mercredi 31 décembre 2014

Le monde visible se voit dans les carnets d'Auguste le Perroquet


Le monde visible est le reflet du monde invisible
Hugues de saint Victor (second Augustin)

Le grand récits des petits carnets d'Auguste Perroquet
surnommé affectueusement (et pompeusement) "Augustin le troisième"

  « Suivre une histoire, c'est avancer au milieu de contingences et de péripéties sous la conduite d'une attente qui trouve son accomplissement dans la conclusion . Cette conclusion n'est pas logiquement impliquée par quelques prémisses antérieures. Elle donne à l'histoire un "point final", lequel, à son tour, fournit le point de vue d'où l'histoire peut être aperçue comme formant un tout. Comprendre l'histoire, c'est comprendre comment et pourquoi les épisodes successifs ont conduit à cette conclusion, laquelle, loin d'être prévisible, doit être finalement acceptable, comme congruente avec les épisodes rassemblés. »

Paul Ricoeur, Temps et récit  tome I:
L'intrigue et le récit historique ,
Seuil, 1983.


 

– Regardez Justin comment ils m'ont enseigné peu à peu à faire ce qui m'eut été inconcevable peu de temps auparavant. Je devais m'élancer du haut du chapiteau, me laisser tomber en chute libre et, au dernier moment établir une trajectoire telle que je passe à l'intérieur d'un anneau qu'ils tenaient conjointement. Mon maître me dira plus tard que cet anneau était le symbole de notre union spirituelle...
– Et vous y croyiez?
– J'y crois encore... Je comprends ce qui vous fait douter mais attendez que je vous raconte la suite.
– La suite, la suite... vous n'avez même pas fini de me raconter le début du poteau!
– Suivre une histoire... c'est avancer au milieu d'un chemin dont on ne connait pas à l'avance où il nous mène!
chaque jour nous nous amène son petit lot de surprises.

Peu importe l'homme, c'est la fonction qui compte


– Regardez comment les hommes ont bien nettoyé la place et l'ont rendue parfaitement plane. Rien qui dépasse, rien qui attire le regard. Une sorte de vide sur lequel tout ce qui sera construit sera l'image d'un certain ordre.
– C'est comme un livre qui serait encore vierge.
– C'est cela même et si un illettré regardait ce livre il ne pourrait rien y lire, il y verrait des signes, mais il ne saurait reconnaître des lettres qu'il ignore.
– Le poteau en est-il le centre?
– Oui, cela sera, mais pas seulement.
– Vous ne m'avez pas dit qui était l'homme qui manie le maillet.
– Peu importe l'homme, c'est la fonction qui compte.
– N'importe qui peut le faire?
– N'importe qui à condition qu'il ait été préparé.
– Y-a-t-il des règles très précises qui président à l'ouvrage?
– Certainement pas dans le sens auquel certains veulent croire.
– Le cirque ne doit-il pas être orienté vers le soleil qui se lève?
Depuis les temps les plus reculés, le soleil n'a jamais quitté le centre de la pensée des hommes. Tout au plus a-t-il perdu sa réalité divine pour n'en devenir que l'un des symboles. 


mardi 30 décembre 2014

Ils naissent, vivent et meurent..



– Vous êtes-vous déjà demandé ce que sont les hommes?
Sont-ils aussi l’œuvre du Très-Haut perché dans ses nuages?
Qu'ont-ils de plus que nous?
Après tout, ils naissent, vivent et meurent... à notre façon.
– Prêcheriez-vous? Depuis deux jours seulement nous parlons comme eux et déjà votre bouche, après votre esprit, est remplie d'une profondeur doublée d'une hauteur assez vertigineuse... en tout cas qui me donne le vertige...
– Vous moquez-vous?
– Non, en réalité je m'inquiète...
– En nous se fondent tellement de personnages....
– Qu'avez-vous dit...
– Je ne crois pas avoir parlé. Au contraire il me me semble vous avoir entendu dire : en nous se fondent tellement de personnages... mais revenons à notre poteau qui se dresse au loin.
Après que les hommes eurent  aplani le terrain sur lequel ils vont dresser le chapiteau, l'un d'eux, nous l'avons vu a planté le poteau. C'est là, me disait mon maître que va constituer l'espace sacré.
– Voulez-vous dire que l'espace ne l'est pas encore?
– Non, il est amorphe. Toujours selon mon regretté maître : tout n'est encore que désordre, roche et poussière. Il va falloir l'orienter. Mon maître me disait, citant un de ses maîtres*, notre espace, tout comme l'homme spirituel relève d'un monde tout différent de celui auquel est lié l'homme charnel. Il est pourvu de sens intérieurs, il possède un autre langage, il est en voie de recouvrir la parfaite ressemblance de l'image qu'il porte en lui.

* M.M. DavyInitiation à la symbolique romane
Champs Flammarion p.63

La roue tourne

Le temps et les oiseaux passent,
la roue tourne,
le poteau est planté...
Les choses se retournent,
le temps s'en retourne

– Figurez-vous, mon cher Auguste,
que nos chers perroquets ne répètent plus seulement les sons
qui autrefois sont sortis de notre bouche,
mais aussi les plus intimes pensées
jusqu'aux idées qui, venant de je-ne-sais-où peuplaient notre cerveau...

 – En sommes, si j'ai bien compris, ils rêvent d'égalité !

