lundi 31 août 2009

"Oh! pour moi, je vous le jure, je ne l'ai pas fait exprès!
Je ne voulais pas qu'il me touchât. Ou du moins... je croyais ne pas vouloir.
Mais enfin j'ai regardé ce jeune homme, à l'instant où je l'admirais le plus,
à l'instant il m'a saisi la main... Alors mon père je n'aurai pour rien au monde
appelé quelqu'un à mon secours dans la position où j'étais
- et d'ailleurs, j'espérais bien me tirer toute seule.
J'ai lutté des quatre membres comme si je défendais ma vie,
depuis le coucher du soleil jusqu'à la nuit noire.
Puis j'ai vu qu'il était trop tard pour rentrer à la maison,
et je me suis découragée; mais jusqu'au lendemain matin
j'ai perdu courage plusieurs fois ainsi et je suis déterminée
à ne plus mettre aucune énergie dans ces rencontres inégales."


Les aventures du roi Pausole
Pierre Louÿs




- Vous le savez, mes chères petites Dames, je suis, par ma naissance, incapable de vous voir. Ainsi va la vie. Certains d'entre nous sont capable de voir au loin et d'autres de voir à l'intérieur des choses. Qui pourrait dire ce qu'il vaut mieux ? En ce qui me concerne, sans être sot, dépravé ni ambitieux, je n'en ai pas le choix et n'en courbe pas la tête. Si cela ne peut me plaire du moins cela me va et il m'arrive d'en ressentir quelques plaisirs.



- Voulez-vous, mes chères petites Dames, m'accordez quelques tours de ce manège dont vous m'entretenez si bien ? Ainsi sans me trémousser trop et sans les tristes inconvénient des bagages non plus que des cahots de la route j'aurais la sensation de voyager. Voulez-vous aussi aussi pour moi baisser le rideau de votre théâtre ? Car si je peine à voir je peine encore plus d'être vu. Vous me parlerez aussi, quand nous marquerons la petite pause pour nous restaurer de cet Adam que vous semblez connaître si bien.

dimanche 30 août 2009



"Souffrez, s'il vous plaît, monseigneur, que je ne vous flatte point,
et qu'en fidèle historien je raconte nuement les chose comme elles sont."

Vincent Voiture ( Lettres, 1649)


« De ce que je ne puis composer je puis pour moins en faire le festin.
- Où êtes-vous manants, galantes en charge de moi ?
Grossiers, discourtois et irrévérencieux malappris !
Quand le bâton se lève il n'y a plus guère de temps à perdre en soumissions sans distinction de taille ou de nombre. Mon ventre crie et passe commande. L'orage, sans doute, menace.
- Prenez garde que de tout cela ne résulte le désagrément d'un vent qui se lève, décime les plaines et ne stimule ardemment les variables du temps.
Je ne veux, que dis-je, je ne peux "sauter par dessus les joies de la terre" avant que d'aller rejoindre celle qui m'attend.
- Le temps presse. Combien se trouvera-t'il d'honnêteté que je n'aie imaginée, si éloignée de cette perfection ?
Aux adeptes du rigorisme doux, auxquels j'appartenais, s’opposent ceux du rigorisme dur dont je souhaiterai partager les bienfaits. Cependant je ne puis que constater pour mon malheur le peu d'autorité que j'ai sur eux.
L'injustice est grande. Mes gens se gaussent de moi et font des gorges chaudes des extraits mutilés et des citations tronquées qu'ils recueillent de ci de là. La parole privée de ses résonances et de son ambiguïté méprise à l'envi la piété et la raison.
Malgré moi et à mes dépends, ils font de moi ce qui m'attriste le plus : un doux rêveur.
Il faut en toute bonne volonté, sans couleurs, sans artifices, sans allégeance corrompue et avec une extrême lucidité que cela change.»

samedi 29 août 2009

"Je souscris à tout ce qu'il contient,
sauf le mal s'il y en a."



« Où se trouvent les limites de notre idéal ? Pourquoi suis-je aveugle à ce point que je doive leur confier de voir à ma place ? Cette incapacité de voir est-elle aussi réelle que la réalité qu'elle ne peut voir ? Imposer nos lois à la nature ne donnent que de bien piètres résultats aussitôt soumis à l'assaut du temps. Quand aurais-je à nouveau l'insouciante légèreté de mes fidèles serviteurs ? Qui me lancera cette balle que je viens de lancer dans l'obscurité qui m'entoure ? J'ai malheureusement bien peu de chance que cela m'arrive un jour si de ma situation je ne fasse l'incongru et scandaleux sacrifice. Pourrais-je de ma propre main me ravir si cruellement à ce qui tant me réjouit pour une incertaine félicité ? Me lancer de moi-même vers ce ciel inconnu... Mais bon, s'il faut être patient et respecter sagement nos dignes et honnêtes horizons, ouvrons les portes, le peuple a faim...
- Foin de fictions et de molles soumissions, valets, marmaille et suaves courtisanes, apportez-moi ripailles que je peuple nos entrailles de rudes soleils, de lunes glacées et de suaves étoiles au firmament ! »
Aussi ordinaire, paisible et harmonieux le réel soit-il, il ne laisse pas de mettre en garde contre les courants sous-jacents aux apparences dont l'éruption est susceptible de tout mettre sens dessus dessous.

