jeudi 30 octobre 2008

Derrière l'horizon


«Les mortels ne connaissaient d'autres rivages que ceux qui les avaient vus naître.»

Ovide, Métamorphoses


Le petit bouc ayant trempé ses lèvres dans le sang de Baruch reprenait, un peu, goût à la vie. Sale, repoussant et tremblant il s'était remis sur ses jambes.

«Derrière l'horizon, les grands orages à venir dorment d'un sommeil paisible.»

Walid Neill, Artifices & Métamorphoses

mercredi 29 octobre 2008

Quelque chose s'est passé.


«Alors les hommes gardaient volontairement la justice et suivaient la vertu sans effort. Ils ne connaissaient ni la crainte, ni les supplices; des lois menaçantes n'étaient point gravées sur des tables d'airain; on ne voyait pas des coupables tremblants redouter les regards de leurs juges.»

Ovide, Métamorphoses


L'enfant s'aperçoit très vite que son sourire peut lui ouvrir de plus larges horizons que le peu de mots qu'il est capable d'apprendre.


Face au bouc puant et peu reluisant qu'il a devant lui, Baruch ne peut empêcher ses pensées de voyager au temps de son enfance. Il revoit les départs. Ceux que ses sourires n'ont pu empêcher.
- Quelque chose s'est passé. Quelque chose est passé... dont je ne puis rien savoir de plus.

samedi 25 octobre 2008

« Le premier degré de la sagesse est de savoir se taire ;
le second, de savoir parler peu, et de se modérer dans le discours ;
le troisième est de savoir beaucoup parler, sans parler mal et sans trop parler. »

Abbé Douinart, L'Art de se taire

vendredi 24 octobre 2008



«Fini les thèses et les commentaires; les anciennes autorités, ces idoles vénérées tombent en ruine, les tours en carton de la scolastique s'écroulent, l'horizon s'élargit. »

Stefan Zweig, Erasme

- Je ne sais qui je suis, mais je sais où je vais. Sous leurs manteaux, tout comme toi, les héros et les roi sont aussi nus que moi. Mon histoire est ma seule fortune, en elle-même elle ne vaut rien. Seul le poids de votre regard, qu’il m’arrive de sentir, quelquefois de porter, importe. Et encore... il m'arrive d'en douter.

jeudi 23 octobre 2008


Baruch tend la main vers le petit bouc
- Aucun de nous ne se souvient de l’entier de son temps, à plus forte raison du temps des autres. Celui-ci n’est disponible que s’il y consent. Tout à l’heure tu as pénétré dans le mien. Tu me dois donc un instant du tien…
Le petit bouc frémit à nouveau.
- Cesse donc d’être inquiet, je ne te veux pas de mal. Je connais très bien toutes les histoires qui circulent sur mon compte et le tien. Elles sont toutes fausses, mais je les aime bien. Elles m’amusent et me protègent. Qui es-tu ?
- Qui veux-tu que je sois ?

mercredi 22 octobre 2008


Le petit bouc a trempé sa langue dans le sillon ou se déverse Baruch puis il s'est couché devant lui.

mardi 21 octobre 2008

lundi 20 octobre 2008

Soyeux mirages



« ...l'homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux. Ainsi la matière, auparavant informe et stérile, prit la figure de l'homme, jusqu'alors inconnue à l'univers. »

Ovide, Métamorphoses, Livre 1


Loin, très loin de lui, Baruch, dans la lumière du couchant, regarde les miroitements soyeux et aveuglants qui se jouent des formes et de ce qu'elles contiennent.



Devant eux, la langue pendante, chancelant sur ses quatre pattes, un petit bouc au souffle tranchant, en de lentes hésitations, relève péniblement la tête et marche vers eux.

dimanche 19 octobre 2008

Mauvaise choses et bonnes raisons


« ...les astres, longtemps obscurcis dans la masse informe du chaos, commencèrent à briller dans les cieux. »

Ovide, Métamorphoses, Livre 1


Quelque chose bougeait dans le fond de la salle invisible que Baruch ne parvenait pas à discerner.
- Je ne vois rien, mais ce que j'entends me dit clairement que quelque chose de vivant est là devant nous.
Un léger grattement sur le sol terreux et un un minuscule râle rauque et saccadé grandissaient pour finir par remplir tout l'espace. C'est à ce moment que la lumière s'alluma à l'étage du dessus.

samedi 18 octobre 2008

Paysages


«Ce dieu dit, et les plaines s'étendirent, les vallons s'abaissèrent, les montagnes élevèrent leurs sommets, et les forêts se couvrirent de verdure. Ainsi que le ciel est coupé par cinq zones, deux à droite, deux à gauche, et une au milieu, qui est plus ardente que les autres, ainsi la terre fut divisée en cinq régions qui correspondent à celles du ciel qui l'environne. La zone du milieu, brûlée par le soleil, est inhabitable...»