 – C'est cela! Vous rendez.vous compte...


 – Bientôt, vous allez voir, ils se vont se mettre en tête de jouer à notre place !

lundi 29 décembre 2014

Le temps




« Livres de raison »*

 Auguste, que rien ne prédestinait à écrire,
notait et dessinait dans de petits carnets ses faits et gestes sans importance.
C'est dans un de  ces petits carnet qu'Auguste le Perroquet avait,
tout-à-fait par hasard, retrouvé ces petits dessins
qui montrent clairement que la vie en commun avec Justin,
aussi brève qu'elle ait duré, n'avait pas été qu'une suite d'affrontements.

Il n’est pas nécessaire de remonter bien haut au long du fil généalogique en remontant vers le passé pour subir des décrochements, abandonner tout le poids du qu’en-dira-t-on, et tirer un bonheur éclatant de certaines impulsions qui nous ramènent par une sorte de retournement, pour un instant, dans le monde de l'enfance.



* « Livres de raison »
... pratique, de plus en plus fréquente et approfondie aux xive-xve siècles, des « livres de raison » ou « livres de famille », sortes de chroniques domestiques où étaient consignés au fil des générations renseignements généalogiques, histoires et légendes (généralement héritées d’une tradition orale) au sujet de certains membres de la famille, réflexions morales, etc. Ces ricordanze très en faveur en Italie sont particulièrement révélatrices des mentalités familiales (au sens clanique du terme)
Ariès & Duby 1985 

Psittacisme* ou un souffle dans la voix (extrait 1)


Fac-similé d'un dessin de Maître Desvilles,
représentant agrée de l'espèce humaine
auprès de l'Assemblée constituante du Peuple Psittaciforme,
alors prote d'imprimerie,
et depuis maréchal de la noble Académie d'Ouchy

Dans une histoire particulière telle que vous êtes, par accident peut-être, en train de lire, ce qui est recherché avant tout n'est pas seulement le côté intime de la vie des personnages pris dans la tourmente d'événements qui les dépassent largement, mais aussi l'inconnu et l'inédit qui peut surgir par tous les pores de la peaux tout autant que d'une large partie de nos organes internes qui trouvent là une possibilité qui ne leur a, jusqu'à ce jour, pas encore été accordée. C'est donc à dessein qu'une grande partie des détails de certains événements ou considérations générales sur le monde qui nous est familier ont été, par force et par nombre, momentanément mis de côté. Certains d'entre eux, naturellement, doivent, pour une légitime envie de connaître et de comprendre, apparaître au grand jour. C'est pourquoi, sans autre forme de politesse, Justin et moi-même nous vous soumettons un premier extrait d'un document inédit répondant au doux nom de "Flatus vocis," admirablement traité par nos maîtres fraîchement disparus.


 Les Représentants du Peuple Psittaciforme, constitués en Assemblée, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des
droits du Perroquet sont, avec leur misérable ressemblance avec le peuple des humains, les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés du Perroquet, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que leurs actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, aux delà des frontières, des nationalismes et des croyances, la Grande Assemblée reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants du Perroquet et du Citoyen.
Art. 1er.
Les perroquets naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité et la reconnaissance commune.



Nous espérons que votre écoute et votre compréhension apporteront des faits ou des écrits nouveaux et, plutôt que de recommencer une histoire admirablement traitée par des hommes passés maîtres dans l'art de répéter, ne pourra être reprise et faite que dans un certain nombre de jours, de semaines, de mois, voir d'années... lorsque des études particulières auront amené une somme suffisant de découvertes à l'écrivain capable de les grouper, de les discuter et d'en faire la synthèse...






* (...) il appartient à l'homme d'établir discursivement l'existence (An sit) de l'objet de sa foi et de chercher à parvenir à l'intelligence des termes qui l'expriment, s'il veut éviter de tomber dans un pur psittacisme, de réduire la révélation à un flatus vocis, à une simple verborum prolatio.  

Louis Rougier
Histoire d'une faillite philosophique: la Scolastique 
1925

Par le verbe ou la plume


Qui se fabrique une ascendance prestigieuse précipite sa propre chute.
Cette citation, relativement
récente *, ne doit pas faire illusion.
De tous temps les perroquets, à l'image des hommes
dont ils sont les infatigables répétiteurs,
ont eu tendance à s'en fabriquer.

Clair et militant par le verbe et la plume, Auguste, le perroquet orphelin de son maître, cherche, fouille et reconstitue, avec Justin dont, par atavisme, il se méfie, la mémoire de leurs maîtres.
– Seul, je sais pertinemment que j'ai des lacunes, dont toutes ne me sont pas imputables. Je n'ai pas l'érudition de nos maîtres, loin s'en faut. Éruditions par ailleurs fort différentes et reflétant fortement leurs caractères contradictoires. Notre projet ne doit pas faire illusion. Il se doit, nous le leurs devons, d'être limpide. C'est pourquoi nous donnons quelquefois l'impression de reconstituer un discours discontinu. C'est le cas. Il nous faudra du temps pour récolter les fragments de leurs enseignements et passer de l'aporie à la dialectique. Bien que ces mot ne nous semblent pas correspondre très exactement à leurs pensées. Double démystification... abus de pensée, peut-être. Les personnalités d'Auguste et de Justin, nos maîtres bien-aimés, ne nous ont pas été d'un grand secours, nous semble-t'il, tant ils ont aimés brouiller les pistes avec une gourmandise évidente. Après tant de faux débats, il nous a paru utile, dans les perspectives de ce qui vient d'être dit, de rappeler ce que fut en réalité la ce que nous osons appeler la philosophie paradoxale de nos maîtres.
Reprenons là où nous en étions hier, mon cher Justin.

