mercredi 31 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (304)


De loin ou de près, il était très difficile de comprendre ce qu'elle disait et plus généralement ce qui se passait. Non seulement elle râlait ou chantait plus qu'elle ne parlait mais aussi, il était plus difficile encore d'interpréter sans que cette interprétation et ses conséquence pratiques ne fussent mal interprétées à leurs tours...

mardi 30 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (303)


Après que l'éruption ait eu lieu. Il recueillait le corps inanimé de Sibylle. Alors commençait sa tâche la plus ardue. Veillez et assister sa dame sans la réveiller. Il lui fallait rester attentif au moindre son, à la moindre parole, toute désarticulée qu'elle puisse être. Il devait aussi être capable de l'interpréter, tout en faisant son devoir qui était de combler le moindre souhait de sa belle. Voilà qui lui demandait une vaillante et héroïque ardeur dont il il s'acquittait avec les honneurs. De plus il jouissait avec bonheur des joies et de la satisfaction du travail bien fait.

La très véridique histoire du colonel Ortho (302)


Socrate porte sa bien-aimée jusqu'au sommet. Il se sent l'âme du héros et d'un poète :
- Au plus profond de l'antre, une sombre forêt brûle, désertée des bêtes et des hommes. Le silence lui-même semble s'y embraser et laisser place à l'indicible chaos des profondeurs. Ensemble, relevons-nous, tendons nos mains vers le ciel et les profondeurs et donnons à voir ce qui doit être vu !
Ils ouvrent les paupières, mais restent aveugles. Tremblants, l'une en haut et l'autre en bas, se sentant attirés, ils ouvrent les lèvres, qui restent muettes.

lundi 29 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (301)


- Par soi-même, ce que nous faisons en effet n'est ni beau, ni mauvais. Ce que nous faisons maintenant, danser, chanter, parler, rien de tout cela n'est beau en soi, mais peut le devenir, selon la manière dont on le fait...

dimanche 28 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (300)


Si c'est là ce qu'il prétend, j'avoue que je suis un peu surprise, je comprend l'intention mais pas la manière; car, encore une fois, ils n'a pas dit un seul mot de vrai; et vous allez apprendre de moi la vérité toute nue, Socrate mon bien-aimé, tu as eu l'intelligence de me bien comprendre, non point, par Jupiter, dans un discours orné de sentences brillantes et de termes choisis, comme sont les discours de mes adorateurs, mais dans un langage simple et spontané; car j'ai cette confiance que je dis la vérité, et aucun de vous ne doit s'attendre à autre chose de moi. Il ne me semblerait pas convenable de venir devant vous, nue comme un nouveau-né, sans avoir de quoi vous contenter. C'est pourquoi la seule grâce que je vous demande, c'est que lorsque dans ma transe j'emploierai les termes et les manières les plus ordinaires dont j'ai accoutumé de me servir, toutes les fois que je m'entretiendrais avec vous, il faudra que vous me preniez bien fort contre vous et que vous écoutiez à l'unisson de mon corps, le chant des oracles.

La très véridique histoire du colonel Ortho (299)


Sibylle se réveille.
- Viens par ici, Socrate, plus près de moi, afin qu'en me touchant tu me communiques les sages pensées qui te sont venues en me voyant; car je tiens pour certain que tu as trouvé ce que tu désirais, sans quoi tu ne serais pas revenu vers moi.»
Alors je me suis assis près d'elle et lui dit:
« Il serait à souhaiter, Sibylle, que la sagesse fût quelque chose qui pût couler d'une femme qui en est pleine dans un homme qui en est vide par l'effet d'un contact mutuel, comme l'eau passe, par l'intermédiaire de l'éponge, de la coupe pleine dans la coupe vide. S'il en est ainsi de la sagesse, je ne saurais trop priser la faveur de m'allonger à tes côtés et de croître en tous sens; car je me flatte que ton généreuse, ton abondante sagesse va passer de toi en moi et me remplir, que je puisse te remplir à mon tour; car pour la mienne, autrefois défaillante et semblable à un rêve s'est réveillée à la vue de tes visions. Après avoir reçu de ta jeunesse le cadeau et jeté tant de lumière, mon coeur et mon corps se réveillent devant ce que tu me révèle avec tant d'éclat...
- Encore et toujours le pouvoir de l'éloquence, aboya Platon.
- C'est calomnies, répondit Socrate et cela me surprend, c'est lui qui t'a averti de te bien tenir sur tes gardes. Garde-toi de lui qui sait si bien apparaître et mieux encore disparaître !
- De qui parles-tu ?
- De celui qui ne peut être séduit. Du maître de l'illusion qui pour n'étre pas séduit se pare des épais et mouvants rideaux du mensonge. Car de n'avoir pas craint la honte du démenti que je vais lui donner tout à l'heure, en lui faisant voir que je ne suis point du tout éloquent, ni impuissant, voilà le comble de l'impudence, à moins qu'il n'appelle éloquent celui qui ne fait que refléter la vérité.

