dimanche 19 décembre 2021

Brèche

 



Les parois de ce qui avait été une île et qui ressemblait de plus en plus à une ruine bougeaient ostensiblement. Cela eut dû inquiéter Platon, mais il semblait que cet état lui procurait un certain plaisir. Le plaisir de mettre ses sens en éveil. De plus, il l'avait remarqué par les échos qui lui parvenaient, les vagues semblaient être devenues de plus en plus grandes et violentes et pourtant elles ne pénétraient absolument pas à l'intérieur de la faille où il se trouvait. C'était parfait en désaccord avec les lois de la physique telles qu'il les avaient observées jusqu'alors. Une brèche, semble-t-il s'était aussi ouverte dans un certain nombre de ses croyances.

Notre maître

 


– Notre maître…
– Pardonnez-moi, je suis doublement confus… de vous interrompre et du fait que je n’ai jamais compris vraiment si nous avons eu le même maître!

– Je crois que c’est la même personne et que c’était deux maîtres différents…

– Pourriez-vous m’expliquer cela?

– Vous souvenez-vous de la première fois que vous l’avez rencontré?

– Ce dont je me souviens est bien vague…

– Je comprends. Vous souvenez-vous de quelque chose de précis un peu plus tard?

– Maintenant que nous en parlons je m’aperçois qu’il se pourrait fort bien que nos échanges se soient passés uniquement dans notre espace…

– Vous voulez parler des images?

– C’est cela.

– Mais vous est-il arrivé de pénétrer dans son espace?


samedi 18 décembre 2021

Ça va de soi

 



– N’est-il point vrai que tout va de soi?
– Je vous l’avoue je n’ai jamais compris ce que veut dire cette expression…
– Que tout aille de soi?
– C’est cela… quand tout se met en mouvement à partir de lui-même…
– Pourtant vous avez l’air de comprendre…
– Jusque là… point de problème… mais si l’on considère le soi dont il est question dans la première proposition… le soi pourrait se rapporter à soi-même… c’est-à-dire… nous…
– … vous… vous avez raison… c’est étrange…
– … comme si tout venait de soi…
– De soi-même?
– Finalement notre maître avait peut-être raison…
– Pourquoi dites-vous cela?




vendredi 17 décembre 2021

Équilibre

 

 


– Quand la mer monte, elle n’est point stalagmite pas plus que lorsqu’elle descend elle n'est point stalactite ...


– La pluie, en fines guirlandes de gouttelettes miroitantes, se répand sur la mer sans qu’elles ne puissent s'accumuler en couches distinctes. Elles roulent et se mélangent sans cesse. Cela fut dès le début et cela sera sans fin...
– Je crois que vous vous trompez... ou que vous êtes trompé… Que faites-vous de ces vastes banquises, parfaits miroirs de glace et prisons des temps, qui pendant longtemps s'étaient établies aux pôles et dans lesquelles ces strates que vous me refusez livrent en quelques notes, lettres, lignes, signes et silences, pour celles qui existent encore, d'innombrables secrets venus de temps que vous n'avez point connu et que jamais vous ne connaîtrez?..

– Sur la mer et bien au delà, les vents s'opposent, dissolvent et quadrillent  l'eau et le sable d'une géométrie imparfaitement et radicalement incongrue, faisant apparaître des crevasses que l'on eu cru celle d'une terre desséchée et, au loin, faisant paraître une mer en furie dans les sables assoiffés d'un désert. Curieuse pensée que celle de Platon: des lignes de fuite sans droiture, des courbes qui ne sont pas courbes..., à moins que ce ne soit le ciel, majestueux palais de plein air qui reflète de guingois ce qui, dans les profondeurs aspire et vient au ciel? Miroirs éparpillés sur ces parois en terrasses, infiniment petits, gris, noirs, argentés ou blancs, aux motifs simples, ils reflètent et donnent à penser 
comme des tableaux. L'infiniment petit s'entrechoque avec l'infiniment grand. Platon vieillissant, comme tout spectateur, y perd ses repères et sa joie sous les feux d'un soleil aveuglant, ses yeux lui jouent des tours, et trahissent ce qui dans l’esprit, parachèvement impossible, sublime illusion, prenait forme d'équilibre.
– De quel Platon parlez-vous?
– Du nôtre… de l’un des nôtres… en quelque sorte… si je puis dire. En tous cas de celui qui partage nos images et nos histoires et que nous pouvons connaître… avec certaines limites…



jeudi 16 décembre 2021

Fêlure

 

Le Verbe-Roi dépend de son sujet...