– Voilà, souvenez-vous que l'homme au maillet vient de planter le poteau "aussi droit que possible"!

dimanche 28 décembre 2014

Du poteau à son ombre


– Regardez combien de soin il met à choisir l'emplacement...
– Vous permettez, mon cher Justin, que je fasse une légère objection.
– Faites, je vous en prie.
–  Il me semble, d'après l'expérience que j'ai, que le choix de l’emplacement ne dépend guère du cirque lui-même, mais plutôt de la décision et de l'offre des "autorités locales".
– Vous avez parfaitement raison. C'est pourquoi je vous demanderai, dès maintenant, d'avoir l'oreille fine et que le reste suive...
Si, du point de vue matériel, le centre de la piste est dépendant de la place à disposition, il n'en est pas de même du point de vue de l'esprit. Or vous le savez les perroquets sont hautement dépendant du monde de l'esprit. Ne sachant que répéter , il faut que le choix primordial soit bien fait...
Ainsi l'homme que vous voyez au loin...
– On dirait mon maître Auguste ?
– Ce n'est pas lui, il n'a pas son chapeau et je vais vous accorder un petit secret: sans leurs habits, tous les hommes se ressemblent.


– Regardez plutôt le maillet dont il se sert et écoutez!
– Je suis tout ouïe!
En premier lieu, il n'est nullement question ici de prendre en compte ici une hypothèse, quelquefois exprimée, que notre chapiteau, à l’exemple des illustres bâtiments qui nous précèdent, serait dirigée vers un lieu saint, copiant en cela certaines religions bien ou mal connues. Si, pour certains l'idée est attrayante, elle ne résiste pas à l'examen "en profondeur", car cette hypothèse présuppose que nos ancêtres, qui mirent au point tout le rituel que nous répétons depuis des "temps immémoriaux",  étaient capables de se situer dans l'espace. Or ceux-ci, en ce temps là ne connaissaient, ne savaient, ni ne pouvaient détermine les longitudes.  *

Où sont-ils, d'où viennent-ils et où vont-ils?

Où sont-ils, d'où viennent-ils et où vont-ils?
Telles sont les diverses questions qui ont lieu d'être.
Sur celle-ci -dessus comme celle-ci-dessous,
on peut sans conteste se rendre compte
de l'incontestable bonne humeur
qui règne, régissant les mouvements
et les humeurs de l'un comme de l'autre.

Depuis quelque jours, voulant vérifier si la réciproque des apparences volatiles de Justin et d'Auguste ne serait qu'une lamentable histoire de miroir perroquet, nous publions une série de document sur la base desquels l'on pourra se faire une ou plusieurs opinions plus objectives. Certes, nous sommes conscients que ces documents sont hors contexte, ce qui favorise l’interprétation. Mais comment faire autrement? Ainsi l'image de Justin juché joyeusement sur les épaules d'Auguste peut-elle induire le sentiment qu'ils vont vers quelque chose. Mais à la question : Qu'en était-il auparavant? Nul ne saurait répondre sans formuler une hypothèse, qui par nature, contient un certain doute qui va s'ajouter au doute de la question suivante...

Tout ne peut se comparer à tout

– Vous me disiez que, contrairement aux apparences,
nos maîtres bien-aimés ne se disputaient pas.
Ils jouaient, m'avez-vous dit...

– Ce n'est pas seulement ce qui m'a été dit, c'est ce qui m'a été enseigné que je vous transmets... selon ma nature.
Et de plus je l’ai vu, de mes propres yeux.
– Comment pourrais-je être sûr que vous n'y ayez mêlé quelques pensées personnelles, qui, vous le savez, sont aussi de nature à modifier ou même de pervertir la parole transmise ?
– Je n'en puis être sûr, comme vous l'imaginez. Mais imaginer n'est-il pas aussi modifier ou pervertir? Je vous l'ai dit je fais de mon mieux, au degré d'évolution qui est le nôtre...
– Le "nôtre"? Voulez-vous dire que j'y suis compris ?
– De fait, oui...
– Pensez-vous que nous en soyons au même degré ?
– Vous dites cela presque avec mépris! Comme si votre inclusion vous dérangeait. Pardonnez-moi mon insolence, si tel est le cas... Car si tel est le cas je n'en puis rien savoir, hormis l'apparence...
–  Ce n'est pas cela
– Qu'est-ce alors?
– Il y a évolution et évolution... Tout ne se compare pas à tout...
– Le tout auquel vous faites allusion... serait-ce moi? J'en serai flatté!
Mais , revenons à ce que nous disions hier encore. Nous allions observé comment le nouveau chapiteau allait être élevé.


