samedi 30 juin 2018

Très lentement


“De même écrire et lire sur une roue qui tourne est sans doute encore un tour d’adresse étonnant, mais je n’arrive pas à voir quel plaisir peut causer ce spectacle.”

Xénophon, Le Banquet

 



– Toutes ces pensées qu'ils se font jour après jours me font sourire.
Elles sont le produit de la corruption et commencent très lentement à empoisonner l'idée qu'il se font d'eux-même...

Les masques se déchirent




Aux tentacules du temps se mêlent les harmoniques du vent dans lesquels se glissent amoureusement, venus de très loin, le chant des grands oiseaux de passage.



Vingt-huitième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge et figurant au dos de l'illustration ci-dessus...

Loin des gesticulations et des tribulations de notre Toute Puissante et Glorieuse Institution, dans un espace parfaitement clos, une petite voix se fait entendre d'on ne sait où. Alors le temps, lui aussi, disparaît et, sans le moindre bruissement, se mélangent abruptement les espoirs les plus fous, se déchirent les masques, s’ouvrent sans pudeur les rideaux, se découvrent les passions les plus violentes dans le berceau de la mort et de son éternel cortège flamboyant.


Mise en scènes




Vingt-septième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge et figurant au dos de l'illustration ci-dessus...

Les textes qui accompagnent et n’illustrent pas ces dessins, écrits jour après jour constituent une sorte de journal parallèle qui devient la vraie substance de ce qui est mis en scène bien avant que l’histoire ne soit écrite. En ce sens, il est difficile de dire ce qui, de l’histoire ou des dessins serait le reflet de l’autre.

vendredi 29 juin 2018

Sans prudence


Il ressort des nouveaux documents que les relations entre Don Carotte et certains écrivains se disant libertaires ne se limitent pas à un seul échange épistolaire. Quelques traces ont récemment été découvertes qui éclairent certaines pages obscures des rapports...





Vingt-sixième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge et figurant au dos de l'illustration ci-dessus...

Je ne suis point héros fameux. Sans prudence, après avoir détruit les remparts sacrés du silence, dans tout les mondes je portais ma carcasse déglinguée. Sur toutes les scènes nous conduisaient nos pas errants. Je parcourus les cités et les déserts nombreux, et m’instruisis de leurs secrets. Sur les mers, en proie à ses soins dévorants, je luttais contre les revers les plus terribles, aspirant à sauver mes jours, et à ramener mes compagnons invisibles.


Trou de mémoire






Vingt-cinquième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge et figurant au dos de l'illustration ci-dessus...

C'était comme si devant nous il n'y avait rien, pas même une arête vive ou le bord élimé d'un ravin ou d'un trou de mémoire. Nous étions incapable de nous souvenir... Nous avions peur et, sans plus réfléchir, nous avons suivi...

Dernière escale



“Voilà pourquoi, à présent que je suis entrain de l’écrire pour elle -puisque je n’ai pas pu la lui raconter- j’ai choisi la manière la plus simple et la plus directe possible pour ne pas me risquer dans des chemins, raccourcis et méandres que je ne maîtrise pas, et qu’il ne serait pas non plus recommandé d’emprunter. Fasse le ciel qu’avec mon manque d’habileté ne se perdent pas ici l’enchantement, la fascination douloureuse et pénible de ces amours qui, par nature transitoires et impossibles, ont quelque chose (même infime) de ces légendes jamais épuisées qui nous ont envoûtés durant tant de siècles... Comme ce que je vais vous raconter est quelque chose que j’ai appris de la bouche du héros, je n’ai d’autre alternative que de me lancer pour mon propre compte, et avec mes pauvres moyens, dans la tâche de le consigner. J’aurais aimé que quelqu’un de plus doué le fît; cela n’a pas été possible...”

Alvaro Mutis, Le dernière escale du tramp steamer






Vingt-quatrième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge et figurant au dos de l'illustration ci-dessus...

Voilà pourquoi... il me semble que non seulement les actions sérieuses des hommes légers et allègres, mais encore leurs divertissements sont dignes de mémoire. Cette opinion m’est venue à la suite d’un voyage auquel j’ai participé malgré moi et que je vais rapporter.


jeudi 28 juin 2018

Jusqu’à l’heure


Nous pouvons et nous devons être hors-jeu pour que le jeu existe et ne soit pas simplement une chaine d'actions dont nous ne pourrions maitriser la succession et dont nous serions depuis toujours et indéfiniment les héritiers.


– À s’en souvenir, il versait une éclosion de larmes,
Par moments couché sur le flanc, par moments, au contraire, le dos renversé, par moments tête face au sol.

– De la rose autant que de ses épines fleurissent, rage impie, un chapelet de larme aux couleurs des mystères et des rayons affaiblis de l’aurore. Sublimes mystères de l’ignorance, le moindre blasphème reçu de la muse, reine de la nuit, transporte le regard inspiré jusqu’à l’heure sereine du repos.

