jeudi 30 avril 2015

30 avril / Rien ne serait nouveau



Rien n'est nouveau, mais tout se renouvelle... 
Ce qui s’est dit n’est pas ce qui s’y fit.

Victor-Hugues

– Mes biens mes biens chères sœurs, chers frères, même si "rien n'est nouveau sous le soleil", les égarements manifestes d'un nombre croissant d'entre vous menacent de corrompre la belle unité de notre organisation. Certains voudraient, sous prétexte d'évolution, prendre pour modèle notre berger. La "catastrophe"* nous guette. Se rendent-ils compte qu'ils menacent l'existence immémoriale de notre vénéré et si foisonnant pré carré?
– Le théâtre est la vie, mais peut-on dire que le théâtre est la vie ? se demandait Victor.
–  De plus, suis-je vivant quand je me pose cette question ?.. Ne suis-je pas en train d'empiéter sur le territoire d'autrui ?..
Non sans peine, il se contenait. Il se donnait des ordres, essayait de ne pas devenir un de ces ânes si fougueux, qui se prenant pour chevaux, se jettent en désordre dans la mêlée. Son rôle, ou du moins ce qu'il imaginait être son rôle, et son rang le lui commandait...



* Victor, saisi par le doute et l'ombre qu'il porte, se demande s'il lui est permis d'utiliser ce terme dont il peine à discerner la finesse épistémologique. Il est partagé entre le sentiment de solidarité qui le lie à sa famille et la certitude que, l'histoire le démontre avec abondance, s'il parle trop il sera le premier sacrifié.

mardi 28 avril 2015

28 avril / Une certaine amélioration




Résumé:
 La mémoire d'Auguste se travaille. Ce qui n'est pas sans conséquences. En racontant, Auguste Perroquet, à son tour ne fait que répéter une histoire qu'il a entendue alors qu'il n'était encore, lui aussi, qu'un petit enfant:
Le héro de l'histoire s'appelle Victor-Hugues. Une histoire, sa propre histoire, écrite par un écrivain totalement méconnu et totalement dépourvu d'imagination, qui, sa vie durant ne fit que consigner ce qui, par le plus grand des hasards se présentait sur son chemin. Son prénom ne doit son existence qu'à la passion du jeu mots de ses parents dont le nom de famille nous est inconnu, si ce n'est la première lettre, l'initiale. Nous nous devons de signaler cette particularité qui ne sera pas sans coïncidence avec la vie de Victor-Hugues.  Les textes qu'il a laissé, incomplets et disséminés, nous insistons, se caractérisent essentiellement par la description et l'analyse de ses, et donc de nos, passions paroxystiques.

On trouve aussi dans ces vestiges beaucoup de légèreté et de tristesse, certes, le plus souvent exprimé de façon outrancière et quelques fois grossière, mais l'éclat et parfois l'enflure du style ne font que renforcer le caractère pathétique des situations théâtrales. Il n'avait qu'un seul et unique but, l'amélioration matérielle et morale du noble peuple grégaire auquel il appartenait.
– Science n'est pas opinion. Le Mouton prend racines et ne peut être âne...
L'avez-vous compris ? Victor-Hugues n'est pas un homme...
– Coupe tes oreilles, apprend à obéir et connais le doux bêlement des chœurs harmonieux...
Vous l'avez compris, Victor-Hugues, dans sa jeunesse et jusque fort tard, entend des voix et parle abondamment.
Notre pré carré faisait bien des envieux.
– Malgré les apparences, ils ne semblaient pas moins que nous capable de gérer le territoire de la pensée à son plus grand avantage. Peut-être même sont-ils moins voraces que nous !
Parmi ses semblables, à sa connaissance,Victor était seul à penser ainsi.
– Au fond, nous n'avons guère fouillé les entrailles de leurs pensées. Il se peut qu'ils ne soient pas si différent de nous que nous n'ayons à les craindre. Si notre folle et fine pensée ne peut être complétée par quelques éléments dispersés, c'est que nous avons de nous-même une trop haute pensée. Soyons finauds, courtois, mais courageux et honnête: soulevons la queue de l'un d'entre eux et voyons, parmi les fragments qu'il rejette, qui des blanc ou des noirs dominent.

lundi 27 avril 2015

27 avril /



« N’en déplaisent à certains,
parler de soi en s’adressant aux autres et en les écoutant
 n’est pas un acte d’individualisme,
mais la meilleure façon
de nous faire avancer. »

Plusieurs d'entre nous étaient parti. D'autres avaient disparu. Il était revenu. Nous nous interrogions sur la réalité et la nature de cet être capable d'apparaître, de disparaître et qui avait tout pouvoir sur nous.
Au delà des plaines, au coeur des combats les plus intenses, Victor, notre héros, ne cessait de penser. Une fois l'an, le paisible et noble peuple des moutons rencontrait le héros caché, représentant du peuple des ruminants.

"Or, celui-là ne serait-il pas ridicule, qui prendrait pour les parties essentielles les ongles, les cheveux, la crasse et les superfluités désagréables, au lieu des parties relevées et nobles, qui sont le siège des sens et les organes propre de l'intelligence, je veux dire les yeux et les oreilles? Ce sont là, en effet, les agents de la pensée, soit parce que, l'âme étant comme enfouie en eux, ils y éveillent plus vite le principe et la force invincible de cette pensée, soit que, suivant quelques philosophe, l'âme se répande par eux comme par des canaux."*
Il est des points à propos desquels lesquels nous ne pouvons penser comme vous, et ne croyez pas que nous plaisantons ou que nous jouions aux dés avec ce que nous avons de plus cher. Victor, dès sa naissance, avait fait montre d'une stature imposante.
Par la suite, notamment dans ses écrits, Victor fut à même de confirmer cette prédisposition à la grandeur. Ses poésies et ses discours ne nous sont pas parvenus, et de son œuvre scientifique ne restent que sept "feuillets" traitant de Questions Naturelles.
Nous ne possédons guère de Victor-Hugues O., sous son nom, que des tragédies incomplètes, les dialogues avec un chien fidèle et une petite partie de son œuvre philosophique. Dans ses écrits tragiques il a souvent imité les grands auteurs antiques et souvent les a surpassé. Ces textes, incomplets et disséminés, nous insistons, se caractérisent essentiellement par la description et l'analyse de nos passions paroxystiques.


