, vous me proposer de me voir quand je vous regarde, puisque  vous dites que nous serions des miroirs. N’est-ce pas là un éclairage démesuré?
– Pas tout-à-fait, c’est plus subtil que cela. Nous avons tous des identités changeantes et  rien n’est plus facile que de transformer son image dans le miroir. Quand je vous regarde  ou quand je regarde-n’importe qui, je peux voir ce que potentiellement je puis être et non  ce que je suis en ce moment (sans être tenté de transformer votre image).
C’est ce que précisément je faisais tout-à-l’heure...
– Mais alors vous pensez que vous pouvez découvrir ce que vous êtes à travers moi?
– C’est un peu cela...
– Mais alors que ferez-vous de ce que vous apprenez de moi et qui m’appartient?
– Je ferai comme vous et un certain petit carnet, je le scellerai en mon cœur...
Avant que nous ne rejoignions les autres visiteurs du parc qui se dirigent vers la sortie dont  les portes se ferment déjà et dont certains, l’avez-vous remarqué, sont en train de ranger  de petits carnets semblables aux nôtres, j’aimerai vous poser une dernière question, je sais que cette question est trop vaste pour pouvoir y répondre en un instant, mais...




 Qu'est-ce qu'une découverte ?
Qu'est-ce donc si ce n'est quelque chose
qui se découvre ou que l'on découvre..?

– Qu'y-a-t'il comme différence entre ce que se découvre et ce que l'on découvre ?
– Dans les deux cas nous ne faisons qu'enlever le voile qui couvre ce qui déjà était là. Alors, on peut se demander: cas est-ce bien quelque chose de neuf qui est découvert?
Quant c'est un continent qui est découvert, la même question pourrait être posée. Elle contient déjà sa réponse: le continent existait-il avant sa découverte? C'est une évidence...
La différence réside dans le fait que ce ne sont pas les mêmes causes qui sont à l’œuvre pour que la découverte se fasse...
Dans l'une, l'action vient de l'extérieur et dans l'autre elle vient de l'intérieur.

Le monde d'Auguste est animé par les associations de mémoires. Toutes les sortes possibles, sans aucune hiérarchie... dans un premier temps...
– Pourquoi cela?
– Patience, l'assurance tranquille des vieux sages nous dit qu' il y aura un deuxième temps, puis un autre, indépendamment de leurs significations. C'est dans l'ordre des chose et cet ordre n'engage, à ce point, rien ni personne.


Les traces d'un passage



"Socrate affirme
que l’émerveillement ontologique de l’adolescent,
la perte « vertigineuse» des repères devant
l’instabilité de l’être mouvant,
est le commencement de la philosophie.
Il fallait noter surtout le retour incessant
de « s’émerveiller » (thaumadzein),
avec le substantif, l’adjectif et l’adverbe
qui l’accompagnent,
où la charge positive du mot fait voir que
l’émerveillement est la prise de conscience
de l’inattendu, d’un phénomène
étranger au cours normal des choses."*


– Comme le poisson efface les traces de son passage avec sa queue...
– Vous savez, cher Justin, selon Auguste, mon cher maître, le trajet d'une étoile laisserait une trace sonore que nous ne percevons pas...
– Comment l'idée lui est-elle venue...
– Voilà qui mérite attention.
Il est temps de préciser qu'Auguste a un long chemin qui s'étend derrière lui. Enfin, c'est ce qu'il pense. En réalité, ce chemin, pour qui voudrait le parcourir en sens inverse serait bien difficile à déceler.
Hors, précisément, ou presque, c'est ce qu'ont fait le trois émissaires. Je dis bien "presque" parce qu'ils ne l'ont point parcouru en sens inverse, mais à l'endroit. Or à l'endroit comme à l'envers, ce chemin a, pour de nombreuses raisons et à de nombreux endroits, complètement disparu. Il ne reste que de petits tronçons reconnaissables... plus ou moins. Quant aux trajets sur l'eau de la mer, reconnaissons qu'il s'agit là d'un problème bien délicat... auquel le bon sens indique clairement qu'il faudrait ne pas s'y attarder....
– Alors comment se fait-il que ce trajet ne fut peut-être pas le plus difficile à retrouver par la troïka?
– Socrate suggère que l’émerveillement est le don de lever la tête au-dessus de notre manière de voir afin d’apercevoir autre chose.