Dans un passé se perd


« C’est à Tocopilla, petit port chilien blotti entre le glacial océan Pacifique et les plateaux montagneux du désert de Tarapacá, la région la plus sèche au monde, où pas une goutte de pluie n’est tombée depuis des siècles, qu’à sept ans j’ai eu mon premier contact avec les cartes… À cause de la chaleur extrême, les commerçants fermaient boutique à midi et jusque vers cinq heures de l’après-midi. Jaime, mon père, baissait le rideau métallique de sa Maison d’Ukraine, sous-vêtements féminins et articles domestiques, et partait jouer au billard chez «le fou Abraham», un juif lituanien, veuf, échoué là dans des circonstances mystérieuses. Dans ce hangar où les femmes n’entraient pas, les marchands concurrents, autour d’une table verte, décrétaient la paix et affirmaient leur virilité en faisant des carambolages. Selon la philosophie de Jaime, à sept ans un enfant avait déjà le cerveau formé et on devait le traiter comme un adulte. Le jour de mon septième anniversaire, il me permit de l’accompagner au billard…»

Alejandro Jordorowsky 


 


L'homme dans son passé se perd. Non qu'il ne le connaisse pas ou plus, ou encore parce qu'il l'a oublié... Au contraire, simplement parce qu'il oublie d'oublier. Parce qu'il pénètre dans un passé avec des éléments, qui appartiennent au présent et qui par conséquent, dans le passé n'ont pas lieu d'être... et n'y sont pas... Cela crée un déséquilibre, une sorte de brume... 

mercredi 27 juin 2018

Morceaux de mémoire



 Le rêve songe au sommeil qui le fuit et l'astre, au delà des nuages, sans un bruit, sans un souffle, subitement, reluit et reprend le regard à son tour, alors que se ferme, aveuglé, celui qui avait osé. Du fond de l'ombre ainsi dévoilée remontent comme des morceaux de mémoire.








De vraies causes


« Ensuite, personne ne sait de quelle façon, ou par quels moyens, l’Esprit meut le Corps, ni combien de degrés de mouvement il peut attribuer au Corps, et à quelle vitesse il peut le mouvoir. D’où suit que, quand les hommes disent que telle ou telle action du Corps naît de l’Esprit, qui a un empire sur le Corps, ils ne savent ce qu’ils disent, et ils ne font qu’avouer, en termes spécieux, qu’ils ignorent sans l’admirer la vraie cause de cette action. »

Spinoza, L’Ethique






Vingt-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge


Autant il était nécessaire de faire table rase des récriminations incessantes de la plupart d'entre nous, autant il eut fallu que nous fassions preuve d'imagination pour sortir enfin de cette contradiction stérile entre ceux qui voulaient magnifier l'Ordre et ceux, minoritaires qui voulaient faire émerger une Parole Nouvelle. Autant faire entrer ce que je considérais être des productions importantes, quoique minoritaires, dans la Tradition des Œuvres, autant il convenait d’écrémer. Procéder à l'élimination de certains détails, qui auraient semblé à la plupart des lecteurs d’une longueur excessive, d'une profondeur trop ardue et dont l'abondance aurait nui à l’effet du reste.

mardi 26 juin 2018

Taillement


" Il serait aussi inutile que impossible de dire combien de pensées tourbillonnent dans ma tête ce soir-là. J'ai examiné toute l'histoire de ma vie en miniature ou court, comme on pourrait dire, avant et après mon arrivée sur l'île."

Robinson Crusoé, Daniel Defoe





Une marque perdue au milieu de ses semblables presque effacées, au fond d’un profond "taillement", gisait encore, complètement desséché, couleur rouille, par endroits noir, un peu de son sang. Sur l’arête, encore vive, elle en prolongeait la forme, la complétant, si bien que, vu d’un certain angle, à condition de se baisser et de laisser faire son imagination, on pouvait y lire un mot, peut-être un nom... À peine prononcé le mot reprenait vie, si bien qu’en soi il disparaissait, vivant, non pour lui, mais pleinement avec l’accord d’un tout parfaitement invisible pour soi.
La forme de ce mot ou de ce nom, dans un premier temps, laissait à penser que ce qui est là, sous vos yeux, n’était qu’une forme, une représentation. Ce l’était... aussi. C’était comme faire un premier pas vers une montagne lointaine. Certes, ce pas vous rapprochait, ce qu'il fallait éviter, mais la route était encore là, parfaitement même.

–  Là est au-delà. Là est le chemin qui contient le but...
Nous pouvions passer des heures à observer les changements que suscitait le mouvement de la lumière. Nous avions beau connaître la trajectoire et la moindre entaille, il apparaissait toujours quelque nouveauté.