Batya Gour
Jérusalem,
une leçon d'humilité


« Assez parlé. Aux actes maintenant et joignons l'agréable à l'utile ! Allez et que cette petite sphère si parfaite, symbole de notre amitié, me soit ramenée ainsi que tout ce qu'elle va éclairer. Surtout ne perdez rien en chemin et soyez comme elle : aussi vive qu'attentive ! »


Ainsi, un fois encore le monde se renverse. Les flux s'inversent et me voilà sans regard distrait courant comme un idiot derrière sa "baballe" et qui plus est heureux comme un chiot d'œuvrer selon sa volonté qui se double de mon bon plaisir.
Doux rêveur à la chance inouïe, je cours sans savoir et saute allégrement par dessus les marches rigoureuses et les secrets trop bien gardés, méconnaissant au passage les sinueux et rougeoyants éclats jaillissant des noirs tréfonds de l'âme humaine. Après tout, nous ne faisons partie que d'un ensemble et non de la totalité dans laquelle se perd l'inéluctable intrication des faits et des valeurs. Serions-nous à même de distinguer les ensembles des touts que nous ne pourrions encore être sûr de rien. Et surtout pas de ces riens que certains s'obstinent à nommer destins...
Je ne suis qu'un accident venu troubler momentanément l'esprit humain de notre despotique Pater dans son fonctionnement régulier et peut-être infaillible, mais il est parfois bien reposant de n'être qu'un chien...


"Si l'erreur est corrigée chaque fois qu'elle est décelée,
alors le chemin de l'erreur est celui de la vérité."


H. Reichenbach.

vendredi 28 août 2009

Viens par ici ;
ouvre la bouche : voilà qui va te donner la parole, mon chat : ouvre la bouche ;
rien de tel pour vous remettre la tremblotte d'aplomb, et comme il faut.
Tu ne connais pas tes amis. Ouvre à nouveau tes babines.


Shakespeare
La tempête
Acte II, scène II ( Stéphano )



« Avant de vous laisser retourner accomplir votre devoir, j'aimerai que vous répondiez encore à une petite question qui, je vous l'avoue, m'intrigue énormément. Vous m'avez dit que vous aviez ressenti avec certitude qu'il avait cessé de penser. N'est-il point ? »
- C'est tout-à-fait exact.
« Sachant que vous n'êtes, à votre corps défendant, pas équipé de l'organe nécessaire à cette opération, comment avez fait pour en arriver à cette conclusion ? »
- C'est très simple, mon bon Maître, nous avons observé qu'il devenait sensible à son environnement.
« Comment cela ? »
- Eh bien, par exemple, au départ de note longue route, à peine passés les premiers temps d'une relative surprise due au changement, à mesure que la température montait, il nous est très vite apparu qu'il était persuadé de traverser un région morne et aride qui ne présentait aucun intérêt et surtout qui lui semblait totalement inhabitée parce que dans son esprit elle était inhabitable. Il marchait en regardant uniquement dans notre direction sans s'intéresser à rien d'autre. Et pour cause, dans son esprit, rien d'autre ne pouvait exister. Cela fut ainsi jusqu'au jour où il nous devenu évident qu'il commençait à voir ce qui jusque là lui était invisible.

« Qu'avait-il vu selon vous et surtout comment savez-vous qu'il a vu ? »


- Il parvenait à hauteur d'une rosette de feuilles épaisses et magnifiques comme il en existe des centaines dans cette région. Ce qui est pour nous une vraie source d'admiration ne suscitait en lui qu'une sorte d'indifférence. Le seul intérêt qu'il leur témoignait était l'ombre quelles projetaient et dans laquelle il lui arrivait de s'asseoir. Ce jour-là au lieu de s'y précipiter nous le vîmes reculer d'un pas, l'air stupéfait. Manifestement il avait vu ce que jusqu'ici il n'avait su voir : deux petits habitants littéralement terrorisés par sa présence...

Ho ! Un esprit à lui qui vient me tourmenter
Pour avoir été long à ramener du bois.
À plat ventre : espérons qu'il ne nous verra pas.

Shakespeare
La tempête
Acte II, scène II ( Caliban )

jeudi 27 août 2009

Nous parvînmes ici dans cette île, où dès lors
Je me fis ton maître d'école et t'en appris
Plus long que n'en peuvent savoir d'autres princesses
Qui ont des maîtres moins zélés et plus de temps
Pour les frivolités

Shakespeare
La tempête
Acte I, scène II ( Prospero )


« Cesse de pleurnicher petit compagnon que je veux fidèle. Votre amour propre et le mien, tout comme votre intérêt doivent vous engager à soigner toujours mieux votre travail. C'est du reste le seul moyen pour vous de rester en vie. Si la matière de votre ouvrage est grandement subtile, vous avez le savoir-faire nécessaire pour le mener à bien. Soyez exact dans la mesure non par crainte de la loi ou de moi-même, mais parce que c'est pour vous un devoir rigoureux et que si vous vous trompez à nouveau vous porterez atteinte à l'œuvre tout entière et me causerez ainsi un préjudice qui ne peut que rejaillir sur vous-même. Mettez donc sérieusement et allègrement en grande vigueur ces principes et ces conseils amicaux et vous serez le premier à en bénéficier. Bien qu'un certain organe vous manque et ainsi vous protège, ne vous faites pas d'illusion, la tentation de l'imaginaire est grande et plus forte que vous ne pouvez l'imaginez. Il fait tout son possible pour vous faire dévier de votre course et vous enlever à son profit une part importante de votre énergie. Soyez sur vos gardes et marchez résolument en avant dans la voie de la probité et du progrès, vous en recevrez une juste récompense. Que cette petite balle en soit la promesse et la première part. »
Tu sera aussi libre
Que le vent des montagnes, mais fais point par point

Ce que je t'ai prescrit.