* Michael Edwards, professeur au collège de France

vendredi 27 février 2015

L'humilité qui se montre


– Malgré la similitude de leurs costumes,
discours, humeurs, jactances et manières,
ce que n'est pas l'un,
le deuxième le sera.

– Le monde de nos maître est bien étrange, ne trouvez-vous pas, cher Auguste ?
– Selon votre point de vue et au premier coup d’œil, tout peut être étrange, cher Justin...
– Et ce que n'est pas le second, le troisième le sera...
– Et ainsi de suite, presque au hasard...
– En revenant au premier ou au second...
– Au hasard des mots, en premier, des concept en second...
– Et des commentaires en troisième.
– Voilà qui est bien ... spécial !
– Entre un spécialisation et une indivision des savoirs, le choix se fait selon les circonstances. Tout, par ce fait, peut être présenté par l'un ou l'autre des systèmes. Ce qui n'est pas carré sera rond. Et le rond s'inscrit parfaitement dans le monde du carré. Et inversement.
Immanquablement, en toute humilité... ils répondront, selon la formule consacrée :
– Faites mieux que nous ce qui sans nous avait déjà commencé...
– Depuis fort longtemps déjà... cela dit en toute humilité...
– L'humilité qui se montre, meurt dans l'instant de sa gloire présumée...

jeudi 26 février 2015

"Guillemets"

illustration manquante

– On pourrait, il me semble, cher Auguste Perroquet,
avec tout le tact et la délicatesse dont je suis capable,
penser que votre maître fait preuve d'un certain laisser-aller...
– Cher Justin, vous venez de mettre la serre
sur un point parmi les plus sensibles.
Celui de la liberté d'expression
et de la forme à laquelle celle-ci serait soumise...
Vous captez immédiatement, je l'espère,
l'antagonisme qui est très vite mis en lumière...
Je ne vous répondrais pas de façon personnelle,
mais je vais continuer le récit
tel qu'il m'a été confié.

Auguste raconte son histoire à son homonyme, perroquet au service de son état.

– Comme vous pouvez l'imaginer, il ne fallut pas plus de quelques instant pour que la charge ne se retourne contre moi.
– Rappelez-moi, quelle est cette charge?
– J'ai osé parler de certain défaut fort habilement dissimulé et surtout je l'ai nommé de son nom: la vanité.
Les Hauts-Lieux sont ainsi nommés par le fait qu'ils sont situés sur une hauteur qui dominait la petite cité où se réunissait régulièrement notre gouvernement. Ces Hauts-lieux bénéficient d'une certaine largesse d'expression. Ainsi, tour à tour le terme exprime un lieu, changeant, par ailleurs, et les gens qui s'y réunissent.
– Rien de bien dangereux, en somme...
– En apparence, non. Si ce n'est qu'insidieusement, et toujours dans le même sens, il se produit une très légère dérive.
– Tout de même, vous semblez, mon cher maître, considérer vos égaux d'alors comme des... pardonnez-moi ma hardiesse et mon vocabulaire limité, comme des "crétins"...
– Ces Hauts-lieux ne sont pas constitués que de "crétins", comme vous le dites entre guillemets. À ce propos, c'est amusant, il se trouve que deux de ses membres ont pour titre et fonction d'être des "Guillemets".
– Quels en sont les rôles?
– Ils encadrent, forment et surveillent...
Mais laissons ces détails et revenons en au fond de notre histoire.
Une part non négligeable de cette assemblée est même assez intelligente. Il en est même qui sont ou se disent poètes... assez mauvais il est vrai pour la plupart. Certains sont aussi des artistes, bien peu connu, quelles qu’en soient les raisons, doctes orateurs, scientifiques, bureaucrates, managers, fonctionnaires et bien d'autres encore. Certains font preuve de raffinement et bonne volonté, mais tout ce monde a en commun ce qu'ils appellent, en plus des bonnes manière: la tradition.
– Qu'entendez-vous par "tradition".
– Encore une fois, vous mettez la serre là où d'autre n'ont jamais mis la tête...
La tradition est un vaste réceptacle d'où l'on peut sans grands problèmes, à force de manipulation, facilement faire apparaître les oreilles ou le reste d'un lapin porte-bonheur, ou une vérité, dont la relativité sera habilement... oubliée. Le temps qu'elle réapparaisse, quand le vent, par exemple, aura changé. Et le vent, il suffit d'attendre, change inexorablement.
Rien n'est plus déplorable, en ces lieux, que l'irrespect dû aux anciens et plus particulièrement à ceux qui de mémoire ont œuvré à "l’édification de cette ouvrage", comme nous le disions. Ouvrage qui, selon mon opinion, n'est rien d'autre qu'un "régime comme tant d'autre". Certes, au départ, les raisons évoquées de cet assemblage fondateur sont, en principe, au-dessus de tous soupçons.
– C'est ce que devaient incarner fermement et distinctement les trois émissaires que j'ai rapidement entraperçus?
– C'est cela.
– Est-le cas?

