mardi 23 juin 2009

« Mon corps est en continuité, par mes ancêtres humains et animaux, avec les vivants les plus primitifs. Il dure depuis les origines mêmes de la vie. Et l’on peut en dire autant de tout ce qui vit aujourd’hui sur la terre: pas un brin d’herbe qui ne remonte au commencement de la vie. »

Ruyer, 1946

vendredi 19 juin 2009

Tutuguri
Le rite du soleil noir

Et en bas, comme au bas de la pente amère,
cruellement désespérée du cœur
s'ouvre le cercle des six croix,
très en bas,
comme encastré dans la terre mère,
désencastré de l'étreinte immonde de la mère qui bave.

La terre de charbon noir
est le seul emplacement humide
dans cette fente du rocher.

Le rite est que le nouveau soleil passe par sept points avant d'éclater à l'orifice de la terre.

Et il y a six hommes,
un pour chaque soleil,
et un septième homme
qui est le soleil tout cru
habillé de noir et de chair rouge

Or, ce septième homme
est un cheval,
un cheval avec un homme qui le mène.

Mais c'est le cheval
qui est le soleil
et non l'homme.
...

Antonin Artaud


- Qui est cet Antonin que vous récitez depuis plusieures heures?


- Regardez, ils reconstruisent.
- Il me semble, en écoutant attentivement le son de votre voix, qu'il y a une part d'étonnement dans votre constatation.
- Vous ne vous trompez pas. C'est étonnant.
- Qu'y at'il de si étonnant?
- Ils travaillent ensemble...

jeudi 18 juin 2009


Il arrive, peu souvent toutefois, qu'un homme voie Léthé avant de mourir ; mais ce cas très rare, est chose commune dans le cercle assez fermé des Émissaires. C'est une des raisons qui font qu'ils soient élus.
- Permettez-moi une question.
- Je vous en prie, mais ne cessez pas d'avancer, il me tarde d'entrer.
- Ce n'était pas cette question que je désirais vous poser mais qu'entendez-vous par entrer?
- Eh bien, cette ombre, cette faille que vous m'avez montré tout à l'heure est aussi une entrée, une porte si vous préférez.
- Était-ce l'ombre qui lavant tout donnait à cette porte sa forme ? ou bien ne gardait-elle cette apparence que par vos anciennes habitudes de tout voir à votre façon ?
- Nous pensons que l'ombre est d'abord façonnée par les substances invisibles qui se pressent dans nos pensées.
- Vous voyez que nous avons finalement les mêmes inclinations et que nous savons nous entendre... et puis, qui sait, nous avons peut-être le même moule...
- Nous montrons au dehors ce qui correspond au dedans...

- Alors qui est Léthé?
- Celle que nous cherchons depuis si longtemps.
- Vous ne répondez pas vraiment.

mercredi 17 juin 2009


- Concentrez-vous un peu plus, je vous prie, et dites-moi de façon précise ce que vous percevez.
- Je... c'est extraordinaire... je ne peux y croire...
- Il ne s'agit pas d'y croire mais simplement de voir. Faites un effort!
- Pardonnez-moi, c'est l'émotion. C'est impossible...
- Dites-moi ce qui est impossible.
- C'est elle...
- Qui donc?
- Celle que nous recherchions.
- Celle que vous recherchiez... Avec qui la recherchiez-vous et qui donc est-elle?
- Elle est là devant nous, sur sa colonne, regardant au loin... Ne la voyez-vous pas? Venez, hâtons-nous, je sais qu'elle est là. Conduisez-moi vers cette fissure que vous m'avez montrée!
Je suis bien certain que celle qui agrémente mes tourments et mes songes est là derrière cette barrière au front si austère. La surprise qu'elle me cause n'est rien face à l'indigence de mon imagination.
La destruction est une cause incroyable. Il arrive que le monde visible ne soit que le drap qui recouvre un corps que l'on croit mort et qui ne fait que rêver.
- Qui est-ce?
- Conduisez-moi vers cette fissure que vous m'avez montrée et d'où vous me disiez avoir senti une effluve de rose!

mardi 16 juin 2009

- Alors, racontez... Ne vous laissez pas emporter. Racontez-moi!
- Je ne comprends pas. C'est un ange qui passe. Il a de grandes ailes et porte un grand disque d'or et le manteau de...
- Êtes-vous sûr que vous êtes dans un état qui puisse être considéré comme normal?
- Comment voulez-vous que je le sache?
- Ah! Il y a dans votre ton une légère pointe de colère qui me rassure un peu. Voulez-vous mettre un peu d'ordre dans votre vision et me la conter?

- Je vois un gigantesque mouton fou enfermé dans une place transformée en arène. Il renverse à grand coups de tête tout ce qu'il peut atteindre. Un homme, il se peut que ce soit moi, observe sans réagir.
- Où cela se passe-t'il?

lundi 15 juin 2009

- Il me semble que le sol était composé de zone très contrastée, mais je ne peux revoir l'image. Quand j'y pense elle change, le sol qui n'était éclairé que dans les limites d'un halo de lumière jaune est maintenant complètement et uniformément jaune. La tour a disparu.
- De quelle tour parlez-vous?
- De celle qui projetait la lumière dont je vous parle...
- Et vous dites qu'elle projetait de la lumière ! Comment expliquez-vous cela?

