vendredi 31 mars 2006

Au bord


Il devait avoir dix ou onze ans. Assis au bord du lac, il regardait le ciel aveuglant. Un petit nuage blanc nage.
-Je peux regarder le ciel sans lever la tête !
Le nuage grandit s’éparpille en mille moutons chevauchants des vagues légères. Le miroir s’est fâché faisant apparaître un gros nuage noir et des vagues sévères. Pour un seul regard, le ciel entier se déverse sur terre. L’enfant ne comprend pas cette colère. Son maigre filet de voix se casse contre les cailloux, plonge dans les gorges abruptes. La voix bouillonnante tombe au plus profond, s’obscurcit, se dédouble et noircit comme l’ombre qui l’entoure. Un bruissement de feuilles mortes le ramène à la rive.

Le Roy Orky, extrait
Daniel Will

jeudi 30 mars 2006

Conseils pratiques pour petits et grands


c'est bientôt le premier avril
petits et grands poissons voici trois conseils à suivre absolument si vous voulez être surpris par l'effet de vos plaisanteries
le premier est de ne pas mettre de ponctuation comme dans l'exemple suivant
à vos gags (ici pas de ponctuation) idiots !
le deuxième est
rappelez vous que la vie n'est pas à sens unique il y a des hauts et des bas
et enfin le troisième déroutant du deuxième est
que tout piège peut un jour de refermer sur vous telle l'eau trouble autour du filet d'un pauvre pêcheur
en d'autres termes que vous pourrez sans l'ombre d'un doute vous faire mettre en boîte de nuit ou de jour

mercredi 29 mars 2006

Entre-deux


Il est des jours où mon coeur balance d'un monde à l'autre...
Le lendemain tout s'inverse...

mardi 28 mars 2006

Je ne suis là que par hasard


...Pour pouvoir être rangé dans la catégorie des phénomènes susceptibles d'une pareille explication, un acte manqué doit satisfaire aux conditions suivantes :
a)...
b)...
c) Alors même que nous nous rendons compte que nous accomplissons ou avons accompli un acte manqué, celui-ci ne sera bien caractérisé que si les motifs qui nous l'ont dicté nous échappent et si nous cherchons à l'expliquer par le « hasard » ou l' « inattention ».

Extrait de la "Psychopathologie de la vie quotidienne"
Sigmund Freud

lundi 27 mars 2006

A l'ombre de mes terres


...Après avoir traversé les terres du haut et les terres du bas, notre homme blessé et désespéré, prend, sans le savoir, le chemin du retour. Sur sa route une femme, complètement dénudée se montre gaillardement. De son ventre apparaît l’image hilare d’un fou aux deux visages :
-Je sais le passé, et je peux te dire l’avenir…
Notre homme sourit. Empruntant le chemin de la flèche, une petite lumière éclaire les brumes de son cerveau...

dimanche 26 mars 2006

Réalité


Il est aisé de voir les effets malfaisants du pouvoir; beaucoup plus difficile est de reconnaître les conséquences paradoxales engendrées par la négation de l'existence du pouvoir.

Paul Watzlawick
La réalité de la réalité, Points

samedi 25 mars 2006

Le zen n'est pas toujours de tout repos


J'ai un doute. Penser que je ne vais plus penser à lui sera encore penser à lui. Laissez-moi par conséquent essayer de ne pas penser que je ne vais plus penser à lui. Mais je vous l'ai dit, j'ai un doute...

Primavera


Dans le froid silence qui précède l'aube, le Grand Héliophante marche en silence. Il tend l'oreille. Il guette depuis si longtemps le chant léger du printemps.
-Certes, je l'entend dans le lointain, mais c'est en moi-même que je veux l'entendre chanter...

La balade du Grand Héliophante

vendredi 24 mars 2006

Point d'interrogation ?