Shakespeare
La tempête
Acte I, scène II ( Prospero à Ariel )


« Fidèle parmi les fidèles, traceurs et fins limiers, votre travail est de la plus haute importance. Tout comme je le fais avec vous, ayez à cœur de de bien œuvrer. Ne restez pas dans l'ornière poussiéreuse de la routine. Suivez mes conseils aussi bien que la trace de celui que vous avez pour mission de guider. Protégez-le comme s'il était la prunelle de mes yeux ou la truffe de votre museau. Il vous appartient d'arriver à la hauteur de mes exigences... »




À l'instant, comme nous gardions votre repos,
Un sourd mugissement qu'on eût dit de taureaux
Ou mieux encore de lions, s'est fait entendre.
Mais n'en fûtes-vous pas réveillé ?
Mon oreille en a été frappée d'horrible sorte.


Shakespeare
La tempête
Acte I, scène II ( Prospero à Ariel )

mercredi 26 août 2009

Sois sans crainte : cette île est pleine de rumeurs,
De bruits, d'airs mélodieux qui charment sans nuire.
Tantôt ce sont mille instruments qui vibrent,
Qui bourdonnent à mes oreilles. Tantôt des voix,
Alors même que je m'éveille d'un grand somme,
M'endorment à nouveau pour me montrer en songe
Dans les nuées qui s'entrebaîllent, des trésors
Prêts à m'échoir, tant et si bien qu'à mon réveil
Je supplie de rêver encore.

Shakespeare
La tempête
Acte III, scène II ( Caliban )




« Allons, allons, mon brave petit surveillant à quatre pattes. Quel est donc ce chagrin qui vous rend si dolent, presque muet et bien molachu ? Venez donc que je vous dorlote quelque peu. »
Tu n'auras pas dit « Viens, va »,
Crié « Bien ! », soufflé deux fois
Qu'aussitôt chacun, chacune
Bondira de-ci de-à
Avec des moues et des mines...
M'aimes-tu mon maître ? Ou pas ?

Shakespeare
La tempête
Acte IV, scène I ( Ariel )

« Viens mon brave et joue un peu avec moi ! »

mardi 25 août 2009


« De la rigueur, encore de la rigueur, toujours de la rigueur, mes petits. Il n'y a que cela qui peut vous faire progresser. Dites-moi quelles étaient ses pensées avant qu'elles ne disparaissent ? Et puis je désire ardemment savoir si vous avez aussi constaté dans ses paroles et surtout ses pensées une légère mais convaincante tendance à la glossolalie que j'ai moi-même ressenti si fort avant que vous n'ayez eu cette généreuse mais très stupide idée ? »
- C'est que malgré l'estime et la considérable affection que nous portons Bonpapa, il me semble nécessaire de vous rappeler que ce nous entendons, nous ne pouvons l'interpréter de la même manière que vous. Nous sommes incommensurablement moins capable que vous en ce qui concerne l'interprétation des idées. Pour nous, petits êtres limités à votre service, les idées ne sont guère plus que de légères vibrations qui entraînent d'infimes mouvements du corps et ce n'est à ces infimes mouvements que nous jugeons de la qualité des idées. En quelque sorte nous voyons plus que nous entendons et ce que nous déduisons se métamorphose en d'autres mouvements qui font que, entre autres, nous émettons aussi des sons.


« Bien, bien, je crois que nous sommes allés un peu loin. Il est temps de jouer un peu. Voulez-vous avoir la gentillesse de me lancer la balle jaune que je vous ai lancée il y a longtemps déjà et avec laquelle vous n'avez guère joué. Cela m'inquiète, je vous l'avoue. Seriez-vous malade ? Ou contrarié ? »

lundi 24 août 2009

« Misérables, qu'avez-vous fait ? Vos sentiment ont-ils pris le pas sur votre mission ? N'avez-vous pas encore compris... Vous rendez-vous comptes de ce que vous avez fait et de ce que cela implique ? Qu'il ne parle plus, passe encore... mais qu'il ait cessé de penser, voilà qui est impensable...et qui plus est ceci serait le fait de votre encouragement et peut-être de... votre enseignement ! Cela ressemble fort à une trahison ! »
- Non, Maître, ne dites pas cela, cela nous fait chagrin...
« Cesse de gémir, animal ! Reprenez-vous et souvenez-vous que je suis votre unique maître. Vous me devez tout puisque je vous donne tout. »


- Il en sera fait selon votre désir, Maître que nous aimons tant.
« Donnez-lui de quoi réveillez le mécanisme endormi de ses pensées. Surprenez-le. Accomplissez quelque chose qu'il ne puisse connaître et surtout que cela soit imprévisible. Faites preuve d'imagination et sans aucun doute je pourrai à nouveau le suivre à la trace. Mais rappelez-vous vos faiblesses ! Qu'en est-il de vos serments quand la moindre des caresses vient à bout de la plus grande sagesse! Au moindre geste vous oubliez tout et dans l'instant êtes capables de changer de maître ! »
- Non, Maître que nous adorons et que nous vénérons sans retenue, ce n'est pas de cela qu'il est question.
« Êtes-vous en train de me faire mentir et déjà fier de me faire la leçon ? »
- Non, Maître vénéré et adoré, mais permettez-moi de vous murmurer avec respect et face contre terre quelque vérité qui ne nous appartient pas et qui s'est glissé incidemment dans notre oreille.
« Et quelle serait cette vérité ? »

