jeudi 31 janvier 2019

(31) Idées reçues


« La raison est le point de rencontre et le centre d’expansion du siècle, l'expression de tous ses désirs, de tous ses efforts, de son vouloir et de ses réalisations. Gardons-nous, cependant, de commettre l'erreur de nous satisfaire à la hâte de cette caractéristique, de croire que l'historien du XVIII siècle va trouver là le point de départ et d'arrivée de ses recherches. Ce qui fut aux yeux du siècle son programme et sa réalisation n'est pour l'historien que le commencement, l'amorce de son travail; là où l'on a cru trouver alors une réponse se pose la véritable question.»

Ernst Cassirer, La philosophie des Lumières




– À mon tour, je découvre que vous croyez en l'idée de progrès...
– Et cela vous étonne?
– Pas vraiment.
– Pourquoi cela?
– Parce que cette idée est tentante...
– Au fil du temps, pourtant, il me semble que la connaissance du passé s'affine...
– Vous parlez comme un historien.
– Elle évolue...
– Vous parlez comme un sociologue... ou un politologue. Les idées reçues ont la peau dure...
–  Et les à priori restent tenaces. Tout de même... comment pourrions-nous parler si nous n'avions aucune mémoire, aucun projet ou rien en quoi croire?

(31) L'idée de progrès




– Cependant cette Histoire, qui semble tant vous déranger, permet de se souvenir... tout de même...
– Là, vous avez raison...
 

– Elle permet de se souvenir et ainsi de s'améliorer...
– Là, me semble-t'il... il se pourrait fort bien que vous ayez tort... Se souvenir de quoi? Des grandes batailles? De leurs sauvageries? Pour l'oublier ou faire mieux lors de la prochaine?
– Il me semble que vous n'êtes guère optimiste.
– Vous aussi !
– Quoi donc?
– À mon tour, je découvre que vous croyez en l'idée de progrès...

mercredi 30 janvier 2019

(30) L'Histoire




– On dit bien souvent que L'histoire n'est pas une science exacte...
– L'Histoire avec un grand H?
– C'est cela... Mais on oublie que cette histoire, qu'ils croient pouvoir graver dans le marbre, n'en est qu'une parmi des milliards... sans compter que le marbre, contrairement au cliché véhiculé par les masses, s'use plus vite que vous ne le croyez. Surtout en surface...
– Pourquoi en surface?
– Parce que c'est là, et uniquement là, que peuvent se voir les mots qui restent à lire et à entendre...
– Cependant, si vous me le permettez, il faut bien que...
– Je vous le permet, naturellement, mais je ne suis pas bien sûr que cela ne soit qu'une part de la propagande dont les hommes sont si friands.
– Cependant cette Histoire, qui semble tant vous déranger, permet de se souvenir... tout de même...
– Là, vous avez raison...

(30) La voix




– Vous me parlez de la voix...
– Avec quoi d’autre pourrai-je vous parler?
– Laissez-moi finir, je vous parlais de la voix en tant qu’entité... Je ne vous parle pas de ma voix et justement votre interruption montre combien il est difficile d’en parler. Combien il est difficile de séparer l’objet de son concept.
– Vous voulez dire, peut-être... parce que la voix a besoin de la voix pour parler d’elle...
– C’est cela... mais pas seulement. La voix a aussi et surtout besoin d’un langage...
– Vous voulez dire que la voix ne peut être sans langage?
– C’est un peu cela et l’inverse.
– Comment cela ?
– L’inverse est que le langage a besoin de la voix...





mardi 29 janvier 2019

(29) Exil de soi


« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée: car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont.»

René Descartes, Discours de la méthode



– Sa propre liberté, sa différence, est le garant de la liberté de celui qu’il a créé à son image.
– Pour cela il devrait sortir de lui-même...
– C'est cela.
– Une sorte d'exil de soi!
– Vous avez compris!  Cette sortie sera une sorte d'accouchement...
– ... ou de rencontre... et de mort...
–  L'être, quel qu'il soit nommé, hors de lui-même, privé de son animalité prend conscience.
– Et ce serait cette conscience qui le met en présence de la mort?
– Vous avez...
– Non, non, je n'ai rien compris... j'ai simplement essayé de vous imiter...