- C'est curieux, plus je vous en parle et plus elle me semble familière. Je n'ai plus aucun problème pour décrire ce que je vois. Ce n'est plus exactement l'image de tout à-l'heure mais c'est le même endroit et il y a dans cet endroit un je ne sais quoi qui ressemble à une promesse. Venez, je crois que je me...

- Pour mieux la mesurer, imaginez que vous reculiez et que, dans le même temps, vous vous dédoubliez. Imaginez aussi que vous vous éleviez dans les hauteurs. Vous verriez alors ce que vous ne pouvez voir dans les conditions qui sont les nôtres.
- J'aimerai que nous retournions à cette faille que vous m'avez indiqué et que je n'ai pas bien observée.

- Avez-vous vu cet éclair de lumière?
- Je n'ai rien vu... mais racontez-moi ce que vous avez vu. essayer de vous en souvenir du mieux possible.
- Il me semble...

dimanche 14 juin 2009


- Je la vois et ne puis m'empêcher de me poser une question : d'où vient-elle?
- Je ne le sais pas plus que vous.
- Il vaudrait mieux que nous ne restions pas là. Ne sommes-nous pas sur son chemin? Qui sait si cette ombre ne va pas nous absorber.
- Il me semble que vous n'apprenez pas grand-chose de vos expériences. Il y a peu, vous y étiez et il me semble que vous n'y étiez pas si malheureux.
- C'est vrai, je l'avais oublié.
- Pourquoi cette inquiétude si soudaine alors?
- Je crois que c'est une conséquence de l'oubli.
- Ah ! Vous progressez...
- Comment cela?
- Ce que vous venez de dire était intéressant.
- Je ne me souviens pas d'avoir dit quelque chose d'intéressant. Cela me semblait être d'une extrême banalité...
- Venez. Il faut que nous nous éloignions un peu pour que la vanité de vos propos prennent mesure de ce à quoi vous devrez faire face.
- Ne faudrait pas mieux nous en approcher pour mieux la mesurer ?

- C'est que vous croyez, mais vous le verrez il existe une multitude de façon de voir et la meilleure n'est pas toujours celle à laquelle on croit le plus. Regardez bien cette petite faille que l'on peut voit au pied de ce qui nous fait de l'ombre.
- Dois-je comprendre qu'il y a là devant quelque chose qui "fait" de l'ombre? Cela serait contraire à ce que vous me disiez alors. Et puis, attendez... cette chose serait-elle le produit de notre imagination?
- Ah! Décidément, vous avez fait un grand pas. On peut même dire que l'ombre vous convient. je vous rassure cependant, cette chose n'est pas l'objet de votre imagination.
- Vous ne me rassurez pas du tout...

samedi 13 juin 2009


- Vous le pourriez, mais il se pourrait alors que vous commettiez un erreur.
- De quel genre d'erreur s'agit-il?
- De celle qui pourrait vous perdre.
- Me perdre au sens propre ou au sens figuré?
- Au sens qu'il vous plaira. Mais tous deux vous mèneraient au même.
- Au même quoi?
- Au même cul-de-sac.

- Qu'entendez-vous par là?
- Ce que vous avez entendu.
- Je ne comprend pas. Nous ne sommes pas dans un sac. Et d'ailleurs, le serions-nous que je demande bien comment il se pourrait que nous nous perdions dans un cul-de-sac qui, par définition, est un endroit clos.
- C'est une expression imagée.
- Ne me prenez pas pour un idiot, je sais cela.
- Vous avez cela mais vous ne savez pas ce que vous devez en penser. Ce qui revient à dire que vous ne savez pas entièrement de quoi il retourne. Vous pouvez courir en tous sens, vous prétendre libre et vous persuader de votre raison. Cela ne peut vous convaincre que vous puissiez savoir où vous êtes...
- Vous n'y allez pas de main morte?
- Pour retourner le sac, il faut une main énergique qui n'ait aucune hésitation.
- Parce que c'est vous qui auriez cette possibilité?
- Sans aucun doute.
- Qu'est-ce qui vous amène à cette certitude?
- Le fait est là: vous m'avez donné votre consentement.
- Je ne vous ai rien donné de pareil.
- Regardez, le hasard vient à la rescousse!
- Que vient faire le hasard dans cette histoire?
- C'est une manière élégante de vous faire prendre conscience de vos limites.
- Merci beaucoup pour l'élégance supposée de vos égards, mais je crois mes limites me sont connues je vous l'ai déjà dit.

- Ce n'est pas ce que vous dites qui m'importe, c'est ce que vous êtes.
- Là, vous dépassez les bornes.
- Vous touchez dans le mille, c'est précisément ce que je cherche à faire... Voyez-vous cette ombre qui rampe vers nous?