La très véridique histoire du colonel Ortho (298)


"Je vois aussi un prisonnier blessé..."
J'étais aveuglé et alerté de tant de clarté, son corps se soulevait en d'incessantes cambrures indécentes. Je ne voyais que le lien nécessaire entre la littéraire beauté de ses mots et le corps alangui qui me réclamait secours... Je me penchais vers elle, lorsque tu es arrivé férocement...

La très véridique histoire du colonel Ortho (297)


Elle parlait de soldats qui l'encerclaient. J'avais cru qu'elle parlait de mes mains qui, je le croyais, montaient à l'assaut de la citadelle...
- Laisse tes mains tranquilles et raconte ce qu'elle a dit et non ce que tu voulais entendre !
"Je vois une armée de pantins qui a envahi les îles alentours. Ils nous observent et n'attendent que l'ordre de leur monarque pour attaquer."
Telle avait été très exactement ce qu'elle avait dit.

La très véridique histoire du colonel Ortho (296)


Quand la taille des deux protagonistes fut revenue à des dimensions acceptables, ils se mirent à parler.
- Que t'a-t-elle dit au juste ?
Je lui répondis que je n'avais pas tout compris, que c'était là, certainement une des causes de mon emportement...
- Ce n'est pas ce qui nous intéresse ! coupa mon chien qui s'étirait.
Le contraste entre cette clarté d'esprit et sa nonchalante décontraction me fascinait.
- Ce qui compte ce sont les faits....
Je rougis d'autant plus que la part de honte et la part de plaisir y contribuaient à parts égales...
- Rappelle-toi sans réfléchir à ce tu as fait, tout ce qu'elle a dit peut avoir de l'importance !
Son exigence porta ses fruits. Je me rappelais ...

samedi 27 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (295)


L'intervention courageuse et surprenante, ainsi que la métamorphose saisissante de Platon la sauva des ultimes outrages. Il en fut de même pour son secret statut.
- Espèce de .... Te rends-tu comptes de ce que tu allais faire ?

La très véridique histoire du colonel Ortho (294)


Il fallait aller sur l'île. Monter sur le trône. Faire face à sa mine morose et la soigner pour que Sibylle, à nouveau belle, puisse à nouveau nous illuminer. Et puis. nous n'y avions pas pris garde tout de suite, mais elle parlait. Enfin...elle murmurait. Difficile, sans se pencher tout près et de tendre l'oreille, de comprendre ce qu'elle disait...
Tout son corps palpitait, son coeur roulait comme un tambour fou. Envoûtant... Une larme, la tentation de consoler... Difficile de résister...

La très véridique histoire du colonel Ortho (293)


C'était toujours dans des transports frénétiques, visibles loin à la ronde qu'elle avait ses visions; elle commençait par murmurer, puis chantait de plus en plus intensément pour finir par hurler frénétiquement, comme possédée par un dieu. L'image projetée, elle tombait dans une sorte d'alanguissement moribond qui durait parfois plus d'un mois, ce qui ne nous arrangeait guère.
- Souvent, dit Platon, une mort prompte peut être préférable à une vie sans valeurs et sans amour...