mercredi 25 février 2015

Vanité



– Parlez-nous encore de ce doute
qui semble tarauder l'esprit de votre maître.
– Oui. certes une certaine forme de doute
habite les pensées de mon maître.
Mais je ne crois pas
que cela soit ainsi qu'il l'exprimerait.
– Et comment l'exprimerait-il?
– Il se trouve que nous en avons longuement parlé...
Laissez-moi rassembler mes souvenirs... 

 – Le doute, oui, me disait-il... mais pour arriver à une certitude.
Celle du progrès infini du Savoir.
– Ouhhlaaaaaa.... voilà qui est ambitieux!
– Telle était la devise et la visée universelle du Très-Haut. Devise à laquelle mon maître ne pouvait que souscrire sans restrictions, malgré le fait qu'il ne goûtait guère aux titres "ronflants" que certains s'attribuaient...
Quant au progrès infini du Savoir... cela sonnait assez bien, il est vrai, mais combien de temps faudrait-il pour que le doute s'y insinue?
– N'est-ce pas ce doute qui pourrait être la source de ce qu'il craignait?
– Vous m'étonnez Justin Perroquet! Seriez-vous un peu devin? C'est précisément ce qui lui a été reproché...
La notion même du progrès infini ne prouve qu'une chose, son état incomplet. Il n'y a pas de doute à cela! C'est une pensée à la portée de tout un chacun. "Vastitude" de la portée, dirait-on à une autre époque.

Hors de cela va surgir au moment des faits relatés par Auguste, une multitude de faits divers, qui, dans un premier temps étaient impossible de relier. Mais il existait une tension parfaitement ressentie, qui reliait incognito tous ces faits. Je dis bien "tous", bien que cela, d'un autre point de vue pouvait être contesté... Mais ce ou ces points du vue à leurs tours étaient contestables. Ce qui était de fait toujours le cas. Ce qui fait que au lieu de parler des faits en eux-même le jeu consistait à mettre en marche une rhétorique simpliste qui vise à son insu à éloigner de plus en plus le sujet en montrant combien une partie de celui-ci pouvait être rattaché à autre chose de telle manière qu'il devienne finalement, à force de règlement, inconsistant et disparaisse complètement.
On peut se demander s'ils n'avaient pas d'autres choses à faire. Eh bien oui, cela aussi ils le faisaient et qui plus est de la plus étrange quoique avec une certaine intelligence et surtout une cohérence qui devrait susciter une certaine admiration... Si ce n'est ce que cette cohérence représentait la plus vile des qualités. Ce qu'Auguste, dans un geste certainement désespéré a osé nommer de son nom: la vanité.
Rien n'eut pu être pire que cela...

mardi 24 février 2015

Il se dit que...


– Que faisiez pendant tout ce temps,
cher Auguste Perroquet?
– Cher Justin,
je n'ai fait que rendre visite à mon maître.
Le voyage est long, vous le savez,
et nos ailes ne nous permettent pas
de longues escales.
 – Mais dites-moi,
que faisait Auguste dans cette galère?
– Longtemps, il se l'est demandé
sans pouvoir répondre.
– Allait-il y trouver,
par son travail acharné,
une clef pour le monde?


Quelquefois il se dit:  une si petite action pour soi-même pourrait devenir grande pensée si l'humanité toute entière se mettait à penser.

Ce qui, manifestement ne sera pas le cas demain, se dit Auguste.

