mardi 31 mars 2020

(31) Cité


« Entre une chose que l’on peut penser, craindre et sa réalisation, cela n’a rien à voir. Notre manière de comprendre change du tout au tout quand on passe d’une hypothèse abstraite à une réalité.»

Dominique Bourg




– Platon...
– Platon? Le petit chien bleu?
– Mais non, Platon le philosophe, en décrivant sa cité idéale, demande que les poètes en soient exclus...
– Pourquoi?
– À cause de leur regrettable aptitude à susciter l’émotion plutôt qu’à fortifier la raison.
– Comment le savez-vous?
– Comme toutes choses...
– C'est-à-dire?
– Comme je l'ai entendu...
– Et que vous répétez... 




lundi 30 mars 2020

(30) Ce que l'on veut nous faire dire


« En lui, il était, pour une seconde fois, un long grognement, une sorte d’enrouement dans lequel sa voix s’efface. Dans la nuit un homme marche. Le vent se lève et le suit. Entre des vagues qui se rapprochent et le sable qui s’enfuit l’homme et le vent s’engouffrent et, chacun à sa manière, porte la sourde clameur, l’aride plainte du temps qui se défait. Sans se retourner l’homme courbe le dos, de temps en temps, la main hâtivement portée sur son chapeau, il tente de relever la tête et presse le pas. Devant lui comme sous ses pieds nus l’horizon s’effondre, l’écume se noie, un mince filet d’eau enfle. La source ou le déluge ne sont plus très loin.»

Walid Neill, Ultime plage au hasard des gisants





– Selon le peu qu’il m’ait raconté, mon maître n’est pas nostalgique de son enfance.
– Vous aussi... vous auriez un maître?
– C’est étonnant!
– Qu’est-ce qui est étonnant?
– Il m’étonne qu’il vous ait parlé de son enfance…
– C’était une période difficile, mais il ne le savait pas.
– Pourquoi vous en a-t’il parlé?
– Ce qui lui arrivait, faute de comparaison, lui paraissait normal…
– Vous ne me répondez pas…
– Pour rien au monde il ne voudrait la revivre ni changer quoique ce soit à ses souvenirs.
– Vous souvenez-vous de votre enfance?

– Je ne sais que ce que l'on veut bien me dire... ou plutôt... ce que l'on veut me faire dire...

samedi 28 mars 2020

(28) En pleine lumière


« En avant, boiteux, cria son horrible voix, en avant paresseux, sournois, visage blême ! Que je ne te chatouille de mon talon ! Que fais-tu là entre ces tours? C’est dans la tour que tu devrais être enfermé; tu barres la route à un meilleur que toi!»
Et à chaque mot il s’approchait davantage; mais quand il ne fut plus qu’à un pas du danseur de corde, il advint cette chose terrible qui fit taire toutes les bouches et qui fixa tous les regards: le bouffon poussa un cri diabolique et sauta par-dessus celui qui lui barrait la route. Mais le danseur de corde, en voyant la victoire de son rival, perdit la tête et la corde; il jeta son balancier et, plus vite encore, s’élança dans l’abîme, comme un tourbillon de bras et de jambes. La place publique et la foule ressemblaient à la mer, quand la tempête s’élève. Tous s’enfuyaient en désordre et surtout à l’endroit où le corps allait s’abattre.
Zarathoustra cependant ne bougea pas et ce fut juste à côté de lui que tomba le corps, déchiré et brisé, mais vivant encore. Au bout d’un certain temps la conscience revint au blessé, et il vit Zarathoustra, agenouillé auprès de lui:
« Que fais-tu là, dit-il enfin, je savais depuis longtemps que le diable me mettrait le pied en travers. Maintenant il me traîne en enfer: veux-tu l’en empêcher?»
« Sur mon honneur, ami, répondit Zarathoustra, tout ce dont tu parles n’existe pas: il n’y a ni diable, ni enfer. Ton âme sera morte, plus vite encore que ton corps: ne crains donc plus rien!»»


Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra



 

Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

 
– Dans l’ombre se déploie ce qui même en pleine lumière ne peut être dévoilé...



(28) Vide



Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

– La parole masque le vide qu'elle cherche à combler...

(28..) Incertain tissage


« Mais arriverai-je à montrer ce que je vois? J'en doute parfois. À force de tout reconsidérer, j'ai développé une vision des choses qui m'est propre et qui constitue désormais ma pensée. Cette pensée est-elle transmissible? Est-elle susceptible d'être comprise par ceux qui n'ont pas tout réexaminé comme je l'ai fait, au fil des années? Ou n'est-elle à la fin qu'une sorte de folie dans laquelle je me suis enfermé?»

Jean-François Billeter, Un paradigme




Extrait des cahiers de Pinocchio. l'Autre

– Comment un homme aux idées disparates arrive-t'il à réunir cette  mosaïque improbable qu'un rien, le moindre souffle, suffirait à disséminer... s'il n'arrivait au préalable à la mémoriser de l'une ou l'autre façon. Quel lien se tisse alors entre les deux? Est-ce cette mémoire qui tente de rendre l'homme prisonnier ou l'inverse? La réponse est au cœur de la mémoire même comme si l'homme tout entier y était...

(28) De poignants épigones



– Croyez-vous que nous pensions?
– Est-ce une question de capacité ou de l'imparfait?
– Tout cela réuni... en de minuscules pensées...
– Petites pensées en quête d'errance...
– ... si il y en a...
– De l'errance ou de la pensée?
– C'est un coup de notre maître.
– Un coup de maître...
–  Dans le fond, nous ne sommes que des bavards...
– Peut-être pas dans le fond, précisément, le fond manquerait...
– Au mieux des causeurs...
– De poignants épigones.
– Ou alors...
– Ou alors?
– C'est lui... 

 

vendredi 27 mars 2020

(27) À sa guise...


« Quand je m'installe au café le matin, je sais que je ne serai pas dérangé. Je pourrai suivre le développement de mes idées ou me laisser dériver en écoutant les conversations, laissant mes pensées libres de se rappeler à mon attention quand elles le voudront.
[...] Dans cet endroit où je ne possède rien, mais dont je prends discrètement position en disposant à ma guise les quelques objets que je mets sur la table, je renoue avec moi-même. C'est un plaisir aristocratique. Quand j'atteins cette souveraine disponibilité, un vide se crée. De ce vide presque invariablement, au bout d'un moment une idée surgit. Je la note si le mot juste se présente. Ces moments sont un plaisir essentiel, dont je ne voudrais être privé pour rien au monde.»

Jean-François Billeter, Un paradigme, Allia


 – Nous nous attachons à ce qui demeure et pourtant tout passe...

(27) Fondement


« Et sache que le non-savoir est le fondement de la liberté de choix.»

Rabbi Nahman de Braslav




Bien avant l'aube, dont ils ne savent rien encore, certains souvenirs, quelques paroles ou même dialogues fantasmatiques, ensembles incertains, sortent dans le gouffre lumineux du matin...

L'enfant Lune, sait que son histoire n'est pas complètement inconnue de certains. Ainsi, il y a fort longtemps, alors qu'il n'était encore qu'un enfant, l'enfant Lune faisait déjà, comme aujourd'hui, des pieds et des mains pour connaître le fond véritable gisant dans les cahiers et les chroniques dont il a hérité...

jeudi 26 mars 2020

(26) Avenir



– Que savez-vous de l’avenir?
– L’avenir n’a que faire de nos petits desseins, il a les siens. 
– Nous n’aurions aucune possibilité de l’influencer ?
– Rien ne sert de vouloir y déroger, cela serait vain.
– Alors rien ne nous appartient...
– ... de ce qui lui appartient...