Walid Neill




Rapport du jour qui fait suite au douzième 

Il m'arrivait de penser passivement que je pouvais réellement et activement toucher ce monde d'images qui m'apparaissait comme une infusion sans pourtant que j'y sois le moins du monde impliqué. J'appartenais à un monde qu'un autre monde visitait sans rien y déranger et sans créer le moindre danger ou presque… Il ne comportait qu’un petit risque invisible. Celui de s'y perdre en s’y dissolvant. Une petite part de moi-même se demandait s'il pouvait y avoir un lien profondément ancré entre ces différentes images? Je me posais la question, alors même que je ne connaissais même plus la raison d'être de ma présence ici. De cette mémoire involontaire que je m'empressais d'oublier je passais à l'image suivante. À ce moment-là l'idée d’une fêlure imparfaitement isolée du reste ne me traversait pas l'esprit. C'était l'esprit même de la fêlure, presque joyeux, qui, m’emportant d’un monde à un autre, me faisait penser de la sorte.


mercredi 15 décembre 2021

Miroir

 

 Dans une grotte, une stalagmite est une colonne partant du sol. Elle est formée de concrétions calcaire, calcaire encore dissous dans les gouttes d’eau qui tombent sur le sol, nous dit le dictionnaire Larousse.

 

– La mer est peut-être ainsi faite... après tout, inlassablement les gouttes d'eau tombent du ciel et forment des couches, des strates secrètes qui s'accumulent, apparaissent peu à peu, s'évaporent, se fendent, disparaissent, retombent en tourbillonnant et dont certaines sont plus profondes et pleines de désirs que d’autres...

Platon et les siens... curieuse formulation qui implique une sorte de possession, terme tout aussi curieux qui évoque à son tour un double sens... Dans leurs grottes, bien à l'abri des regards, se posent d'innombrables questions qui portent, notamment, à propos de ces stalagmites en constante formation et déformations.
– Comme un miroir reflétant ses origines, il faut bien que ce qui constituent ces mille et une strates dans lesquelles sont enfermés à jamais des souvenirs réécrivant ou exprimant sans cesse leurs histoires, préludes en formes de magmas tantôt indéchiffrables et tourmentés, tantôt follement imaginaires  et légers, viennent de quelque part...


En tête

 Les riches vêtements de la phrase dissimulent une bien pauvre et pâle nudité...


Walid Neill



Rapport du jour qui fait suite au onzième 

J'avais bien en tête que ces images n'étaient que le fruit du mariage de ma mémoire et de mon imagination, mais je n'arrivais pas à y mettre ou à en extraire un sens. J'étais comme un musicien devant un piano mécanique dont les rengaines convenues en rondes défilent sans d'autres moteur que la main qui tourne la manivelle...
Quand, plus tard je parlerais de ces visions avec certaines de mes connaissances, ils me diront, non sans une certaine surprise, qu'ils reconnaissaient très nettement des scènes réalistes à tel point que le doute n'était pas permis : je revoyais, peut-être légèrement déformés par mon imagination, des événements bien réels qui s'étaient vraiment passés et que d'autres avaient déjà relatés. J'étais surpris, car moi, je ne voyais que des nuages caressés et chassés par le vent. J'eus bientôt l'impression d'être à mon tour l'objet de regards insistants...
Je reconnaissais ce regard de géant...
Il ne me restait plus qu'un espoir, celui qu'il ne puisse me voir de la même manière que moi. 



C’est clair…


« Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nous disons «C’est clair!» quand nous sommes certains d’une chose? Ou pourquoi nous disons «Je vois!» pour dire «Je comprends!»? Derrière ces expressions familières se cachent les vestiges d’une antique conception de la vérité, qui, d’après le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer, peut nous permettre de décrire les fondements du phénomène de l’interprétation et de critiquer le monopole de la vérité des sciences de la nature.»