– Regardez bien, cher Auguste. Voyez  au loin comment cet homme va planter ce poteau à l'endroit bien particulier qu'il est en train de choisir soigneusement.

samedi 27 décembre 2014

Territoires du sacré et du profane


– Mon cher Justin, vous êtes bien tardif aujourd'hui.
je vous attendais avec impatience.
figurez-vous qu'il traîne autour de nous quelques rumeurs
dont je vous ferai part tout-à-l'heure.
Auparavant, dites-moi à quel moment,
selon vous, qui êtes, à l'image de votre maître si savant,
le sacré et le profane se sont-ils séparés?

Et, si je puis ajouter une petite question qui, à mon sens, aurait une certaine correspondance avec la première, le langage des hommes et celui des perroquets sont-ils, dès l'origine, deux modalités différentes?
– Plus que des modalités, ce sont des territoires différents.
– Vous voulez dire que la façon dont nous occupons et défendons nos territoires seraient du même ordre ?
– Il se pourrait.
– Mais, il me semble pourtant...
– Que vous semble-t'il ?
– Il me semble, ou plutôt, il ne me semble pas que...
– Pardonnez-moi quelques instants, on m'appelle. Je reviendrai tout-à-l'heure.


– Voilà, mon cher Auguste, pardonnez-moi cette interruption. Nous parlions du sacré et du profane. Mon maître m'en a longuement parlé... mais je ne sais si je puis vous le confier ! en tous cas, je vais tenter de respecter, si ce n'est à la lettre, du moins dans l'esprit ce qu'il m'a appris et qui appartient, non pas à une minorité de perroquets choisis, mais à celui qui sait entendre. M'entendez-vous ?
– Je vous entend, mais je vous avoue que le ton de votre discours m’inquiète un peu... Il me semble que vous voilà d'un coup bien docte!
Le ton monte. Les deux oiseaux vont-ils se dire, à la manière des humains, ce qu'il est convenu d'appeler des noms d'oiseaux, ce qui, en la circonstance ne serait pas surprenant.
Justin, prenant son rôle très au sérieux, pense et se demande en silence si le niveau d'Auguste est suffisant, non pour entendre mais pour comprendre...
Cela n'est pas sans conséquence.
– Cher Justin, je partage avec mon maître certaines facultés... dont celle, il me semble, d'entendre ce qui ne se prononce qu'à "voix basse". Il me semble selon ce que j’interprète, dans la mesure de mes faibles moyens, que vous abusez d'un savoir qui n'est pas le vôtre. Quand à l'acte de répéter, je vous suis probablement d'égale valeur... Croyez-vous qu'il soit nécessaire, à l'exemple de maîtres tant regrettés, d'en venir aux becs, plumes et griffonnages ?
– Auguste, mon cher, il est un point sur lequel vous vous trompez!
– Dites-moi lequel, avec plaisir...
– Nos maîtres ne se fâchaient pas.
– Et que faisaient-ils alors?
– Ils jouaient...
– Vous voulez rire ?

– Non. Vous ne les connaissez pas assez. J'ai eu la chance de les voir alors qu'ils ne se doutaient pas de ma présence...
– Revenez à ma question, quel est le lien avec les territoires du sacré et les territoires du profane?
– Je vais vous surprendre.
– Surprenez-moi.
– Ils n'existent pas...
– Vous vous moquez !
– Non. Plus exactement, ils n'existent que lorsqu'on les fabriquent.
– Diriez-vous que c'est une invention?
– C'est cela même.
– Vous blasphémez... il me semble...
– Loin de là. Suivez-moi, je vous prie.
– Où allons-nous?
– Il est l'heure. Ils arrivent. Dans quelques instants ils vont construire un nouveau chapiteau...

vendredi 26 décembre 2014


L'homme est terrassé


– Je ne vois rien venir et vous m'aviez promis un "petit" détour dans le temps...
–Cessez de me disputer pour un rien ou,
dans bien peu de temps, comme nos maîtres vénérés
nous allons disparaître...


– C'est absurde!
– Pas tant que cela. Si je vous concède volontiers l'absurdité de la démarche, c'est qu'elle ne s'arrête pas là.
– Quelle démarche?
– La démarche de l'homme qui cherche...
– Seriez-vous assez fou pour vous croire homme?
– Je sais fort bien que je ne suis qu'un perroquet un peu boiteux et dont la curiosité n'est pas mon fait, mais tout de même, c'est par moi qu'elle s'exprime.
– Pour une petite part, peut-être, mais de là à parler de démarche... il me semble que vous exagérez quelque peu...
– Comme vous dites : peut-être...  Quand l'esprit fait une apparition et injecte une question dans le"système", il arrive que ce soient sur nous que cela "tombe". Ce qui a pour effet de dérégler légèrement ce système, suffisamment toutefois pour que l'homme titube et se retrouve à terre.
Le corps et l'esprit ont livré combat. L'homme est terrassé, rendu à la terre, vaincu par l'esprit. La supériorité de ce dernier étant établie, tout recommence. Mais cette fois tout se passe inversement. Le corps ayant appris, il se venge et terrasse l'esprit.
– Comme nous dans le rond de sciure...
– Je ne vous le fais pas dire...
– Si, un peu...
Rien, désormais, ne peut plus se faire sans que l'accord du corps et de l'esprit ne se renouvelle en permanence.