(26) Perdu dans le temps





– Tout cela me parait être au-dessous de mes forces...
– Vous voulez dire au-dessus de vos forces!
– Vous savez, de haut ou de bas, c’est sans importance...
– Nous y sommes!
– De quoi parlez-vous?
– De cette distance que vous parvenez enfin à percevoir et peut-être à parcourir.
– Vous passez du coq à l’âne!
– C’est presque cela! Il peut arriver que l’un et l’autre, comme le haut et le bas, l’intérieur et l’extérieur et tant de choses, injustement associées... ou dissociées, peut-être se confondent...
– Où voulez-vous en venir?
– Il arrive que, perdus dans le temps, l’actuel, l’ancien et le futur se confondent. Incomplètement certes, mais avec une force d’inertie telle, si j’ose dire, qu’elle nous emporte loin des rivages du connu
– Ce qui est parfaitement incompréhensible.
– Vous avez raison. C’est précisément en ceci que réside l’espoir.
– J’essaie péniblement de me sortir de mes petites histoires et voilà que vous me parlez d’un lointain parfaitement inaccessible sur lequel vous vous seriez laissé emporté et auquel je devrais moi aussi accéder. C’est trop pour ma petite tête.



(25) De l’ordre et de l’esprit




– Êtes-vous fâché avec notre maître?
– Qu’est ce qui vous fait dire cela?
– Il me semble qu’il y a quelque dissonance... ou quelque distance qui s’entend dans le son de votre voix...
– C’est que... ce que vous me demandez... à son tour demande un ordre et un esprit... que je ne possède point...
– Voilà beaucoup de mot pour peu d’esprit... en effet...
– Je vous l’avais dit...

mardi 24 mars 2020

(24) Ce qui résonne





 – Si notre âme a résonné, ne serait-ce qu’une fois, comme une note de joie, c’est que toute l’éternité a été nécessaire à la production de ce fait singulier – et en cet instant unique d’affirmation, la totalité de l’éternité se trouve confirmée, rachetée, justifiée, affirmée.
– Juste en cet instant?
– C'est déjà beaucoup.
– Qui dit cela... vous?
– Non... Levinas...
– C'est beau.

(24) Invisible





– Alors?
– Alors la nuit n’est en rien ce qu’ils pensent. Il y a dans la nuit, comme le leur enseigne la chouette, se répandant avec lenteur, une sorte de brume légère faite d’une structure d’une densité tout à fait spéciale dans laquelle les événements glissent et s’attirent, passant de l’un à l’autre sans aucun bruit de telle manière qu’il est impossible de distinguer ce qui du rêve ou de la réalité se produit. Face à tous ces événements, Pinocchio, comme l’enfant Lune, ne sait que choisir. Trop de possible pour celui qui sait voir et entendre. Parmi ce qu’il aime, il fait un choix et recompose un présent invisible pour qui ne sait fermer les yeux et il raconte pour qui sait entendre.

(24) Secret


« Tout ce que l'on sait, qu'on n'a pas seulement entendu comme un bruissement ou un grondement, se laisse dire en trois mots.»

Kürnber


– Vous ne la voyez pas? Comment est-ce possible?
– Est-ce qu’il la voit?
– De qui parlez-vous?
– Je vous parle de Pinocchio...
– Pinocchio serait là? Vous m’étonnez... Et que ferait-il?
– Ils ont l’air de bien s’entendre.
– Les entendez-vous?
– Je ne suis pas sûr que cela soit possible 
– Puis-je vous confier un secret?
– Un secret qui les concerne et qu’il me faudrait garder ?
– C’est dans la nature d’un secret.
– Mais, vous le savez aussi bien que moi, c’est aussidans notre nature que de tout répéter!

lundi 23 mars 2020

(23) Un autre dans le même


"Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi."