François Doyon 



Extrait d'un cahier de Candide


Lors de ma chute, avant que je n'eus atteint le fond du précipice, je me retrouvais en équilibre instable sur le sommet d'une vague avec laquelle j'avais le très étrange sentiment de pouvoir communiquer et, plus encore, qu'elle attendait de moi des instructions... pendant que de très loin me parvenait encore des sons que je voulais croire être les paroles, incompréhensibles par ailleurs, d'une sorte de surveillant…

mardi 14 décembre 2021

Au cœur…

 



– Le monde dans lequel nous vivons est cerné de noirceur…
– Au cœur de ces ténèbres il arrive quelquefois que nous sortions de cette noirceur…
– Pour cela nous ne nous révoltons, jamais assez...
– Et nous rêvons…
– Beaucoup trop...
– Le rêve est une pure production, très réelle, de lumière…
– Racontez-moi!
– Dans ce rêve je voyais  et entrais dans un palais doré.
– Continuez!
– Devant moi était allongé un être endormi dans un sommeil profond. Quelques tressaillements suivis de longs mouvements d'étirements m'indiquèrent qu'il était sur le point de se réveiller. Il ouvrit les yeux et ne semblait pas me voir. Son regard se perdait sur les tourelles d’or qui l’enveloppaient. Partout des reflets de son visage le regardaient…


Le plus drôle

 


– Comme dit l'annoncier… "C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle".*



* Claudel, Le Soulier de satin

 

Des choses et des sentiments




– Il est des choses et des sentiments qui ne peuvent être dits, soit par manque de temps, soit par manque d'à-propos, soit simplement parce qu'ils risquent d'être mal interprétés. J'ai le sentiment parfois qu'en ce qui nous concerne ce pourrait être tout cela à la fois...
– Si vous le dites…
– Vous n’avez pas l’air d’accord?
– Je crois que bien avant nous c’est de notre maître qu’il pourrait s’agir…
 

 

lundi 13 décembre 2021

En d’autres temps

 

Les lumières du ciel projettent sur la terre ce que les hommes projettent dans leurs esprits. Ainsi l'homme sur le bateau que les enfants avaient vu n'en était pas un. Cependant, en d'autres circonstances l'illusion se fait plus clémente.



Ainsi l'homme n'en était pas un mais amarré au rocher le bateau, lui, était bien réel.


En d'autre temps bien lointains, non loin de là... 



 

L’individu…

 Platon, enfant, "trouvait du réconfort dans les mathématiques, qui stimulaient son esprit, l'attiraient et le vidaient de tout. Il entr'apercevait un genre de vérité. Il se rappelle avoir d'abord rencontré la division posée, qui était présentée dans un manuel comme pur procédé  – quelque chose à comprendre, du moins à faire. Mais il ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi l'opération marchait. Nous admettons beaucoup de choses, beaucoup de ce qui est admis par les autres, et l'on nous dit d'obéir et nous acceptons. Et nous devons accepter. Je n'ai pas le temps ou, en l’occurrence, la disposition pour pour établir que la Terre est fondamentalement sphérique, mais quand je vois la couche de l'horizon depuis un avion, je crois avoir perçu quelque chose qui est cohérent avec ce que l'on m'a dit être la vérité: que la planète est ronde comme une boule. Mais comment pouvons-nous savoir que nous acceptons une chose que nous ne devrions pas accepter, sans connaissance du pourquoi? En mathématique, le pourquoi est tout. Comment ou plutôt pourquoi ce procédé mécanique de division posée marchait-il - calculer combien de fois un nombre est inclus dans un autre, trouver le reste, puis le reporter? Pourquoi quelqu'un avait-il pensé que cela marcherait toujours? Que se passait-il?"*





Que se passe-t'il? Deux enfants de sept ans, ayant
"tout" et rien... ou les deux à la fois, dérivent d'une histoire à une autre sans jamais connaître les liens qui les attachent l'un à l'autre excepté le dialogue. Le jeu infini qui lient les signes, les lettres, les mots, les phrases aux infinies représentations qu'elles suscitent à l'infini sur un horizon qui tourne en rond.