Le point d'interrogation serait une figure symbolique complexe. Le mouvement qui le trace imiterait une trajectoire circulaire qui, subitement, refuserait la fermeture du cercle, s'échappant ainsi de son destin tracé, se dirigeant vers un autre monde, symbolisé par le point. Ce point n'a ni longueur, ni largeur, nous ne pouvons savoir s'il existe réellement... Point d'interrogation ?
L'âne est-il un penseur ?

mercredi 22 mars 2006

Va et viens


... Ayant en lui tout ce qu'il faut pour produire soi-même, il était capable, par ses idées riantes, sa sympathie aimable et son courage désintéressé, de rafraîchir des imaginations attristées, que la commande brutale ou la demande absurde de l'exploiteur achève de paralyser.
Si l'artiste avait une invention à émettre, une fantaisie à réaliser, il se chargeait d'en fournir le texte, d'en faire accepter l'originalité, et, réciproquement, il courait de l'écrivain au dessinateur pour que l'un sût ou voulût élever son imagination au niveau de celle de l'autre.

Tiré d'une préface de Georges Sand destinée à l'ouvrage de P.J. Stahl : Bêtes & Gens

mardi 21 mars 2006

Au lecteur


C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent, plus altière et plus vive, la connaissance qu'ils ont eue de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc ; de Montaigne, ce premier de mars mil cinq cent quatre vingts.

Montaigne
Essais

vendredi 17 mars 2006

Voyage en romancie


Je reprends donc la suite de mon récit:
"À peine fus-je arrivé à la sortie du chemin souterrain, que jettant les yeux sur la vaste campagne qui s' offroit à mes regards, je fus frappé d' un étonnement que je ne puis mieux comparer qu' à l' admiration où seroit un aveugle né qui ouvriroit les yeux pour la premiere fois : cette comparaison est d' autant plus juste, que tous les objets me parurent nouveaux, et tels que je n'avois rien vû de semblable".

Guillaume Hyacinthe Bougeant,
Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie

jeudi 16 mars 2006

Le roi des montagnes


...Le roi me lança un regard suppliant : pauvre homme ! Je contai à mes amis que j' avais tenté une évasion périlleuse, et que mes pieds s' en étaient mal trouvés. Nous descendîmes lentement les sentiers de la montagne les cris des blessés et la voix
des bandits qui délibéraient sur place, nous poursuivirent à un demi-quart de lieue. à mesure que nous approchions du village, le temps se remettait, les chemins séchaient sous nos pas. Le premier rayon du soleil me parut bien beau. Hadgi-Stavros prêtait peu d' attention au monde extérieur : il regardait en lui-même.

Le roi des montagnes
Edmond About

mercredi 15 mars 2006

Les philosophes


Socrate : «Il semble bien que le vulgaire ne se doute pas qu'en s'occupant de philosophie comme il convient, on ne fait pas autre chose que de rechercher la mort et l'état qui la suit. S'il en est ainsi, tu reconnaîtras qu'il serait absurde de ne poursuivre durant toute sa vie d'autre but que celui-là et, quand la mort se présente, de se rebeller contre une chose qu'on poursuivait et pratiquait depuis si longtemps»

mardi 14 mars 2006

Dialogue


.. et, quand elle eut fini, s'enveloppa dans un manteau de grossière toile bleue. Un bleu sombre, comme un lambeau arraché au ciel qui avec le temps, aurait perdu tout souvenir de ses origines. Plongée dans ses pensées, elle resta longtemps debout devant le poêle éteint.
- Tu viens d'un autre pays ? demanda-t-elle comme si elle s'en rappelait brusquement.
- Oui.
- C'était comment là-bas ?
- Je ne me rappelle rien.
Je suis désolé mais je n'en ai plus un seul souvenir. On dirait que, quand on m'a enlevé mon ombre,
les souvenirs de l'ancien monde sont partis avec elle. Je ne sais pas pour où, mais en tout cas c'est sûrement loin.
- Pourtant tu sais certaines choses à propos du coeur, toi...

Haruki Murakami
La fin des temps

lundi 13 mars 2006

Pendant ce temps


- Et comment je suis arrivé ici, ça non plus, je ne le comprends pas très bien, dis-je. En regardant fixement le plafond, il me semblait voir des particules de lumière jaune électrique s'enfler et se contracter tour à tour. Sans doute était-ce la faute de mes pupilles blessées. Le gardien m'avait fait cela pour me donner des yeux permettant de voir des choses particulières. Au mur, l'énorme vieille pendule découpait lentement le temps, sans un bruit.