*Julien l'Apostat

dimanche 26 avril 2015

26 avril / L'important n'est-il pas de bien manger ?

Résumé: 

Auguste fait travailler sa mémoire
en racontant à Auguste Perroquet,
qui, à son tour nous la répète,
une histoire qu'il a entendu
alors qu'il n'était encore qu'un petit enfant:

Peu de temps auparavant, nous étions tous des enfants qui croyions que nos pensées pouvaient influencer le monde.
Nous avons traversé le ciel, pénétré et vaincu la nuit la plus noire...
Les incessants flux et reflux desquels nous devions nous protéger n'arrangeaient pas nos affaires.
En outre le monde dans lequel nous nous trouvions n'avait de cesse de tourner et de se retourner...


Et puis il est arrivé. Au début nous le laissâmes s'approcher sans nous méfier. Il faut dire que pas un d'entre nous ne l'a jamais entendu dire un mot plus fort qu'un autre. À vrai dire aucun de nous ne l'a jamais entendu parler. Et pourtant nous l'avons suivi. ... Ce qui eu pour conséquences la dispersion momentanée de notre groupe jusque là si profondément soudé.
C'est avec peu de différence ce qu'écrit le moine portugais Francisco de Santa
Maria en 1697 :
"Toutes les lois de l'amour et de la nature se trouvant noyées ou oubliées au milieu des horreurs d'une si grande confusion, les enfants sont soudain séparés des parents, les brebis de leurs boucs,
les frères ou les amis les uns des autres... Les mâles perdent leur courage naturel et ne sachant plus quel conseil suivre, vont comme des aveugles désespérés qui butent à chaque pas sur leurs peurs et leurs contradictions."


Il est revenu. Nous ne l'avions pas élu. Il s'est imposé sans problème.
Était-il la solution et la cause réunie ?
Nous n'avions plus qu'une porte à laquelle nous ne pouvions échapper.


"Dès que s'allume dans un royaume ou une république ce feu violent et impétueux, on voit les magistrats abasourdis, les populations épouvantées, le gouvernement politique désarticulé. La justice n'est plus obéie ; les métiers s'arrêtent ; les familles perdent leur cohérence, et les rues leur animation. Tout est réduit à une extrême confusion. Tout est ruine. Car tout est atteint et renversé par le poids et la grandeur d'une calamité aussi horrible. Les gens, sans distinction d'état ou de fortune, sont noyés dans une tristesse mortelle... Ceux qui hier enterraient aujourd'hui sont enterrés... On refuse toute pitié aux amis, puisque toute pitié est périlleuse..." *


Nous fûmes incapable de nous souvenir... Nous avions peur et nous
avons suivi... Longtemps nous avons marché. Trop longtemps. Finalement, après avoir passé le petit pont et que nous ayons aperçu l'herbe bien verte qui nous attendait, nous oubliâmes tous nos soucis
futiles. L'important n'est-il pas de bien manger ?..



* René Girard
Le Bouc Émissaire
Grasset 

samedi 25 avril 2015

25 avril / D'incessants flux et reflux



– Soyez patient, mon maître Auguste a toujours de la peine à démarrer...
et si je veux rapporter en toute conscience ce qu'il m'a raconté,
je dois respecter la manière dont il a usé à mon égard.
– Vous ne pourriez pas abréger quelque peu,
ce qui, peut-être éclaircirait le propos ?
– Ce n'est pas dans notre nature, vous le savez bien.

Auguste se remémore en racontant à Auguste Perroquet une histoire qu'il a entendu alors qu'il n'était encore qu'un petit enfant:
"Il me semble que non seulement les actions sérieuses des hommes légers et allègres, mais encore leurs divertissements sont dignes de mémoire. Cette opinion m'est venue à la suite d'un voyage auquel j'ai participé malgré moi et que je vais rapporter."
Dès que j'ai rencontré Mestengo, que j'ai pu juger de sa sagesse, de sa force de volonté, de sa tempérance, que j'ai vu combien il était bien doué pour la mémoire, combien il était savant et avide de s'instruire toujours, il m'est venu une inspiration céleste : je me suis dit qu'en m'attachant à lui, je pourrais, en l'écoutant avec attention, passer du statut peu enviable d'ignorant Barbare à celui d'homme cultivé, peut-être aller jusqu'à celui de savant... Je me suis dit qu'en le suivant,
en m'associant à ses recherches, je verrais le monde, je vous verrais, et je pourrais un jour voyager et m'instruire au cœur des racines flottantes des hommes.
J'étais, je vous l'ai déjà dit un enfant curieux et tout livre qui tombait entre mes mains était aussitôt dévoré.  Mais, ce n’est pas la même conduite que de de se tenir dans l'ombre et de se montrer en pleine lumière.