– L'homme est-il une machine supérieure à celles qu'il crée ?
– Pour répondre à cette question, il faut évaluer la question qui précède... ou plutôt les questions...
– Lesquelles?
– L'homme est-il une machine? L'homme est-il le créateur des machines qu'il prétend inventer? L'homme est-il au service d'une machine? 
– Cela fait beaucoup pour des "petits enfants de sept ans" comme nous...
– Et ce d'autant plus que la liste des questions n'est de loin pas finie...
– Par exemple...
– Par exemple quand nous disons "l'homme" a inventé une machine, s'agit-il d'un homme en particulier, qui porte un nom qui l’identifie, ou de l'ensemble d'"êtres" que l'on appelle "homme?
– Qu'est-ce que cela change?
– C'est une question de justice... ou peut-être d'éthique... à plusieurs niveaux... et d'abord, pour le moins, que je sache l'individu n'est pas l'ensemble...
– Je ne vais pas vous étonner, à ce point, je n'y comprend rien...
– Voyez-vous. il est très compliqué d'être simple...
– Je ne vous le fais pas dire...
– Regardez cet homme, là-bas, au loin, debout sur sa barque!
– Vous changez habilement de sujet et moi je ne vois rien…
– Pas du tout… regardez bien… juste à l'endroit où l'étoile est tombée…
– Là où les nuages ressemblent à de la fumée?
– C'est cela. Et, par un curieux effet du hasard, si je puis dire, au-delà du cliché...: Il n'y a pas de fumée sans feu... 
– Nous voilà bien loin des machines....
– Et peut-être bien près d'un homme...
– Se pourrait-il qu'il soit une espèce de reste?
– Un reste reste issu d'une division... par exemple...



* À la lumière de ce que nous savons
Zia Haider Rahman
Christian Bourgeois  Éditeur 

 

 

Secret désir

 

– Êtes-vous capable de garder un secret?
– Dites-moi!
– Je crois que… ce qui nous anime est un secret désir...
– Oui… mais dites-moi… jusqu'à quel point? 
– Parlons-nous du désir ou du secret?
– Il en va peut-être de même. 
– Difficile à dire…
– À quel niveau de difficulté?
– Quelle que soit cette difficulté, allez-vous céder au sentiment que la trahison du secret n'en serait pas vraiment une?
– Je crois qu'à cette question, il importe peu de répondre puisque de toutes manière, un jour ou l'autre nous céderons...
Platon, lui même, ne cesse d'y penser. La tentation est grande d'y céder. Céder à quelle révélation?
– Le moment n'est pas encore venu où, moi-même, dans le même équilibre instable où nous nous trouvions, je céderai à la même tentation… même si le secret que je porte pour ma part, n'est évidemment pas identique au sien...
 

 
– Regardez, à l'endroit même où la pierre, enfin... l'étoile... est tombée, un homme s'approche, debout sur sa barque.

 

dimanche 12 décembre 2021

Un reste minuscule

 

Loin, très loin de là. En d'autres temps...
« Conduisant ceux qui les connaîtront à négliger d'exercer leur mémoire, c'est l'oubli qu'ils introduiront dans leurs âmes: faisant confiance à l'écrit, c'est du dehors en recourant à des signes étrangers, et non du dedans, par leurs ressources propres, qu'ils se ressouviendront; ce n'est donc pas pour la mémoire mais pour le ressouvenir que tu as trouvé un remède.»*


– Regarde, une lumière venue du ciel!

La succession des règnes et des faits du plus simple aux plus complexes est soumise aux cycles qui une fois enclenchés ne s’arrêtent que pour en mettre d'autres en route. Comment les choses ont-elles été nommées, comment conduisent-elles aux suivantes et quels sont les liens qui les attachent? Telles sont les préoccupations de Platon enfant? Ainsi le petit caillou qui s'enflamme en pénétrant dans l'espace vivifiant de la terre enflamme tout autant l'esprit des enfants qui voient dans ce reste minuscule l'étoile toute entière sans savoir qu'elle meurt sous leurs yeux et qu'au même moment en d'autre temps, en d'autres lieux, comme les deux faces d'un même miroir...