« Comment se fait-il que je ne l'entende presque plus ? On dirait qu'il ne parle plus ou si peu. »

- C'est que malgré l'estime et la considérable affection que je vous porte Bonpapa, il s'est produit quelque chose d'inimaginable pour nous.
« Que veux-tu dire par là ? »
- Eh bien c'est difficile de le dire et je ne voudrais pas vous contrarier...
« C'est de cette manière que vas me contrarier... allons, obéis et parle ! »
- Vous m'impressionnez Bonpapa, c'est justement de cela qu'il s'agit...
« Dois-je demander encore ou vas-tu te décider à en dire plus ? De quoi s'agit-il ? »
- Il s'agit justement d'obéissance... Pensant bien faire et suivre à la lettre ce que vous nous apprenez avec conscience et patience, nous l'avons encouragé à cesser ses discours et à faire silence.
« Et alors ? »
- Alors il s'est passé une chose extraordinaire, sans que nous ayons dû insister le moins du monde et sans plus attendre il a obéi. Depuis lors, malgré la taille et la finesse de vos oreilles, vous ne l'entendez plus...

dimanche 23 août 2009

« Ils sont encore en cet heureux point, de ne désirer qu'autant que leurs nécessités naturelles leur ordonnent ; tout ce qui est au-delà est superflu pour eux, ils s'entr'appellent généralement, ceux de même âge, frères ; enfants, ceux qui sont au-dessous ; et les vieillards sont pères à tous les autres. Ceux-ci laissent à leurs héritiers en commun cette possession de biens indivis, sans autre titre que celui tout pur que nature donne à ses créatures, les produisant au monde. Si leurs voisins passent les montagnes pour les venir assaillir, et qu'ils emportent la victoire sur eux, l'acquêt du victorieux, c'est la gloire, et l'avantage d'être demeuré maître en valeur et en vertu ; car autrement ils n'ont que faire des biens des vaincus, et s'en retournent à leur pays, où ils n'ont faute d'aucune chose nécessaire, ni faute encore de cette grande partie, de savoir heureusement jouir de leur condition et s'en contenter. »

Michel de Montaigne, Essais, Livre premier, chapitre XXXI


« Ces impies ont l’audace et la témérité des barbares bravant sans vergogne l'Ordre et la Loi. Aussi suis-je au comble de la surprise de constater qu'ils aient l'audace de croire que de tels attentats peuvent se commettre au milieu de la cité sans que personne n'en sache rien.
Je le sais, car lorsqu'il est minuit et que la cité s'est endormie, je profite des largesses de la nuit et je me mets à longer les chemins interdits. »

samedi 22 août 2009


"Des mots, ses pensées ne sont que des mots, il faudrait qu'il marche jusqu'à ce que s'épuisent ses mots."

vendredi 21 août 2009

« Ainsi se tracent les chemins se succédant du mal au bien en justes conséquences de l'éclairage que l'on y applique et l'éclairage, à son tour, est tributaire de la quantité de lumière disponible. »

Walid Neil
Le voyage aux utopies et autres discours amphigouriques



Je vous dis tout nûment que ce qui fait que je suive ce chemin est en cette circonstance est une chose bien banale que chacun de nous possède à des degrés divers : la curiosité. La curiosité et cette curieuse pensée venue de je ne sais où que ce chien a quelque chose à voir avec cette histoire. Il me mène où je crois que je veux aller, mais où est-ce, je n'en sais rien. La curiosité se mêle étroitement à l'espoir... comme le futur se mêle au conditionnel.
Comment s'imaginer un futur qui n'ait aucun lien ni référence au passé?
Comment se départir de ce qui nous habite et que nous portons en nous-même?
Je souriais à l'idée que ces deux questions étaient en elles-mêmes l'illustration parfaite de ce à quoi elles font allusion. Je portais, entre autres choses - bien peu en vérité - et pensées, ces deux questions auxquelles s'ajoutent en un flux constant toutes celles qui émergent à chaque regard, à chaque mouvement et plus encore à chaque sensation, mais dont notre esprit saturé ne prête plus guère attention.

jeudi 20 août 2009


Sans aucun regret, je me mis à suivre cet étrange animal qui me faisait signe de le suivre. Comment est-ce que je pouvais lui faire confiance ? Je ne le sais pas, mais il est certain que je n'ai pas hésité un seul instant. La sensation de m'être évadé éclipsait tout le reste.
La source où prend naissance ce mince filet d'eau apparait là, là sous mes pieds meurtris. Un légère plainte monte jusqu'à nous:
«Tout ce qui habite les profondeurs de ce gouffre te dit au revoir !
»
Maintenant je me demande ce qui me poussait à espérer de ce ciel que je peux, dans le même temps, de mes deux bras embrasser et sentir se refermer mes mains vides ?
Perpétuel déséquilibre qui nous pousse à marcher. Mourir de l'illusion pour renaître dans une autre où l'espoir se fait plus vif...
Ayant fui la mer, agrippé au bord de cette falaise que je croyais insurmontable, après avoir escaladé ses flancs escarpés au péril de ma vie, écorché, sale, affaibli par la solitude et par la faim, toute ma tristesse et ma fatigue s'arrêta au sommet et sans un regard en arrière je me mis à suivre mon nouveau guide. Je me sentais soudain plein d'entrain.