"Ceux qui se persuadent que tout leur arrive par nécessité et d’après les décrets du destin, et ceux qui croient qu’il y a des faits qui se produisent sans que des causes antécédentes les aient nécessairement préparés. Cependant il paraît très difficile en un tel sujet de découvrir la vérité, parce qu’il semble qu’à l’un et à l’autre sentiment s’opposent nombre d’objections irréfragables. Que de ce rapprochement d’enseignements contraires, la vérité puisse ressortir avec plus d’évidence m'apparaît comme souhaitable. Car il n’y a aucune de mes actions où l’on pût trouver que que j'ai préféré à la vérité l’apparence."*

Ce n'est point ma faute si, dès l'origine, dans l'ombre, subsiste un autre moi-même.
Je n'étais et ne suis point devenu héros fameux. Sans prudence, après avoir détruit les remparts sacrés du silence, sans me faire voir, dans tout les mondes je portais mes pas errants. Je parcourus les cités et les déserts nombreux, et m'instruisis de leurs secrets. Sur les mers, en proie à ses soins dévorants, je luttais contre les revers les plus terribles, aspirant à sauver mes jours, et à ramener d'invisibles compagnons que je m'inventais.
Peu de temps auparavant, nous étions tous des enfants qui croyions que nos pensées pouvaient influencer le monde.
Nous avons traversé le ciel, pénétré et vaincu la nuit la plus noire...
Les incessants flux et reflux desquels nous devions nous protéger n'arrangeaient pas nos affaires.
En outre le monde dans lequel nous nous trouvions n'avait de cesse de tourner et de se retourner...


* Du destin
Alexandre d'Aphrodisias

vendredi 24 avril 2015

24 avril / Degré par degré

Auguste construit son monde.
Un monde ou les mots se transfigurent
jusqu’à devenir de parfaites images
que personne ne saurait posséder
ou même comprendre.

– Croyez-vous que votre Maître Auguste ait toute sa raison?
– Je ne puis vous répondre, mais ce qui est sûr, c'est qu'il sait ce qu'il fait...
et surtout, il a des raisons de le faire...



Auguste le Perroquet commence le récit que son maître lui a raconté alors qu'il n'était, lui-même, qu'un enfant :
– Je me souviens de ces étranges créatures qui voyageaient de village en villages, de ville en villes et qui nous fascinaient par l'étrangeté de leurs récits. Il y avait, pour qui prête l'oreille, une sorte de mélodie intercalée dans les volutes naïves que chacun pouvait entendre à son niveau:
L'enfant s'éloigne et l'homme grandit
Dans peu de temps, l'enfant qui croit encore que ses pensées peuvent influencer sur les événements, aura disparu...


Aux tentacules du temps se mêlent les harmoniques du vent
dans lesquels se glissent amoureusement, venus de très loin,
le chant des grands oiseaux de passage.
– Toutes ces pensées qu'ils se font jour après jours me font sourire.
Elles sont le produit de la corruption et commencent très lentement à empoisonner l'idée qu'il se font d'eux-même...

– L'oubli se manifeste et puis, degré par degré, laisse place à l’imposture.

jeudi 23 avril 2015

23 avril / Un fou... ou un sage ?

"Il m'avait de nouveau charmé, capturé, l'ami,
et , sans que je le devine, il s'apprêtait à prendre une sorte de revanche.
Mais sur qui, sur quoi ?
Je ne le sais toujours pas : peut-être sur les mots imprévus qui tombent du ciel,
viennent aux lèvres des ignorants, de ceux qui ont perdu la langue de leurs ancêtres,
étouffé le patois des origines pauvres, boueuses, l'italien, l'arabe,
le parler rude des ateliers, à l'usine, et n'ont pas gagné d'autres mots,
neufs et faciles, communs et lisses, vont vivoter dans la honte,
la crainte de ce qui pourrait leur échapper, les révéler, les trahir."

Morteparole
Jean Védrines


– Croyez-vous que le devoir est dépassé? 
– Certes non, mais comme le dit Comte-Sponville * :
" Qu'on n'en conclue pas trop vite que le devoir est dépassé! Il ne l'est que par la vertu, lorsqu'elle triomphe. Il continue donc de s'imposer, tant que la vertu fait défaut –c'est-à-dire, de très loin, le plus souvent. Le Nouveau Testament (qui est une éthique de l'amour) accomplit l'Ancien (qui est une morale de la Loi), mais ne l'abolit pas. Cela vaut tout autant pour les athées. Seul un sage pourrait se passer de morale. Seul un fou peut y prétendre.
– Votre maître est-il un fou... ou un sage ?
– Je ne saurais vous répondre avec certitude tant il vrai que dans le premier cas comme dans le second les apparences peuvent être trompeuses... 
– Ne voudriez-vous pas continuer à me raconter la vie de votre Maître Auguste ?
– Vous avez raison, veuillez me pardonner mes digressions, mais la vie est ainsi faite que si vous accédez à la parole, elle vous entraîne...
– Auguste Perroquet, la vie de votre Maître...
– Oui, c'est cela... Je vous disais hier que déjà tout enfant qu'il était, mon Maître était fasciné par la puissance de certaines histoires. Ainsi, il m'a raconté que la première de ces histoires qui lui fit grande impression était celle d'un enfant. "Jamais je n'en connus le début, ni la fin" me dit-il, "mais à jamais dans mon esprit, elle se déroule. Dans le silence des mots et le fracas des événements qu'ils provoquent, par magie, elle se renouvelle sans cesse". Il ne sait plus qui la lui a raconté, si il l'a lue ou entendue et peu lui importe. Il me dit que le titre qu'elle pourrait porter, si elle en avait un, serait :
L'enfant s'éloigne et l'homme grandit
Dans peu de temps, l'enfant qui croit encore que ses pensées peuvent influencer sur les événements, aura disparu...



* Le sexe ni la mort
Trois essais sur l'amour et la sexualité
André Comte-Sponville 
Le Livre de Poche ( p22 )

mercredi 22 avril 2015

22 avril / Le "Pacte"




«  Ou bien le "Pacte"est  un immense accord  sur le vide 
ou bien il est un projet de société dont certains paramètres fondamentaux
sont contenus dans la "Juste Parole",
sans cesse ajustée et réajustée au temps présent. »


– Où sommes-nous et pourquoi n'y voyons-nous rien
alors qu'il y a à peine quelques secondes le soleil était au zénith  ?
– Nous sommes dans quelque lieu très discret de l'île...