Ovide, Métamorphoses, Livre 1



- Tu vois Julius,les émotions sont des passerelles qui relient notre conscience à notre inconscience. C'est grâce à elles qu'à certains moments, trop rares, se révèlent ces paysages aux formes incertaines dans lesquelles se cachent ce que, nous tous sans exceptions, nous cherchons. Tout cela se passe sous nos yeux quand ils se ferment.
Devant ses yeux mi-clos, une faible lumière caresse en dansant les reliefs poussiéreux de l'obscure salle au sol de terre défoncée où Baruch est agenouillé. Le moindre sillon prend des allures de vallée. La moindre pierre prend la forme d'une montagne. La moindre mousse devient forêt.
- Regarde Julius, comme la terre est vaste. Regarde comment une simple émotion transforme le réel dans lequel elle nous conduit.

vendredi 17 octobre 2008

Flèche


«Après que ce dieu, quel qu'il fût, eut ainsi débrouillé et divisé la matière, il arrondit la terre pour qu'elle fût égale dans toutes ses parties. Il ordonna qu'elle fût entourée par la mer, et la mer fut soumise à l'empire des vents, sans pouvoir franchir ses rivages. Ensuite il forma les fontaines, les vastes étangs, et les lacs, et les fleuves, qui, renfermés dans leurs rives tortueuses, et dispersés sur la surface de la terre, se perdent dans son sein, ou se jettent dans l'océan; et alors, coulant plus librement dans son enceinte immense et profonde, ils n'ont à presser d'autres bords que les siens. »

Ovide, Métamorphoses, Livre 1


Baruch, accroupi dans l'obscurité voit clairement son esprit se disperser. Il peine à réguler les pensées qui l'envahissent à mesure qu'il sent son corps se vider. Son regard cherche sans répit un lieu stable sur lequel se poser.
- Je suis assis ici tout autant que je suis dehors, suivant les flèches des ruelles infinies et tortueuses qui marquent un chemin dont je ne sais si c'est le mien.

jeudi 16 octobre 2008

Obscurité


«La dernière place appartint à l'onde, qui, s'étendant mollement autour de la terre, l'embrassa de toutes parts.»

Ovide, Métamorphoses, Livre 1


Dans la main de l'enfant, une petite lumière vacille qui fait trembler son bras.
La cour dans laquelle Baruch était enfermé s'ouvrait vers le ciel. De lourds nuages se reflétaient dans les petites flaques irisées et se mêlaient aux odeurs âcres de la poussière humide, des matériaux à moitié décomposés et des fluides aux origines inconnues.
- Il va pleuvoir. Sans abri, à la merci du ciel, il va falloir que j'accepte l'invitation de Julius.
Baruch, en se contorsionnant péniblement, entre dans l'obscurité du soupirail. Au passage son manteau se déchire et l'un des barreaux corrompu par la rouille, se rompt. Une profonde entaille, court de la poitrine jusqu'au nombril. C'est à moitié nu et les mains pleines de sang qu'il entre dans l'obscurité.
- Mon sang ne circule plus qu'à l'extérieur pendant que l'intérieur se vide et retourne à la terre.
Ses jambes se dérobent. Il s'accroupit retenant de ses mains une part invisible de lui-même.
- À mes pieds je me répands.
Le sang, miroir rougeoyant lui renvoie son image.
- Elle ne saurait être vue sans qu'elle annonce une fin prochaine.

mercredi 15 octobre 2008

Suspicion


«Quoi, madame ! toujours soupçonner son respect ?
Ne peut-il faire un pas qui ne vous soit suspect ?»

Racine, Britannicus

Les liens de Baruch se sont défaits tout seuls. Il rejoint Julius, jette un regard curieux par le soupirail et ne voit rien.
- Au dehors, tout est calme et tout s'agite selon les rituels habituels. Personne ne peut vous entendre, personne ne veut voire ce que vous voyez, Baruch.
- Pourquoi me dis-tu cela? D'autant plus que je ne vois rien.
- Parce que c'est une sorte de vérité. Il faudra vous y faire. Le temps va vous aider.
- ...
- Disons que c'est vérifiable, si vous préférez la nuance.
- Ce ne sont pas les nuances qui m'intéressent.
- La vérité est que c'est eux qui allument les projecteurs.

mardi 14 octobre 2008

Soupçon


«Ah ! si de ce soupçon votre âme est prévenue,
Pourquoi nourrissez-vous le venin qui vous tue ?»