(29) Dialogue inédit




– Comment, avec force et simplicité, un dialogue inédit peut-il avoir lieu?
– Pour qu'il y ait dialogue il faut nécessairement être deux. 
– Ne sommes-nous pas deux?
– L'être se parlant à lui-même crée un autre qui est comme lui...
– En quelque sorte on pourrait dire qu'il s'imite lui-même...
– Non, non, c'est de création qu'il s'agit... Né de lui-même avec la même liberté qu'un nouveau-né de chair et de sang.
– Mais alors où sera sa liberté?

(29) Sculptées par le temps



Quatre-cents-quatre-vingt-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

 
Entièrement en l'ardeur de ses rêves, sous la lune qui flambe, dans l’œil froid des montagnes, l'enfant Lune descendait du ciel et se glissait avec légèreté sur le sol à même les dalles sculptées par le temps. 

(29) Être au monde


« Être au monde n’est jamais neutre ou insignifiant. Le temps, l’espace possèdent à chaque fois une tonalité propre qui détermine le ton et la climatique de toutes nos rencontres, le style de notre communication avec les êtres et les choses. L’espace de la présence n’est pas exprimable par les mathématiques. Il s’articule selon les tensions ici - là, proche - lointain, en avant - en arrière, en deçà - au-delà, haut - bas, large - étroit, clair - obscur, aigu - grave, etc. Ces tensions ne se produisent pas entre des pôles préalablement donnés. Au contraire elles les fondent.»

Henri Maldiney, L’art, l’éclair de l’être, Cerf




Quatre-cents-quatre-vingt-quatrième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


 Il est des circonstances où les lois communes ne fonctionnent plus. Simplement parce que ces lois ne concernent en rien ce qui peut être nouveau et... du fait qu'elles ont la garde de ce qui est déjà... Je ne parle pas de ce que nous savons et que nous pouvons apprendre par ceux qui savent ou de ces  livres dans lesquels nous aurions acquis, nous aurions appris, mais de sensations de nous-mêmes par nous-mêmes.


(29) Aller


« ... aller: la marche est une allure. André du Bouchet est un marcheur, parcourant la route, remontant les pentes, descendant les éboulis, se mouvant dans le paysage qui se meut avec lui. Marcher c’est aller à travers... «À travers»: cet adverbe exprime la situation première, inaugurale, de l’homme au milieu du monde auquel il est à la fois ouvert et perdu. C’est le sens de la racine per, celle d’ « expérience ». L’expérience est une traversée. Qu’elle s’intériorise, se rassemble à mesure dans un résultat (Er-fahr-ung) où se développe à partir d’un point (ex-per-ientia), elle ne se déroule jamais d’un trait. Elle comporte des arrêts, des ruptures, des écarts, des élans. Elle est une articulation de moments critiques. Comme la marche: «Sur moi trouvant, où je me sépare et avance, appui - et moi...*»  J’avance et je me trouve sur une rupture. Tous les sens en font état. La vue confirme les kinesthésies.»
Henri Maldiney, L’art, l’éclair de l’être, p. 87, Cerf




* André du Bouchet, Sur un coin éclaté, dans l’Incohérence

lundi 28 janvier 2019

(28) Parfaitement la même


« Prenons un exemple, qui n'a d'ailleurs rien de kantien: un citron jaune et acide. Comment se fait-il que nous liions ensemble deux impressions aussi différentes que le jaune et l'acide? Il n'y a aucune transition de l'une à l'autre, le jaune n'est pas acide, l'acide n'est pas jaune. Comment pouvons-nous en faire une unité? Cela implique évidemment que nous imposions à nos sensations un certain ordre, une certaine cohérence. Cet ordre, dit Kant,  que notre sensibilité impose à nos sensations, ne provient pas de ces sensations –ni de l'acide ni du jaune–, mais de ce que nous lions, d'une certaine manière, le jaune et l'acide dans l'espace et le temps. Nous ordonnons nos diverses sensations entre elles dans l'espace et le temps. Kant réfléchit donc au temps et à l'espace et il conclut: "L'espace et le temps sont les conditions nécessaires et universelles de l'expérience sensible".»