Une affaire humaine



 – La vie se fout royalement des principes et de la morale des hommes. Ce qui est n'obéit qu’à la stricte loi de la nature. Tout ce qui se peut est permis. Pas d’interdit. L’interdit suppose une morale que la nature n’a pas. La morale est strictement une affaire humaine...

Un don


" Aussi vouloir vivre, c'est aussi être sûr de vivre, et tant que la volonté de vivre nous anime, nous n'avons pas à nous inquiéter pour notre existence, même à l'heure de la mort. Sans doute l'individu, sous nos yeux, naît et passe, mais l'individu n'est qu'apparence; s'il existe, c'est uniquement aux yeux de cet intellect qui a pour toute lumière le principe de raison suffisante; en ce sens, oui, il reçoit la vie à titre de pur don, qui le fait sortir du néant, et pour lui la mort c'est la perte de ce don, c'est la rechute dans le néant."

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation






lundi 25 juin 2018


" Vous sçavez bien que les paroles, n'ayant aucune ressemblance avec les choses qu'elles signifient, ne laissent pas de nous les faire concevoir; souvent même sans que nous prenions garde au son des mots, ny à leurs syllabes; en sorte il peut arriver qu'après avoir ouy un discours dont nous aurons fort bien compris le sens, nous ne pourrons pas dire en quelle langue il aura esté prononcé. Or, si des mots qui ne signifient rien que par l’institution des hommes suffisent pour nous faire concevoir des choses, avec lesquelles ils n'ont aucune ressemblance: pourquoy la Nature ne pourra-t'elle pas aussi avoir estably certain signe, qui nous fasse avoir le sentiment de la lumière, bien que ce signe n'ait rien en soy, qui soit semblable à ce sentiment?"

L'homme de René Descartes
 

L'instrument de la raison


" Selon Descartes c'est l'utilisation du signe qui permet de distinguer les hommes des machines. L'homme utilise la parole en premier lieu «pour respondre au sens de tout ce qui se dira en sa presence», et cette réponse au sens de la conversation n'a rien de commun avec une réaction mécanique. En deuxième lieu, le langage est l'instrument de la raison, qui est universelle, «qui peut servir en toutes sortes de rencontres»; les organes du corps, par contre, «ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière». Les deux caractéristiques du langage: moyen de réponse à la parole d' autrui et instrument universel de la raison, convergent vers ce point commun: le langage reflète la productivité de la raison dans la mesure où il est capable de fournir de nouvelles raisons à de nouvelles situations, d'être donc toujours adapté aux contextes."

Gennaro Auletta 






Contradictions et malentendus





" Une fois la violence admise, quelles que soient les circonstances, la loi de l’amour est reconnue comme insuffisante, d’où la négation même de cette loi. La civilisation chrétienne tout entière, si brillante extérieurement, s’est développée sur la base de ces contradictions et de ces malentendus évidents, étranges, parfois conscients, le plus souvent inconscients."

Lettre de Léon Tolstoï à Gandhi 






dimanche 24 juin 2018

Désir aveugle


La volonté, la volonté sans intelligence, désir aveugle, irrésistible, telle que nous la voyons se montrer encore dans le monde brut, dans la nature végétale, et dans leurs lois, aussi bien que dans la partie végétative de notre propre corps, cette volonté, dis-je, grâce au monde représenté, qui vient s'offrir à elle et qui se développe pour la servir, arrive à savoir qu'elle veut, à savoir ce qu'est ce qu'elle veut ; c'est ce monde même, c'est la vie, telle justement qu'elle se réalise là. Voilà pourquoi nous avons appelé ce monde visible le miroir de la volonté. Et comme ce que la volonté veut, c'est toujours la vie, c'est-à-dire la pure manifestation de cette volonté, dans les conditions convenables pour être représentée, ainsi c'est faire un pléonasme que de dire : « la volonté de vivre », et non pas simplement « la volonté », car c'est tout un.

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation
 




Ruines sur ruines


« Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’évènements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds.»

Benjamin*


Vingt-deuxième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge

Lorsque, en tant que membre du Grand Chariot, je fus mis à contribution pour mettre sur pied, pousser et faire tourner la Roue de la Grande et Pure Exposition "devant, selon le rapport officiel, se refléter lui-même en elle-même. J'avais pour cette mission mes notes prises par moi-même lors des innombrables séances de travail et j'y ajoutais les rapports de mes collègues. Toutes, à leurs manières, couvraient "le spectre historique couvert par notre très Saint Mouvement, de ses collections de Textes Anciens et sacrés à ses jeunes initiés, en passant par les courant émergents de la pensée d’aujourd’hui et des penseurs de la fin du XXe siècle". La synthèse, conformément à notre Tradition, voulait que chaque rapport, matériau de base pour l'Exposition sus-mentionnée, devait se diviser en quatre parties: un document Ancien, l’exposition collective d’œuvres contemporaines, une sélection d'œuvres de jeunes artistes initiés de notre Ordre et une publication officielle et publique. C'était alors une téméraire et sereine prise de position. Malheureusement, comme c'est très souvent le cas, elle allait nous mener à une démarche désespérément narcissique. Dans le sillage des grands explorateurs, le censure, par tous les moyens, fait son œuvre.
Résultat, toute pensée singulière, toute position et recherche laborieuse se dilue dans la masse  étouffante des conventions. Ne reste plus plus que ce qui plaît... Le mythe, patiemment construit, consciencieusement fabriqué se mêle au langage des poètes ou à celui du peuple pendant que les mots ou les idées se fracassent sur le mur de la loi comme les échos lointains d'une fragile  renommée...