Nietzsche, Par-delà Bien et Mal




– Que fait-elle ici celle-là?
– De qui parlez-vous?
– Vous ne la voyez point?
– Je ne vois pas de quoi vous parlez...
– Il y a là , au dessus de Pinocchio, l'Autre... une chouette gigantesque...
– Est-ce qu'il la voit?
– Il me semble que oui... en tous cas son regard s’élève vers elle... ou dans s a direction

(23) Jeu





– Alors... que fait Pinocchio?
– Il semble jouer avec le feu.

dimanche 22 mars 2020

(22) Plus ou moins




– Puisque vous me parliez de radio, je me dois de vous rappeler que, d’une part une radio n’est qu’un objet et que d’autre part la voix que cet objet diffuse n’est pas la sienne...
– Un peu comme nous-mêmes...
– Cependant, contrairement à une radio, la voix qui sort de nous-mêmes est la nôtre...
– C’est là qu'émerge une question bien dérangeante... cette voix qui serait la nôtre... l’est-elle vraiment... ou n’est-ce qu’une imitation plus ou moins parfaite de celle de notre maître?

(22) Réel




– Sommes-nous des êtres réels?
– Il n’y a aucun doute à avoir.
– Vous ne répondez point à ma question...
– Je vous ai dit qu’il n’y avait aucun doute possible.
– Aucun doute concernant notre réalité... ou concernant notre irréalité?
– Nous parlons... donc nous sommes...
– Votre optimisme m’impressionne grandement... mais je vous objecte, c’est bien le cas de le dire... qu’une radio, qui n’est qu’un objet, parle aussi...
– Nous ne sommes point des objets. Quant aux radios, ce sont des existences moindres.
Et alors?

samedi 21 mars 2020

(21) C’est cela






– L’homme serait, d'un certain point de vue, une sorte de tuyau avec plusieurs ouvertures et plein d’interstices par lesquels une infinité d’organismes peuvent pénétrer...
– Le sait-il?
– Certains hommes oui.
– Et les autres?

– Ils l’ignorent...ou ne veulent pas y croire... sauf...
- Sauf?
– Sauf quand ils en prennent conscience, par force le plus souvent, surtout lorsqu’ils sont envahis...
– Ils passent alors du rôle d’envahisseurs à celui d’envahis...
– C’est cela.



vendredi 20 mars 2020

(20) Parmi tous






– Sommes-nous des hommes?
– Certainement pas et vous le savez tout comme moi.
– Saviez-vous que, parmi tous les animaux l’homme a un comportement des plus étrange quand il...
– D’abord est-il aussi un animal?
– Pourquoi cette question?
– Parce que vous avez dit parmi les animaux... cela sous-entend qu’il en fait partie...
– Et alors?
– Alors il prétend être un animal à part...
– Ne l’est il point?
– Pas plus que nous...
– Nous nous éloignons du sujet. Revenons si vous le voulez bien à ce que vous sous-entendiez à propos de ses comportements...
– Je parlais de ses souffrances...
– Qu’ont-elles de si étrange?

jeudi 19 mars 2020

(19) Égal




– Pourriez vous imaginer que, pour notre maître, nous ayons été, en quelque sorte, et non des moindres, des rivaux...
– Mais, c’est absurde...
– Moins que vous ne croyez.
– Expliquez-moi cela!
– Le seul fait que vous m’interrogiez à ce sujet montre à quel point c’est une possibilité.
– Je ne comprend pas.
– Vous devriez être conscient que depuis bien longtemps vous ne faites bien plus que simplement répéter ce que dit votre maître.
– Je ne vois pas en quoi cela ferait de moi un rival.
– Précisément parce que en pensant, quelles que soient vos pensées, vous êtes devenu un égal et un égal est potentiellement un rival. Que vous le vouliez ou non...
– Il y a un mais... Je ne crois ni n’espère être l’égal de mon maître.
– Il ne s’agit point de l’égalité de cette sorte. Au sens où l’entend notre maître, l’égalité doit s’établir au niveau le plus bas...
– Il n’aime pas ce terme...
– Moi non plus... Pour lui l’égalité est un principe, un principe qui ne fonctionne que si l’on respecte les personnes, leur droit à la parole, mais non au contenu de ce qu’ils disent. Vous êtes donc son égal... Et voilà!

mercredi 18 mars 2020

(18) Tributaires


« Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.»
Claude Lévi-Strauss



– Toutes ces réalités qui se cachent sous le couvert de l’imaginaire.
– Tous ces mots qui nous tombent dessus ces liens qui se tissent entre eux, allégeance et dépendance, soumission quelque fois, accords souvent qui en déterminent et modifient le sens profond.