* Platon, Phèdre

Tous ensemble

 

"La reprise est cette catégorie paradoxale qui unit dans l'existence concrète ce qui a été, le même, à ce qui est nouveau, l'autre."*




« [...] pouvoir spirituel, bien calé dans des fortunes, des patrimoines et des réseaux temporels s'étend par delà les méridiens et parallèles connus. Terra incognita et mare nostrum postulent que les frontières sont affaire de navigation et de force. Le premier arrivé plante bannière et armoiries, nomme et exploite. » **
 

– Dites-moi, comment pourrions-nous, avec modestie***, séparer le concept de reprise de celui de répétition? Vous admettrez, du moins je l'espère, qu'il y a là, malgré un bien faible écart sémantique, une différence de taille qui ne se mesure point à la ligne, ni à la lettre, mais aux effets qu'elles produisent...

Platon, le petit chien Damon, Platon, l'autre petit chien et les deux jumeaux dont personne ne connait le nom sont réunis sur cet amas incompréhensible, au sens fort, dont ils ne savent s'il est une île, un reste de naufrage accroché aux restes d'une île, ou un radeau sur lequel, malgré les doutes et les interrogations ils avancent...

 
– Peu importe que cela soit l'un ou l'autre ou les deux ou les trois à la fois. L'important n'est-il pas d'être là?

Il eut envie d'ajouter "tous ensemble", mais quelque chose le retint. Et ce ne fut pas le fait de se retenir qu'il retint mais ce quelque chose qu'il ne parvenait pas à identifier et qui s'ajoutait au fait, tout aussi incompréhensible, que la voix qu'ils entendaient n'était pas la leur.

 – Il me semble pourtant que nous ne sommes pas "au complet"...
– Regardez, là au loin, une étoile filante...
Si la chose est nouvelle, peut-elle se répéter...

– En l’occurrence cette étoile...





* Sören Kierkegaard

** Codes noirs, Éditions Dalloz 

*** François Jullien, cours enregistré en 2017:
https://www.franceculture.fr/conferences/bibliotheque-nationale-de-france/acceder-une-seconde-vie-ou-passer-cote

 

samedi 11 décembre 2021

Invention

 

"La peur est un des plus grands problèmes inhérents à la vie. Être sa victime c'est avoir l'esprit confus, déformé, violent, agressif, en perpétuel conflit. C'est ne pas oser s'éloigner du mode conventionnel de pensée, qui engendre l'hypocrisie. tant qu'on est pas délivré de la peur, on peut escalader les plus hautes montagnes, inventer toutes sortes de dieux, mais on demeure dans les ténèbres."*



– Venez ici, n'ayez pas peur... où que nous soyons... ou.. que ceci soit un naufrage… ou n'en soit pas un, peu importe. Qui que nous soyons et quoi que nous voyions: agissons, dites-moi ce que nous faisons, ou ce que nous pourrions faire ensemble? 
"Il n’avait pas conscience, à ce moment-là, que son désir impliquât un but déterminé."**

 


* Krishmamurti, Se libérer du connu
** George Orwell, 1984

 

 

 

Qui

 

"En chacun de nous est une tendance à s’accommoder des choses, à s'y habituer, à blâmer les circonstances.«Ah ! Si les choses étaient autres, je serai différent», disons-nous. Ou bien: «Donnez-moi une occasion favorable et je me réaliserai.» Ou : «L'injustice de tout cela m'écrase.» Nous ne cessons d'accuser les autres, notre milieu, la situation économique, d'être la cause de tous nos désordres."*

– Dis-moi où tu vis et je te dirai qui tu es!
– N'est-ce pas un peu vite dit?
– Sans doute, tout comme c'est un peu vite répondu... enfin "répondu"... après réflexion, ce n'est pas une réponse... vous émettez une critique sur la forme de ce qui est dit et non sur le fond de la proposition. C'est une manière d'éluder qui a fait ses preuves et son chemin. Toujours est-il, maintenant qu'il semble que nous soyons tous, si je puis dire... réunis, qu'aucun de nous ne sait où nous sommes et moins encore qui nous sommes. Si la proposition que j'ai énoncé vaut quelque chose peut-être devrions nous y songer au lieu de dire que c'est vite dit!
– Pourquoi devrions-nous savoir qui nous sommes. Ne pourrions-nous pas nous conter d'être "qui nous sommes" ?