* Walter Benjamin écrivit sur l’aquarelle L’Ange de l’Histoire de Paul Klee montrant un ange comme « poussé vers l’avenir auquel il tourne le dos » (Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l’histoire).

samedi 23 juin 2018

Lumineux et probants


« Je pense quelquefois que si j’écris encore, c’est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d’une joie dont on serait tenté de croire qu’elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. Qu’un peu de cette poussière s’allume dans un regard, c’est sans doute ce qui nous trouble, nous enchante ou nous égare le plus; mais c’est, tout bien réfléchi, moins étrange que de surprendre son éclat, ou le reflet de cet éclat fragmenté, dans la nature. Du moins ces reflets auront-ils été pour moi l’origine de bien des rêveries, pas toujours absolument infertiles.»
 
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure



– Plus ou moins... c'est vraiment cela... mais je ne me souviens plus de la de la question? 
– Il était question du temps de l'enfant Lune... 
– Oui c'est cela, mais... permettez-moi...
– Permission acquise...
– Où avez-vous pris ces couleurs?


Les bornes de la nature


" Toute poésie, non seulement la poésie déclamée, mais la poésie lue en silence, est sous la dépendance de cette économie primitive des souffles. Les types imaginaires les plus divers, qu’ils appartiennent à l’air, à l’eau, au feu, à la terre, dès qu’ils passent de la rêverie au poème, viennent participer à une imagination aérienne par une sorte de nécessité instrumentale. L’homme est un tuyau sonore. L’homme est un roseau parlant."
 
Gaston Bachelard, L’Air et les songes, Essai sur l’imagination du mouvement, p. 309 – 310



– Personne ne semble savoir de quel côté ni de quel temps est l'enfant Lune...


Commentaires de l'enfant Lune à propos des rapports de Don Carotte

Si la recherche des sources doit avoir un sens, ce n’est pas toujours celui auquel on pense en premier, celui auquel on croit, qui prendra place. Il y a dans la vie de Don Carotte, et dans la manière qu’il a de la raconter, certaines choses qui sont indéniablement œuvres de fiction et même, pour un esprit attentif, une imposture qui consiste à ajouter du vécu  ou omettre des éléments qui « dépassent les bornes de la nature ». La première de mes tâche, presque un devoir, sera de repérer ces bornes.
– Le repérage, se disait-il est un exercice exigeant mais ce que l'on découvre vaut pour plus que ce à quoi il est destiné... Je croyais découvrir le territoire de Don Carotte, ses limites et les zones où il transgressait et je m’aperçois que ce sont les miennes que je découvre...

La vague et l'œil vide


« Une racine est une intégrale potentielle dont l’unité de puissance dépasse toutes les significations ultérieures des mots dérivés d’elle. immanente et transcendante à toutes, elle maintient ouvert, en elles, le moment apertural de la parole. »

L’art, l’éclair de l’être, Henri Maldiney 



Ce n’était pas une crainte raisonnable, dans toute étendue il y a un mystère ... À peine un peu plus loin gisait le corps d’un oiseau mort. Son œil était vide. Un trou béant en avait pris la place et rien n’eut pu paraître plus effrayant pour l’enfant...
La racine béante de l’invisible auquel il ne peut échapper.


 



vendredi 22 juin 2018

Le temps passe


« Le désir d’être libre ne procède pas de l’insatisfaction ou du ressentiment, mais d’abord de la capacité d’affirmer et d’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des lieux, à des objets, à des manières de vivre

 Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, Climats


 – Ce qui de loin apparaît se transforme quand le temps passe...

Quelle qu'elle soit


« Celui qui s’est figuré avoir compris quelque chose de moi s’est apprêté quelque chose de moi à son image, et assez souvent c’est le contraire de ce que je suis, par exemple un « idéaliste »; qui n’a rien compris de moi à nié qu’il faille le moins du monde me prendre en considération. Le mot « surhumain », qui sert à désigner un type de réussite suprême, à l’opposé des «hommes modernes», des hommes «bons», des chrétiens et autres nihilistes, mot qui, dans la bouche d’un Zarathoustra, du destructeur de la morale, devient un mot qui donne beaucoup à réfléchir, le «surhumain» a été compris presque partout en toute innocence comme le synonyme des valeurs dont la figure de Zarathoustra constitue l’antithèse, à savoir comme le type idéaliste d’une espèce supérieure d’hommes, à moitié «saint», à moitié «génie»… Un autre bétail, celui des bêtes à cornes érudites, m’a de son côté suspecté de darwinisme; on a même reconnu dans ce mot le «culte des héros» que j’ai pourtant si méchamment rejeté, ce culte prôné par Carlyle, ce grand faux-monnayeur malgré lui. Quand je soufflais à l’oreille qu’on ferait mieux encore de chercher un César Borgia qu’un Parsifal, on n’en croyait pas ses oreilles.» 