– Quels sont ces discours aussi obscurs que bizarre?
– C'est ce que m'a confié mon Maître.
– N'est-ce pas le fruit étrange des cogitations en circuit fermé d'un être isolé ?
– Mon maître n'est pas un individu isolé...
– Ah bon, alors dites- moi ce qu'il est!

 – Je ne puis vous le dire... Suivez-moi!
– Et pourquoi donc?

– Parce qu'il m'a demandé de le garder secret... Mais pour que vous compreniez mieux il est une histoire que vous devez connaître. Auguste, mon maître Auguste, aussi surprenant que cela puisse paraître, était autrefois un membre influent et très écouté de notre gouvernement.
– C'est surprenant, en effet ... Très surprenant même...
– Avant de vous faire des idées et de vous raconter des histoires, écoutez d'abord ce que je vais vous dire...                  
 "L'amour est une vertu, pas un devoir". Auguste aimait son travail. Toute sa jeunesse, il avait étudié dans le but d'accéder à ce qu'il considérait comme le summum de l'humanité: travailler pour le bien commun.  D'où cette idée lui était venue? Il n'en savait rien. C'était comme si elle faisait partie de la mémoire qu'il possédait déjà à sa naissance. Tout petit il étonnait sa famille... Plus tard il m'avouera qu'à la place du verbe: étonner, il avait envie de dire qu'il eut mieux utiliser le verbe détonner. Si au début, son intelligence était admirée, très vite elle devint un fardeau. La différence est rarement considérée comme une qualité et le fait de dire la vérité ne dut bientôt à son auteur qu'une gloire bien peu enviable. Malgré cela, Auguste, presque en cachette, se mit à étudier de plus belle, mais en secret. Ses résultats scolaires descendirent en chute libre. 
Bientôt "l'amour ne fut plus une vertu, mais un devoir"... Un devoir qui s'ajoutait à la longue liste de ce qu'il ne faisait plus et qui allait bientôt être découvert...

                                                             à suivre

mardi 21 avril 2015

21 avril / Il pourrait en être autrement


– Demain est à ce jour inconnu...
– ... et pourtant nous parlons de lui...

– Pas un jour qui n'ait été précédé d'un autre...
Auguste, aujourd'hui plus encore qu'hier, a l'esprit méditatif.
– Chaque jour, me semble-t'il, ressemble au précédent en ce sens que tout parait identique alors même que nous savons que ce n'est pas le cas. Quel est donc ce savoir qui nous empêche de profiter pleinement du présent, alors même que ce qui nous procure ce regret est la même chose qui nous permet d'espérer qu'il pourrait en être autrement...

lundi 20 avril 2015

20 avril / De naufrages en naufrages




– Pourrait-on, sans vanité, dire qu'un individu puisse se dégager de toute vie sociale?


Telle est une des questions qui revient souvent dans la tête d'Auguste et contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas sans courage qu'il essaie d'y faire face. Il le fait avec autant de constance qu'il emploie pour reconstruire matériellement ce qui sans cesse se défait...
– Les idées vont et viennent... se font et se défont... et captent une part importante de notre énergie...
Se pourrait-il que nous puissions les, mettre de côté, ou du moins leur accorder moins d'attention afin que toute cette énergie serve réellement, du moins pour un temps, à construire un confort modeste mais suffisant...

dimanche 19 avril 2015

19 avril / Le temps



« La ligne qu’on mesure est immobile, le temps est mobilité.
La ligne est du tout fait.
Le temps est ce qui se fait,
et même ce qui fait que tout se fait. »

Henri Bergson
La pensée et le Mouvant

Auguste vit dans le passé.
Pur lui, le passé est une île sans cesse ravagée
par les violentes tornades qui se déclenchent au moindre souvenir.
Le pouvoir de se souvenir est un bien étrange pouvoir.
Auguste se demande si ce pouvoir était de fait
l'inverse de ce qu'il croyait jusqu'alors.


– Je ne serais que l'objet de ce pouvoir... Se souvenir, ce souvenir...
– Duquel parlez-vous ?

samedi 18 avril 2015

18 avril / L'immédiat

« Car l’immédiat est loin d’être ce qu’il y a de plus facile à apercevoir »

Bergson

– Cher Auguste Perroquet, que fait votre maître en cet instant ?
– Il brûle de voir ce que pourtant il croit ne pas attendre...
_ Expliquez-moi cela, je vous prie.
– Prenez patience... Tout finit par venir...

vendredi 17 avril 2015

17 avril / influences



 « Il est de l'essence de la science, en effet, de manipuler des signes qu'elle
substitue aux objets eux-mêmes. Ces signes diffèrent sans doute de ceux du
langage par leur précision plus grande et leur efficacité plus haute ;

ils n'en sont pas moins astreints à la condition générale du signe,
qui est de noter sous une forme arrêtée un aspect fixe de la réalité.
Pour penser le mouvement, il faut un effort sans cesse renouvelé de l'esprit.
Les signes sont faits pour nous dispenser
de cet effort en substituant à la continuité mouvante des choses une
recomposition artificielle qui lui équivaille dans la pratique

et qui ait l'avantage de se manipuler sans peine.
Mais laissons de côté les procédés et ne considérons
que le résultat. Quel est l'objet essentiel de la science ?