* Krishmamurti, Se libérer du connu

 

vendredi 10 décembre 2021

Immuable

 



– Alors jeune marionnette êtes-vous en route vers votre passé ou vers votre futur?

– Ne sommes-nous point toujours dans le même temps… comme dans la même image?

– Il y a le temps de l’image… temps qui semble immuable… Rien ne semble changer et pourtant la regarder c’est s’y promener et s’y déplacer ne peut se faire que si le temps n’est pas immuable…

– Croyez-vous que l’image soit comme le temps? 




Crainte

 

 


 

– La flèche du temps est-elle conforme à l’idée que vous m’exposiez tout-a-l’heure?
– Privés du réel nous ne pouvons que répéter…
– Peut-être avec le temps oserons-nous davantage!
– Et ainsi pourrions-nous laisser se développer ce qui en nous s’est introduit…
– Le craignez–vous ?
– Même pas…
– Que craignez-vous?
– Je crains, voyez-vous, de ne point savoir…
– De ne point savoir quoi?
– De ne point le savoir…


jeudi 9 décembre 2021

La flèche du temps

 



– Que fait cet homme dans notre image?
– Il me semble injuste de parler de notre image…
– Peut-être… mais alors qu’y fait-il?
– Tout me donne à penser qu’il observe…
– Qu’oubserve-t’il?
– Probablement ce qu’il appelle la flèche du temps… mais…
– Mais?
– Il se trompe…
– Qu’est-ce qui vous fait penser cela?
– La flèche du temps a deux pointes...
– Je ne comprends pas…
– La flèche représente le temps… or le temps va dans deux directions opposées… une vers le futur et l’autre vers le passé…
– Je ne comprend toujours pas… Je pensais que le temps n’avait qu’une direction…
– Le temps n’étant qu’un concept, nous pouvons, sans aucune difficulté,  le faire aller en tous sens… 


Semblables

 

 


 


– Entendez-vous ces lointaines paroles?

– Je les entends…

– D’où viennent-elles?

– Ouvrez les yeux…

– Sont-elles nôtres?

– Ne rêvez pas, je vous l’ai dit, notre vie ne ressemble point à celle de notre maître…

– Moi aussi je vous l’ai dit… pas encore…

– Et pas avant longtemps… mais ces paroles invisibles sont les siennes et nous, comme un miroir, nous les reproduisons… par la voix…

– Ou par l’image… Songeons entre nous combien les mots et les images peuvent être semblables… combien les unes et les autres forment un tout dans lequel le mouvement nous fait passer des uns aux autres…

– Puisque vous en parlez, dites-moi… voyez-vous la même chose que moi?

– Comment voulez-vous que je sache ce que vous voyez?

– Ne sommes-nous point constamment dans la même image?

– C’est cela même… mais elle est changeante…




mercredi 8 décembre 2021

Une idée

 

 


– Pourquoi Pinocchio, l’Autre, veut-il absolument devenir un homme?
– Pour pouvoir parler…
– Mais ne m’avez-vous pas dit qu’il y parvenait?
– Certes… mais…
– …Mais?
– … À la manière d’une marionnette… C’est pourquoi il n’est pas sûr…
– Il n’est pas sûr de quoi?
– Il n’est pas sûr que votre voix, ou celle de qui le rencontre, dise complètement ce qu’il pense.
– Et quel est son but?
– Il est vraisemblable qu’il ait quelque chose à dire… qui ne pourrait être dite qu’avec sa voix…
– Celle qu’il n’a pas!
– Pas encore…
– Avez-vous une idée de ce qu’il voudrait dire?
– Une idée… oui.