Nietzsche, Ecce homo



– Au nom du vrai, du beau et du bien... Avant de procéder à cette étude pragmatique, toutefois, il peut être utile de situer les Rapports de Don Carotte dans leur époque. S'agit-il d'étudier les diverses contenus, tant dans leurs formes que dans leur contenus? Certainement pas... et pourtant ce ne serait pas compliqué du tout puisque ils sont impossible à situer et ne correspondent en aucun points, sauf les plus dérisoires, avec les conventions en usage...

Vingt-deuxième rapport deDon Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge

– La forme d'une œuvre, quelle qu'elle soit, n'est ni forcément nouvelle ni ancienne. Un parcours littéraire peut s’inscrire dans une dimension romanesque singulière et originale sans que soit recherchée une modernité conforme aux poncifs de toute théorie... qu'elle soit du formalisme et de l’avant-garde...
Il suffit que l’œuvre soit unique au sens où elle ne connaisse aucun équivalent et surtout qu'elle ouvre des portes chez celui qui lit.



Les mains et l'esprit vide


La langue est une contrainte qui garantit la possibilité d’une échappée. Paradoxalement, hors des habitudes et à la merci de possibles sanctions..., c’est quelquefois dans le refus de cette contrainte que peut naître la poésie qui n’explicite, ne commente ni n’argumente le chemin qui naît de sa présence et qu’elle n’arpente pas elle-même, laissant cela... ce « là », à quiconque venu à sa rencontre les mains et l’esprit vides. Alors peut se manifester la surprise...




jeudi 21 juin 2018

Trois petits pas



Vingt-deuxième rapport de Don Carotte

Il avait quand même fait quelques pas, trois petits pas vers ce qu'il imaginait être un gouffre. Le premier, timidement, presque imperceptible et probablement accidentel. Le second, un tout petit peu plus long, comme si sa décision, presque malgré lui, prenait vraiment corps. Et le troisième, volontaire cette fois, l’avait rapproché irrémédiablement du bord. C'est là que lui était apparu une petite marionnette à l'image de Pinocchio, devenu légendaire, et qui portait sur la tête un drôle de chapeau qui lui rappelait le jeu qu'il pratiquait encore il y a peu lorsqu'il était encore un tout petit enfant.





Se plissent et se dressent...




Sur la lande se plissent les montagnes, sur la plage se dressent tour à tour, collines et ruisseaux secrets, boniments et regrets aimant songes.


L'essence des sons


"Le premier de ces problèmes est celui des constituants de la musique. Avec quoi est faite la musique? Telle est la question à laquelle l’esthétique musicale avait répondu de deux façons opposées et irréductibles. Les acousticiens, et avec eux tous ceux qui songeaient à implanter une esthétique scientifique, estimaient que la musique est faite avec des sons, dont il est possible de mesurer les qualités physiques: hauteur, intensité et timbre. À l’autre bout les métaphysiciens peuplaient la musique de mélodies idéales, imaginaires, tout juste supportées par des notes dont l’être était une essence spirituelle dégagée des lois de la matière. A dire vrai chaque parti s’accordait quelques concessions : pour les uns les sons étaient les sons, mais on concédait qu’ils eussent à être «combinés de manière agréable à l’oreille»; pour les autres la mélodie était d’ordre spirituel, mais on accordait qu’elle eût à être transmise par l’humble voie des sens. Or la phénoménologie répudie ce dualisme. Elle considère que les sons et les notes, la donnée matérielle et la donnée spirituelle, sont liés entre eux. Et s’ils le sont, ce n’est pas grâce à des rapports logiques ; les intervalles en effet ne sont pas des rapports conceptuels ou rationnels posés entre des choses, ce sont des liaisons intentionnelles qui lient la note au son. Pour le dire autrement, la phénoménologie considère que les notes vont aux sons, décidant pour ainsi dire de s’incarner intentionnellement dans tel ou tel son, et que, inversement, l’essence des sons est de révéler cette intention en rendant manifestes les valeurs tonales et musicales des notes. Les notes vont aux sons."
 