Haruki Murakami
La fin des temps

dimanche 12 mars 2006

Acte manqué


...On procède tout autrement, lorsqu'on soumet un névrotique au traitement psychanalytique. Nous le mettons alors au courant des difficultés de la méthode, de sa durée, des efforts et des sacrifices qu'elle exige ; et quant au résultat, nous lui disons que nous ne pouvons rien promettre, qu'il dépendra de la manière dont se comportera le malade lui- même, de son intelligence, de son obéissance, de sa patience. Il va sans dire que de bonnes raisons, dont vous saisirez peut-être l'importance plus tard, nous dictent cette conduite inaccoutumée.

Sigmund FREUD
"INTRODUCTION À LA PSYCHANALYSE "

samedi 11 mars 2006

...pour un long voyage.


Après avoir attendu trois ans, et espéré en vain que mes affaires iraient mieux, j’acceptai un parti avantageux qui me fut proposé par le capitaine Guillaume Prichard, prêt à monter l’Antilope et à partir pour la mer du Sud. Nous nous embarquâmes à Bristol, le 4 de mai 1699, et notre voyage fut d’abord très heureux...

vendredi 10 mars 2006

Mauvaise nouvelle


Quant au troisième message, il se rapportait à une simple erreur qui pouvait être corrigée en deux minutes. Il n'y avait pas très longtemps, c'était au mois de février, le ministère de l'Abondance avait publié la promesse (en termes officiels: l'engagement catégorique) de ne pas réduire la ration de chocolat durant l'année. La ration, comme le savait Winston, devait être réduite de trente à vingt grammes à partir de la fin de la semaine. Tout ce qu'il y avait à faire, c'était de substituer à la promesse primitive l'avis qu'il serait probablement nécessaire de réduire la ration de chocolat dans le courant du mois d'avril.

"1984"
Georges Orwell

jeudi 9 mars 2006

Le voyageur et le prisonnier


Le voyageur, en revanche, était très inquiet ; la machine était manifestement en train de se désagréger ; sa marche tranquille était une illusion ; il eut le sentiment de devoir maintenant prendre en charge l’officier, qui ne pouvait plus veiller sur lui-même. Mais pendant que la chute des roues dentées avait retenu toute son attention, il avait négligé de surveiller le reste de la machine; or, quand la dernière roue dentée eut quitté la traceuse et qu’il se pencha sur la herse, il eut alors une nouvelle surprise, encore plus fâcheuse. La herse n’écrivait pas, elle ne faisait que piquer, et le lit ne faisait pas rouler le corps, il le sou-
levait seulement en vibrant et en l’enfonçant dans les aiguilles.

"Dans la colonie pénitenciaire"
Frank Kafka

mercredi 8 mars 2006

Regard


Son regard saisit un instant celui d'O'Brien. O'Brien s'était levé. Il avait enlevé ses lunettes, de son geste caractéristique, il les rajustait sur son nez. Mais il y eut une fraction de seconde pendant laquelle leurs yeux se rencontrèrent, et dans ce laps de temps Winston sut - il en eut l'absolue certitude - qu'O'Brien pensait la même chose que lui. Un message clair avait passé. C'était comme si leurs deux esprits s'étaient ouverts et que leurs pensées avaient coulé de l'un à l'autre par leurs yeux. « Je suis avec vous » semblait lui dire O'Brien. « Je sais exactement ce que vous ressentez. Je connais votre mépris, votre haine, votre dégoût. Mais ne vous en faites pas, je suis avec vous ». L'éclair de compréhension s'était alors éteint et le visage d'O'Brien était devenu aussi indéchiffrable que celui des autres.
C'était tout, et Winston doutait déjà que cela se fût passé. De tels incidents n'avaient jamais aucune suite. Leur seul effet était de garder vivace en lui la croyance, l'espoir, que d'autres que lui étaient les ennemis du Parti.

Georges Orwell
"1984"