– Serions-nous, comme les mots, tributaires de la définition que les hommes attribuent aux mots?

(18) Fenêtres grandes ouvertes


 « En l'homme séjournent beaucoup d'esprits, autant que d'animaux dans la mer[...]»

Nietzsche



– Comment se forme notre esprit?
– Dans le temps et à mesure qu'elles nous viennent à l’esprit les pensées se développent par elles-mêmes... tout en œuvrant à la très lente édification ou, selon les très rares cas, à la régénération de notre esprit...
– Nous n'y serions pour rien?
– Sans doute ont-elles besoin d'une certaine énergie pour cela. Ce serait pour cette raison qu'elles passent par nos circuits, aussi imparfaits soient-ils...
– Il est probable que c'est un risque qu'elles sont obligées de prendre...
– En est-il aussi ainsi pour les idées de nos maîtres?
– D'après mon propre maître, bien que  né longtemps avant le siècle, les idées ne feraient pas la différence entre eux et nous...
– Ce qui veut dire?
– Que lui et nous...
– Que lui et nous?
– Que lui et nous ne ferions qu’un...

(18) Pendant que...



 « Quant aux légendes et aux présages il suffirait d’ouvrir toutes grandes les fenêtres et de laisser entrer le soleil.»

J. M. de Queiroz, Les Maia, Chandeigne


– Imaginez-vous...
– Oui...
– Nous y serions les personnages d’une histoire... et...
– Et?
– Et, pendant que l’ombre lentement progresse sous les arbres les plus anciens... comme...
– Comme progresse la perception de la réalité chez ceux qui ne pense guère...
– Que voulez-vous dire? De qui parlez-vous?
– Écoutez plutôt...
"S’il consent néanmoins à l’accueillir comme il accueillerait sa propre fille, le troisième soir qui suivra cette lettre, allume une lampe au sommet de la tour qui regarde la mer."
– De qui parle-t'il?
– Il lit. 
– Que lit-il?
– Pelléas et Mélisandre...
– Comment le savez-vous?
– Je l’ai lu...
– Vous savez lire!?

mardi 17 mars 2020

(17) Une des tours



– Je crois que vous avez tort de sous-estimer les forces qui nous gouvernent...
– Vous voulez parler de l'imagination?
– C'est cela... Il se pourrait bien que sans elle nous n'existerions pas... Regardez, voilà... je la vois et je peux même m'appuyer sur elle!
– De quoi parlez-vous?
– Je parle d'une des tours dont vous m'entreteniez tout-à-l'heure... 
– Vous n'êtes pas sérieux, j'espère... à moins que ce ne soit...  c'est mauvais signe...
– Que ce ne soit?
– Les effets de l'épidémie...
– Vous êtes sérieux?

(17) Des tours



– J'ai l'impression que nous sommes regardés. La ressentez-vous aussi?
– La peur vous joue des tours...

lundi 16 mars 2020

(16) Imagination et témoignage




Ce que racontent les témoins ou les acteurs, au sens propre, est précisément ce qui se nomme l’imagination...
– Comme vous y allez!
– Il ne faut pas comprendre cela au sens habituel, mais dans un sens plus profond.
– Vous plaisantez!
– Pas du tout, chaque être qui parle re-présente les choses ou plutôt les événements, c'est-à-dire qu'il les présente à nouveau sous forme d'image. C'est cela que j'entends par imagination.
– Cependant je puis vous objecter que les mots ne sont pas des images!
– Essayez donc de comprendre ce que représente un mot sans que ne se forme une image dans votre tête!
– Vous plaisantez! Pour en revenir à ce que vous disiez des témoins, encore un peu et vous les traitiez de menteurs. Seriez-vous révisionniste?
– Pas du tout. Je ne le suis pas, et même je m’inquiète du fait que ce que je dis pourrait être utilisé comme argument de la part des révisionnistes. Mais eux et moi ne pensons pas du tout de la même manière. Ils possèdent... enfin... pensent posséder une sorte de vérité. Or, s’il m’est arrivé de la chercher longuement j’en suis arrivé à la conclusion que je ne la possède point et que personne ne la possède.
– Iriez-vous jusqu’à dire, comme notre maître, qu’elle n’existe pas?
– En tous cas elle nous est inaccessible dans son entier et vous le savez.