Philosophie et Musique
Trois approches philosophiques de la musique
la phénoménologie, le pythagorisme et la philosophie du langage




Vingt-deuxième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge

L'homme dans son passé se perd. Non qu'il ne le connaisse pas ou plus, ou encore parce qu'il l'a oublié... Au contraire, simplement parce qu'il oublie d'oublier. Parce qu'il pénètre dans un passé avec des éléments, qui appartiennent au présent et qui par conséquent, dans le passé n'ont pas lieu d'être... et n'y sont pas... Cela crée un déséquilibre, une sorte de brume...
La prière exprime une sorte de manque, mais cette sorte de manque, l’enfant ne l’a pas. Rien ni personne ne sait pourquoi l’enfant dans son passé est prisonnier. Il serait le seul à pouvoir se libérer... encore faudrait-il qu’il le sache...



Comprendre le passé





"La question de la vérité en littérature nous met obligatoirement dans une posture externe par rapport à la littérature et d’où nous réfléchissons sur la littérature. Nous avons quitté le domaine propre à la production littéraire (la littérature telle qu’elle, en elle-même, ne se pose pas cette question). Nous sommes mis dans la position d’une théorie (réflexive) sur la littérature prise comme objet d’enquête. Et cette situation réflexive se trouve partagée conjointement par la philosophie et la critique littéraire ou poétique, comme la nommait Aristote. Mais leur domaine n’est pas le même. Supposons qu’il y ait de la vérité en littérature, que la littérature soit productrice de vérité. Cette vérité spécifiquement identifiable, cernable et exprimable par le texte ou l’œuvre, viendrait prendre place à côté d’autres vérités dont celle, incontestable celle-là, de la science. Partons donc de l’idée qu’il y a de la vérité produite par la science et la littérature, la poésie et les arts, et peut-être d’autres domaines d’activités comme la politique. Il y a donc des vérités. Mais que faisons- nous, quel lieu occupons-nous, tandis que nous faisons ces hypothèses et procédons à ces réflexions ? Si des vérités au pluriel existent, alors pour dire, qualifier de vraies ces vérités, il faut la vérité, il faut que nous possédions une Idée de la vérité au singulier."
 
Philippe Mengue, Deleuze et la question de la vérité en littérature 




Quand Don Carotte décide de se lancer corps et âme dans ses rapports, il ne pense pas à une quelconque carrière, surtout pas littéraire. Ce n'est que lorsqu'il se heurte farouchement aux réactions de ceux qui disaient le considérer comme leur frère, qu'il se met à produire lui-même sa première pièce au Grand Théâtre de la Crique, une sorte vaudeville écrit par l'enfant Lune dans un moment confusion assez extrême pour qu'il n'en ait aucun souvenir et intitulée: Les Illuminés, pièce manquante, malheureusement perdue... dans laquelle on pourrait comprendre comment l'enfant Lune mettait à profit sa grande capacité d'interprétation.


Vingt-et-unième rapport de Don Carotte

Extrait du Grand Cahier Rouge
Où il est question de l'île sur laquelle Don Carotte avait suivi,
sans le savoir, les traces de l'enfant Lune

 Il faut dire que les curieux en grand nombre n'étaient pas là par hasard. Leur présence est liée à l'histoire de l'île. Comprendre le passé aide à comprendre le présent. Le courant résiduel est sans violence. Une douce brise régulière porte le vol des oiseaux de passage et rafraîchit les pèlerins. Ce courant modéré est un vrai trésor. Il permet d'observer le gros du troupeau en temps de paix, dans sa banalité édifiante, comme l'écrivait l'enfant Lune dans "Les Illuminés"




mercredi 20 juin 2018


" Chacun doit vivre en sachant qu'il va mourir, et il ne peut se représenter sa propre mort, pas plus qu'elle n'est figurable en rêve. Tout ce qu'il peut imaginer est une survie mineure, comme dans les Enfers de l'Odyssée, une résurrection ou une renaissance."






Chacun sait








 

" Chacun sait que ses propres limites sont la garantie de sa propre existence et de sa propre continuité — mais ces limites le séparent à jamais de l'objet d'amour —qui restera toujours autre. Le fantasme d'enfanter ne se réduit pas, chez l'homme, à une simple représentation psychique d'un instinct de reproduction, mais est aussi le produit de la contradiction entre le désir de possession et l'indispensable altérité. La différence des sexes transforme les limites en incomplétude. L'ambivalence de l'investissement maternel rend nécessaires tant le déplacement de la haine et de la crainte sur un tiers que la construction des fantasmes concernant les échanges entre parents. Du moins en est-il ainsi dans les civilisations comportant une certaine forme d'organisation familiale. Les interdits les plus angoissants font partie des processus défensifs les plus nécessaires pour continuer à désirer, c'est-à-dire à vivre. Bien avant l'ère psychanalytique et la connaissance d'un inconscient orientant la vie psychique par ses exigences contradictoires, les hommes savaient qu'ils n'étaient pas maîtres de leur destin, et que les événements de leur vie étaient influencés par des forces échappant à leur conscience et à leur volonté. De nombreuses figurations mythiques ont rempli le vide de la représentation de l'inconscient, l'homme étant le jouet du destin, des Parques, des malédictions, des philtres, etc. Entrant dans un rapport d'opposition avec les mêmes exigences psychiques que nos pulsions, les forces extérieures mythiques constituent un matériau de choix pour les rendre figurables."