C'est d'accroître notre influence sur les choses. »

Henri Bergson
La pensée et le Mouvant
Editions Puf Quadrige, Paris, 2008, p. 3


– ... Oui, un changement de nature...
– Expliquez-moi ce que vous voulez dire par là!
–  Je vais vous parler de ce dont m'a parlé mon maître...
– À propos de quoi?
– À propos de nature...
– Ce ne seront donc pas vos propos... mais ceux que vous allez rapporter après que vous les ayez entendu.
– C'est cela.
– J'ai hâte de les entendre, mais, pardonnez-moi, j'ai une inquiétude...
– Dites-moi...
– N'avez-vous pas peur de les déformer. Je vous dis cela car moi-même j'ai entendu mon propre maître me parler de ces choses-là e je vous avoue que j'ai bien de la peine à démêler ce qu'il m'a dit de certaines idées qui me sont apparues et me brouille quelque peu ce que jusque là je n'avais aucune peine à discerner. Cela provient peut-être du fait que ne connaissais de la vie, pour ainsi dire, que ce que mes actions et non mes pensées avaient comme influence sur ma vie...
– Laissez-moi essayer de reprendre le cours des choses. Mon maître Auguste me disait combien il est difficile d'avoir du discernement. Ce n'était pas là chose originale. Chacun de nous, dès l'instant où il se mettrait à penser, pourrait le dire sans délai. Mais ce qui compte est l'ampleur et le mouvement de ce discernement. Pour nous autres membres de cette noble famille que l'on nomme "Psittacidae" le premier des efforts consiste à reconnaître que ce que nous avons appris à dire n'est qu'un pâle reflet de ce qu'un autre que nous a d'abord pensé...

jeudi 16 avril 2015

Un incertain changement de nature


– Arrêtez, Auguste,vos prises de bec à tous propos sont parfaitement infantiles!
– Et pourtant, mon cher Justin, mes geste sont conformes à notre nature. Auriez-vous honte d'être, tout comme moi, un membre de notre noble famille?
– Il ne s'agit point de cela, j'essaie vainement de vous l'expliquer. Nos maîtres, bien avant moi, nous l'ont enseigné...
– Je ne vois pas ce que vous prétendez...
– Je ne prétend rien, je fais appel à votre mémoire...
– Auriez-vous la prétention d'avoir une meilleure mémoire que moi?
– Il ne s'agit point de cela non plus...
– Alors finalement, Monsieur, de quoi s'agit-il?
– Il s'agit simplement d'un changement de nature.
– Simplement?

16 avril / Virtuosité


– Voyez-vous, cher Auguste, tout est une question de doigté...

– J'entends bien, ou du moins je le crois...
– Justement, ce n'est pas seulement une question d'oreille.
– Qu'est-ce alors?
– C'est une question d'entendement...
– Et quelle serait mon erreur?
– Elle est dans le fait que vous limitez vos perceptions à ce qui vous est habituel...
Imaginez que vous êtes à la place du premier violon qui, là, derrière nous et le rideau, répète inlassablement les mêmes notes que, malgré nos grandes capacités d'imitation, nous sommes incapables de reproduire:
Allegro sur la longueur du manche limitée la langueur,
Imaginez la virtuosité harmonieuse de l’archet,
tout cela entre vos mains, menées avec lenteur,
dans ses oreilles et maintenant dans les vôtres,
résonne ce qui d’habitude se montre.
Il fut un temps de silence
où se donnaient sur ces choses
des secrets à jamais insatisfaits...

mercredi 15 avril 2015

15 avril / Signification


 « Si un signe n'a pas d'usage, il n'a pas de signification.
Tel est le sens de la devise d'Occam.
(Si tout se passe comme si un signe avait une signification,
c'est qu'alors il en a une.) » 

Tractatus logico-philosophicus, 3.3286).
Ludwig Wittgenstein 192

mardi 14 avril 2015

14 avril /




Anarchasis aime les rives escarpées de sa rivière. Il en aime les dangers tout autant que sa douceur relative. Et puis, il ne s'en vante ni n'en parle guère, mais il y entend des voix...
— Je connais bien que ce que je viens d'entendre n'est pas miennes paroles. Il faut que j'en aie le coeur net.

lundi 13 avril 2015

13 avril / Scintillance de mille feux

– Cher Justin, j'ai grand plaisir a faire fonctionner
la mémoire qui s'est installée en moi.
– Qui peut savoir comment...
– Peu importe, poursuivez! 

Auguste le Perroquet a repris le flambeau:
Les deux gouttes d'eau se rapprochent dangereusement et en arrivent au moment le plus délicat de leurs fragiles existences.
– Je ne sais que penser de ce que vous m'exposez sans...
– C'est précisément cette absence de pensée que je crains.
La brusquerie de cette réponse a des conséquences dramatiques. Sous l'action du léger tremblement qui en résulte, la fine enveloppe qui sépare les deux gouttes d'eau se déchire. Toutes deux disparaissent dans l'infini de leurs semblables et ne font plus qu'un.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, les deux gouttes d'eau ont retrouvé le confort douillet de l'immensité et de son silence. Rien ne reste de leur passage, hormis la beauté déchirante, la savante
ordonnance et l'éloquence sauvage des origines qu'Anarchasis croyait perdues et qui s'étirait langoureusement à ses pieds. Il lui suffisait de suivre le moindre des reflets pour que la source lui apparaisse scintillante de mille feux. 52

dimanche 12 avril 2015

12 avril / L'homme qui est dans le ciel

«L'ombre disparue en l'obscurité,
la Nuit resta avec une douteuse perception de pendule
qui va s'éteindre et expirer en lui.»