jeudi 25 décembre 2014

De l'autre côté du rideau

– Monsieur Justin, si vous voulez que nous restions... comme des amis, voudriez-vous reprendre ce chapeau que vous me faites porter ?.. et me rendre le mien...
– À chacun son rôle, mon ami.
L'échange se défait.
– Il me vient à l'esprit une image...
– ... sous les mouvements de l'éloquence et de la passion... qui vous occupe l'esprit... et vous procure de l'occupation... ou peut-être, est-ce l'effet de votre chapeau retrouvé?
– Ne soyez pas cynique, si j'en crois votre plumage...
– Une touchante petite question, ou plutôt une petite affirmation:
Il va, je le sens, être question de ramage. Je le crois.
– Vous aviez raison, un tout petit instant. Mais j'ai changé d'avis, je préfère rester muet.
– Pour combien de temps?
– Le temps que le message, que j'ai envoyé ce matin, me revienne en réponse...
– Et vous ne voyez rien venir. Vous m'aviez promis un "petit" détour dans le temps, le voilà...
– Ah! Je vois avec plaisir que vous aussi vous usez des points de suspension...
– Vous trichez!
– Non, je traduis... Je mets à l'écrit ce qui chez vous se met à l'air.
Le corps marche, je vous le disais. Il y aurait beaucoup à dire mais je vous la fait courte, peu importe où il se dirige, il marche. Marche ici va prendre le sens de fonctionner. C'est la fonction qui fait l'homme et la fonction de cet homme est de fonctionner.
– Vous parlez comme un homme, je l’entend. Serait-ce là le résultat de votre attente?


Noël est, Noël et là... Noël est là...

Princesse Écho,
ouvrez donc vos paroles et vos pensées,
j'en serais le garde et la mémoire.

– J'aimerai que pour un instant mon âme de perroquet fasse place une déesse dont je rêve et que j'ai quelque peine à imaginer.
– Votre voix vous insupporte?
– C'est là que le bât blesse, c'est pourquoi les plus belles paroles ne dépendent point de moi pour s'animer, mais j'ai en moi une grand et mémorable qualité, je suis capable, de tout ce qui se passe, d'en répéter l'action.
– Comment faites-vous cela?
– J'ouvre en grand une fenêtre dans le ciel et je communique avec ses habitants. De ce fait, n'en doutez pas, je deviens autre. Et cet autre, un jour, m'a parlé. Des mots qui sans fin se répétaient et se détachaient progressivement de l'image du monde.



Au plus profond de soi-même il arrive que l’on puisse sentir monter un flux nouveau. Quelque chose d’inexplicable et limpide à propos duquel notre cerveau paraît complètement dépassé. Non qu’il ne se sente pas
capable de l’appréhender mais qu’il n’en ressente pas, au nom même de la raison, la moindre nécessité d’en déceler le chiffre. Les jours, les années n’ont pas complètement disparu. L’inconnu les a emporté vers de lointains rivages. Rivages familiers et si éloignés des étranges théâtres de la cité dans laquelle certains se sentent étrangers. Pourtant, si proches, des frontières invisibles, en tous cas inaperçues, bordent nos horizons.
Écoutez… les jours parlent:
– Nous n’étions qu’une petite assemblée de gouttes dans le petit lac.
Nous dormions dans le miroir immobile. Au moindre de nos mouvements l’image des murailles se met à trembler.
– Que n’avons-nous su rester immobiles?
Il a fallu nager. Ainsi, l’image a débordé.
– Y-a-t’il un seul être parmi ceux qui se préparaient à nous juger qui puisse se douter de ce peut être l’objet qui nous a emporté?
– Se doutent-ils de ce qu’ils ont entre les mains? À quel point le moindre de leurs mouvements peut avoir de si grandes conséquences?




Aux confins des horizons, chaque jour, Auguste sent monter en lui les images déformées de son enfance.
Il revoit les grandes roches nues balayées par les vents, derniers obstacles infranchissables de la marée et de la houle puissante des mots de terre et de sang mélangés à l’assaut du cortège des fous, des simples, des illuminés et des errants. Il aime y faire face au couchant et entend encore les promesses qu’il se faisait à lui-même.




Il revoit la tente fragile dans laquelle les insolents fugaces tentent vainement de combattre l’ennui. Aujourd’hui, si longtemps après, il s’étonne de voir encore debout les maigres colonnes de bois qui soutenaient, hier encore, des lambeaux de tissus usés que rien ne distingue des nuages flottant si vivement dans la course du temps.
Il revoit le petit cirque flamboyant dans lequel, autrefois, sa vie fit quelques maigres racines. Il entend à nouveau sa voix flottant en un mouvement harmonieux tout autour de la piste.
Chacun, en accomplissant les mêmes gestes, avait l’impression que les mots sortaient d’eux-mêmes de leur propre bouche. Un vrai bonheur qui lui fait prendre de la hauteur. Repus et content l’homme heureux perd sa colère et tel un oiseau, contemple de haut ce qu’il convoitait de près. Il aime être flatté.
Auguste sait, par métier, dire les choses et “retourner le temps“. Il sait comment, avec patience et doigté, il faut orienter “ce qui est visible“ pour que l’invisible fasse son effet.
C’est ainsi que commence à se reconstituer l’image du puzzle...
Les pièces sont là, dispersées au fond de la mémoire des uns et des autres, mais aussi dans les correspondances entre les corps et les âmes.
Autrement dit, entre la parole et le geste.
À l’écart, un monde s’écoule lentement. Quand les jours sont en nombre suffisant, ils se rassemblent, l’oreille les démange, ils entendent et voient de très loin les essaims de vœux qu’un flot de souveraines pensées flottant
dans l’air rare et précieux de ces hauteurs gonflent de joie. Alors les jours se tournent vers les récits et se disent que tout n’est peut-être pas perdu.
Ils aiment la loi des nombres et la magie des histoires.
– Tout est dans la forme et non dans le fonds ! se disent-ils.
Et pourtant on ne peut vouloir l’une sans l’autre.
L’évolution de nos pensées et, plus encore, la manière dont elles s’expriment, inquiète ou réjouit.
– N’est-ce pas là le grain de folie, presque de génie qui pourrait faire grandir ce qui ne fait que passer?
Quand nous serons en nombre suffisant nous accèderons au titre suprême:
Une finitude, un passage à l’an nouveau.
Les jours disparaissent et font place à l’année.
Meilleurs vœux pour 2015