- Comment pourrais-je ne pas la voir? C'est encore un de ce territoires dans lesquels vous allez, par ruse et surprise, me pousser. Le premier était obscur, le second était lumineux et le troisième, sans surprise, est à nouveau obscur. Vous n'êtes guère surprenant.
- Vous vous trompez. Cette fois je ne suis pas maître de ce qui se passe.

vendredi 12 juin 2009

- Connaissiez-vous cet endroit avant que ne m'y emmeniez?
- Je ne crois pas qu'il soit vraiment possible de le connaître.
- Mais, étiez-vous déjà venu ici?
- J'ai des doutes à ce sujet.
- Racontez-moi cela.
- Je suis presque sûr que j'ai déjà emprunté le chemin qui nous a amené ici.
- Donc vous connaissiez cet endroit!
- Ce n'est pas évident.
- Ai-je quelque raison de croire que votre esprit soit dérangé ?

jeudi 11 juin 2009


- Comment se fait-il que vous puissiez si facilement change de milieu?
- C'est la chose la plus simple qui soit. Ce que vous mettez dix ans à apprendre ne me prend pas plus de quelques secondes. Vous ne pensez qu'à ce qui se passerait si vous y étiez les pieds. Il n'est pas étonnant que vous pensiez comme un pied... Les miens ne pensent pas, ils font ce qu'ils ont à faire. J'ai cette faculté. Mais le secret ultime est... de faire comme vous.
- Vous ne me comprenez pas et je vous soupçonne de vous foutre de ma gueule... je suis incapable de faire comme vous et vous prétendez faire comme moi. C'est absurde! Quelque chose ne fonctionne pas dans votre raisonnement.
- Le secret est simple, je fais le tri: mets de côté vos grossièretés et vos émotions et je fais selon ce que vous pensez. Vous avez pensé: il nous faut un espace de pure lumière. C'est ainsi qu'est apparu un espace y correspondant. Moi, cela me suffit.
- Mais où était cet espace?
- Il était là, devant vous.
- Mais... il n'y avait rien autour de nous! Vous étiez d'accord avec moi!
- Il n'y avait rien que vous puissiez voir. Cela ne signifie pas qu'il n'y avait rien pour quelqu'un qui sait voir. Et mon accord ne portait que sur ce que vous étiez en train de dire et non sur ce qui était et est toujours.
- Mais enfin, vous charriez un peu. Une ombre se cachant dans l'obscurité, je veux bien... Mais comment la lumière pourrait-elle passer inaperçue dans l'obscurité? Cela dépasse l'entendement.
- Cela dépasse votre entendement parce votre entendement est compliqué. Vous pensez trop!
- C'est la meilleure! Vous vous moquez de moi... Dois-je vous rappeler ce que vous êtes?
- Nullement, je sais ce que je suis d'autant mieux que je ne suis que bien peu de chose. Mais je sais aussi que d'innombrables phénomènes vous échappent qui pourtant se manifestent à vous. Il me semble que cela est dû au fait que vous n'êtes pas capable, de vous-même, de vous y donner jusqu'aux limites extêmes de vos possibilités. En résumé, vous avez la trouille.

mercredi 10 juin 2009

- Quelle merveilleuse sensation tout de même! Jamais je ne me suis senti aussi libre!
- Ah, j'entends que vous progressez...
- Est-ce par ce que je vous dis que je progresse?
- Non, c'est le le fait que vous puissiez vous sentir...
- Est-ce une blague due à votre condition?
- Pas du tout et je ne m'arrêterai pas au fait que vous soulignez lourdement cette condition.
- C'est un fait que vous ne pouvez nier.
- Il est d'autre faits que vous niez et qui n'en sont pas moins vrai s'ils sont d'une très secrète réalité.
- Je ne sais pas de quoi vous pouvez parler mais je dois admettre que j'attends beaucoup des surprises que vous savez admirablement concocter. Voulez-vous faire naître quelque lumière sur ce sujet?
- Soit, comme il vous plaira...



- Comment faites vous cela?

- Je ne fais rien...
- Ne me dites pas que cela se fait tout seul. Il y a à peine une seconde il faisait nuit et maintenant nous sommes au bord d'un gouffre de lumière si intense que nous n'en voyons pas le fond. Et puis il ce fait tout-à-fait étrange...
- Lequel?
- Cette frontière si nette qui délimite ces deux mondes.
- Vous progressez vraiment...

- Vous vous moquez...
- Pas le moins du monde. Venez!
- Non! je ne veux pas recommencer, j'ai mis du temps à m'habituer à cette obscurité. Je ne veux pas la quitter. Je vous l'ai dit, je m'y sens bien... et puis regardez nous ne savons pas où nous allons mettre les pieds...