mardi 7 mars 2006

Érasme
















C'était sans doute cela, sa principale caractéristique : un poids exact de pertinence, ni trop ni trop peu. Avec cependant ce qu'il fallait d'incongru pour pimenter le plat. C'est pourquoi, je le répète, son visage ingrat était ennobli par un air réfléchi et par le perçant de son regard outremer. J'aimais aussi ses mains maigres et fragiles...
J'ai du mérite à écrire ce dithyrambe aujourd'hui. Mais, pour l'intelligence de ce qui va suivre, il faut que je m'efforce, parfois en serrant les dents, de me projeter à nouveau dans la grande chambre de Torresani, face à Erasme. Et de poursuivre la description non pas de l'homme tel qu'il était, mais tel que, jeune homme ébloui, je le voyais. Même s'il aimait à dire qu'il n'écrivait pas, mais qu'il « déversait », son style spontané était simple et fluide, comme lavé par une eau lustrale qui l'aurait nettoyé de toute afféterie comme de toute lourdeur professorale.
...
Cela étant, lorsqu'il parlait de ses écrits, de leur conception comme de leur rédaction, c'était toujours la même métaphore qui revenait, celle d'une grossesse suivie d'un accouchement : « Ou je conçois, ou j'accouche, ou je suis en gésine ! » précisait-il.
Il est vrai que c'est la même image qui lui venait à l'esprit quand il évoquait ses fréquentes diarrhées, « Je restai sans force après cette parturition » -, ce qui n'était pas vraiment flatteur pour ses ouvrages.

Le manuscrit de la Giudecca
Yvon Toussaint

lundi 6 mars 2006

Maintenant














LE DIRECTEUR - Soit! Mais c'est moi que vous questionnez, moi qui suis le directeur! le metteur en scène! Avez-vous compris?
LE PÈRE, presque en sourdine, avec une humilité mielleuse. - C'était simplement pour savoir, monsieur, si tel que vous êtes maintenant, vous vous voyez... pareil à travers les années, à celui que vous étiez autrefois, avec toutes les illusions que vous nourrissiez alors, avec, en vous et autour de vous, la même façon de voir les choses comme vous les voyiez alors - et comme elles étaient réellement en ce temps-là... Eh bien! monsieur, en repensant à ces illusions que vous ne vous faites plus aujourd'hui, à toutes ces choses qui ne vous « semblent » plus aujourd'hui ce qu'elles « étaient » autrefois, ne sentez-vous pas, non seulement les planches de cette scène, mais la terre, la terre vous manquer sous les pieds, ne vous rendez vous pas compte que « celui » que vous vous sentez en ce moment, - toute votre réalité d'aujourd'hui est destinée demain à ne vous paraître qu'une illusion ?

Pirandello
Six personnages en quête d'auteur

dimanche 5 mars 2006

Au-delà du ciel















...
IAGO. - Vos portes sont-elles fermées ?
BRABANTIO. - Pourquoi ? Dans quel but me demandez-vous cela ?
IAGO. - Sang-dieu ! monsieur, vous êtes Volé. Au nom de la pudeur, passez votre robe ! Votre coeur est déchiré : vous avez perdu la moitié de votre âme ! Juste en ce moment, en ce moment même, un vieux bélier noir est en train de couvrir votre blanche brebis. Levez-vous ! Levez-vous ! Eveillez à son de cloche les citoyens en train de ronfler, ou autrement, le diable va faire de vous un grand-père.
William Shakespeare
Othello

samedi 4 mars 2006

Incantation















-Pardonne à celui qui m'a créé, je ne suis qu'à son image: imparfait!

vendredi 3 mars 2006

Jeu

















Le meilleur joueur est celui qui observe le jeu...

jeudi 2 mars 2006

La lumière du soleil


La lumière du soleil sera la preuve de l'existence du soleil...

mercredi 1 mars 2006

Leçon No 8



Avant d'apprendre à plonger, apprendre à nager.

Mauvaise langue













...
Ce n'est pas pour rien qu'on dit qu'un mauvais cheval est moins dangereux qu'une mauvaise langue! » Maman avait l'esprit belliqueux et, en matière de proverbes, elle n'était pas en reste. Ainsi en a-t-elle cité un autre: « Les chiens n'aiment pas vous voir un bâton à la main, les hommes n'aiment pas vous entendre la vérité à la bouche! » Grand-mère a toussoté, ce qui signifiait qu'elle aussi voulait dire quelque chose. On a attendu, et la dispute qui commençait s'est interrompue. Grand-mère
a pris son temps et dit: « La soie est une chose précieuse, mais qu'adviendrait-il si, pour faire une bonne serpillière, on prenait de la soie?» Il fallait souvent chercher le sens des paroles de grand-mère. Cela semblait être justement le cas. Mes parents se sont tus pour réfléchir. La discussion est retombée, on a perdu le fil, le débat était clos.

Ciel bleu
Galsan Tschinag
suites Métailié