mercredi 19 août 2009



Elle était. Elle semblait m'attendre calmement. Pas un aboiement, pas le moindre signe d'agressivité. Au contraire, c'était comme une invitation à la suivre. Un monde nouveau s'était ouvert où mon guide était un chien qu'il fallait suivre sans jeter le moindre regard sur ce que je laissais en bas et qui était devenu en si peu de temps encore plus inaccessible que ce que j'avais atteint. Quelque chose me disait de la suivre et je refusais d'écouter ce qui pourtant était la voix du bon sens, la voie de la raison qui me soufflait avec force e ne pas céder à l'illusion.
- Que sais -tu de cet animal ? Rien. Absolument rien. Tu crois lire dans ses yeux mais ce que tu y trouves est exactement ce que tu y projettes. Tu es impressionné par ta propre image que tu crois voir dans ses yeux.
Rien à faire, je ne l'écoutais pas. Tant pis pour ce que je quittais. Tant pis pour toutes ces lettres et pour ce bateau qui avait commencé à prendre forme.

mardi 18 août 2009



Je n'avais pas imaginé que cette falaise puisse être gravie, mais la vue de ce chien qui me regardait avec instance debout sur le bord du fossé me fit comprendre que cela pouvait se faire. C'était comme s'il m'encourageait du regard ou comme s'il me parlait intérieurement. À partir de là, curieusement, le chemin à suivre m'apparut comme une évidence qu'il ne fallait pas laisser passer. Si la roche et le sable était si friable il fallait monter à toute vitesse sans faire de pose. Prendre des risques était la solution la plus adéquate. Surtout ne pas s'arrêter et ne pas laisser à mes pieds le temps d'être emportés, telle était la condition. En un rien de temps, quelques écorchures et quelques belles frayeurs, j'étais en haut. Je n'avais pas réfléchi au fait qui était certain maintenant, je ne pourrai pas redescendre... Tout ce qui était en bas y resterait... J'avais cédé à l'aspiration, j'étais parvenu à ce qui me paraissait impossible sans penser aux conséquences de cet acte et maintenant il fallait y vivre. Si la plage était une sorte de désert, au moins je la connaissais. Le nouveau désert qui s'offrait à ma vue n'était nullement comparable.

lundi 17 août 2009

dimanche 16 août 2009

"C'était une nuit qui semblait faite sur mesure : une obscurité compacte dont à chaque geste on sentait presque le poids. Et le bruit de la mer, ce souffle de la bête féroce qu'est le monde, vous remplissait de crainte : un souffle qui venait s'éteindre à leurs pieds."
...
Leonardo Schiaschia, La mer couleur de vin
Extrait de : Le long voyage

samedi 15 août 2009

« Celui qui vous méprise tant, n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a autre chose que ce qu'a le moindre homme du grand nombre infini de vos villes ; sinon qu'il a plus que vous tous l'avantage que vous lui faites, pour vous détruire. (...) Vous semez vos fruits, afin qu'il en fasse le dégât. Vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir à ses voleries, vous nourrissez vos filles, afin qu'il ait de quoi saouler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, afin qu'il les mène pour le mieux qu'il leur fasse, en ses guerres ; qu'il les mène à la boucherie; qu'il les fasse les ministres de ses convoitises et les exécuteurs de ses vengeances, vous rompez à la peine vos personnes, afin qu'il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans les sales et vilains plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin de le faire plus fort et roide, à vous tenir plus courte la bride ; et de tant d'indignités, que les bêtes mêmes, ou ne sentiraient point, ou n'endureraient point, vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.»

in La Boëtie, Discours de la servitude volontaire ou Contr'Un, 1548



Bien au-dessus de moi, au sommet de la falaise faiblement éclairée par l'aube naissante une ombre mouvante attire le regard. Quelques herbes naissantes au milieu des tiges mortes et des mousses sèches en suspension se balancent dans le vide dans l'attente indécise d'être à leurs tours emportées dans le vide qui les attend et d'où je les regarde. Il m'a semblé voir plus que cela mais la nuit a été longue et cela fait plus d'un jour que je n'ai pas dormi. Derrière moi un peu d'eau vive suinte parmi la mousse et la roche humide. C'est là que se trouve la source qui me maintient en vie. Il m'a fallu de longs jours pour que mon corps accepte cette eau, avant qu'elle le remplisse et le contente plus qu'elle ne le vidait. Il me fallu plus longtemps encore pour découvrir que ce qui me mettait "en fantaisie" et obligeait mon corps désarticulé à se mettre à danser comme un obscène pantin: une petite herbe aux vertus bienfaisantes et allégeante quand elle est prise en petite quantité et aux pires tourments dès que cette mesure est dépassée.