Et cette tension que rapporte avec vivacité le style d'Auguste, ne préfigure en rien ce qui allait se passer et qui depuis lors s'est passé. Ce qui nous mène jusqu'à la présence des trois émissaires dont on peut se demander quels en sont les fondements.
– La moindre courbe mérite-t-elle cet enthousiasme?
Les mondes de l'intellect:
Vastes territoires où la stratégie est mère de toute pensée.
– Oui si, en cette période de doute, cette pensée gagnait les sentiments de la certitude.
La dangereuse universalité de la pensée.

dimanche 22 février 2015

Manière de vivre

La manière de vivre du Haut Conseil n'avait rien à voir avec les façons de vivre de la "basse-cour". La "basse-cour" étant une expression de la pensée et non dite – surtout ne rien dire est la loi du "secret-taire", telle est la devise – qui était censée recouvrir avec affection un état de fait non discriminatoire dans lequel par ailleurs et par coquetterie les membres des Hautes-Cours, évoluaient discrètement. Incognito serait plus approprié, mais il se rapporte à une autre prérogative de ce groupe qu'il ne faut pas nommer... si cette qualité ne reflétait pas, justement, un des plus haut grades de ce groupe d'enthousiastes...

samedi 21 février 2015

Le monde est l’ensemble des faits...

"Le monde est l’ensemble des faits, non des choses."

Wittgenstein 
Tractatus Logico-Philosophicus 

– Vous savez Justin, il arrive un moment où il devient urgent d''assumer, non seulement ce qui nous passe par la tête, mais aussi ce que nous faisons...
– Je ne sais pas vraiment ce que vous voulez dire, Auguste, même si je crois que je m'en doute un peu... Cependant, imaginez un peu ce qui risque de nous arriver si nous prenions le risque, malgré nos rémiges taillées, de nous envoler. Avez-vous idée de ce que représente vraiment un courant d'air?
Avez-vous bien en tête que tous les vols que vous avez eu l'impression de faire, n'étaient , en définitive, que des rêves inhérents à notre nature?
– Comment cela?
– Jamais, au grand jamais, nous n'avons volé véritablement...
– Mais en fin, tout de même--- avant notre capture...
– Il n'y a jamais eu de capture... C'est chez eux que nous sommes nés!

vendredi 20 février 2015

Une question délicate

– Dites moi, cher Auguste,
depuis le temps que je vous connais,
puis-je vous poser une question délicate?
– Si vous la posez de délicate façon.
– Comment définiriez-vous l'amour
que vous portez à votre maître?

– C'est une question bien difficile. Vous aviez raison de la poser sous l'angle de la délicatesse... Rien n'est plus difficile que de rendre compte de ce qui vous constitue ou de ce qui vous a constitué.
– Je ne voudrais pas avoir l'air d'enfoncer une porte ouverte, mais il me semble, enfin... je crois déceler l'emploi d'une forme qui indique le passé!
– C'est effectivement le cas... même si cela n’empêche rien.
– Rien... de quoi?
– Tant pis, je me lance. Je ne vous ferais point l'affront de vous étaler les différences entre amour, éros, philia et agapè.  Il se trouve qu'en effet il arrive un moment où nous devrions prendre de la distance vis-à-vis de nos maîtres.
– Et voler de nos propres ailes?
– C'est cela.
– Mais alors que faites-vous du fait que nos rémiges, en l'état, c'est-à-dire soigneusement rognées, presque mutilées, ne sont guère capable de nous porte plus loin que le moindre de nos pas, si maladroits soient-ils?
– Détrompez-vous! Même ainsi nous pourrions voler. Maladroitement, dangereusement, certes, mais nous pourrions. Vous venez de mettre la griffe sur ce qui ne marche pas! C'est précisément de cela qu'il est question. Il arrive ce moment où profitant des avantages que la nature nous a octroyé nous devrions être capable d'apporter à notre évolution ce que précisément ils ne sont pas capable par défaut de nature.
– Ou sans l'aide de l'artifice matériel !
– C'est cela même. Si nous devrions être capable de voler ce n'est pas simplement par envie ou mimétisme. C'est avant tout notre vocation, si j'ose dire. Et tout cela coexiste avec l'aspiration légitime à la liberté que nous partageons avec eux. N'oubliez pas qu'avant tout et malgré le soin qu'ils nous portent nous en sommes les prisonniers. Sils croient que nous nous attachons à eux par le fait d'être vulnérable et d'être nourri-logé, ils se trompent. Et je ne voudrais pas qu'il subsiste la moindre ambiguïté, je parle de nourriture de l'esprit tout autant que celle du ventre...
Quant à leur désintéressement, à leur attachement et à leur fidélité, il me semble, de façon libre et spontanée, qu'il y aurait beaucoup à dire ou à faire.
Saviez-vous, sans compter cette chouette que nous apercevons de manière fugitive, que nous ne sommes plus les seuls de notre espèce sur cette île?
– C'est vrai que vous avez changé...
– Pas tant que cela, en vérité...
– Alors, que va-t'il se passer? Allez-vous renoncer à l'affection profonde qu'ils nous portent et aux soins divers dont ils nous gratifient. Sans compter les repas... et tout ce que nous pourrions encore apprendre d'eux?