Mallarmé
Igitur


Auguste reprend le récit des deux gouttes d'eau.
— Peu importe, je vous le dirais quand même. Il n'est pas seul.
— Qui?
— L'homme qui est dans le ciel.
— Celui en qui vous avez voyagé?
— Oui.
— Il n'est pas unique?
— Ce n'est pas ce que je vous ai dit.
— Vous m'avez dit qu'il n'était pas seul! C'est ce que j'ai entendu.
— Oui.
— Ah! Donc il n'est pas unique.
— Ce n'est pas si simple.
— Expliquez-moi.
— Ils sont plusieurs milliards et pourtant chacun est unique.
— Je crois que vous faites une sorte d'amalgame dans lequel nous
serions comprises.
— Non, mais d'une certaine manière vous pourriez ne pas avoir tort.
— Ce n'est pas un secret dont vous me faites part, c'est un mystère.
— Vous avez raison.
— J'ai peut-être raison, mais je n'y comprends rien.
— C'est normal.
— C'est peut-être normal, mais cela ne me rend pas heureux pour autant.
— Je vous trouve bien terre-à-terre pour quelqu'un qui vient d'entendre quelque chose de si extraordinaire.
— De toutes façons, je peine à vous croire et je ne suis pas loin de penser que qu'il y a, en vous cette fois, quelque chose qui voyage... Peut-être une de ces idées qui ne sont pas loin d'être déraisonnable...

samedi 11 avril 2015

11 avril / L'avenir est un secret

"Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont,
et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point,
et dont nous trouvons la raison.
Cela veut dire que, non seulement nous n’avons pas
les principes qui mènent au vrai,
mais que nous en avons d’autres
qui s’accommodent très bien
avec le faux."

Fontenelle
Histoire des oracles (1687)

— Vous vous trompez, le voyage dont vous parlez n'en est pas vraiment un. C'est tout juste si l'on peut le qualifier ainsi. De plus, vous seriez surprise de constater à quel point cela se fait tout seul.
— Vous vous sous-estimez...
— Il m'arrive de penser que vous n'êtes pas là, que vous ne seriez qu'une extension de moi-même à laquelle je parlerais. Une sorte de mémoire, de miroir en qui je ferais semblant de me reconnaître.
Heureusement que vous n'êtes pas toujours d'accord avec moi, cela m'aide un peu, mais pour peu de temps. Êtes-vous bien là? Je me le demande.
— C'est curieux...
— Vous savez, quand je vous regarde, j'ai ai l'impression de me voir dans le passé.
— C'est étrange, il m'arrive d'avoir presque le même sentiment, mais moi, j'ai la très nette impression que, dans votre présence, c'est l'avenir que je vois.
— Je crois que je vais vous confier un secret.
— Faites donc, je vous en prie!
— Il faudrait pour cela que vous me promettiez de le garder pour vous.
— Tout dépend de ce que vous me direz.
— Un secret est un secret et une promesse est une promesse.
— Alors, je ne suis pas sûr...

vendredi 10 avril 2015

10 avril / Le leurre

«J’eus peur de lui, soudain. Je me mis secrètement en garde.
Les sens aiguisés, je notais que mon homme avançait prudemment,
à la manière des cerfs, et c’est à peine si j’entendis,
sous ses pas, craquer quelque branche.
Qui était la proie, de lui ou de moi?»

Anne Larue
Une vie de Démocrite

Auguste a repris la parole à Justin et continue le récit des deux gouttes d'eau :
— Il me semble, mon cher Justin, que j'ai déjà entendu cette histoire, laissez-moi essayer de la poursuivre:
— Poursuivez Auguste, tant que vous le pourrez...
Auguste poursuit:
— Je dois vous dire, dit la première goutte d'eau, que de tout ce temps que je passais en lui, je n'en ai guère de souvenir. C'est assez normal, je ne m'appartenais plus. Je faisais partie d'une entité bien plus grande que je ne pouvais prétendre maîtriser du fait que ma part était tout-à-fait dérisoire. Au mieux, je participais...
— Vous ne m'avez pas répondu.
— A quel propos?
— Vous me disiez que, paradoxalement, c'était en même temps d'une grande banalité.
— Oui, c'est cela. Je croyais, à ce moment là...
Brusquement, le dialogue s'interrompt. Un silence pesant s'installe. Les contours du monde disparaissent peu à peu. Les deux gouttes d'eau se rapprochent dangereusement. Un brusque sursaut leur fait prendre un peu de distance.
— Vous m'entendez?
— Que croyez-vous?
— Vous êtes là?
— Mais enfin, comment pouvez-vous en douter!
— Je ne sais pas.
— Que vous arrive-t-il? Vous me semblez bizarre. On dirait que, subitement vous êtes devenue autre. Je ne vous reconnais presque plus.
— Vous avez raison. Je sens que je redeviens ce que, finalement, en y réfléchissant bien, je n'ai jamais cessé d'être.
— Non, je vous en prie, laissez grandir en moi cet espoir qui, je le sens moi aussi, est en train de naître en moi-même.
— Je ne voudrais pas vous empêcher de rêver, mais nous ne sommes que deux misérables gouttes d'eau perdues dans un temps si limitée que nous aurions peine à le discerner si nous étions celui dont nous parlions.
— Ah, vous allez mieux, continuez je vous prie.
— Nous parlons d'un monde qui n'est pas plus le notre que le leur.
— Comment écrivez-vous "leur"?
— C'est un piège que de vouloir tout savoir.
— Le "leurre" est donc un piège. Votre savoir m'émeut. On voit que vous avez voyagé!

jeudi 9 avril 2015

9 avril / Sous le charme


— Vous êtes... vous êtes... Justin, n'êtes-vous pas un peu...
— Un peu quoi?
— Euh, n'êtes-vous pas un peu fou?.. ou pour le moins un peu dérangé?
— Un fou qui se prendrait pour qui ou pour quoi?
Et d'ailleurs où étiez-vous pendant tout ce temps?
— Je ne peux pas vous le dire...
— Et pourquoi donc?
—  Parce que je ne le sais pas... 
Mais écoutez-moi, la suite de l'histoire est des plus intéressantes.