Jeanne Hersch, L’étonnement philosophique, Folio essais


Quatre-cents-quatre-vingt-deuxième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


– Qui sont donc ces deux perroquets?
Quiconque eut été spectateur actif, engagé de plein pied dans cette scène eut entendu deux fois cette question sans qu'il s'agisse d'écho de quelque sorte... mais la voix, elle, dans le ton comme dans l’expression et malgré un léger décalage dans le temps comme dans l'espace, semblait presque être parfaitement la même...

(28) Être au monde


« Être au monde n’est jamais neutre ou insignifiant. Le temps, l’espace possèdent à chaque fois une tonalité propre qui détermine le ton et la climatique de toutes nos rencontres, le style de notre communication avec les êtres et les choses. L’espace de la présence n’est pas exprimable par les mathématiques. Il s’articule selon les tensions ici-là, proche-lointain, en avant-en arrière, en deçà-au-delà, haut-bas, large-étroit, clair-obscur, aigu-grave, etc. Ces tensions ne se produisent pas entre des pôles préalablement donnés. Au contraire elles les fondent.»

Henri Maldiney, L’art, l’éclair de l’être, Cerf




(28) Quand se meut-il?


« Mais quand donc alors la flèche passe-t-elle d'une position à la suivante? Quand "se meut-elle", si à chaque instant "elle est" en un lieu?»

Jeanne Hersch, L'étonnement philosophique, Folio essais


– ... et d'autre part?
– Qu'est-ce qu'il y a d'autre part?
– C'est vous qui le disiez...

(28) Et... d'autre part...


« L'objet de la critique est donc la forme pure de la pensée, telle qu'elle est avant l'expérience et qu'elle conditionne celle-ci.»

Jeanne Hersch, L'étonnement philosophique, Folio essais



– Que fait-il là? Qui est-ce? Est-il mort?
– Je ne le crois pas...
– Pourtant il ne bouge pas.
– Dites plutôt que vous ne le voyez pas bouger.
– C'est la même chose.
– Pas du tout, il bouge mais sa vitesse de déplacement n'est pas la même que la nôtre... et ce qui vous semble figé ne l'est pas du tout... et... d'autre part...

dimanche 27 janvier 2019

(27) Regards


«... ces paroles, je ne faisais plus effort pour les prendre: je les regardais.»

Maurice Blanchot


(27) L'important


« Après cela, il me pria avec ferveur et de la manière la plus affectueuse possible, de ne pas agir comme un enfant, de ne pas me précipiter dans les misères dont la nature et l'état dans lequel je suis né m'avaient exempté. Il m'a dit qu'il n'avait pas besoin de trouver mon pain; qu'il serait bon avec moi et qu'il m'aiderait autant que possible à entrer dans l'état de vie qu'il m'avait conseillé; et que si je ne me sentais pas heureux et à l'aise dans le monde, ce serait simplement à cause de mon destin ou de ma faute; et qu'il n'était responsable de rien parce qu'il avait fait son devoir, m'avertissant des actions qui, il le savait, pouvaient me faire du mal. En quelques mots, tout comme il serait bon pour moi de rester et de m'installer à la maison comme il l'a dit, il participerait de quelque façon que ce soit à mes malheurs en m'encourageant à partir.»

Robinson Crusoé


–  Cette vision contemplative frise parfois le narcissisme, ne croyez-vous point?
– Il est vrai que c'était comme si mon maître jetait un sort à chaque mot qu'il prononçait et que l'envie de le répéter n'avait de cesse de me pousser à le faire, et, à force d'étirer mes cordes vocales...
– Êtes-vous bien sûr de cela?
– Peut-être à l'excès, mais peu importe. L'important n'est-il point de ne pas perdre l'architecture globale de la langue. Celle précisément si belle de mon maître.