La très véridique histoire du colonel Ortho (292)


Il faut dire que Platon est un creuseur redoutable. Il n'en est pas à son coup d'essai. Escaladant gaillardement un piton d'une île voisine, îles que le duo explore sans répit, il avait creusé, à même la roche et à griffes nues, une sorte de vasque dans la roche qui se mit à fumer. Il ne fallut pas longtemps jusqu'à ce que notre princesse délaissée vint y poser ses fesses. De là-haut, le paysage lui plu.
- J'y vois ce que vous ne pouvez voir, dit-elle dans l'indifférence générale...

La très véridique histoire du colonel Ortho (291)


Socrate, dont l'intention première était d'apprendre à écrire à Platon, et ainsi, par la même occasion, d'apprendre par lui-même, s'était évertué à tracer, du mieux qu'il pouvait, un magnifique point d'interrogation sur le sable. Il saisit très vite que cela ne se passerait pas selon ses prévisions et qu'il ne pouvait espérer la réponse qu'il désirait.
- C'est aussi bien comme cela. Que chacun agisse selon sa nature !
Et Platon creusait...creusait...creusait sans relâche...

La très véridique histoire du colonel Ortho (290)


Ce qui fit que la relation entre Socrate et Platon démarra sous de bien belles augures était que Platon, à l’instar des individus de son espèce, n’était en rien gêné, ni par l’apparence, ni par l’odeur de qui que ce soit. Bien au contraire est-on tenté d’ajouter. Ainsi les moeurs un peu rugueuses et littéralement "mal polies" de Socrate ne le gênaient nullement. Il y voyait une sorte d'exemple suprême.
- Ce sera mon modèle ! avait-il pensé, en lui reniflant le...
Platon avait bien observé Socrate grattant le sol. Il avait bien hésité avant d'interpréter de qu'il faisait. Il avait longuement hésité entre faire pipi ou se mettre à creuser une galerie. Or, justement il avait l'humeur plus joueuse que pissotière. Il se mis à creuser "furiosamente".

La très véridique histoire du colonel Ortho (289)


La venue de Platon changea complètement la situation et les relations sur l'île. Pour commencer, l'enthousiasme dont il faisait preuve à tous moments incita Socrate à dialoguer avec lui plutôt qu'avec la mer, finalement assez distante et grossière. Il se mit en devoir d'éduquer Platon. Le meilleur des moyens est d'utiliser son aptitude à copier. Il se mit à son niveau, ce qui lui plut beaucoup, et se mit à gratter le sol...

La très véridique histoire du colonel Ortho (288)


Socrate aimait parler avec la mer. Il savait que l'écoute n'était pas son fort. Cela l'obligeait à condenser sa pensée. Et puis il avait fait l'effort de l'écouter. Sous ses grondements où son apathie passagère, elle savait porter des quantités considérables de pensées profondes. Le dialogue ne dépend pas d'elle, mais de moi...

Hautes destinées (42)


Nous n'eûmes aucune difficulté à nous retrouver. Le feu s'était rallumé de lui-même. C'est Aris qui prit l'initiative du dialogue.
- Que s'est-il exactement passé ? me demanda-t-il d'une voix posée, déchargée de toute émotion.

Hautes destinées (41)


Je pris ma décision très vite. Sans réfléchir. Je ne voulais pas mourir. Rien ne ne me retenait plus sur cet arbre que la mort.

vendredi 26 janvier 2007

Hautes destinées (40)


- Nous sommes quitte, maintenant, me dit calmement mon sauveur. Désormais, j'aurais à le regarder différemment...

Hautes destinées (39)


Quand j'arrivais enfin à me détacher, je le regrettais immédiatement. Plus rien ne me retenait en ce monde...

Hautes destinées (38)


La danse s'intensifia tant que j'en eu mal au coeur. Les couleurs se mirent à pâlir. Une acidité épouvantable me remonta dans la gorge... en même temps que l'arbre, auquel j'étais attaché, s'enfonçait dans l'abîme.