mercredi 24 décembre 2014

Comme un homme

– Que vous êtes arrogant!
Vous pensez comme si, du fait d'être suspendu et quelquefois de voler,
vous pourriez suspendre le temps.
– D'où le tenez-vous?
– De l'usage immodéré de ces trois points
que vous alignez sans cesse et que vous qualifiez de "suspension".
– Ces suspensions que vous critiquez si vertement sont,
bien souvent, le fruit même et la suspension de vos propres pensées!
– Je suis bien aise d'avoir fait et de faire encore quelque chose qui vous serve,
Auguste, et je vous suis obligé d'en avoir pris en gré.


– Comment en êtes-vous arrivé à une telle conclusion?
– C'est du visage et de la langue d'un autre que je l'apprends !
– Il me semble cependant que, pas plus tard que ce matin, vous me disiez non seulement ne plus savoir qui il est, mais ne plus le voir plus sûrement encore.
– Certes, je ne le vois pas, pas plus que je ne l' entends, mais j'en sais assez pour imaginer.
– De quelle sorte de vérité peut-il dès lors s'agir? Une vérité bien relative... je le crains.
– Justin, je vais vous surprendre, vous avez entièrement raison. Cependant vous me permettrez, à l'aide d'un léger contre-temps, un petit détour de raisonnement, de vous guider à l'endroit même où je me retrouvais alors.
Un autre jour je me posais la même question, et dès l'abord, je ne découvrais rien qui puisse soulager l'ombre qui planait aussi sur mon esprit. Vraiment, pensais-je, l'épreuve est éprouvante pour qui place l'honneur et la droiture au premier plan. Je décidais de mettre en pratique ce qui doit l'être en pareil cas. J'observais dans quelle situation mon corps et mon esprit était alors. La chose est primordiale si l'on considère que le langage du corps reflète pleinement le langage de l'esprit. J'observais alors que ma tête soit "au milieu" des deux jambes, les deux pieds bien posés à plat sur la terre. Le regard portant sur l'horizon sans rigidité excessive, je mis en branle successivement mon bras gauche puis le droit. Les bras restant bien tendus, sans excès, là encore, ils miment une marche un peu contrainte ce qui entraîne, presque automatiquement un mouvement des jambes. L'esprit prend le relais pour un temps: il doit faire en sorte que cette contrainte disparaisse. Ce résultat obtenu est essentiel: c'est la première victoire de l'esprit sur le corps! Le corps marche!
– Vous parlez, je le crains, comme un homme...

Le monde ne contient pas d'images

Auguste et Justin ont laissé une trace
dans le nouveau cirque, né de l'effondrement du leur.
Les miroirs sont légions et quelquefois surprenants.
Ainsi en est-il des deux gardiens qui ont pris place à l'entrée du nouveau cirque.
Deux perroquets répondant, vraiment, au nom d'Auguste et Justin...

– Le monde ne contient pas d'images, il est contenu par les images.

mardi 23 décembre 2014

Au loin, si loin

Au loin, si loin que la moindre odeur n'en revient.

Une profondeur différente en constant développement

Auguste tente, un peu vainement de reconstituer son passé.

– Dans la mesure où, si je vous en parle, je vais tenter de vous raconter de l'intérieur c'est l'occasion pour moi d'écrire une petite part de cette mémoire qui n'en est pas vraiment une puisqu'elle se reformule, se reconstitue, telle qu'elle n'a jamais été.
– Quel impact a-t'elle eu lorsque les événements que vous savez mais qui ne correspondent pas en tous points avec les miens? Ceci n'est qu'une apparence il suffit d'ouvrir le champ de vision, de faire la netteté sur une profondeur différente,  pour s'en rendre compte. Ainsi les plans et les sonorités, se réorganisent, se dépassent, se transforment en constant développement et racontent ce qui, pour certains, n'a pas eu lieu.

lundi 22 décembre 2014


Une mécanique presque céleste

En dépit des apparences, quel que fusse son point de vue, du haut ou du bas,
le bateau sur lequel Auguste et Justin jouaient à "cache-cache"
ne voguait point sur de vastes océans,
mais sur de fausses vagues
dans une vraie tempête.

Une subtile mécanique accompagnée d'une non moins subtile mise en condition accomplissait une merveille. Celle qui provoque la merveilleuse sensation de voyager.
Le bateau d'Auguste était littéralement suspendu à des filins de la même sorte que ceux qui lui servaient pour simuler la conduite de son bateau, sauf que ce n'était pas pour lutter avec des vents contraire, mais pour les stimuler... Ainsi ce que conduisait Auguste n'était pas son bateau mais la tempête.