dimanche 15 mars 2020

(15) De plusieurs manières





Extrait des cahiers de Pinocchio

Un pas après l'autre je m'aventurais dans ce monde étrange que,  d'un côté je connaissais parfaitement en tant que marionnette, et de l'autre, ce lui d'un être humain... ou presque, qui me paraissait des plus étrange. C'était le même monde mais qui pouvait être vu de plusieurs manières... mais il faut le redire, la manière des hommes est, de loin et denmon point de vue, la plus étrange...

(15) Sans un regard


Sur l’hésitant balancier, ce qui semble nous guetter s’installe sans un regard. L’aveuglante lumière sait l’infidèle raison qui nous gouverne.




Extrait des cahiers de l'Enfant Lune


Ceux qui nous avaient appris la peur ne savaient encore point combien ils auraient peur de nous quand nous aurions appris à ne plus avoir peur...

(15) Plus tard


« Si, en serrant la main de l'autre homme, j'ai l'évidence de son être-là, c'est qu'elle se substitue à ma main gauche, que mon corps annexe le corps d'autrui dans cette sorte de "réflexion" dont il est paradoxalement le siège. Mes deux mains sont "comprésentes" ou "coexistent" parce qu'elles sont les mains d'un seul corps: autrui apparaît par extension de cette comprésence, lui et moi sommes comme les organes d'une seule intercorporéité.»

Merleau-Ponty



Extrait des cahiers de Pinocchio

Il m'arrivait de voir, d'entendre et de sentir ce que plus tard, beaucoup plus tard, j'ai su être de pures impossibilités. Comment l'ais-je su? Par croyance et surtout, par obéissance...

samedi 14 mars 2020

(14) Sans précédent


Ce qui est sans précédent, pour autant que cela se puisse, ne  peut être compris que lorsqu'il est passé.




Extrait des cahiers de Pinocchio


Il est plein midi au cœur du mystère. De taille et d’esbroufe, témoin incertain de l’histoire, tremblant, mais sans remord, le silence, sonnaille brisée, insoumise et lunatique barrière, lutte  contre la bienveillante logorrhée.



vendredi 13 mars 2020

(13) Jusqu’à ce que...


« Le texte cruel démasque l'homme, celui qui accepte ce qu'on lui a dit qu'il était [...]»




– Regardez, il suffit de les laisser agir à votre place, suscitant ainsi une sorte de changement de rythmes qui vous fera paraître différents jusqu’à ce que vous ayez oublié qui vous étiez...

(13) En un instant



– Regardez comment, en un instant il a changé! On dirait qu'il oublie celui qu'il est... ou celui qu'il était...
– Faites silence... écoutez...

Nous étions des milliers de marionnettes incapables de changer de peau ou d’incarner un autre que Pinocchio... Tous, plus ou moins, nous donnions et donnons encore de nous-mêmes ce qui lui manque. C’est ainsi qu’il vit et c’est ainsi que, sans l’avoir désiré, presque par hasard, chaque petite part de lui-même, où qu’elle se trouve, participe à sa reconnaissance.

jeudi 12 mars 2020

(12) Battement


« Là je suis ce que j'étais, je ne croîs  ni ne décroîs, car je suis là, une cause immobile qui fait mouvoir toutes choses.» 