Hautes destinées (37)


Je me sentais bien. Mon esprit s'était fait léger. J'oubliais complètement où j'étais. Je fermais les yeux à moitié, jouant avec la lumière. Le soleil s'était dédoublé sans que ma raison ne m'alarme, bien au contraire. Un des soleils projetait une ombre qui m'attirait sans que je puisse y résister. Il suffisait que je lève le pied pour que l'ordre du monde se mit à danser.

Hautes destinées (36)


- J'ai été envoyé en ambassadeur. Je suis chargé d'étudier la possibilité d'une rencontre entre notre peuple et le vôtre. Depuis longtemps je cheminais en ce sens, vous observant de loin. Désespéré devant tant d'horreurs de la part d'un peuple qui se dit civilisé, je m'apprêtais à retourner chez moi, quand je vous vis.
Une douce léthargie s'était emparée de moi. Était-ce l'effet du discours, légèrement flatteur, ou les résidus de cette odeur si subtile que la feuille avait dégagé ? Je ne saurais le dire, mais peu à peu je m'enfonçais...

Hautes destinées (35)


Je ne fus guère surpris quand il se mis à parler.
- Je ne suis qu'une âne sauvage, dit-il, un soupçon de tristesse dans la voix. Nous ne sommes guère nombreux et si rien ne change, dans peu de temps, nous disparaîtrons...

Hautes destinées (34)


J'avais sauvé la vie de mon compagnon, cela nous rapprocha considérablement. Jusqu'ici, je me rendais bien compte qu'il ne m'avait suivi que par intérêt pour ce petit être qui lui ressemblait tant. Il me regardait d'un autre oeil. J'avais le curieux sentiment d'exister autrement et que de ce fait tout pouvait changer.

jeudi 25 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (287)


Les aboiements furent aussitôt suivi par une petite boule de poils nullement complexée face à la masse imposante de Socrate. Celui-ci, loin de s'attendre à cette arrivée intempestive, pris au dépourvu, se retrouva vite sur le cul, puis sur le dos.
- Cette bestiole me plaît, se dit-il à haute voix, oubliant que le vent emporte, on ne sait où, ces paroles légères...

La très véridique histoire du colonel Ortho (286)


Selon que le vent l'entraînait dans une direction ou une autre, sa propre voix lui revenait plus ou moins tôt ou tard. Il arrivait le plus souvent qu'elle se perdit dans l'immensité. Et puis, il lui revenait des voix qu'il ne pouvait reconnaître comme étant la sienne. Quelqu'un, peut-être, sur une autre île, perdait sa voix, qu'il entendait, lui. Ainsi son discours gagnait en diversité. Mais un jour, au lieu de sa voix, il entendit aboyer...

La très véridique histoire du colonel Ortho (285)


La vie sur l'île pourrait, pour un esprit pressé et exigeant, sembler lointaine, répétitive et monotone. Il n'en était rien. Le temps passait à une vitesse faramineuse. Personne n'était à l'abri d'une surprise déstabilisante. Ainsi Socrate aimait à se promener sur la plage. Il aimait parler, écouter le vent s'engouffrer dans ses oreilles, réveillant aux passage d'anciens discours qu'il pouvait dans un moment de recul et de paix profonde, remanier et dire à nouveau. Il parlait à la mer, et selon la direction du vent, elle lui répondait de manières très diverses. Il en regrettait de ne pas savoir écrire...

Hautes destinées (33)


Aris était beaucoup trop jeune et trop grand pour s'aventurer sans danger sur une si fine branche. Mais il ne semblait pas conscient du danger. Il ne restait plus qu'une seule de ces feuilles qui les rendaient fous. Lorsque que la branche cassa, je l'attrapais par la queue, le sauvant ainsi d'une mort certaine, il me lança un regard, chargé de surprise, de peur et de colère, dont je me souviendrais toute ma vie. Nous n'eûmes pas le temps de faire attention à la disparition de l'âne arboricole. Aujourd'hui, j'en connais mieux la signification.

mercredi 24 janvier 2007

Hautes destinées (32)


Il me fut impossible de les retenir. L'attrait irrésistible de cette odeur nous fascinait. Le seul à y arriver, parce que le plus léger, fut l'âne arboricole. Nous nous étions mis dans une situation bien périlleuse...