Racine, Britannicus


À peine Baruch se redresse que la corde, tel un reptile glisse sans un bruit, pour se coucher à ses pieds.
- Se pourrait-il que d'un simulacre j'aie été l'otage? Comment cette corde dont je porte l'empreinte gravée dans ma chair, a pu, d'un mouvement si fluide, se retrouver ainsi sans effet?

Entraves


«Et que derrière un voile, invisible et présente,
J'étais de ce grand corps l'âme toute-puissante.»

Racine, Britannicus


La lumière de la lune creuse et déforme les ombres qui se répandent sur le visage de Baruch. Il ne peut donner suite à l'accueil et à l'invitation de Julius.
Pour lui-même:
- Comment puis-je, en si peu de temps,
Être devenu l'image d'un si grand méchant?

S'adressant à Julius qui disparaît par le soupirail d'où il était venu.
- Comment pourrais-je te suivre si je suis entravé de pareille façon ?
La voix de Julius parvient déformée. Profonde, rauque et un peu traînante. Baruch doute. Il ne sait si c'est vraiment lui qui parle.
- Rien n'est plus simple, levez-vous et vous verrez alors que rien de ce que vous pensez ne résistera au mouvement.

lundi 13 octobre 2008

Opinions

«Que j’ai commencé tard à vous aimer, ô beauté si ancienne et si nouvelle ! que j’ai commencé tard à vous aimer ! Vous étiez au-dedans de moi ; mais, hélas ! j’étais moi-même au-dehors de moi-même. C’était en ce dehors que je vous cherchais. Je courrais avec ardeur après ces beautés périssables qui ne sont que les ouvrages et les ombres de la vôtre, cependant que je faisais périr misérablement toute la beauté de mon âme, et que je la rendais par mes désordres toute monstrueuse et toute difforme.»

Saint Augustin, in Confessions (399)


Julius et Baruch avaient des opinions et un degré d'intelligence fort différents. Mais il semblait, au vu des circonstances, que celles de Julius, qui avaient un poids qui contrastaient avec sa taille et son jeune âge, marqueraient, au moment où il le déciderait, la fin de toute discussion.
- Cela a pour mérite d'être clair et de sembler logique sans pour autant, je dois l'avouer, que rien ne soit éclairé du tout.
Ce n'était qu'une pensée que Baruch eut voulu garder pour lui-même. Mais, encore une fois, un léger frémissement sort de sa bouche mal fermée. Il n'échappe pas à la vigilance et aux capacités auditives exceptionnelles de Julius.
- Entrez, suivez-moi ! Faites comme chez vous. Vous ne savez à quel point...
Il s'interrompt. Brusquement il pose un doigt sur sa bouche et barre le passage avec son bâton.

Prisonniers


"Le chaos étant ainsi débrouillé, les éléments occupèrent le rang qui leur fut assigné, et reçurent les lois qui devaient maintenir entre eux une éternelle paix. Le feu, qui n'a point de pesanteur, brilla dans le ciel, et occupa la région la plus élevée. Au-dessous, mais près de lui, vint se placer l'air par sa légèreté."

Ovide, Les Métamorphoses

- J'entends mais ne veut voir ni ne peut dire ce qui, en mon cœur, autrefois me ravissait.
- Pourquoi cela?
- C'est justement ce que je ne veux et ne puis dire. J'en ai fait la promesse.
- En somme, on pourrait dire que tu es prisonnier de l'intérieur et que moi je serais prisonnier de l'extérieur.

Julius ne répond pas. Parler ne l'intéresse tout simplement pas. Il se faufile entre les barreaux et avec une agilité surprenante, il se saisit du chandelier, se débarrasse des planches encombrantes et se met à marcher de long en large sur l'échafaudage qui manque à tous moments de s'affaisser.
- Venez avec moi et je vous montrerai que vous vous trompez. Il n'y aucune différence entre ce qui dedans et ce qui est dehors et je ne suis, pas plus que vous-même, un prisonnier. Du moins au sens que vous accordez à ce mot.

dimanche 12 octobre 2008

Regard perdu


"Un dieu, ou la nature plus puissante, termina tous ces combats, sépara le ciel de la terre, la terre des eaux, l'air le plus pur de l'air le plus grossier. "

Ovide, Les Métamorphoses

- Qui es-tu?
- Mon nom est Julius.
- D'où viens-tu?
- Je viens d'une histoire qui n'est pas la tienne.

La voix grave était pourtant celle d'un enfant qui, entretemps, était apparu aux barreaux dune fenêtre donnant sur la cour. Éclairé par un chandelier dont pourtant les bougies n'étaient pas allumées, cet enfant avait un visage triste et lisse. Ses grands yeux bleus ne souriaient pas et semblaient perdus dans un lointain qui ne disait rien à Baruch.