jeudi 19 février 2015

Comme si un signe avait une signification


"S'il existe  deux théorie ou plus
pour expliquer un mystère, 
la plus simple est la vraie." **


– Croyez-vous, cher Auguste Perroquet, que ce que fait votre maître sur son île a du sens?
– Croyez-moi, cher Justin, je suis sûr que cela a du sens comme vous dites, mais ne me demandez pas lequel?
Mais si je puis me permettre une citation qui m'a été communiqueée par la voix de mon maître :
"Si tout se passe comme si un signe avait une signification, c'est qu'alors il en a une." *
 – Ne pourrait pas dire cela de tout ce qui une apparence est cela serait trompeur, si je ne me trompe...
– Vous ne vous trompez pas, vous vous perdez...
– Comment cela?
– Vous confondez l'objet et son image.
– Je vais être simple: je sens qu'une légère lassitude me gagne...
Prenez garde que cette fatigue ne se mue en énergie passionnée et pour finir, ne pourriez pas être aussi simple que les formules que vous ou votre maître, citez sans cesse et peut-être sans vergogne.


 *
 Ludwig Wittgenstein 1921

**
 « C'est en vain que l'on fait avec plusieurs ce que l'on peut faire avec un petit nombre. Frustra fit per plura quod potest fieri par pauciora. »

 Guillaume d'Ockham 1319

Dans le même rêve

– Si nous étions, par pure hypothèse, tous deux dans le même rêve...
– Eh bien?
– Eh bien, le quel d'entre nous serait le rêveur?
– En effet, il serait bien difficile de faire le choix, et chacun d'entre nous pourrait, avec une certaine légitimité, penser en être l'auteur...
– Mais sans aucune certitude... d'autant plus...
– D'autant plus que quoi?
– D'autant plus qu'il reste encore d'autres hypothèses.
– Par exemple?
– Eh bien par exemple, l'hypothèse que nous ne serions pas, ni l'un ni l'autre, l'auteur de ce rêve. Nous serions seulement les protagonistes du rêve d'un autre.
– Et qui pourrait-il être?
– Eh bien nos maîtres par exemple et pour commencer...

mercredi 18 février 2015

L'idée de l'avenir

– Ce qui s'est passé est-il ce qui devait se produire?

Auguste Perroquet et Justin Perroquet dialoguent à l'image de leurs maîtres.
– Les grandes questions ne peuvent se passer de l'idée de l'avenir.
– L'idée de progrès est un mystère qui fait miroiter un trésor et se lever les têtes...
–  Auguste ne faillit pas à la règle, mais quelque chose, capable de donner un autre sens, s'est il immiscé dans sa vie..?
– Quelque chose comme un grain de sable qui profiterait du moindre "jeu" pour enrayer la machine ?
– Quelle machine ?

mardi 17 février 2015

Une question sans réponse...

On peut se demander,
et c'est qu'ont fait les émissaires,
si les perches d'Auguste visaient
à la mer ou plus encore à
ce qu'il appelle le ciel...

– Cela n'avait aucun sens...
Auguste, au sujet des perches dressées, avait un avis aussi ferme que les perches étaient flottantes...


– Et vous, cher Auguste Perroquet,
lui avez-vous posé la question ?

– Bien entendu.
– Et alors, que vous a-t-il répondu?
– Sa réponse fut déconcertante...
– Déconcertante?
– Oui...
– Tout comme la votre, là maintenant..?
– Vous allez rire, c'est justement, mot pour mot, ce qu'il m'a répondu...