Hautes destinées (31)


Sans que nous ne fassions rien d'autre que d'écouter l'histoire assez prodigieuse de ce petit être si surprenant, le ciel s'est dégagé en même temps qu'une subtile odeur est montée à nos narines et naseaux. J'avais peine à retenir mes deux compères, irrésistiblement attirés par ces feuilles que nous voyions grandir à vue d'oeil.

Hautes destinées (30)


Pendant que ce petit âne me parlait...
- Pendant que ce petit âne "nous" parlait! m'interrompit, gentiment mais fermement, l'âne sauvage que j'avais oublié.
Autour de nous, sans que nous ne nous en apercevions, tout avait changé. Nous étions entourés d'arbres. Comme si nous étions dans une forêt... Cela me paraissait impossible... Il y a peu, j'étais devant une jeune pousse au bord d'une falaise quasi désertique où rien ne pousse. Je parlais avec deux ânes et je ne dormais pas!

Hautes destinées (29)


Je me levais et m'ébrouais, tout surpris de constater combien j'étais à l'aise dans cet endroit qu'il me semblait connaître depuis toujours. Par une sorte de synchronisme, des feuilles se mirent à pousser au bout des branches, qui, tout comme moi,se mirent à frémir...

Hautes destinées (28)


Il se mit à parler, ce qui ne nous étonna pas outre mesure, c'est cela qui, avec le recul, aurait du nous surprendre.
- Je me souviens parfaitement de l'instant précédent ma naissance. J'étais dans une zone obscure, une sorte de tunnel très touffu fait de branches entrelacées. D'immenses boules de lumière semblaient entrer et sortir. Je rencontrais alors la forme qui me serait attribuée. Elle dormait paisiblement sur la branche principale qui soutenait l'arche. En un instant, tout est devenu beaucoup plus simple. Je dormais paisiblement...

mardi 23 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (284)


En même temps qu'arrivaient les images si puissantes, j'avais l'impression de prendre la place des dieux. Je buvais abondamment à l'eau de la source. Un petit filet d'argent coulait dans ma chevelure, j'étais passée, sans transition de la jeunesse à l'âge mûr.

La très véridique histoire du colonel Ortho (283)


Pendant que je m'initiais aux vertiges des fumigations et aux images obsédantes qu'elles me procuraient, mes deux compagnons, eux, préféraient se promener, complètement nus, bavardant avec le"cosmos" et inventant des jeux compliqués que seul un enfant pourrait comprendre. Chacun, à tour de rôle, assis et sans élan, lançait un caillou dans la cible mouvante qu'avait tracé dans l'eau, le jet précédent. Naturellement, cela exerçait la concentration, le sens de l'observation, la mémoire et les mouvements du corps. Mais le plus important était l'écoute du jugement de l'autre. Celui-ci jugeait, non seulement la précision du lancer, mais aussi l'élégance du geste et son harmonieuse combinaison avec le mouvement des vagues et du vent. L'exercice était difficile, tout dépendait du premier lancer, puisqu'il devenait la cible du deuxième... Mais le véritable salaire de l'exercice était dans la réaction de l'autre. Et sur ce plan-là, si les lancers se valaient, les deux hommes réagissaient selon leurs natures profondes, bien différentes l'une de l'autre. L'un ne s'emporte jamais et supporte avec flegme l'arrogance et le mépris, voire même l'injustice, et l'autre s'emporte aussi vite que le vent se lève.

lundi 22 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (282)


« Qui condamne vite est près de condamner avec plaisir ;
qui punit trop est près de punir injustement »*
Je voyais ces deux hommes se rapprocher et prendre du bon temps ensemble sans que ma présence ne leur soit nécessaire. Ce n'est pas que je fusse négligée, loin s'en faut, mais il est vrai que j'avais de plus en plus la sensation de ne plus être le centre. Je pris l'habitude de me promener seule. Ce fut au cours d'une de ces promenades que je découvris, sur une île voisine, de bien curieuses émanations. Les îles volcaniques où nous vivions étaient, pour la plupart, presque désertiques. Celle que je découvris par hasard, n'était guère plus grande, mais plus complexe. Ainsi lorsque je pénétrais l'étroit passage entre les deux pierres, je vis monter, par une petite fissure dans la roche, un petit filet de vapeur aux volutes enivrantes, surplombé par un arbuste accroché aux flanc de la falaise.