mardi 9 juin 2009

- "Il faudra vous y faire!" C'est vite dit! Si j'écoute vraiment ce qui est dit dans cette exclamation, je peine à discerner qui me parle. Ce n'est pas vous puisque vous n'employez pas la première personne du singulier.
- En effet, c'est singulier, mais vous ergotez un peu. Il nous arrive souvent d'employer ce type de paravent plein de sagesse pour ne pas toujours se mettre en avant. Il n'y a pas là de quoi fouetter un chat...
- Je ne crois pas qu'il s'agisse de cela. Au passage, je me permet de vous signaler que vous venez de placer une autre locution à propos de laquelle il vaudrait la peine prendre un peu de temps pour essayer d'y voir un peu plus clair. Quant à la soi-disant sagesse du peuple... Mais revenons à nos moutons... c'est le cas de le dire... décidément le vide ne nous convient guère.. Revenons à ce que nous disions à propos du fait apparemment humble et modeste de s'appuyer, ou de se retirer derrière une opinion à laquelle nous accordons du crédit par le fait même qu'elle a acquis venue du fond des âges, une autorité incontestable. En fait, il pourrait s'agir presque du contraire. En s'appuyant sur un ensemble indéfini, indéfinissable, nous augmentons notre propre valeur et ainsi nous nous accordons un poids infiniment plus grand qui fait que notre opinion, si futile et floue, en tous cas équivoque au départ, est devenue une grande vérité puisque c'est l'idée du plus grand nombre. Si je poursuis mon raisonnement, cette opinion devenue plus grande fera de nous, par un effet "si logique", quelqu'un de plus grand. En un instant celui qui croit être modeste se décerne sans broncher un orgueil sans mesure.
- Je vois que apprivoisez de mieux en mieux le vide qui nous entoure...
- ... et votre langue n'a rien perdu de sa prestance... quand au vide, je vous l'avoue, j'éprouve pour lui une sympathie que je ne soupçonnais pas, et ce, bien que j'aie de sérieux doute quant à sa véritable présence...
- Regardez comme ici nous sommes libre de nos mouvements. Il n'y a rien qui ne soit possible!
- Ce que vous dites est vrai...mais plus encore... car il n'y a rien!

- Profitez-en!
- Comment cela?
- S'il n'y a rien, vous pouvez laisser libre cours à votre imagination et tout inventer.
- Cela n'est pas possible!

- Pourquoi cela?
- Parce que je ne sais pas le faire.
- N'avez-vous jamais été un enfant?
- Bien sûr que si, mais je 'ai oublié ce temps là.
- Vous ne l'avez pas oublié entièrement puisque vous vous souvenez de l'avoir oublié.
- Cela ne suffit pas.
- Si cela ne suffit pas pour vous souvenir pleinement cela suffit pour commencer.
- Cela ne m'avance guère et en dehors de ma liberté de mouvement je ne vois rien qui puisse me motiver. De plus j'aime avoir les pieds sur terre.
- Vous motiver à quoi faire?
- À créer ce monde dont vous me parliez à l'instant.
- Je ne parlais nullement de créer un monde.
- Je vous ai bien entendu. C'était de cela que vous parliez, je vous assure.
- Je n'en crois rien, et si je le croyais je pourrais vous assurer et vous démontrer que je n'en ai rien dit De toute manière vous êtes ici et maintenant. Il faudra vous y faire!
- Répétez-moi cela!
- Il faudra vous y faire.
- C'est étrange...
- Que peut-il y avoir de si étrange dans cette expression qui est, somme toute, des plus banales?
- Justement, ce qui est étrange c'est que vous la considériez comme banale.
- Pourquoi cela?
- Parce que cette phrase ne peut pas être banale. Si vous l'écoutiez avec attention, vous y entendriez que le sens qu'elle porte est au-delà du commun. Un peu comme l'espace dans lequel nous sommes.
- Continuez, je vous en prie, cela m'intéresse.