Une élaboration collective...


" Les mythes sont le produit d'une élaboration collective, tant dans leur histoire la plus reculée que dans leur transmission. Le psychisme individuel a apporté sans cesse des matériaux à ce travail de la cité ou du peuple, mais ces éléments ont été soumis à un traitement compliqué, aussi bien pour devenir un récit commun que pour répondre aux nécessités sociales et historiques du groupe. Aussi ne doit-on pas perdre de vue que mythes et productions psychiques appartiennent à deux univers de connaissance différents, même si ces dernières sont aussi communes aux hommes d'une certaine culture que les fantasmes originaires et le complexe d’Œdipe. Il est cependant concevable que les mythes ou les religions, quel que soit leur déterminisme, contiennent des dispositions permettant à chaque individu de trouver, dans son appartenance au groupe, des moyens de lutter contre l'angoisse et d'élaborer sa dépression. Sinon, il risque de s'exclure du groupe en se suicidant, en s'isolant ou en délirant."



Il est bien des situations au cours desquelles nous pourrions observer combien il nous semble naturel de dialoguer avec nous-même. Ainsi en est-il de Don Carotte et de l'enfant Lune...

– Ainsi demeure au long des siècles un fonds immémorial qui porte secours à notre condition de mortel...
– Seriez -vous en danger d’une mauvaise fin ?
– Pourquoi me parler de fin et qui plus est la qualifier de mauvaise?

– Quel est ce mal qui justifierait votre vocable? L’on doit du respect au moindre des mots si l’on ne désire quelque fâcheux retours. Si je ne vous connaissais point, je dirais que vous êtes...



Une affaire de point de vue




– Comme on ne peut être à la fois dans le film et dans la salle, on ne peut être dans l'histoire et la raconter...
– Ce n'est pas ainsi qu'il faut voir les choses...
– Et comment faut-il les voir?
– Le tout est de se libérer des choses que l'on vous a apprises.
– Ne serait-ce point là raisonnement simpliste?
– Tout dépend de ce que cela vous apporte et comment vous l'envisagez.
– Qu'entendez-vous par là?
– Tout n'est-il point affaire de point de vue?
– Certes, enfin... peut-être... mais ce genre de déclaration peut ne rien dire du tout!
– Le tout! Comme vous y allez! Qui pourrait parler du tout?
– Ce n'était qu'une façon de parler.
– On peut dire aussi cela du tout...
– Vous voyez que vous aussi...
– Non, je ne faisais que de vous imiter...
 Vous n'avez rien de plus lumineux venu du fond des temps que vous tiendriez de votre maître?
– Je ne possède rien, vous le savez... Nous autres volatiles n'avons rien qui ressemble à ce désir de possession qu'ils ont tous en commun...
– Tous... ce n'est pas si sûr...
– Cette lumière est la seule et unique loi : il n’en existe pas d’autres. Toutes les autres lois émanent de la pensée, et sont donc fragmentaires et contradictoires.

mardi 19 juin 2018

Impossible à savoir


 
"Le soir venu ils se rassemblaient formant une sorte d'entité presque impénétrable de corps agglutinés. Que se passe-t'il en plein milieu de la meute quand on autour. Impossible de le savoir. Il fallait absolument que l'un d'entre nous se confonde avec eux pour le savoir." 


C'est ainsi que Don carotte fut choisi.

– Tu seras l'Élu, avait-il entendu et c'est ce que, quelques vingt ans plus tard, il écrira.



Vingtième rapport de Don Carotte extrait du Grand Cahier Rouge
 
… " C'est ainsi qu'un semblant d'organisation sociale nous apparut. C'est ce qui nous fit développer plein d'intuitions nous dira encore Don Carotte, avant que celles- ci ne se transforment en conviction et même plus encore en réalité scientifique. Il faut dire que Don Carotte, à ce moment là, croyait encore "en" la sciences comme il disait et écrivait. Pour l'instant il n'y a que quelques visiteurs. Des curieux, se dit Don Carotte. C'est bien suffisant tout de même pour faire quelques observations. Certes le nombre favorise le comportement comme il aimait à le dire, mais tout-de-même! En attendant la Grand Chasse de la Pleine Lune, comme ils disent. L'astre satellite devenu notre chronomètre, notre expédition, un repère temporelle essentiel pour nous qui avions laissé tout métal de côté. Le compte à rebours a commencé. nous avions X et moi, tout planifié après avoir fait quelque repérages et planifié nos opérations. Nous avions à nos côtés sept chiens que nous avions soigneusement sélectionnés. pour leur capacité à garder leur calme en toutes situation. Ils étaient là d'abord pour surveiller et nous renseigner puis pour faire partie de la Grand Chasse."