Le souffle prend la forme des mots

 Le temps se déroule quelquefois de façon bien curieuse.
Auguste et Justin se remémorent...

– Nous allons, vous et moi, non pas créer un nouveau monde, mais redécouvrir, ce qui, de nombreuses fois, a déjà été.
Avez-vous été sensible au fait que je n'aie pas une seule fois utilisé ces trois points que vous n'aimez pas? Avez-vous senti combien, en certaines occasion, la virgule fonctionne aussi comme une suspension.
Un temps , en plein milieu duquel, nous étions sans que la moindre décision fut venue de nous. Car, au début, tout de même, il était un temps d'une grande tendresse. Ce monde au milieu duquel nous avons souffert. Oui, je crois que nous pouvons le dire aujourd'hui. Pourrions-nous le retrouver au dedans de nous et cela par des moyens à la portée de chacun et qui peuvent facilement être exposés. Il est inutile de rappeler les circonstances. Tout le monde sait ce que c'est qu'un cirque. Chacun se souvient combien vous et moi après tant d'autres avons manié le bâton et la bêtise...
Comment allons-nous redécouvrir ce monde enseveli sans pour autant recommencer la même histoire?
À l'intérieur du temps, au dedans de nous, se trouvent gravés d'innombrables petites choses éparses qui ne demandent qu'à être reliées...

dimanche 21 décembre 2014

De mémoire


Comme l’eau coule sous les ponts, Auguste a la prétention "d'écrire ses mémoires".
En l'occurrence il insiste fort justement sur le pluriel.
– J'ai plusieurs mémoires et elles ne communiquent pas toujours les unes avec les autres... 
Le même élément sous des ponts différent tracent des chemins qui se croisent et se recroisent à l'infini. 
Au loin, quelque rumeur croise d'autre rumeurs.
Elles se rassemblent et, sous le pont, passent encore.
Une herbe délicate s'élève au dessus de l'eau.
Elle dodeline de la tête, s'endort  aux rythmes puissants du courant.
Tout change... depuis longtemps tout est changé...

Justin, peu reconnaissable et peu reconnaissant n'est plus, selon les dire d'Auguste, "l'homme qu'il était":
– Ce n'était qu'un rôle...
– Vous êtes arrogant. Vous pensez comme si vous pouviez suspendre le temps.
– D'où tenez-vous cette hypothèse?
– De l'usage immodéré de ces trois points que vous alignez sans cesse et que vous qualifiez de "suspension".
– Ces suspensions que vous critiquez si vertement sont, bien souvent, le fruit même et la suspension de vos propres pensées!
– Je suis bien aise d'avoir fait et de faire encore quelque chose qui vous serve, Auguste, et je vous suis obligé d'en avoir pris en gré.

Mieux vaut se glisser dans l'aimable fêlure


Si proches des frontières inaperçues
qui bordent nos horizons,
Auguste et Justin forcent la toile.
Bien imprudemment...

– Or écoutez, s'il vous plaît... Justin! Vous m'écoutez Justin!
Justin a disparu et le vent s'est levé. Auguste fait silence.  Tout ce qui s'ajuste au cadre doit être maîtrisé, mais le plus grand danger vient de ce qui ne peut se voir... encore...
– Cela viendra tout seul! Mieux vaut se glisser dans l'aimable fêlure que d'en subir les assauts.
Ainsi font les connaisseurs ou ceux qui le deviennent.
– Justin votre disparition est gênante au moment où nous aurions le plus besoin de vous. Cessez de jouer à cache-cache, prêtez-nous une oreille favorable et prenez connaissance de ce qui risque de nous emporter.
– Ce n'est pas cache-cache!
– De quel jeu s'agit-il? Le temps presse.
– Cela me rappelle quelque chose... C'est un, deux, trois soleil!
– Justin, je vous sais gré de votre esprit joueur mais il est temps de vous montrer et préparez vous à affronter les éléments!
– Dites les mots!

Un léger grain s'annonce

“Lorsque l’esprit balance sur quelque doute,
un léger grain l’emporte
dans un sens ou bien dans l’autre.”*

– Que faites-vous là-haut Justin?
– J'observe si on nous observe.
– Vos yeux n'y suffiront pas.
– C'est pour cela que je les couvre et aussi parce que le vent se lève.
– Quand avez-vous décider de tout arrêter?
– Je n'ai pris aucune décision de ce genre...
– Vous en revenez toujours à cette notion d'auteur? N'est-ce pas une légère obsession?
– Ce n'est pas parce que vous vous êtes habitué que cela n'est pas...
– Revenons  en à la question que je vais formuler différemment: quand et comment votre spectacle s'est-il arrêté?
– Vous le savez fort bien...
– Ce pas une réponse... acceptable...
– et pourtant...
– Et pourtant quoi?
– Et pourtant vous le savez fort bien. Le spectacle s'est achevé lorsque je suis mort!
– Mais il me semble que vous et moi sommes en présence l'un de l'autre... et je ne suis point mort!
– "C'est plus compliqué que cela" comme disent les politiques et la violence de la situation n'était pas des moindres.
– Voudriez-vous avoir la gentillesse de revenir à notre niveau ? Je vous en serai reconnaissant, nous ne sommes plus sous un chapiteau!
– Et pourtant... La violence  ne venait pas seulement de l'auteur...
– De qui, de quoi?
– De vous!... aussi...