(27) Lyrique et onctueuse


« – Une tempête, idiot? répondit-il, appelez-vous cela une tempête? Mais si ce n'était rien; avoir un bon bateau et être en pleine mer, on ne s'inquiète pas d'une tempête comme ça. Qu'est-ce qui se passe, c'est que vous n'êtes rien de plus qu'un marin d'eau douce, Bob. Venez, préparons une cruche de punch et oublions tout. Ne vois-tu pas quel temps merveilleux c'est maintenant?»

Robinson Crusoé


Certains jours la voix de mon maître était lyrique et onctueuse... une pure merveille, en tous cas dans mon souvenir, vous savez...
– Il se pourrait que la distance et la déformation qu'elle induit ait fait son œuvre, mais la sonorité du souvenir..., comment dire?
– Oui, c'est cela, elle fait merveille dans le développement du premier temps, celui notre jeunesse, mais aussi dans le mouvement lent qui est celui d'aujourd'hui..


samedi 26 janvier 2019

(26) Renversement


« L'interrogation trahit forcément l'interrogateur; elle indique l'objet de de ses préoccupations, ses soucis, ses besoins, et donc ses manques. Si une simple demande ne fournit évidemment pas matière à une évocation très détaillée, une série de questions, par contre, vous permet de préciser un portrait parfois très intéressant de la personne qui vous interroge. À cet égard les questionnaires sont toujours éloquents. Malgré leur allure le plus souvent impersonnelle, il suffit généralement pour faire apparaître leurs auteurs de retourner le problème et de les interroger à leur tour.»

C. Duneton, J.-P. Pagliano, Anti-manuel de français, Points





(26) Source


« Qui devrait déjà applaudir ici? Ils sifflent avant que la scène ne devienne visible. C'est ainsi que se comportent la plupart; car ils n'ont pas le temps. Pour les œuvres du langage, ils n'ont pas le temps. Devant des tableaux, ils admettent volontiers que ce n'est pas simplement un incident qui doit être représenté, saisissable au premier coup d’œil: ils en concèdent un second pour sentir aussi quelque chose de l'art des couleurs. Mais un art de la construction des phrases? Leur dit-on qu'il existe quelque chose de la sorte, ils pensent à l'observation des lois de la syntaxe.»

Karl Kraus, Aphorisme, Éditions des mille et une nuits



Quatre-cents-quatre-vingt-et-unième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


 Ce qu'il y avait de positif dans l'incompréhension de l'enfant Lune, du moins dans les premiers temps, était le fait de découvrir, grâce à lui, que notre surprise était totale et le dérangement qu'il nous procurait était une source d'énergie que nous avions d'autant plus de plaisir à découvrir que nous avions le sentiment que nous pourrions la faire nôtre...


(26) Guide


« L'écriture n'est-elle rien de plus que la dextérité à inculquer au public une opinion par des mots? la peinture serait alors l'art de dire une opinion en couleurs. Mais les journalistes de la peinture s'appellent justement des barbouilleurs. Et je crois que celui-ci est un écrivain qui dit au public une œuvre d'art. C'est le plus grand honneur qui me fut jamais rendu, quand un lecteur m’avoua, confus, qu'il ne parvenait à comprendre mes choses qu'à la seconde lecture. Il hésitait à me le dire, mes mots ne lui coulaient pas de source. C'était un connaisseur, et il ne le savait pas.»