*Sénèque

La très véridique histoire du colonel Ortho (281)


À ma grande surprise, ces deux-là s'entendaient comme deux larrons. Ce que j'avais craint ne se produisit absolument pas. L'Illusionniste ne s'occupait guère de moi, il passait le plus clair de son temps à discuter "entre hommes", comme il disait. Il m'arrivai de surprendre certaines de leurs conversation. C'est ainsi que j'entendis, sans que j'aie entendu le début de la phrase :
-...désormais je t'appellerais Socrate...
L'appelé eut l'air surpris, réfléchis quelques instants et puis sourit.

La très véridique histoire du colonel Ortho (280)


Était-il suffisant que je pense à lui pour qu'il apparaisse ? Était-ce le contraire qui s'était produit ? Sa présence sur l'île avait-elle caressé mes sens ? Je ne le saurais peut-être jamais. Mais ce dont je suis sûr, c'est qu'il apparut, bras dessus, bras dessous et virevoltant avec mon nouveau compagnon, qui n'était pas à la traine. Ce qui ne manqua pas de me surprendre. Jamais je n'eus imaginé cela. Je me pinçais, je n'étais pas dans la salle de spectacle du yacht de mon père, il suffisait d'ouvrir les yeux. Et pourtant, je doutais de tout. Quel sorte de lien avait pu se créer entre deux personnes aussi dissemblables ?

dimanche 21 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (279)


- Toute la force du magicien consiste à créer l'illusion. Que je manipule les touches du piano, le corps de ces dames ou les étoiles, c'est la même illusion. Tout n'est qu'illusion, désirs et fantasmes, et je ne suis rien d'autre que cela.

La très véridique histoire du colonel Ortho (278)


Le "Magicien" était aussi pianiste à bord du Habana, le bateau de mon père. Ses mains caressaient les touches de façon si subtiles que les notes semblaient sortir du néant, coruscantes et vierges comme Vénus à l'arrivée du printemps. Personne ne se rendait compte qu'il s'agissait de chansons trop souvent et trop mal jouées. Sa voix de velours n'était pas le moindre de ses atouts et quand il murmurait "Georgia", c'est nous qui devenions aveugle...

samedi 20 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (277)


Le "Magicien" avait été une grande vedette. En pleine gloire, il avait brusquement disparu de scène, comme un effet indésirable de son propre spectacle. En réalité, mon père l'avait fait enlever pour le prendre à son unique usage. S'il avait su ce qu'il était vraiment capable de faire, il y a fort à parier que sa disparition eût été définitive. Sa tâche consistait à m'embellir la vie. Naturellement sa vision ne rejoignait pas toujours pas celle de mon père, ni, dans une certaine mesure, la mienne... Il était capable de vous déshabiller d'un seul regard...

La très véridique histoire du colonel Ortho (276)


Ce n'était pourtant pas banal du tout. Mes images ne restaient pas dans leur cadre d'origine, Elles se mélangeaient à ma vie de telle façon qu'il m'était impossible de reconnaître si je vivais dans le passé ou le présent. Quand au futur, je n'étais pas, pour des raisons évidentes que chacun peut comprendre, en mesure de le reconnaître. Ainsi, le "Magicien" que je voyais sur la plage n'avait rien à y faire et j'étais fort inquiète qu'il vint à se faire voir par mon compagnon.

La très véridique histoire du colonel Ortho (275)


Soit que ce fut l'effet de cette séparation, soit que l'effet fut celui du frottement de la perle, je me mis à rêver. Non seulement dans mon sommeil, mais à tous moments de la journée. La première image qui me vint était celle de mon arrivée.
Je connaissais la phrase célèbre d'Hippocrate :"Toutes les fonctions du corps ou de l'âme, dans le sommeil, l'âme les accomplit toutes", mais là c'était en plein jour qu'elles s'accomplissaient. Rien de plus banal, me direz-vous ?..