*Térence, l’Andrienne

Chapiteaux de terre

Auguste et Justin, bien des années plus tard,
se remémorent certains de leurs souvenirs
qu'ils croient communs
et qui le deviennent à leur insu...

– Regardez Auguste, comme chaque jour un ou plusieurs nouveaux chapiteaux de terre émergent des profondeurs! Si vous êtes attentifs, vous pourriez voir comment la terre issue des profondeurs est puissamment propulsée dans le ciel. Vous plairait-il de les voir de près?
– On dit que c'est dangereux...
– Cela vous effraie?

Présence furtive

Auguste et Justin échangent leurs souvenirs.
La formule contient plus de vérité qu'il n'y parait.
C'est un un véritable échange
dans lequel une partie des souvenirs d'Auguste 
passe dans les souvenirs de Justin
et inversement.

– Aviez-vous remarqué, Justin, ce couple furtif qui prenait place dans les loges supérieures sans jamais s'asseoir. L'espace d'un instant, ils étaient là très attentifs à tout ce qui se passait et puis sans que l'on puisse savoir comment ils avaient disparu. Pour ma part, bien dissimulé dans les hauteurs interdites, je les voyais souvent. Ils n'étaient pas les seuls. J'ai toujours l'impression qu'ils sont dans l'ombre et qu'ils observent. Comment ? Vous me demandez s'ils sont nombreux... Non, je ne le crois pas, tout au plus... guère plus d'une vingtaine par jour. La plupart du temps cinq ou six. D'où viennent -ils ? Certains viennent de très loin... De Russie ou des États-Unis. Comment? ...oui c'est surprenant... mais aussi de Suisse, de France et d'Allemagne... Comment je le sais? Je ne saurais pas vous le dire. Si c'est l'effet de mon imagination? Certes elle y prend part, mais pas seulement... Il arrivait qu'ils soient aussi là lorsque tout le monde dormait et que pour ma part je tentais encore d'approcher ce qui par la suite m'était apparu sous la forme de Rosa. J'avais l'étrange sensation, bien que cela fut impossible... à mes sens, j'avais l'impression très forte qu'ils étaient au courant de ma présence.
J'avais fini par m'habituer à cette présence distante. Je me demandais ce qui pouvait les intéresser..
Il est probable que je ne le saurai jamais... Si je le regrette? Je ne crois pas que cela puisse se dire de cette façon...

samedi 20 décembre 2014

Messagères


"Sur une espèce de pointe sur la mer", Auguste ferme les yeux.

– Regardez Justin, juste devant vous, comme les vagues sont messagères.
Il n'y avait plus un souffle d'air et les vagues continuaient d'avancer.
Auguste, souriant:
– Il en est ainsi de nos pensées... il se pourrait d'ailleurs que ce soit le seul moment où elles commencent d'être nôtres.

Plusieurs temps

Plusieurs temps seraient à l’œuvre.

Pendant l'un d'eux, Auguste et Justin voyagent. Dans un autre tout y est étrangement rouge.
– Regardez Justin comme au loin tout est rougeâtre. Un feu s'y consume que peut-être nous rejoignons.
– Regardez comme il nous y invite. Que de joyeuse flammes y dansent...
– Leur joie sera la nôtre. Pensez-y bien fort et si cela s'avère suffisant peut être que...

Suffisamment domestiqué pour vivre sans entraves

–   N'est-ce rien que ce rien qui nous délivre de tout ? *


Il m’arrive de penser aux temps anciens où je rêvais à “quand je serais grand”. Et quand, enfin, je le serais, ce ne sera, sans doutes, que pour mieux voir à quel point ce que je croyais être si grand, en quelque vérité, pouvait être si petit.
Un monde nouveau s’ouvrait à lui qu’il n’avait jamais soupçonné. Bien avant que les mots se mettent à raisonner, les gestes se font et se défont sans la moindre gêne.
Et puis un jour, tout naturellement le dialogue s’engage :
– Il faudrait que tu te souviennes qu’avant d’être ce que tu crois être, tu as été un enfant... pendant longtemps.
Auguste se demande ce qui peut se tramer sous ses yeux qui puisse justifier sa présence. 

Le soulier de satin, Claudel

La porte s'entrouvre à peine

Quand, la plupart du temps involontairement,
son cerveau se met en marche, lui aussi,
c’est afin d’éviter l’explosion.
Et même, plus certainement, l’implosion.
– N'est-ce pas là volcan sublime !
– Dans l'instant que nous osons à peine regarder dès lors qu’il s’agit de distinguer le juste de l’injuste... nos yeux se ferment là où la porte s'entrouvre à peine sur ce qu'il faut connaître de vrai pour congédier ce qui n'est que pouvoir et bouffon.  Ce que tu appelles volcan n'est que vulgaire taupinière !
– Un peu de poussière et ce qui devait être évident prend des proportions qui nous troublent. Tout y est semblable à ce que vous connaissez déjà et pourtant tout vous apparait comme étant nouveau.
Quel mensonge choisir pour être heureux...
Enfant du marais et des eaux troubles... enfant du rêve.