Karl Kraus, Aphorismes, Éditions des mille et une nuits


Quatre-cents-quatre-vingtième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir 


Dans ce ciel où le soleil brille, nulle étoile véritable n’est plus visible et nul soleil des temps anciens ne peut apparaître. Dans la nuit, au delà du soleil, se réveille ces étoiles censées nous guider. L'enfant Lune, par intermittence nous montre combien il lui est facile de s'y déplacer...

vendredi 25 janvier 2019

(25) À nos sens


« Le langage est le matériel de l'artiste littéraire, mais il n'appartient pas à lui seul, alors que la couleur appartient exclusivement au peintre. Aussi la parole devrait-elle être interdite aux gens. Le langage des signes suffit pleinement pour les pensées qu'ils ont à échanger entre eux. Est-il permis de nous barbouiller sans cesse les habits avec de la peinture à l'huile?»

Karl Kraus, Aphorismes, Éditions de Mille et une nuits

Quatre-cents-soixante-dix-neuvième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

Sur la scène déjà son ombre s’est allongée, puis disparait dans cette nuit qui commence à peine de s'animer. Une trop longue absence où l’homme rêve de lumière et l'enfant Lune disparait à nos sens et surtout à nos paroles.


(25) Sentiments



Quatre-cents-soixante-dix-huitième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

Le peu de connaissance que nous avions de l'enfant Lune en ce temps-là n'explique pas entièrement que nous n'ayons pas eu de véritables sentiments envers lui. Quant à ses propres sentiments il était impossible d'en connaitre la teneur ... s'il en avait... tant ils étaient imperceptible... en tous cas tels que nous avions l'habitude de les discerner... 

(25) Certitude ou probabilité


Lorsque le Sujet envisage la transmission, son interrogation peut être double. S’agit-il de sa propre succession, là où le défi consiste à se confronter à l’événement que, depuis sa plus tendre enfance, il sait inéluctable? S’agit-il de la disparition de l’autre –son père, sa mère, voire son conjoint– celui dont on s’imagine virtuel ayant–droit, question d’autant plus complexe qu’elle confine parfois tabou, sinon au refoulement? Dans les deux cas, ces interrogations relèvent d’une vision par essence intime et solitaire.
Face à l’héritage, le Sujet est à même de croiser deux visions distinctes qui lui sont personnelles: celle du «un jour, je mourrai» et celle du «un jour, j’hériterai». La première est une certitude, la seconde une forte probabilité.»

Julien Trokiner, Le sujet dans la transmission, Un regard notarial, in Le sujet face au réel et à la transmission, Éditions in press





(25) Circonscription


« ... les bords de la nature sont toujours en lambeaux... »

Alfred North Whitehead, The Concept of Nature, Cambridge, Cambridge University Press


Quatre-cents-soixante-dix-septième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir 

 Avec le recul, à propos de l'enfant Lune, tout essai de circonscription signifiant à plus ou moins long terme la perte et l'incompréhension, je me suis résigné à ne consigner que ce que j'ai vu de me propres yeux et entendu, avec attention, de mes oreilles... et de mon esprit.



jeudi 24 janvier 2019

(24) Légères allusions



– Que sont deviendrons ces gestes si subtils et ces légères allusions… qu'en pleine lumière, nous recevions comme des présents pleins de promesses.

(24) Au-delà des heures




– Ce n’était point le temps de l’enfant qui était immobile.
Mais ce qui, perdu dans le temps, au-delà des heures, ne vous appartient pas…


 

(24) Chacun de son côté


« Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression, et même la sensation solide, que c’est le moment de parler de la bêtise, de nommer la bêtise, non seulement son existence, mais aussi sa tendancielle hégémonie. En témoigne la parution de plus en plus régulière d’ouvrages consacrés à ce sujet. Machinalement, au fil des années, j’avais rangé tous ces livres au même endroit, il y avait donc dans un coin de mon bureau une pile «bêtise», mais je n’en avais pas vraiment conscience jusqu’au jour, tout récent, où la pile en question fut si haute qu’elle s’est effondrée. Me penchant alors sur chacun de ces textes qui prétendent affronter la stupidité de l’époque, j’ai touché du doigt leur solidarité souterraine et leur commune vulnérabilité.
[...]
Voilà, je pense quand même que cette accumulation fait sens, il y a aujourd’hui urgence, il faut prendre la bêtise au sérieux, se garder de la sous-estimer, mesurer au contraire sa puissance morale et politique. Car la bêtise est une force spirituelle. Elle n'a guère à voir avec l'ignorance: certains de ses fidèles les plus zélés sont d’ailleurs des puits d'érudition. La bêtise relève plutôt d'une perversion de la conscience: un mélange de désinvolture morale et de dégoût vigilant, qui conduit à haïr la liberté, et la mémoire aussi, souvent. Sans cesse les imbéciles se défilent, partout ils refusent de faire face. Une chose et une seule suscite leur mobilisation: la guerre à l'intelligence. Quand il s'agit d'en finir avec l'esprit critique, la bêtise devient légion métaphysique et matérielle, appuyée par d'innombrables soldats, vieux briscards ou jeunes loups...»