vendredi 14 août 2009


Je n'ai eu guère qu'un seul et bref instant pour visualiser la trajectoire des traces avant que les vagues ne les effacent, mais c'était bien suffisant. De fait, je ne pouvais douter que la bête ait suivi le même chemin que moi durant tous ces jours où j'ai arpenté le rivage. Je me suis mis en route, persuadé que je pourrais la retrouver les yeux fermés. Effectivement je ne voyais rien mais j'étais sûr d'être sur le bon chemin. Un étrange sentiment où se mêlait l'espoir et l'abandon m'avait envahi. Il me rendait confiant et joyeux. Une joie presque enfantine qui ressemblait à celle que l'on éprouve lorsque pour la première fois on est convié à se promener le soir avec ses parents dans le monde des adultes. Je marchais lentement, l'œil aux aguets, espérant revoir une de ces minuscules traces qui se suivaient jusqu'aux deux tours. Arrivé aux pieds de celles-ci l'eau atteint le bord de la falaise mais un peu plus loin celle-ci s'est effondrée et quelques très gros rochers forment une petite crique dans laquelle quelques poissons profitent d'un calme relatif. C'est là que je viens pêcher les quelques poissons qui constituent la base de mon alimentation. Je ne vis aucune trace. Tout avait disparu, y compris ma belle assurance. Il n'a pas pu passer par là, ce n'est pas possible. Les rochers forment des à-pics infranchissables qu'il faut contourner dans les vagues, toujours impressionnantes à cet endroit à cause de la configuration des fonds et des courants puissants qui y règnent en monarques déments. De l'autre côté de cette crique, commence une zone où je ne pénètre que rarement. C'est le royaume de Neptune, comme je l'appelle. Le vent y souffle si violemment et si bruyamment qu'il faut marcher plié en deux en fermant les yeux pour ne pas pleurer et en plaquant les mains sur ses oreilles pour ne pas devenir fou. Des vents irréguliers et virevoltants qui ne mollissent que rarement vous invitent en permanence à vous perdre. Quelques centaines de mètres plus loin, la bande de sable s'élargit encore et semble s'évanouir dans le lointain. Impossible dans ce désert miniature de discerner la moindre empreinte tant les petites dunes sont continuellement balayées et transformées par les vents. Impossible aussi d'imaginer que quelqu'un ou quelque bête puisse avoir choisi d'élire domicile dans un climat aussi rude et imprévisible. Il fallait se résoudre à l'évidence, le chien avait bel et bien disparu et pourtant j'en étais certain, j'allais le retrouver. Je n'en avais aucun doute... enfin je tentais de m'en persuader.

jeudi 13 août 2009


Pas de doute, sur le sable humide il y a des traces. Elles longent la falaise en direction des deux tours où nichent des colonies de moineaux. Monastère creusé dans la falaise. Ces empreintes visiblement récentes pourraient être celles de ce chien que j'ai cru entendre hier parmi les vagues. Il faut très peu pour revigorer la flamme et très peu pour effacer les traces du passé, en un seul mouvement une vague s'allonge et la plage est lisse comme une page blanche...

mercredi 12 août 2009


La moitié de la nuit a été rude, mais la tempête déclenchée par Neptune a fini par se calmer. Toute la soirée et une grande partie de la nuit il m'a semblé entendre ces aboiements lointains se perdre dans le fracas des vagues et puis j'ai fini par douter de leur réalité. Il est vrai que le ciel se dévoilant, le spectacle qui s'y déroulait m'a captivé à tel point que rien d'autre ne me concernait plus. Ce matin la mer indolente et rassasiée rejette les carcasses qu'elle n'a pu absorber. Je ramasse avec soin tout ce que je peux. Le moindre morceau de bois est un trésor à préserver. Avec le temps, je ne perds point l'espoir de ramasser suffisamment pour construire, si ce n'est un bateau, au moins un solide radeau. Je ne perds pas non plus l'espoir de retrouver un morceau de l'une de ces étoiles qui me font tant rêver. Pour l'instant un autre trésor s'est présenté, une page arrachée et ensablée. Quelques lignes d'une histoire inconnue et lointaine qui pourtant me touche...

"- Le monde n'est pas aussi figé que je le croyais, pense Marcel sans s'inquiéter le moins du monde de sa propre disparition.
- Je ne suis plus que poussière parmi d'autres poussières... pense-t'il en souriant.
Une légère ironie pouvait se lire sur son visage. Une ironie bienveillante qui l'empêche de se prendre trop au sérieux et qui l'aide à se sentir léger.
- Pour certains d'entre nous, ce qui est considéré comme certain occupe une place primordiale sans laquelle ils ne peuvent subsister. Marcel se demandait si sa disparition pouvait avoir été perçue comme autrefois lui-même avait perçu des étoiles filantes. Quelqu'un l'avait-il vu se transformer si rapidement et si radicalement en un infime grain de sable. Quelqu'un y avait-il assisté et peut-être avait-il, à ce moment précis, fait un vœux ? Était-il possible qu'une si petite chose puisse avoir un si grand effet ?"

mardi 11 août 2009


Neptune n'est visiblement pas content que j'écoute un autre que lui. Il est tout de même étonnant de voir quel point les dieux sont susceptibles. Je les crains mais mon choix est vite fait, c'est le chien dont que je suis certain d'entendre que je désire rencontrer. Sa présence me rassure. Neptune est maintenant furieux il brasse l'eau avec grande énergie.


Les aboiement s'éloignent et reviennent sans que je puisse les situer avec précision et la mer est trop démontée pour que j'ose me lancer. À l'image que j'ai devant les yeux se superpose une autre, celle du pêcheur, quand autrefois il se lançait à l'assaut des grandes vagues comme d'autre se mesurent aux plus hauts sommets.