Le rideau se retire


Où se trouve Don Carotte à cette page-ci de son Grand Cahier Rouge? On en sait rien... et rien ne nous met véritablement sur la piste. Cependant, si l'on suit, peut-être vainement ce qui peut être considéré comme des indices, on pourrait supposer que Don Carotte est ici, déjà, sur les rivages douteux d'une pensée belliqueuse, presque métaphoriques d'une famille qu'il est s'est probablement inventée. 



Dix-neuvième rapport de Don Carotte
Rédigé au dos de l'image,ci-dessus

– Au cœur d’une grande percée au sein de l'histoire que je croyais raconter... ou qui se raconte par elle-même, je me promenais en plein milieu d’une géographie sur laquelle, à chaque moment je m'attendais à ce que le rideau se retire et fasse voir, dans toute sa nudité, un moment de vérité.

C'est là-bas que l'enfant Lune a promené l’armée en guenille des marionnettes. C’est ici, au bord de ces crevasses, que sont apparues ces mains rouges, combattant de la réussite revenues se poser sur les terres ancestrales du Grand Voyage.

Au-delà du jeu


"Cela veut peut-être dire qu’au point où nous en sommes nous avons perdu tout contact avec le vrai théâtre, puisque nous le limitons au domaine de ce que la pensée journalière peut atteindre, au domaine connu ou inconnu de là conscience; et si nous nous adressons théâtralement à l’inconscient, ce n’est guère que pour lui arracher ce qu’il a pu amasser, ou cacher, d’expérience accessible et de tous les jours."

Le théâtre et son double 
Antonin Artaud





J'étais stupéfait de constater combien nous pouvons être trompé dans tous nos sens lorsque j'observais avec quel soin Pinocchio, l'Autre en venait à jouer à l'intérieur du jeu de l'enfant Lune... Presque un jeu "au-delà du jeu"... Cela veut dire que j'étais peut-être un peu optimiste de croire que j'en avais fini avec le fonds immémorial qui hante les hommes et les esprits qui semblent nous guider alors même qu'ils seraient notre propre création... 





Mise au fait


Comme si j’étais dépourvu de sens,
Qu’elle soit dressée tel un bâton de bois
Point de coups d’œil porté un peu partout,
Il faut toujours avoir le regard baissé.
Mais si les yeux ont besoin de repos,
On regardera quelquefois aux alentours.
Et après avoir vu ce qui n’est que reflet,
On attachera son regard à un objet adéquat.
Avant de prendre la route, on regardera un instant
Dans les quatre directions, afin de mesurer le danger.
Se reposant, on regardera la distance parcourue,
En se retournant derrière soi.
On continuera ou l’on rebroussera son chemin,
Après avoir examiné ce qu’il y a devant et derrière.
C’est ainsi qu’en toutes circonstances,
On fera ce qu’il faut faire après s’être bien mis au fait.» 


Śāntideva, Bodhicaryavatara





Introduction au Grand Cahier Rouge de Don Carotte

Lorsque je décidais, à la suite de certaines circonstances incontournables, de me consacrer à cette tâche, je n'imaginais point combien il me serait difficile de la mener à bien et combien cela ferait apparaître comme un reflet inconnu de moi-même. Je voulais avant respecter la vérité, telle que je la voyais, mais très vite je dus déchanter. Je dois à l'objectivité de dire que celle-ci, je veux parler de cette "vérité", n'était point compagne agréable. Sans cesse elle se rebiffait et ma plume s'usait bien plus vite que le destin auquel ces rapports étaient confiés. Je sus très vite que de lecteurs il n'y aurait quasiment point. Je m'imposais donc de décrire les événements non point pour le dessein d'être lu, mais pour que ceux-ci m'apparaissent de telle manière que moi-même je puisse, dans une certaine mesure, les comprendre. Dire cela c'est aussi dire, implicitement, que les événements dont je parle, je ne les avais point compris lorsqu'ils eurent lieu. J'espérais aussi, quoique secrètement, que ce que j'aurais écrit puisse être aussi clair que l'aube, quand le soleil, encore invisible, laisse déjà augurer ce que ce jour qu'elle précède sera. Même s'il est clair que je ne suis point omniscient et que les événements dont il est question ici, ne sont, et de loin, pas connu de moi seul, ce qui est sûr, c'est que personne mieux que moi n'en connait certains aspects et cela pour la simple raison qu'il s'agit avant de certaines des pensées qui furent à l'origine de cette histoire et que ces pensées, parfaitement conformes à l'éthique que je m'étais imposée, ne seraient nullement déformée autrement qu'à mon insu... J'ai l'intime conviction que de nombreuses années scelleront le silence dans lequel ces chroniques ou rapports vont être enfermés. Cependant je crois, dans toute la force qui peut naître dans la valeur de ce mot, je crois qu'un jour, il arrivera qu'on les lira.