Ce qui, dans l'oreille

 À quoi, si ce n’est à une substance électrique,
peut-on attribuer la magie avec laquelle la volonté
s’intronise si majestueusement dans le regard
pour foudroyer les obstacles
aux commandements du génie,
ou filtre, malgré nos hypocrisies,
au travers de l’enveloppe humaine.

Histoire intellectuelle
de Louis Lambert

Ce qui, dans l'oreille, agit comme un regard
ou inversement...
Auguste ne reste jamais sans rien faire et ce fut toujours le cas.
La traque de la vérité et de son opposé "consubstantielle", qui est l'erreur, est ce qui caractérise le mieux les écrits d'Auguste, alors secrétaire  du Très-Haut.
Dans une sorte de jeu de piste sophistiqué, obsessionnel et fraternel, où le sophisme prend une part conséquente, Auguste transformait en récit ce qui ne saurait se raconter.
– Je ne me  rendais comptes de rien puisque je ne rendais comptes qu'au Très-Haut qui lui rendait comptes aux dignitaires des propos consignés par mes soins...
Tous les écrits, bien que soigneusement rédigés, ne plaisaient pas. Il y avait en eux quelque chose d'indéfinissable qui dérangeait. Le mot est soigneusement choisi : dérangeait.
– Cher Auguste, le rangement, l'ordre, ne peut régner quand l'oreille se substitue au regard!
Combien de fois auguste eut-il à entendre cette remarque qui, il faut l'admettre, ne manquait point d'à-propos et constituait l'exemple même de ce qu'eut pu dire Auguste.

lundi 16 février 2015

Un léger souffle dans la voix


– Qu'est-ce donc que cette chose étrange
que d'avoir un chat dans la gorge?
– Parlez plus fort, je ne vous entend pas.
– C'est bien de cela qu'il est question, je ne peux pas.
Il y a là, dans ma poitrine,
un léger souffle qui brise ma voix...

Sous la houlette d'Auguste et de Justin, calquant leurs discours sur celui des hommes, le peuple des Perroquets travaille avec force et vigueur à son amélioration matérielle et morale.

– Le but de toute association politique est la conservation des droits
naturels et imprescriptibles du Peuple Psittaciforme. Ces droits sont la liberté, le droit à la parole, à l'image qui est source du langage, à la sûreté, et avant tout autre, la résistance à l'oppression.

Quel était le rôle Auguste dans cette aventure?
Longtemps après, il avouera  se l'être souvent demandé sans pouvoir répondre. Allait-il y trouver, par son travail acharné, une clef pour le monde? Il en doutait...

dimanche 15 février 2015

Les jouissantes expériences des sens


En d'autres lieux, à une certaine époque,
quand il en avait le temps, c'est du moins ce qu'il disait,
Auguste soumettait son esprit à la raison
et le confrontait, corps et âmes réunis,
aux jouissantes expériences des sens.