Voix

 

 


 – Pinocchio, l’Autre, ne parle pas à haute voix…
– Pourtant je l’entends…
– Il ne sait ni ne peut parler… mais il pense de telle manière que quiconque le voit ne peut éviter de croire qu’il l’entend. 
– Mais alors qui entends-je quand je crois l’entendre?
– Vous même…
– Ce n’est pas possible!
– Parfaitement…
– Pourtant ce ne sont point mes mots que j’entends mais bien les siens…
– C’est sa force… les mots que vous entendez sont les siens et la voix qui les portent est la vôtre. Il en est ainsi de tous ceux qu’il rencontre…


mardi 7 décembre 2021

Piètre mémoire

 
« C’est une bien piètre mémoire que celle qui ne regarde qu’en arrière.»
 
  

– Que fait-il là entre les colonnes?
– Il invente son habituel rituel.
–  N’est-ce point contradictoire?
– De quoi parlez-vous?
–  S’il invente… ce ne peut être habituel!
– Son habitude est d’inventer… et le rituel veut que cela soit nouveau!
– C’est assez inhabituel… en effet! 
– C’est surprenant… mais plein de sens…
– Ne serait-ce pas plein de bon sens qu’il faudrait dire?
– Il n’y a pas lieu…
– Que fait-il avec les colonnes?
– Il les met sens dessus dessous…
– Est-ce une habitude?
– Je ne sais pas… c’est la première fois que je le vois faire cela…



Ici

 

 


– L’enfant Lune est-il dans le même temps que nous?
– Encore faudrait-il que nous soyons, vous et moi dans le même temps!
– Comment cela?
– Nous ne sommes point dans le même temps parce que nous ne sommes point dans le même lieu…
– Vous finassez ce me semble!
– Certes la différence est minime, mais elle existe. Elle n’est point suffisante pour que nous nous en apercevions avec nos sens…
– Alors à quoi bon s’en soucier?
– Parce que cette différence est essentielle si l’on veut comprendre…
–Comprendre quoi?
– Si l’on veut comprendre pourquoi l’Enfant Lune qui est pourtant dans la même image, apparemment, dans le même lieu ne vit point son présent comme nous. En réalité il est ailleurs…
– Et cet ailleurs est où?
– Il est ici…


lundi 6 décembre 2021

Autre point de vue

 

« L’art vole autour de la vérité, mais avec l’intention décidée de ne pas s’y brûler. Sa capacité consiste à trouver dans le vide un lieu où le rayon de lumière puisse être capté sans que la lumière ait été repérable auparavant.»

Kafka 


– D’un autre point de vue…
– Le nôtre?
– L’un des nôtres… 
– Eh bien?
– Je ne vois pas quel danger il pourrait y avoir à venir dans nos images!
– Ce ne sont point nos images. Nous y vivons mais je vous rappelle que ces images… nous ne les connaissons pas vraiment…
– Que me contez-voix là?
– Il existe, ce n’est pas nouveau, plusieurs niveaux de lecture d’une image. Mais pour y avoir accès il faudrait pouvoir la voir de l’extérieur…
– Vous voulez parler de la capacité d’en sortir?
– C’est cela… 


Risque

 

 


 – Croyez-vous que notre maître prendrait le risque de venir dans notre monde?
–  La véritable question serait plutôt de savoir quel risque pourrait-il y avoir…
– En tous cas, si risque il y a, il ne serait point comparable à ceux qui nous guettent dans le sien…
– Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
– Je ne fais que répéter ce qu’il m’a dit.
– Pourquoi ne me l’avez-vous point dit plus tôt?


dimanche 5 décembre 2021

Une nuée

 


– Entre deux apparitions ou entre deux images, où se trouvent l’enfant Lune ou Pinocchio, l’Autre… ou qui sais-je encore?
– Il est impossible de le dire… il sont, pour ainsi dire, dans une nuée de possibilités infinies… et il est impossible de prévoir où et quand ils peuvent apparaître… et, chose étrange, il se pourrait qu’ils soient dans plusieurs endroits simultanément…
– C’est vertigineux…
– Je ne vous le fait point dire!