lundi 10 août 2009

Je me sens bien seul depuis que je n'écris plus à Joachim. Je n'ai pas cessé d'écrire, mais j'ai, et pour cause, cessé d'attendre des réponses. Même si Joachim ne 'a écrit en retour qu'à deux ou trois reprises, cela m'avait fait du bien. Même le doute que j'avais et que j'ai toujours concernant l'authenticité de ses lettres ne diminuait en rien le plaisir de communiquer. J'ai une sorte de certitude qui s'installe selon laquelle ces lettres étaient interceptées et réécrites par certains émissaires que je connais. Je le sais car il me parait des plus improbable que Joachim ait pu m'écrire à propos de certaines choses qu'il ne pouvait connaître. Une fissure bien large s'est ouverte qui me fait voir que la réalité dans laquelle je baigne pourrait être toute autre si je parvenais à prendre quelque distance. Le malheur est qu'il ne me faut guère de temps pour que cette distance soit aussitôt trop grande. Alors m'apparaissent ceux qui n'œuvrent que dans l'ombre. Quand la mer et le ciel se rejoignent sont libérés ceux qui les peuplent. C'est ainsi que mon île redevient la terre des dieux de mon enfance et Neptune du fond de la mer de la mer me tend les bras et me parle.
- Viens petit d'homme à l'esprit tourmenté et à la langue agile. Viens peupler les vagues qui s'offrent à toi depuis toujours... Viens chevaucher mes fougueux destriers à la blanche parure... Viens je te montrerai tout ce dont tu as tort d'avoir peur. Viens et tu seras craint de ceux que tu crains aujourd'hui. Viens, il n'est de beauté plus grande que celles qui chantent en mon palais...
Il s'en est fallu fallu d'un cri pour que je lui cède. Un petit cri plaintif venu de la mer lui aussi, mais un cri terrestre et bien réel, de cette réalité que nous pouvons concevoir sans rêver. L
oin des douteuse invitations des dieux, loin de la mimesis, loin du théâtre des pensées qui ne sont pas miennes, au milieu des vagues qui s'écroulent bruyamment, j'entends un chien qui aboie faiblement et je ne rêve pas.

dimanche 9 août 2009


Étrange cette veste que j'ai trouvé enfouie sous le tas de filet dans le débarras du pêcheur. La casquette je comprends mieux. Fantasme de marin... Mais tout de même si je regarde en détails... Je m'imagine le pêcheur la coiffant et s'imaginait à le tête d'un vrai navire. L'ivresse du grand large... et son habit de lumière échoué sur la plage...

samedi 8 août 2009

« Ne pas rire, ne pas pleurer,
ne pas détester mais comprendre. »

Baruch Spinoza, Traité politique, I, 4.


Tant que j'étais gouvernant, je pouvais penser que je n'étais guère gouverné, si bien qu'il ne me venait pas à l'idée que j'eusse du résister. Aujourd'hui, je dois me l'avouer puisque je n'ai plus d'interlocuteur: c'est pour moi une chose bien étrange que de me parler à moi-même, mais il me semble que ne parler parler serait le meilleur moyen de céder à cette sorte d'indolence qui mène droit à la folie. Je la vois s'approcher quand du fond de l'horizon quelques légers nuages se rassemblent, l'air de rien pendant que je cède en silence à mes rêveries d'enfant. Si je n'y prend garde, quelques instants après ils ont déjà parcouru une distance appréciable, ils ont grandis de manière conséquente et pour finir se mettent à se rassembler jusqu'à former un ensemble tout-à-fait improbable qui se met à me parler. Chose insensée, je le sais, mais je ne le sais que lorsque je le dis. Si donc je me tais... ils parlent...

vendredi 7 août 2009


Le vent s'est calmé et la plage est à nouveau fréquentable. J'y marche dans une sorte de demi-éveil, mécaniquement je repère ce qui pourrait être susceptible d'être ramassé soit qu'il eut quelque utilité soit qu'il ait une forme qui éveille en moi un sentiment qui me porte. Pour peu qu'il porte des couleurs intéressantes, il m'arrive d'interroger du regard le moindre des cailloux. Généralement elles disparaissent quand le caillou sèche. La liaison ne dure qu'un instant et le caillou est rejeté au loin, mais ces petits instants entretiennent la petite part d'espoir qui subsiste en moi-même. Je pense sincèrement qu'un jour je trouverais sur cette plage un objet d'une valeur inestimable. D'ailleurs un bienfait en entraînant un autre, il m'arrive de plus en plus souvent de me livrer à quelque facétie dont le moins que l'on puisse en dire est qu'elles ne correspondent pas à ce que l'on est en droit d'attendre de quelqu'un de mon âge et fort heureusement je suis seul, enfin, il m'arrive de le croire...

jeudi 6 août 2009

À ce qui fut et à ce qui sera,

Vous savez, cher Joachim, combien je suis attaché à la bienséance, à l'ordre et à la politesse, au point que tout cela puisse être considéré comme excessif. Cela fut le cas lors nombreux événements, je le comprends d'autant mieux que je commence à penser que cette sorte de critique n'est pas dénuée de sens et me donne, aujourd'hui, l'occasion de revoir différemment ce en quoi j'ai toujours cru. Au fur et à mesure de mon ascension sociale, alors que je gagnais la confiance d'un large public et qu'il reconnaissait la valeur des idées que je défendais naissait dans les soubassements que nous avions malheureusement délaissés, jusqu'à ce qu'ils deviennent inaccessibles, un autre public qui se mit à œuvrer dans l'ombre sans que nous ne puissions y faire face. Du haut de nos idéaux et de notre cité jamais nous ne sommes arrivés à mettre un visage sur cette frange marginale qui vivait, aujourd'hui je le sais, exactement comme je dois vivre aujourd'hui. Il se peut qu'ils n'en aient pas eu plus le choix que moi. Ainsi je me retrouve sans rien, et dans ce rien se développent d'autres idées. Suis-je en train de devenir le paria que nous pourchassions vainement autrefois? Je l'espère. Cependant je ne crois pas que ma situation soit véritablement inconnue de mes successeurs. Si j'en crois les nombreux indices que je recueille, ils me surveillent. Certes ils ne peuvent accéder à mes pensées, je l'espère aussi, mais ne puis en être sûr. Il se pourrait que tout cela ne soit qu'une mise en scène. Une scène sur laquelle je serais l'unique acteur, mais au travers duquel ils pourraient comprendre ceux qu'ils ne peuvent atteindre. Cela ne vous dit rien? Joachim. C'est exactement ce que je préconisais, à quelques exceptions près dans mon dernier rapport. Celui que je vous ai envoyé, Joachim. Celui pour lequel je vous envoyais quérir... et que je n'ai envoyé à personne d'autre. Vous me suivez Joachim, si j'ose dire...
Rassurez-vous, si toutefois vous vous inquiétiez, je vais assez bien et j'ajouterai que physiquement la vie au grand air me fit du bien. Le vent s'est calmé et je me surprends à jouer comme un enfant.