– Pourquoi faisait-il cela?
– Parce que cela lui plaisait...
– Pourquoi cela lui plaisait tant?
– Probablement pour des raison qui sont là assez obscures, mais dont on peut dire, d'après ce que m'a dit mon maître, qu'elles allaient au-delà de simples calculs et de certains effets plus ou moins hasardeux de la géométrie... et qui lui permettait d'éclairer, un peu, la toute petite partie du monde dans laquelle il avait la sensation d'exister et voir ce monde sous un jour qui pourrait être "tout nouveau".
Il se mettait en certaines positions qui, il le pensait sincèrement le mettaient "en état de fonctionnement idéal" à l'exercice de la pensée. Jusque là, l'exercice était en parfaite conformité avec ce qu'il était attendu de tout émissaire. La difficulté faisait son apparition lorsque que ce questionnement, en quelque sorte, se retournait sur lui-même... provoquant, on s'en doute, une sorte de vertige pour celui qui s'y risquerait, non par hasard, mais, si on peut le dire en pareille circonstance... en parfaite connaissance de cause...
Or de cause, il n'y en avait pas. Du moins pas qui puisse être évoquée. Et même, cette hypothétique cause, singulière ou plurielle consistait peut-être l'objet de la recherche qu'elle avait elle-même suscité.
Était-ce là un paradoxe? Ou peut-être un cul-de-sac... Auguste avait certes quelques doutes, mais ces doutes faisaient manifestement partie de la question. Hormis ces doutes, la question ne se poserait peut être pas. Tel était la borne qu'il eut fallu ne pas dépasser... et qu'il se mit à dépasser allègrement.
– Allègrement est intrinsèquement le mot qui convient!
Et en même temps, nous le savons par le témoignage de nos amis les perroquets, il ne faisait pas que cela. Loin de là. Il partageait avec eux une part de leurs idéaux, même s'ils étaient, en quelques sortes, canalisés par la rationalité.
– La convergence des savoirs, si petits soient-ils, est une nécessité, leur disait-il souvent. Mais qu'advient du fleuve ou du moindre ruisseau lorsque de ses rives bétonnées il est devenu le prisonnier?
Ce à quoi ils répondaient en souriant :
– C'est bien ce que nous pensons.
Auguste ne s'en rendait pas compte, mais ils l’incluaient dans le nous. Comme si ses pensées et les leurs étaient un même, unique et vague ensemble.
Comme si sa pensée se déversait dans cet ensemble, perdant tout son caractère d'unicité, sans lequel, tout ce qu'il pensait allait se perdre... ce qui, chacun peut le comprendre, le mettait assez mal à l'aise.
– Bon fils de la renaissance... petit garnement des lumières...
Telle fut la sentence provisoire du Très-Haut Conciliateur.


– C'est pourquoi,
et nous venons de mettre le doigt ou la griffe
sur une cause inattendue, Auguste,
pendant longtemps, hésitera...
– L'avenir et le passé se confondent quelques fois.

Aux yeux des émissaires

Aux yeux des émissaires,
Auguste donne l'air d'être absent...
Il semble partagé entre deux tendances,
l'une le poussant au dialogue
avec ceux qui furent ses semblables
et qui le sont, qui sait, encore...

– Comment ais-je pu être des leurs? se demande Auguste avec insistance. Et pourtant, il ne peut y avoir de doutes, je l'ai été...
Le temps passe et la question se fait plus précise ou plus incisive:
– Certes, j'ai été des leurs, mais ais-je été comme eux?


– C'est incroyable :
 De près ils ne sont en rien comparables
à ce qu'ils sont de loin !
Quand j'y pense, c'est tout de même,
je dois le dire, assez étrange...

– Il faut dire aussi que, à mes yeux, du moins ceux d'aujourd'hui, ils ne ressemblent point à l'image que j'en avais.
Un long moment plus tard :
– C'est-à-dire à l'image que j'avais de moi...


–Vous avez vu ! Chers amis perroquets, la chouette est encore là.
– Pour qui elle se prend celle-là? 
– Pensez-vous qu'elle puisse avoir
quelque rapport avec eux?
– Qui ça eux?
– Eh bien... avec les émissaires...

– En tous cas , elle ne dit jamais un mot...
Sans doute, nonobstant le fait qu'elle ne leur ressemble en rien,
est-ce pour cela qu'elle paraît si sage...

samedi 14 février 2015

Auguste fait profil bas

 Auguste fait profil bas.

Il sait très bien que les émissaires ne doivent pas être regardés en face. Ce n'est pas qu'Auguste croit au pouvoirs mystérieux de leurs regards, mais s'il ne veut pas que les évènements ne s'accélèrent, il sait qu'il vaut mieux faire semblant, au moins pour un moment, d'obéir aux usages.


– Les images sont des frontières qui contiennent d'autres frontières...

La mémoire d'Auguste est un vrai territoire dont les frontières intéressent au plus haut point les émissaires et surtout ceux qu'ils représentent.

 – À l'évidence, rien n’est plus représentatif qu'une image...
Et pourtant... la représentation
est-elle fidèle au fait qu'elle représente?

Auguste est en bien mauvaise position, mais cela ne l'empêche nullement de penser. Ainsi, se demande-t'il, les trois émissaires sont-ils à l'image de leurs maîtres, ou sont-ils l'image de leurs maîtres ?
Il les regarde avec insistance, ce qui, à l'évidence devrait les indisposer, mais ils n'en laissent rien paraître. 
– Si l'image est une mémoire et que l'image qu'ils donnent venait à disparaître, alors le lien avec la mémoire qu'ils représentent et sont censés transmettre va se dissoudre...