lundi 8 juin 2009


- Attendez, je n'y vois rien!
- Voyez comme il fait sombre! Dans ce monde il ne suffit pas d'ouvrir les yeux. C'est le moment d'ouvrir vos oreilles!
- Pourquoi m'avez-vous emmené ici?
- Je vous rappelle que ce n'est pas moi qui vous ai emmené mais vous, en utilisant la force. Si je souris de vous voir embarrassé et perdu ce n'est pas pour me moquer de vous mais pour alléger l'atmosphère de vos lourdes et mauvaises humeurs. Qu'en est-il de ces pouvoirs dont vous me parliez il y a si peu de temps de cela?
- Je tiens à peine debout et vous me demandez de réfléchir. C'est peu charitable de votre part.
- Il ne s'agit pas de charité mais d'accroissement et de bonté.
- Expliquez-moi cela!
- La perfection d'un monde peut se mesurer selon différents points de vue.
- Le mien et le vôtre par exemple?
- Par exemple, mais ce n'était pas de cela dont je voulais parler. Cessez de ramener tout à vous-même. Je parlais d'une part de la quantité de ce monde qui se caractérise par son étendue et d'autre part de sa qualité qui n'en est pas moins étendue. Vous ne connaissez pas ce monde parce sa qualité est d'être vide et votre esprit a horreur du vide. Il s'étend d'un infini jusqu'à un autre sans qu'aucune limite ne vienne s'y inscrire en lui-même.
- Dois-je comprendre que nous sommes condamné à rester ou à parcourir sans fin un monde sans limite avec l'assurance de ne rien rencontrer.
- Ce n'est pas ce que je dis mais il se peut que ce soit le cas, tout comme il se peut que ce ne soit pas le cas.
- Et que faut-il faire pour que ce ne soit pas le cas?
- Il faudrait pour commencer que vous compreniez où vous êtes.
- Quand vous me disiez que je parcourais un monde invisible "qui s'étend d'un infini jusqu'à un autre sans qu'aucune limite ne vienne s'y inscrire par en lui-même", s'agissait-il de ce monde ou de mon esprit?
- Bravo, on dirait bien que vos pieds sont revenus sur terre, si j'ose dire. Bien que votre objet, qui est aussi votre sujet, soit par essence infini il me semble bien que vous devenez plus complet. Cependant, un manque se manifeste qui fait obstacle à votre entendement.
- Je dois vous corriger, la complétude est intégrale ou elle n'est pas. Or, la seule complétude que je ressens en ce moment, outre la vacuité de votre raisonnement, est le vide sidéral qui nous entoure et dans lequel vous me poussez encore.
- À mon tour de vous corriger. Il ne nous entoure pas... mais revenons à notre point de départ. D'où provenait ce désir et quel était-il, votre désir, de m'emmener je ne sais où, avant que nous ne nous arrêtions ici?
- Il me semble, pour commencer, que vous avez oublié que ce désir était un réponse à votre questionnement incessant et pressant. Il me semble aussi qu'il vous arrive souvent d'inverser les rôles et que vous me semble y prendre grand plaisir... mais pour être plus constructif je soulignerai que le "désir" au sujet duquel vous me questionnez était d'abord un espoir. L'espoir porte celui en qui il se manifeste, il est issu d'un mouvement de lutte, d'un appétit sincère pour quelque chose qui est toujours du domaine du bien.
- Ou de ce qui est considéré comme tel...
- Ne m'interrompez pas.
- Je ne le ferai plus mais cessez de vous promener de long en large dans ces approximations obscures et confuses.
- J'ai perdu le fil de mes pensées...
- C'est chose faite depuis fort longtemps, à considérer que vous l'ayez possédé un jour!
- Je vous trouve bien enjoué. Si votre ironie égale votre propre désir elle risque fort de l'étouffer.
- Je vois que monsieur retrouve une partie de ses esprits...

samedi 6 juin 2009


- Attendez! Que faites-vous? Ce n'est pas là que nous allons!
- Auriez-vous peur du noir? il y a un instant vous avez semblé sourire de ce que je ne pouvais percevoir et maintenant c'est à votre tour de montrer votre courage. Allons! Lancez-vous avant qu'il ne soit trop tard.
-
Mais pourquoi là précisément ? Je...
- "À l'idée du mouvement est associée l'idée du but nouveau"!
- Mais, je vous le répète, pourquoi là?
- J'ai respiré l'odeur d'une rose et je n'ai pu y résister. Vous vouliez me surprendre et vous voilà surpris!
- Je n'y vois rien!
- Chacun son tour.
- Veillez bien à ce qu'il ne soit pendable?
- Dérangez-vous sans plus attendre, l'instant qui se présente n'est pas sans fin et je n'ai guère de patience.

- Tout ceci n'est que provisoire! Gardez votre calme, vous allez être surpris. Soyez-en sûr, vous ne serez point déçu. Laissez-vous porter et cessez de réfléchir au sujet de monachisme ou de réalité. Vous êtes ici et maintenant, c'est la seule chose dont vous puissiez être sûr. Tout le reste n'est que pure conjecture.
- Comment pouvez-vous être si certain que je pense au monachisme? C'est d'autant plus ridicule que je ne sais absolument pas ce que c'est. Ce que je vois est un désert au milieu de la confusion des idées et du temps. Je ne rêve que d'un monde stable ou je puisse enfin vivre selon ma vraie nature. Un monde où enfin ce que je considère comme important ne soit ni une culture nouvelle ni la conservation servile de celle du passé. Courir, manger à ma faim et selon ma nature, dormir et rêver avec mes semblables...
- C'est bien ce que je vous disais...
- Non , vous me parliez de monarque et de système et moi je ne pense qu'à ce qui a de la vraie valeur, quelque chose qui ne dépende pas de nous et qui ne nous emmène pas en quelque obscur endroit où je ne vois rien. Où sommes-nous?
- Ne vous faites pas de soucis, nous sommes presque arrivés.

- Mais je vous l'ai dit! Êtes-vous sourd? Je ne vois rien et il me semble que l'obscurité s'épaissit! Je ne sais même pas sur quoi j'ai les pieds posés. En même temps une curieuse sensation me gagne. Je me dois à la vérité de dire que, même si cela m'étonne, elle ne m'est pas si désagréable
...

vendredi 5 juin 2009


- Je vous prie de vouloir ne pas me retenir par l'appendice qui est le garant de mon équilibre et d'une grande part de ma gestuelle communicative. C'est une chose douloureuse qui n'a pas l'air de vous émouvoir.
- La structure de votre cerveau est telle que lorsqu'une émotion y est présente tout le reste disparait.
Croyez-vous que j'aie eu le choix?

jeudi 4 juin 2009


- S'il suffit de le vouloir , je le veux...
- Relâcher-vous, il est trop tard pour vous enfuir, comportez-vous comme une homme!
- Comment voulez-vous que je fasse cela? Pour moi vous n'êtes qu'un chien comme un autre... enfin... un grand chien certes mais un chien que j'appelle homme comme Bleu est mon nom sans que cela ne fasse de moi autre chose qu'un chien. Chien je le suis, chien je le reste.
- Bleu est votre nom. Je ne le savais pas.
À voix basse, étouffant un sourire enfantin:
- Un chien répondant au nom de Bleu... Ce n'est pas le moment de plaisanter.
- J'entends parfaitement ce que vous vous permettez de penser! Aucune pensée, aussi petite soit-elle, ne peut m'échapper et comporte un grand risque.
- Lequel?