Les deux gouttes d'eau continuent leur dialogue par la voix de Justin Perroquet:
— Vous êtes la première qui avez su me répondre.
— Ah...
— Comment il se fait qu'aucune autre ne l'ait fait jusqu'alors m'a surpris et me surprend encore. J'étais seule. Le fait d'accéder à ce nouveau monde me rendait solitaire. Il faut admettre que cette situation commençait à me peser. je m'émerveillais de ce que j'entendais et bientôt de ce que j'arrivais moi-même à exprimer. Même si ce que nous vivons ne peut entièrement se décrire avec des mots, je crois qu'il s'agrandit par ce moyen et se met à correspondre avec ce qui lui est parallèle et dont nous n'avons aucune conscience tant que nous n'avons pas les outils pour y accéder. Je crois que vous n'allez pas croire ce qui s'est passé. Quand je l'ai entendu parler et chanter, j'étais sous le charme, mais j'étais bien loin d'imaginer ce qui allait se passer.

mercredi 8 avril 2015

8 avril / Une légère confusion de rôles


— Vous ais-je déjà raconté l'histoire des deux gouttes d'eau, cher Auguste ?
— Il me semble que vous vous répétez, mon cher Auguste...
— C'est dans notre nature, nous ne pouvons rien y faire. Dites-moi plutôt où en étais-je?

Les deux gouttes d'eau continuent leur dialogue par la voix de Justin Perroquet:
— C'est un peu confus...
Auguste se mêle au récit, ajoutant par ce fait un de confusion... Qui déjà n'en manquait pas...
— En fait c'est bien plus compliqué que vous ne le pensez et si je vous racontais l'entier de cette histoire, il est fort probable que vous ne me croiriez pas.
— Essayez toujours.
— Promettez-moi d'être patient et de ne pas m'interrompre!
— Je vais faire tout mon possible.
— Nous ne sommes que deux gouttes d'eau que le courant emporte.
Nous n'avons de l'avenir et du passé qu'une vague idée qui correspond à notre situation. La même situation que des milliards d'autres gouttes d'eau. Je devrai dire presque la même situation. Car il y a une petite différence entre elles et nous.
— Nous?
— Vous m'aviez promis de ne pas m'interrompre.
— Excusez-moi.
— Cette différence se manifeste justement dans le fait que nous parlions.

mardi 7 avril 2015

7 avril / En principe seulement...

– On me demande depuis bien longtemps où nous étions passés... et je ne puis vous le dire...
– Pourquoi cela ?
– Parce que vraiment, je ne le sais pas.
– Et cela ne vous inquiète pas?
– Non, pas vraiment. Vous-même, savez-vous toujours où vous avez passé la nuit?
– En principe, oui...
– Oui, mais en principe seulement...


Il est, dans le pays des Cimmériens,
une caverne profonde, creusée dans les flancs d'une montagne :
c'est la demeure ignorée du Sommeil.
Soit qu'il se lève à l'orient, soit qu'il arrive au milieu de sa carrière,
soit qu'il se plonge dans les flots, jamais Phébus n'y lance ses rayons.
La terre, à l'entour, exhale de sombres brouillards ;
ces lieux ne sont éclairés que par la lueur douteuse d'un éternel crépuscule.
Là jamais l'oiseau vigilant à la crête de pourpre n'appela l'Aurore de ses chants ;
jamais le chien fidèle, jamais l'oiseau du Capitole,
plus fidèle encore, ne troublèrent par leur voix le silence ;
jamais, ni le rugissement des bêtes féroces, ni les bêlements des troupeaux,
ni le froissement des feuilles agitées par le vent,
ni les cris de l'homme, ne s'y firent entendre :
c'est l'empire du muet repos.

Les métamorphoses
Ovide

lundi 6 avril 2015

6 avril Fantastique réservoir


«S'il est un fait étrange et inexplicable, c'est bien qu'une créature douée d'intelligence et de
sensibilité reste toujours assise sur la même opinion, toujours cohérente avec elle-même.
Tout se transforme continuellement, dans notre corps aussi
et par conséquent dans notre cerveau.»

Fernando Pessoa
Chronique de la vie qui passe

— J'allais accéder au cœur même du langage, à sa source. Je marchais dans les profondeurs d'où émane le souffle.
— C'est pure folie!
— Ne m'interrompez-pas...
— Tout le temps que j'ai passé en lui restera pour moi un fantastique réservoir duquel jaillissent sans cesse des pensées totalement nouvelles pour moi. Il m'est presque impossible de vous décrire ce qui s'est passé.
Je ne crois pas qu'il soit possible de vous faire ressentir cela par de simples mots ou même par les concepts les plus sophistiqués.
— Croyez-vous que cette expérience soit unique?
— Bien entendu, elle est unique. Mais ce qui est paradoxal est qu'en même temps elle est d'une grande banalité.
— Expliquez-moi, je vous prie.

dimanche 5 avril 2015

5 avril Dans l'azur




— En un instant le ciel s'est déchiré et sa main a plongé sur moi sans que rien ne puisse s'y opposer. Ce fut un moment de désordre intense. J'étais au creux de sa main. L'incroyable s'était produit qui pourtant ne sera que peu de chose face à ce qui suivra.
Tout en me parlant sans que je ne puisse rien comprendre de ce qu'il disait, il approchait sa main de son visage éclairé par les reflets miroitants du soleil.
À peine avais-je pu le distinguer dans l'azur que je fus avalé.
J'étais en lui!
Je faisais partie de lui-même.
C'est alors que tout a commencé véritablement.
J'avais quitté, pour toujours croyais-je, ce qui devait être l'unique monde auquel j'appartenais et voilà que ce que je vivais était, au sens propre, incroyable.

samedi 4 avril 2015

4 avril Bon anniversaire Christophe!