La chronique de Jean Birnbaum, France Culture, 24-1-2019


Juste à temps, le passé avait disparu des pensées de l'enfant Lune et le monde lui était apparu tel qu'il était à ce moment là, lui aussi ne cessant de changer. La nuit, la vraie, a succédé au jour. Pour Pinocchio, de son côté, invisible, par intermittence, c’est un autre voyage qui commence. Un voyage qu’il ne peut maîtriser et bien difficile à suivre. Un voyage parfaitement inconnu dans lequel il ne peut rien faire d’autre que d’assister. Ni le moindre mouvement, ni rien de ce qu’il pourrait y dire ne changerait le moindre détail.
– C’est exactement comme dans un rêve, sauf que là je n’oublie presque rien... pour ainsi dire...

(24) Qui peut savoir?



– C’était le moment d'y repenser à nouveau...
– Derrière lui revient au galop ce qui dans le temps passé avait disparu.
– Juste à temps, le monde lui aussi ne cesse de changer. La nuit, la vraie, a succédé au jour.

– Nous entend-t'il?
– Qui peut savoir?


 

mercredi 23 janvier 2019

(23) Une pensée fulgurante




À peine l’a-t’il pensé, qu’une lumière transperce la couche épaisse de nuages et projette sur lui un éclairage qui le fait paraître nouveau. Derrière lui revient au galop ce qui dans le temps passé avait disparu.
– C’est le moment de penser à nouveau...

(23) Un sentiment hasardeux







Quatre-cents-soixante-seizième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

Le vie de l'enfant Lune est une histoire en mutation permanente, un sentiment qui n’a rien à faire avec le temps: c’est à un pur hasard ou à une catastrophe, en tous cas à rien d’autre qu’il pourrait imaginer devoir sa présence en ce lieu. Bref, une présence de pur hasard qui serait le résultat d’alliances et de mésalliances successives où les mémoires se jouent des tours et où la parole, loin de tout clarifier, étendrait un voile obscur semblable à celui de la nuit, mais où, aussi, les trous de paroles, y produiraient des ouvertures, telles celles dans les nuages qui procurent des éclaircies.

(23) Le seul à entendre




Quatre-cents-soixante-dix-septième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

– C’est précisément de cela qu’il s’agit, pensait l'enfant Lune. Une suite improbable de jours et de nuits n’ayant rien à voir avec la rotation de la terre et où les temps se croisent, se superposent, se pénètrent, se séparent et se croient différents. C’est tout cela que vois et que j’entends. Si seulement je pouvais oublier ce sentiment qui provoque de telles trouées dans mon histoire et qui me fait oublier celui, si large et si complexe... mais... que sans lui et ce qu'il me fait croire... je serais le seul à entendre.