- Restez calme et tâchons de les apprivoiser. Avec des gestes lents mais fermes, une grande attention, laissons les s'approcher. N'ayez pas peur, n'oubliez pas ce qu'elles sont. Je vous le répète ce ne sont que des idées. Fermez les yeux et vous ne les verrez plus!
- Là, vous dépassez les bornes. Je ne suis guère rassuré et même plutôt paniqué mais il se trouve que cet état est aussi provoqué par le bonimenteur et ce qu'il tente de me faire croire. "Adhérez à mes idées et elles vous transporterons là où vous rêvez d'aller..." Que ces caresses flattent gentiment mon âme éblouie et me mène à changer d'état:
"Fermez les yeux..." et je me retrouve au fond de l'abîme.
- Ne faites pas le sot et cessez de vous agiter. De toute manière le fond de l'abîme, comme vous l'appelez, vous le connaissez bien!
- C'est mon milieu, je le sais, vous me l'avez déjà dit!


- Vous me forcez à des redites perpétuelles quoique inévitables, concentrez-vous, celle qui nous intéresse aujourd'hui est verte.
- Vous êtes d'une impudence considérable et certainement incurable, mais pourquoi mettez-vous un pied sur cette idée qui n'est pas ce que vous venez d'énoncer si doctement? Et pourquoi notre élue serait-elle verte?
- Qu'importe si cela n'est pas poli, toutes les idées sont bonnes à prendre et la moindre des vertus nous oblige à faire distinction, mais il n'est pas interdit de prendre appui sur elles, aussi contestables, inadaptées ou vulgaires qu'elles puissent être. Ce qu'il ne faut perdre de vue et de l'ouïe est qu'elles ne mènent pas toutes là où nous voulons aller.
- Où allons-nous?
- Ce n'est pas le moment de parler, pour vous servir, concentrez-vous, nous allons partir...
- Comment saurais-je qu'il faut s'engager et pourquoi tenir secret quelque chose que personne ne peut entendre?
- Je vous le dirai le moment venu et puis ce n'est pas un secret, vous le savez bien.

- Et si je ne suis pas prêt?

- Vos instances sont ridicules et cela pourrait signifier la fin de votre voyage.

- De toutes façons, je n'y vois presque plus rien et je dois vous dire que vous avez l'art d'embrouiller les choses. Dites-moi de façon simple ce que je dois faire pour comprendre.
- Je ne puis vous forcer à vouloir, mais il suffit que de libre façon vous le vouliez!

mercredi 3 juin 2009


- Ne dites pas de bêtises et ne faites pas l'enfant. Nous savons tous deux ce qu'il faut faire pour résoudre cette énigme. Je ne pense pas que vous soyez en reste. Cessez vos minauderies et comportez-vous comme le maître qu'il y a peu de temps vous prétendiez être. Or vous ne pouvez être et ne pas être...
- Un peu facile, au vu des circonstances...
- Tout peut être si facile, mon cher maître et il n'est point temps de s'inquiéter plus que de raison. Vous devriez les savoir, en de pareilles circonstances il suffit d'appliquer le précepte de base : "bien voir, bien entendre et se taire pour bien agir". Regardez bien. A ces altitudes, les nuages n'ont pas les mêmes aptitudes et ne fonctionnent plus selon le sens commun. Leurs mouvements désordonnés sont l'exacte réplique des mouvements qui agitent nos âmes indociles et guerrières. Si vous laissez aller à suivre leurs mouvements vous serez très vite déstabilisés. Les tremblements de la colonne sur laquelle se joue notre destin n'est rien d'autre qu'une illusion. Si vous prêtez trop d'attention aux nuages ils vous emporteront dans leurs mouvements imprévisibles et qui peut savoir où ils vous mèneront.

- Chacun fait selon sa nature et chacun apprend de ses semblables...
- Il me semble, si je ne me trompe, que vous vous lâchez un peu et puisque vos traits d'esprits méritent amplement l'arc que je possède j'aimerai, à mon tour, vous soumettre cette flèche:
"L'ignorant peut-il apprendre d'un ignorant?"
- Je ne suis, il est vrai, qu'une sorte d'ignorant, mais que cela ne vous donne point l'envie de me moquer car je peux sans aucune difficulté vous enseigner, comme vous-même, ce que je suis et bien d'autres choses encore. En passant, pour rafraîchir l'atmosphère, je peux vous assurer que cela peut se faire sans l'usage de mes dents, mais au moyen de la langue.
- Je crois que nous devrons remettre cela à plus tard. Le ciel se couvre et je crains que si nous ne sommes attentifs à ses tourments nous ne disparaissions corps et âmes. Sentez-vous comme notre colonne vascille?
- Que pouvons-nous faire? Je ne vois plus rien qui soit à notre portée... est-ce là le résultat de nos emportements?