Eckhart


– Si nous nous fions à ce qui nous paraît, il nous semble que vous ayez quelque peu perdu la tête...
– Laissez-le parler, peut-être est-il plus intéressant de l'entendre de cette manière:
– Il se peut... du moins il se pourrait que, tendant l’oreille comme d’imaginaires antennes, nous percevions des messages qui ne nous seraient point destinés et que ces messages, une fois traduit et compris soient comme une sorte de battement qui résonnerait en nous comme des un écho de nos propres battements qui lentement... 

mercredi 11 mars 2020

(11) Bonnes mœurs





– Monsieur... enfin... futur Monsieur... peut-être... pensez-vous que vous seriez un homme libre et de bonnes mœurs?
– Libre... je le souhaite... mais de bonnes mœurs  semble faire partie de ces expressions du passé, à vrai dire, puisque qu'il vous importe que je sois honnête... elle résonne de façon vieillotte... on peut se demander ce qu'elle recouvre réellement... et si vous m'expliquez clairement ce qu'elle veut dire, il se pourrait alors que je puisse vous répondre avec plus de précision que maintenant. 

(11) Le geste





– Que fait-il ici à cette heure-ci?
– Quelle heure est-il?
– Il est midi juste.
– Il ne fait point le geste!
– ... et il ne jette les dés!


(11) En plein inconnu


« Il peut avancer parce qu'il va dans le mystère.»

Mallarmé, Igitur



– Consentez-vous à vous mettre pleinement en jeu? J’insiste sur le pleinement... car il ne s’agit point de le faire à côté d'autre chose... Ce dont il s’agit est une présence pleine et profonde et de laquelle il n’est jamais question de sortir.
– Est-ce vraiment possible?
– C’est là, précisément, dans cet inconnu, que se trouve l’intérêt...
– Si je vous ai bien compris... nous n’y serions pas encore...



mardi 10 mars 2020

(10) Ce qui se passe





 



Extrait des cahiers de Pinocchio
 
Pour commencer à comprendre ce qui se passe ou simplement essayer de comprendre ce qui passe dans cette histoire, il me faudrait faire usage de connaissances et d'une sagesse que je n'ai point... C'est pourquoi ces cahiers que je m'échine à écrire ne seront jamais autre chose que des problèmes posés sans continuité et jamais, ou si peu, des réponses qui viendraient combler les vides soulevés par les questions...

(10) Écart





Extrait des cahiers de Pinocchio


 – Quelle sorte d’écart peut-il y avoir entre les hommes et moi?
Je ne faisais que me poser une question et jamais je ne me serais douté que pour eux je ne serai qu’une chose en laquelle leurs esprits malades placeraient tous leurs espoirs et projetteraient en moi-même l’entier de leur morale tout en observant avec délectation les gestes qu’ils me faisaient accomplir en oubliant avec constance que j’étais entièrement prisonnier de leurs fantasmes jusqu’à ce que...





(10)








lundi 9 mars 2020

(9) Jeu



Extrait des cahiers de l'Enfant Lune

Je me souviens du moindre mot de l'un de ces rêves... ils me poursuivent, mais je suis incapable de me souvenir quels en sont les acteurs...

– On pourrait dire les choses comme cela...
– Mais?
– Mais de fait nous y sommes déjà...
– Et depuis quand?
– Peut être depuis le début.
– Alors pourquoi parler de jeu et d’engagement...
– Parce que cela fait partie du jeu.
– Un jeu qui a déjà commencé, dont je ne connais ni les règles, ni les enjeux...
– Nous ne les connaissons pas toutes... non plus.
– Mais alors comment faites-vous pour diriger le jeu?
– Ce n’est pas nous qui dirigeons...
– Qui est-ce alors?
– Notre maître.
– Comment fait-il... comment faites-vous ?
– En principe, nous ne faisons que répéter.
– Et en fait?
– Nous interprétons ce que nous entendons... Malgré notre entière volonté, nos capacités, qui sont naturellement très grandes, et notre implication, fruit d’un long apprentissage, il nous est impossible d’être absolument fidèle et il nous est tout aussi impossible de faire autrement...