(23) Au cœur du réel




Quatre-cents-soixante-quinzième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

Levant la tête, Don Carotte pense, sortant en cela des inerties de l'habitude, dans une sorte de grâce, à ce qu'il appelle la vraie terre... 
– Je me disais donc... quand nous écrivons une histoire dans le projet de la dire, puisant pour cela “au cœur du réel dans le répertoire infini de nos souvenirs, comme l'enfant Lune “inventait” le temps qu’il  faisait, aussi éloigné du vrai que l'image l'est de l'objet qu'elle figure ou comme il croyait s’en souvenir, ou comme il croyait qu’il aurait dû être à ce moment-là dans la multiplicité de ses formes, elles-même tributaires de ses ascendances, nous inventons, j'inventais malgré moi ce dont je ne pouvais douter qu'il fut notre passé.

mardi 22 janvier 2019

(22) Qu'il en soit ainsi


« Mon cœur bondit de joie
Quand paraît l'arc-en-ciel:
Il en est était ainsi quand j'étais enfant,
Il en est ainsi maintenant,
Qu'il en soit ainsi quand je serai vieux,
Sinon, que je meure! [...]

Wordsworth




Quatre-cents-soixante-quatorzième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

Il y a dans le courant tourbillonnant des temps un je ne sais quoi qui me semble familier... et dans lequel s'agitent des formes qui me parlent...

(22) Incomplet


« Le récit est par nature incomplet. Aucun auteur ne dit absolument tout sur la situation qu’il décrit. Tout récit pose un nombre indéterminé de pré-supposés, et c’est aux lecteurs de les compléter. Suivre une histoire consiste en partie à compléter ce que le narrateur ne dit pas. S’il s’agit de Sherlock Holmes, on va présupposer que c’est un homme, et non un androïde, même si Conan Doyle ne le précise jamais.»

 Noël Carrol 



(22) Dans la mesure où lui-même...


 « Tout a commencé lors de la dernière lune d'hiver par un avertissement assez embrouillé de mon principal astrologue, Barka Maï. C'est un homme honnête et scrupuleux dont la science m'inspire confiance dans la mesure où lui-même s'en méfie.»

Michel Tournier, Gaspard, Melchior et Balthazar, Folio






(22) Finitude



Don Carotte

– Dans tous ces petits mondes qui, juste après que le rideau soit tombé et que le temps, celui de tous les jours, soit rétabli, tombent à leurs tours, les uns après les autres, en gesticulant par court-circuits consécutifs et répétés tous nos rituels ridicules. Dans le même temps, sous la moindre étincelle et sous l’œil amusé du destin, c'est aussi avec la parole que certains d'entre nous essayons, en vain le plus souvent, de nous concilier avec notre finitude... en essayant de comprendre, avant que de le répandre, le peu qui nous soit accessible.


lundi 21 janvier 2019

(21) Le destin des choses




– Il est des événements qui, mis en présence d'un esprit raisonnable, suscitent bien des doutes quant à leur existence, mais il faut bien que, dans les récits, surgissent ensemble, quelques semblables coïncidences qui veillent sur le destin des êtres et des choses de telles manières que l'ensemble ressemble à quelque idée, fruit du labeur de quelqu'un, peu importe quand... ou quelque chose, eut pu avoir.



(21) Passages secrets


« Suivre une histoire, c'est avancer au milieu de contingences et de péripéties sous la conduite d'une attente qui trouve son accomplissement dans la conclusion . Cette conclusion n'est pas logiquement impliquée par quelques prémisses antérieures. Elle donne à l'histoire un "point final", lequel, à son tour, fournit le point de vue d'où l'histoire peut être aperçue comme formant un tout. Comprendre l'histoire, c'est comprendre comment et pourquoi les épisodes successifs ont conduit à cette conclusion, laquelle, loin d'être prévisible, doit être finalement acceptable, comme congruente avec les épisodes rassemblés. »

Paul Ricœur, Temps et récit  tome I: L'intrigue et le récit historique, Seuil, 1983




– Alors quelles sont ces passerelles ou... ces passages qu'emprunte l'enfant Lune?
– Il dit que ce sont des passages à l'intérieur des mots... 

(21) D'un monde à l'autre




– Il faudrait pour cela que nous découvrions les passerelles qui y mènent...
– Pour autant qu'elles existent... 
– Mais alors, comment ferait-il lui... qui manifestement passe d'un monde à l'autre?
– Ce n'est un secret pour personne...
– C'est vous qui le dites!
– Non, c'est lui...
– Alors que dit-il?