- Décidément, vous tenez "mordicus" à votre morsure! Prenez garde qu'à ce taux-là elle ne devienne réalité.
Si vous avez la moindre considération pour ce que je ressens sachez qu'à l
'entendre, mes oreilles me font mal affreusement et si votre sang coule c'est que tout porte à croire que votre sauvage nature a repris le dessus et qu'elle s'accorde mal avec l'hostilité naturelle du milieu. En ce moment, votre main est aussi lourde que votre esprit. il vous faut des causes et des coupables, je le vois bien malgré mon ignorance profonde à ce propos. Il se peut que vous considériez nos deux natures comme issues de milieux différents dont l'un serait, pour ainsi dire, considéré comme supérieur. Pardonnez mon ignorance et l'outrecuidance qui s'y rapporte mais, en attendant, dites-moi, je vous prie, par quel miracle sommes-nous passé d'une nature sauvage, -pas la votre, celle du monde- au sommet de cette colonne sur laquelle nous sommes juchés et dont vous me parliez il y a de cela quelques jours.
- Pour quelqu'un qui se prétend léger, voilà un discours qui ne l'est guère. Plut au ciel qu'il ne se disloque et que tout ou partie ne dévale ce chemin que nous venons de gravir et sur lequel il se pourrait que quelques téméraires s'aventurent. Je vais vous répondre mais, d'abord, je n'aimerais pas que vous considériez comme établie cette affirmation des plus curieuses à propos de ces milieux dont vous parliez à l'instant.
- Ce n'était pas une affirmation, vous l'avez parfaitement entendu.
- Je l'ai entendu, mais je ne l'ai pas compris. Et si du coté du fonds il se peut que vous ayez raison il reste que du côté de la forme, il y a beaucoup à redire.
- Je ne puis vous donner tort, mais dites -moi ce qui importe le plus, le fonds ou la forme?
- Vous ne pouvez nier que la forme soit très importante.
- Je ne nie rien du tout. Ce que je dis , c'est que vous vous accrochez à des formes si nettes qu'elles en deviennent tranchantes et c'est ainsi que votre sans s'est mis à couler...
- Touché, coulé... Votre humour est cruel!
- Je crois que nous nous fréquentons depuis assez longtemps pour qu'une partie de ce qui vous constitue, indépendamment de votre volonté, commence à se montrer.
- Je suppose que l'inverse est contenu dans votre proposition...
- Bien entendu...à mesure que nous nous élevons, la vue se dégage est s'ouvre sur un infini toujours plus grand. toujours plus visible, mais de plus en plus lointain.

- Vu d'ici, tout nous semble petit. C'est pourquoi, peut-être, vous croyez si fort que je puisse vous avoir mordu. Ce que nous pouvions toucher du doigt, de la truffe ou de la dent n'est plus que forme indistincte et souvenir. C'est bizarre, vous n'appartenez pas au lointain horizon, et pourtant je vous trouve plus petit... de plus en plus petit. Vous m'impressionnez moins. De moins en moins...
- D'où ce geste de rébellion.
- Têtu comme un ... vous insistez lourdement. Que faut-il que je vous démontre pour qu'une petite lumière s'allume dans votre esprit embrumé.


Il s'en est fallu d'un rien que l'éventualité ne devienne réalité. Une simple érosion, une faille légère, le moindre doute, le pas hésitant et la prise se fait moins nette. La main se tend, pleine d'un espoir ardent et se ferme en sang sur l'arête vive. Le geste pourtant ne sera pas interprété de cette manière.
- Quand j'ai vu que votre main se tendait vers moi, je n'étais pas sûr de ses intentions. Et puis j'ai décidé qu'elle était conciliante et pleine de remords. Je m'étais longuement demandé si j'allais mordre et vous montrer par là l'importance que je pouvais avoir sur votre destin en précipitant cette chute dont vous essayez vainement de m'imputer l'origine
. Est-ce parce que je ne serai qu'un chien, savant à sa manière et jusque là fidèle que vous aimeriez vous décharger sur moi de tant d'incompréhensibles et pesantes dépendances?
- Pourquoi m'avoir mordu quand même?
- Je ne vous ai pas mordu.

mardi 2 juin 2009

"Une diminution de l'hypocrisie et un accroissement de la connaissance de soi-même ne peuvent avoir que de bons résultats sur le plan de la tolérance, car on n'est que trop disposé à reporter sur autrui le tort et la violence que l'on fait à sa propre nature."