La très véridique histoire du colonel Ortho (274)


Oeil-de-Braise avait fermé les yeux lorsque le petit chien avait montré les crocs. Il s'en était fallu d'un rien pour qu'il ne la morde. Plus que cela, et plus qu'aucun discours, la vision d'un petit être agile et si câlin se transformant en un monstre repoussant pouvait démontrer de brillante façon le mécanisme qui peut transformer l'homme en animal. Elle ne le vit pas, mais, comme tant d'autres, il se peut qu'elle ne voulut pas le voir, scellant en son coeur un secret qu'elle se refusait à connaître. Elle ne vit pas non plus ce qu'il fit pendant l'instant de leur dernière étreinte. Il parcourut l'île en tous sens, urinant et déféquant en tous lieux. Il se frottait et se léchait l'arrière train en aboyant de manière obscène.

La très véridique histoire du colonel Ortho (273)


Chaque matin, je faisais le tour de l'île en quête de nouveauté. Je m'interrogeais sur le sens à donner à ces grandes arêtes en forme de flèche que je retrouvais en quantité, au petit matin, dans toutes les parties de l'île. D'où venaient-elles, qu'étaient-elles et où allaient-elles ? Et puis j'aimais beaucoup sentir le vent s'engouffrer dans ma tunique et me donner la sensation que j'allais m'envoler par le même chemin qu'avaient empruntés ces flèches pour arriver jusqu'ici.

La très véridique histoire du colonel Ortho (272)


Il s'en était allé sans mot dire, sans un regard, d'un air étrange. Même là, devant nous, on eût dit qu'il était absent. Une sorte de transparence ou se dessinait une longue route. J'avais froid, je tremblais et fermait les yeux. Quand je les rouvris et levait la tête, il n'était plus là. Dans ses mains, celui dont je ne connaissais pas le nom, tenait en sa main une perle.
- À ce moment, raconte l'inconnu, j'écartais ses longs cheveux noirs. Elle était très pâle et très belle. Je lui fis cadeau de cette perle, qu'elle porte à l'oreille.
Cependant elle n'était ni douce, ni naïve, et encore moins obéissante. L'union dans les îles désertes s'environne de bien peu de cérémonies : il y a peu de conséquences funestes pour un homme comme moi d'entreprendre. Elle ne résista pas, et je ne lui donnais jamais aucun sujet de se repentir.

vendredi 19 janvier 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (271)


Lorsque enfin il fut de retour, tout avait changé. À commencer par lui. Ce n'était plus le jeune garçon que j'avais connu. Je le reconnaissais à peine. Il faisait peine à voir et avait acquis une sorte de dureté malsaine qui m'effrayait. Quand je tendis ma main vers lui, son visage se ferma, en même temps que ses yeux. Tout son corps se raidit. Il émit une sorte de grognement. On eût dit un animal blessé. C'était un homme, maintenant. Il allait me le prouver. C'est alors que je découvris la cicatrice. Jamais il ne me racontera ce qui s'était passé.

La très véridique histoire du colonel Ortho (270)


Mon jeune compagnon ne réapparut pas pendant plusieurs jours. J'étais inquiète. La tempête avait dû faire beaucoup de dégâts. Chaque jour, mon nouveau compagnon et moi-même, découvrions des restes qui ne pouvaient provenir que de naufrages. Je dois à la vérité de dire que je fus surprise par les capacités d'émerveillement et d'adaptation de cet homme. Tout lui était prétexte à étude. Au lieu de parler d'étude, je ferais mieux de parler de jeu. Il regardait chaque chose comme il m'avait regardée et j'avoue qu'il m'arrive d'être troublée quand j'y repense. Puis il la prenait en main, littéralement et physiquement, et savait joyeusement en tirer le meilleur. Je frissonnais... Il ne parlait pas beaucoup, mais ne se gênait nullement. Je pensais que c'était, de loin, et malgré sa dysharmonie apparente, l'homme le plus intelligent que j'eus rencontré...