(21) Passerelles


« Chaque culture n’a d’existence spirituelle que par les hommes et les femmes qui se sont affrontés eux-mêmes. Au cœur de leur âme, ils ont touché à la même «ténèbre» d’inconnaissance, source de la docte ignorance, de l’espérance, de la confiance et de la vitalité créatrice. Si l’éducation à la vie spirituelle a un sens, elle conduit là. Cette démarche est par ailleurs incontournable si l’on veut faire quelque chose pour l’avènement d’une humanité viable, c’est-à-dire pacifiée.»




– Connaissez-vous les secrets de l'enfant Lune?
– Je ne vois pas de quoi vous parlez...
– C'est vrai qu'il s'agit d'un autre monde...
– Croyez-vous que nous pourrions... ou... aimeriez-vous passer d'un monde à l'autre?
– Il faudrait pour cela que nous découvrions les passerelles qui y mènent...
– Pour autant qu'elles existent..





dimanche 20 janvier 2019

(20) Où cela nous mène-t'il?



– Si, comme le dit Schopenhauer, les formes des jugements sont des mots et des assemblages de mots, alors il faudrait à coup sûr, commencer par se demander ce que désignent directement ces mots et assemblages de mots...
– C'est bien ce qu'il dit... et ainsi, l’on aurait trouvé qu’ils désignent des concepts.
– Pourriez-vous me dire pourquoi nous avons de telles discussions et surtout où cela nous mène-t'il? 




(20) Le réel




Commentaire de l'enfant Lune

Extrait du grand Cahier Rouge

Le réel n’est rien d’autre que ce qui obéit à la définition que l’on en donne... ou qu’on lui a donné. Il dépend donc de cette appellation et de la définition que l’on en fait. Le réel est un concept qui dépend de l’interprétation que l’on en fait. Le réel n’est donc pas universellement le même pour tout le monde... Ce qui est vrai pour le réel l’est aussi pour tout autre concept...  De là, on pourrait se demander si chaque mot ne serait pas en soi un concept susceptible d'une polysémie quasi infinie dépendant des facultés de ceux qui l'emploient.

(20) À l'envers


« Voir ce n’est pas seulement regarder avec les yeux, c’est projeter dans le même temps sur le monde tout un maillage de connaissances préalables qui oriente notre vision.»

Pierre Bayard, La vérité sur « Dix petits nègres », Minuit 


 

Commentaire de l'enfant Lune

Extrait du grand Cahier Rouge

Je me demande qui pourrait être prêt à croire qu’il existe de pareils endroits à l’envers desquels une sorte de temps parallèle serait mis en œuvre par d’habiles  mains de telle manière que tout puisse arriver et que son action annule littéralement son modèle tout en le révélant tel qu’il est vraiment avec la froide et mensongère précision du miroir.

(20) Mythe familial


L’enfant risque de devenir le contenant de l’histoire parentale à défaut d’en être l’héritier. Les auteurs parlent d’une «identification endocryptique». La transmission psychique entre les générations est une des préoccupations majeures de Serge Lebovici. Il désigne «l’arbre de vie» d’un enfant dans le cadre de la transmission intergénérationnelle, soit pour construire sa place, que lui attribuent ses parents, soit «pour leur permettre de (ou les obliger à) revivre leurs propres conflits infantiles avec les grands parents de l’enfant», soit «pour saisir l’origine des fantômes qui, à partir des secrets de famille, hantent la chambre des enfants»(1998, p. 69); soit pour exprimer un mythe familial dans un contexte familial particulier.

Marion Feldman, La transmission du trauma d’une mère à son bébé in Le sujet face au réel, p. 445, In press






Quatre-cents-soixante-treizième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


 Quelle sorte de parole pourrait-elle être instaurée de telle manière qu’elle puisse être comprise par l’ensemble des participants du récit... y compris le, la ou les lecteurs potentiels?