Carl Jung, Psychologie de l'inconscient



- Je ne suis point dérangé par votre aisance et votre hardiesse, mais gravir et plus facile que descendre, et plus encore que de redescendre. Vous pensez être maître de votre ascension, vous possédez, sans contestation possible, une connaissance technique très étendue et des qualités de cœur impressionnantes, mais que savez-vous vraiment de notre voyage? Pour vous seul compte l'instant présent, le confort de ce que vous connaissez déjà et l'idée que vous vous faites de notre compagnonnage. Un jour ou l'autre il faudra que vous redescendiez, seul, à l'endroit même d'où vous venez. Prenez garde que votre propre pensée et la facilité que vous avez de gravir ces ravins abruptes ne vous y entraînent en profondeur et en un seul instant...
- Je ne vous reconnais pas... Quelle est cette explosion si soudaine? Quel est ce mépris qui aiguise si fort votre langue et me perce en plein cœur, moi qui avait en vous une confiance aveugle? Votre humour est d'une lourdeur qui explique peut-être la lenteur de votre ascension. Comment pouvez-vous me dire des choses pareilles? Je sens monter en moi une colère nouvelle qui me navre et dont je ne peux mesurer l'étendue. Se peut-il que vous ayez de moi de si futiles pensées en lesquelles je ne serais que si peu de chose? Je suis tout-à-fait capable de descendre et de trouver mon chemin sans votre aide. Quant à la chute que vous évoquiez avec une certaine complaisance, il ne semble pas que vous pourriez ne pas être, tout autant que moi, concerné par son éventualité. Ce n'est pas parce que vous êtes un Émissaire...
- Vous vous trompez.
- À quel sujet?
- À peu près sur tout. Il est vrai que j'ai été un Émissaire, mais je ne le suis plus. Votre ignorance est excusable mais n'en est pas moins réelle. Si, aujourd'hui comme hier je suis et je reste concerné par l'éventualité d'une chute, comme vous l'appelez, ce n'est certainement pas dans le sens où vous le comprenez. Mais ce qui compte, avant tout, est le fait incontestable de votre colère. Il se peut que je sois partie prenante de son déclenchement mais je ne suis pour rien dans son origine.
- Vous me parlez d'ignorance, fort bien, il m'arrive d'en être conscient. Mais, sauf votre honneur, qu'en est-il de la votre? Et quant à ma colère, le moins que je puisse dire est que vous la cultivez.

lundi 1 juin 2009

- Vous vous trompez, je ne la trouve nullement vaine. Il est manifeste que certains éléments vous semblent futiles pour la raison que vous ne les comprenez pas. Je ne crois pas qu'il soit juste de les considérer comme tels et il se peut qu'un jour prochain j'arriverai à vous faire changer d'avis.
- Je ne saisis pas ce que les Émissaires font. Sont-ils chasseurs, gardes, chercheurs ou que sais-je encore?
- Je ne vous surprendrais pas en vous répondant qu'ils sont un peu de tout cela ensemble.
Pour commencer, ils sont vraiment comme des chasseurs. Ils sont aux aguets. Le moindre frisson, le moindre mouvement, le moindre changement dans le ciel devrait attirer leur attention.
- Je ne savais pas que ce qui les intéressait était le ciel!
- Cela va de soi.
- Pas du tout.
- Où croyez-vous que nous allions depuis le temps que nous grimpons?
- Ne me dites pas que nous montons au ciel. J'aurais peine à vous croire et même un peu de peine pour vous...
- Ne soyez pas médisant sans connaître.
- Regardez-moi... J'ai un étrange sentiment... Voulez-vous avoir la gentillesse d'enlever votre chapeau?



- J'en étais presque sûr! Vous avez de bien curieuses oreilles et votre visage n'a pas la stabilité habituelle que nous avons nous autres . Vous êtes sûrement un Émissaire...


- Venez, nous nous sommes assez reposé et nous avons beaucoup trop parlé. Prenez garde, à l'altitude où nous sommes, le temps peut changer très vite. Ne vous éloignez pas trop. Vous ne connaissez pas le chemin et l'aisance avec laquelle vous grimpez n'est qu'une illusion. Méfiez-vous un peu tout de même de vos automatismes...
- Quelle que soit la brillante intelligence dont vous faites étalage, il est cependant manifeste que vous ne pourriez guère me suivre sur le terrain sur lequel nous sommes. Ne serait-ce pas là une petite source de frustration?
- Ce pourrait l'être, je vous l'accorde bien volontiers, mais vous devriez mieux écouter ce que j'ai à vous dire. Chacun de nous se meut selon sa constitution. Certains peuvent plus, d'autres moins. Tous, nous sommes tributaires de notre mesure. En de semblables circonstances votre petite taille est un avantage considérable. Mais cet avantage n'en sera plus un lorsque vous vous serez perdu. De plus, votre insouciance et la dépense considérable que vous vous accordez à folâtrer sans mesure pourrait à son tour être source, non pas de frustration mais de remord. Tout ce que vous faites si facilement n'est qu'une habitude bien établie La seule chose qui vous intéresse est cette émotion qui vous dirige et que vous recherchez sans cesse.
- Cela se peut. Je ne vois pas dans cette démarche ce qui pourrait être néfaste et je me demande ce qu'il en est de vous. N'êtes-vous pas, dans le fond, vous aussi, à la recherche de ce qui, chez moi, semble vous déranger si fort?