La voile qui recouvrait le matériel caché dans l'abri du pêcheur fait une bonne cape. Les vagues semblent apprécier sa vitalité. Tout cela est de bon augure... pour moi. Je ne vous dirais pas ce que j'envisage de faire ces prochains jours. Il se peut que vous le découvriez vous-même. Je n'en serais guère surpris. Il me semble que, Joachim, ce sera certainement la dernière lettre que je vous enverrais. Pour de plus amples renseignements vous devrez faire votre travail par vous-même...
Vous le comprenez maintenant, en ce qui me concerne le grand air fait du bon travail.

mercredi 5 août 2009


Suite à ma découverte d'hier, je dois vous avouer cher Joachim, que mon moral est bien remonté. Heureusement car le temps, lui, s'est gâté. Il souffle continuellement un vent violent et des vagues druyntes balayent la plage. C'est vraiment le cas de le dire. Il ne reste rien, vraiment rien que du sable en continuel mouvement. C'est propre mais assez effrayant. J'ai voulu remonter la falaise pour continuer mon exploration, mais je n'ai pas pu. À mesure que je montais le vent était plus puissant. C'est à peine si je tenais sur mes pieds. J'ai dû redescendre près de la plage où, finalement c'est là qu'il est le moins fort. Ne pouvant faire autrement je me suis mis à admirer ces vagues gigantesques avec lesquelles je jouais autrefois et que je rêvais d'apprivoiser. Je crois même, pour autant que je puisse croire en mes souvenirs, ce qui est plutôt hasardeux je vous le concède, que j'y suis arrivé quelquefois.


Et puis il me plait, en cette période aussi agitée, de revoir ces images insouciantes où il suffisait de jouer pour que le monde s'organise selon nos humeurs. Quand est-il aujourd'hui ? Dans le fond, le jeu pourrait être le même, juste moins apparent et notre esprit moins joyeux. Il se peut aussi, cher Joachim, que j'exprime ainsi une sorte d'espoir. C'est ainsi aussi que je scrute la plage chaque matin, dans l'espoir d'y trouver quelque page perdue venue s'échouer là, à mes pieds. Quand dela arrive, je me penche, je mets un genou à terre et, la saluant au passage, je la lis avec lenteur et ferveur. Naturellement il est rare que le texte soit complet, alors sitôt après l'avoir relu, je me mets en quête de l'avant et de l'après. C'est ainsi que je me suis mis à écrire. Pour combler le manque d'avant et le manque d'après. Je recueille le moindre papier sur lequel je puisse écrire. Dans le fatras du pêcheur il y avait un crayon. J'en ai pris le plus grand soin et je ne le taille qu'avec la plus grande concentration de telle manière de ne rien perdre et qu'ainsi il dure le plus longtemps possible.

Notre île est comme une chambre vide dont la plus grande partie serait inondée et dans laquelle nous ne pourrions plus que longer le mur du fonds en évitant, à rythme régulier, dans le meilleur des cas de se faire inonder les pieds et dans le pire de se faire violemment emporter vers la partie immergée dont les murs se sont effondrés depuis si longtemps déjà. Vous le voyez, cher Joachim, je marche, je me parle et je vous écris. Je n'ai rien d'autre à faire ici et cependant n'allez pas croire que cela soit de tout repos. Par ailleurs dormir est un acte difficile qui demande, comme nous le savons tous un certain relâchement qui est presque impossible ici si bien que je dors peu. Trop peu. N'imaginez pas que cela soit un pur plaisir que de ne rien faire ou presque. Si certains jours la mer est chaude et accueillante c'est grâce au ciel qui lui est véritablement brûlant, au-delà des limites du supportable, il en d'autres où elle se montre d'une grande agressivité et le vent est si violent qu'il pénètre dans le moindre recoin de ma tête dont je longe le mur du fond, évitant, à rythme régulier...
À ce rythme j'explore... Hier j'ai découvert un trésor. Non que ce soit matières exceptionnelles ou précieuses au sens commun. Certes, ce que j'ai mis à jour est le plus banal des trésors, mais le plus banal ne devient-il pas exceptionnel lorsque nous n'avons rien d'autre? Surplombant la plage de quelques mètres, sur un rocher poli par le vent et les vagues, était construit un abri de fortune bien protégé par sa voile délavée qui le rendait invisible, et dans lequel était entassé tout le matériel d'un pêcheur. Sans doute a-t-il disparu avec la grande coulée qui nous a chassé et, je ne sais par quel miracle, cet endroit a été épargné.