L’ordre du temps

 «  Les choses se transforment l’une dans l’autre selon la nécessité et se rendent justice
selon l’ordre du temps. »

Anaximandre 


– Si tout se transforme… alors nous aussi…
– … nous nous transformons…
– … selon l’ordre du temps
–  Encore faudrait-il savoir ce qu’est l’ordre du temps.
– D’autant qu’il existe une multitude infinie de temps.
– Mais alors lequel est le vrai… celui avec lequel nous pourrions être sûr d’être à l’heure?
– Il n’existe pas, chaque temps correspond à chaque point de l’infini de l’espace… 
– Qui vous a dit cela?
– Mon maître l’a lu et me l’a répété*.
– Croyez-vous que chacun de nous ait son temps propre?
– C’est une évidence…
– Pour vous peut-être…
– Vous savez, même si la différence est infime… c’en est une.

* L’ordre du temps, Carlo Rovelli, Flammarion 

samedi 4 décembre 2021

Les événements et les choses

 


– Croyez-vous que nous puissions continuer notre… comment dire…
– Notre apprentissage!
– C’est cela… notre apprentissage sans notre maître?
– Pourquoi devrions-nous nous passer de son aide?
– Cela me semble évident…
– Ce ne l’est pas pour moi?
–  Je crois vous l’avoir déjà dit…  parce qu’il y a une grande différence entre répétition et représentation.
– Rappellez-moi!
– La répétition est censée être copie… conforme à l’original…
– Tandis que la représentation?
– La représentation est un événement… non une chose…
– Ce qui veut dire?
– On pourrait dire que l’évènement est dans le présent… et la chose qui se répète est dans le passé 
– Que cherchez-vous à dire?
– Que le monde est fait d’évènements et non de choses…


Dans la boîte

 

 


 

– Comment faire pour s'y retrouver dans tous ces temps qui, selon vous, se mélangent?
– Selon moi les temps ne se mélangent point. C'est nous qui probablement les mélangeons...
– Comment cela?
– Nous attribuons au temps des qualités qu'il n'a pas et...
– Et?
– Peut-être que le temps n'est pas ce que nous disons être...
– C'est-à-dire?
– C'est-à-dire que la façon dont nous appelons le temps dépend de nos besoins...
– Continuez...
– Enfin, selon notre maître, le temps nous dérange tellement...
– C'est le cas de le dire!
– ... que nous inventons des concepts... des définitions... des mots qui l'enferment dans quelque chose que l'on puisse exposer, manipuler, expliquer, mais c'est la cage que nous regardons, manipulons, nommons et non ce qu'il y a dedans qui...
– Qui...
– Qui... du reste n'est pas plus dans la boîte que nous-même...
 

Chance

 


– Quand quelqu’un nous regarde, il est immobile.
– Et nous bougeons en permanence…
– Ainsi que l’enfant Lune…
– C’est ce qui fait qu’une infime portion de temps lui échappe…
– Et alors?
– Alors c’est dans cet espace que réside notre unique chance…
– Notre chance de quoi?
– D’échapper à son contrôle!
– Pourquoi cela?
– Pour enfin devenir nous-mêmes!
– Peut-être… mais je peine à comprendre où vous voulez en venir…


vendredi 3 décembre 2021

Éloignement



– Si c’est en nous-mêmes que tout se trouve…
– Alors?
– Alors… à quoi bon chercher?
– Ce n’est pas si simple…
– Pourquoi cela?
– Parce qu’il commence à y avoir en nous-mêmes, en plus de la construction… une sorte de partage…
– Comme pour notre maître?
– C’est presque cela!
– Dites-m’en plus!
La vitesse ralentit le temps*
– Qu’est-ce là?
– Nous pensons trop…
– Et alors?
– Alors le temps passe plus vite.
– Quelle importance cela peut-il avoir?
– Alors nous nous éloignons du temps que nous partageons avec lui ou l’enfant Lune…
– Pourquoi?
– Parce que nous sommes immobiles et que eux, notre maître ou l’enfant Lune… ou Pinocchio…
– … ou Don Carotte…
– Tous…
– … sont dans le mouvement…
– Est-ce pour cette raison que nous ne pouvons accéder au monde de notre maître?
– C’est possible…
– Je vous sens hésitant…
– Je crois que ce n’est pas la seule raison…

* Einstein 



Partage

 

 


– Alors, présentement, dites-moi, dans quel temps vivons-nous?
–Comme vous pouvez le voir, nous partageons le temps de l'enfant Lune...
– Quand vous employez le terme de "partage"... voulez-vous dire que nous y participons?