— Vous êtes la première qui avez su me répondre.
— Ah...
— Comment il se fait qu'aucune autre ne l'ait fait jusqu'alors m'a surpris et me surprend encore. J'étais seule. Le fait d'accéder à ce nouveau monde me rendait solitaire. Il faut admettre que cette situation commençait à me peser. je m'émerveillais de ce que j'entendais et bientôt de ce que j'arrivais moi-même à exprimer. Même si ce que nous vivons ne peut entièrement se décrire avec des mots, je crois qu'il s'agrandit par ce moyen et se met à correspondre avec ce qui lui est parallèle et dont nous n'avons aucune conscience tant que nous n'avons pas les outils pour y accéder. Je crois que vous n'allez pas croire ce qui s'est passé. Quand je l'ai entendu parler et chanter, j'étais sous le charme, mais j'étais bien loin d'imaginer ce qui allait se passer.
— Je ne vous raconterai pas tout. Sachez seulement que je le vis se pencher vers moi. Naturellement, je doutais. Je me disais que c'était un hasard, mais l'ombre de sa main était déjà sur moi et comme vous le savez maintenant, dans l'ombre chacun se met à penser différemment.
J'étais inquiet, je vous l'avoue, conscient que quelque chose m'arrivait et inconscient de ce qu'elle pouvait être. Au cœur de ma félicité, une angoisse profonde que ne connaissais pas avait pris naissance.

3 avril Si je vous racontais




— Qui vous a appris à parler?
— En fait, personne ne m'a appris.
— Voulez-vous dire que vous avez appris tout seul? un peu comme moi.
— C'est cela.
— Mais alors il a fallu que vous ayez un exemple à suivre...
— Bien entendu.
— Je commence à comprendre. Ce serait...
— Parfaitement.
— Ce serait lui qui vous a appris à parler.
— Je n'en suis pas sûr, il se peut que ce soit à son insu.
— Expliquez-moi, je vous prie.
— Je ne crois pas qu'il se doute que je l'ai entendu.
— Je ne suis pas sûre de bien comprendre.
— Lorsque je l'ai entendu la première fois, j'étais comme vous: je n'y comprenais rien.
— Je commence à comprendre. Ce serait...
— Vous me rassurez.
— Ce n'est que plus tard, quand...
— Quand ?..
— C'est un peu confus...
— En fait c'est bien plus compliqué que vous ne le pensez et si je vous racontais l'entier de cette histoire, il est fort probable que vous ne me croiriez pas.
— Essayez toujours.
— Promettez-moi d'être patient et de ne pas m'interrompre!
— Je vais faire tout mon possible.
— Nous ne sommes que deux gouttes d'eau que le courant emporte. Nous n'avons de l'avenir et du passé qu'une vague idée qui correspond à notre situation. La même situation que des milliards d'autres gouttes d'eau. Je devrai dire presque la même situation. Car il y a une petite différence entre elles et nous.
— Nous?
— Vous m'aviez promis de ne pas m'interrompre.
— Excusez-moi.
— Cette différence se manifeste justement dans le fait que nous parlions.

jeudi 2 avril 2015

2 avril J'y évolue tout comme vous



« La moindre des expériences nous confirme que la plus infime des parties
n’existe que par sa relation au tout... »


— Je vous le répète, je ne vois rien.
— Je vous avoue que, moi non plus, je ne vois pas ce que vous voulez me dire.
— Vous commencez à comprendre.
— Je suis confus et vous me faites rougir...
— Je suis capable de suivre votre conversation et pourtant je ne suis pas équipée pour cela. En très peu de temps, depuis que je vous connais, je suis entré dans votre univers de mot qui le compose. Si quelqu'un me demandait comment cela se peut, je ne saurais lui répondre. Cela est, c'est tout.
— Ce que vous me dites là est très...
— Je vous le répète, je ne vois rien.
— Ne m'interrompez plus, je vous prie, sinon nous ne pourrions avancer. Cet univers qui est le votre et dans lequel je suis entré, moi : misérable goutte d'eau qui n'ai jamais fait débordé quoi que ce soit, sans que cela ne me coûte le moindre des efforts est ainsi devenu le mien sans pour cela que je ne le comprenne. Il m'est étrange de constater que j'y évolue tout comme vous sans que pour autant je ne puisse m'y reconnaître. Vous me parlez comme si j'avais un visage, une tête, un corps et je ne sais quoi encore, mais c'est faux. Je ne suis rien
de tout cela.
— Et pourtant vous me parlez.
— C'est ce qui m'inquiète.

mercredi 1 avril 2015

C'est un peu cela et plus encore



– À propos, j'ai depuis longtemps une question qui me pèse si lourdement que j'ai peine à vous suivre et m'empêche de saisir pleinement cet univers dont vous voudriez me faire part. Je vous entends fort bien sans réfléchir, mais aussitôt que je laisse résonner ce que vous venez de me dire, je n'y comprend plus rien. C'est comme si les mots perdaient leurs origines et s'habillaient de façons si diverses qu'ils ne puissent plus être reconnus, au point que tout cela n'a plus aucun sens pour moi. Il s'en suit, fort naturellement, que j'éprouve un sentiment de solitude, mêlé d'une angoisse, que je n'avais encore jamais éprouvé auparavant et qui m'attriste.
– C'est la moindre des choses.
– Vous n'êtes guère encourageant.
– Je connais si bien ce que vous ressentez que je pourrais, sans aucun effort, en poursuivre l'exposé à votre place.
– Cela m'étonnerait!
– Il n'y a pas de doute à cela.
– Voilà qui est nouveau.
– Pour vous seulement.
– Sommes-nous condamnés à découvrir ce que d'autres avant nous ont découverts et ce que d'autres, après nous, découvriront à leur tour ?
– C'est un peu cela et plus encore.
– Dans le fond, vous ne m'avez pas écouté...