Pièges


"Le soleil ne prêtait point encore sa lumière au monde ; la lune renaissante ne faisait pas briller son croissant : la terre, que l'air environne, n'était point suspendue et balancée sur son propre poids ; et la mer n'avait point encore étendu autour d'elle ses bras immenses ; l'air, la mer et la terre étaient confondus ensemble : ainsi la terre n'avait pas de solidité, l'eau n'était point navigable, l'air manquait de lumière ; rien n'avait encore reçu sa forme distincte et propre."

Ovide, Les Métamorphoses


- Monsieur, nous avons fait quelques recherches à votre sujet. Il nous est apparu, malgré quelques zones d'ombre, que vous ne vous appelez pas Ante Penúl, mais Baruch. Baruch Descartes. Vous êtes le fils de Bethsabée Affinius, jusqu'à ce jour inconnue de nos services, et de Baltazar Chartaphilos, fils de l'illustre facteur Benedictus, fondateur de notre État et que tous ici nous portons en notre cœur. Vous avez grande chance d'en être le descendant. Nous possédons un dossier si convainquant qu'il ne laisse guère de doute à ce propos. Il nous reste à faire la lumière sur quelques zones obscures de votre histoire. Pendant que nous œuvrerons pour votre bien, et le nôtre, vous serez assigné à résidence. Ceci ne devrait pas être considéré comme une condamnation, mais comme une chance à saisir...
Ante Penúl n'en croit pas ses oreilles. Le voilà affublé d'un nom nouveau tout droit sorti d'un néant dans lequel il peine à trouver un chemin.
Enfermé dans un taudis. Oublié du monde des vivants, Baruch, puisque tel est désormais son nom essaie vainement de s'y retrouver. L'aube s'est levée sur les vestiges d'un royaume poussiéreux.
- Ce ne peut être pire que le chantier duquel j'ai été emmené par un homme que j'ai fini par tuer.
Ses pieds et ses mains sont liés. Une grosse corde est nouée autour de lui. Devant lui, laissés à l'abandon, s'étalent les restes oubliés et branlants de ce qui pouvait avoir été un atelier. Sous la poussière gisent encore quelques outils.
- Je dois supposer que mon piège a fonctionné. Je fais maintenant partie d'une histoire que je ne connais pas mais que je leur ai moi-même livré. Ils ont fait des recherches à propos des photos que je me suis approprié et que je leur ai montré par le biais de leurs cameras qui me suivaient pas-à-pas. Par ce fait, bien que prisonnier et incapable du moindre mouvement, je me sens libéré de mon passé. D'une certaine manière, je suis devenu un homme libre.
- Vous progressez déjà Baruch.
Une voix s'est faite entendre qu'il ne peut discerner.
- Qui parle ainsi?

samedi 11 octobre 2008

Justice


"La justice ne tient pas à la façon dont nous punissons ceux qui ont mal agi. Elle tient aussi à la façon dont nous essayons de les sauver."

Gregory David Roberts, Shantaram

Don Penúl fut emmené avec grande délicatesse vers un lieu tenu secret où se tint ce qui ne sera pas considéré comme un procès.
Le Grand Vigilant:
- Nous voici réunis au nom de nos principes. Ainsi nous ne pourrons en aucun cas nous déclarer juge de nos semblables. La justice n'est qu'une entité abstraite qui ne nous concerne pas. Cela ne peut exister chez nous. Certes, la justice est belle et bonne chose, mais n'améliore guère le sort de l'humanité tout entière. Certes, elle est digne de ceux qui méritent d'être appelés "philosophes". Cependant la quête d'absolu, chose si fréquente parmi eux, est source de mots si nombreux, qui peuvent avoir un nombre si considérable de significations que le temps qu'il faudrait, pour les énoncer toutes, ...encore faudrait-il que cela soit possible, équivaudrait à une condamnation à perpétuité pour quiconque les écoutait. Nous ne sommes et ne seront jamais de ceux-là. L'ordre et la raison nous commande. Le temps nous est compté. L'ordre, la raison et le temps nous dictent de nous en tenir à des faits simples et compréhensibles. Nous sommes particulièrement bien informés, Monsieur Penúl, et nous nous considérons, au vu de ces informations, que vous avez manqué à vos obligations !
Comme le plateau de la justice, la pensée d'Ante Penúl hésitait et, ainsi, l'empêchait de répondre. D'un côté, un sentiment désagréable:
- Ces affirmations peuvent en cacher d'autres, tripatouillait désagréablement une de ses oreilles.
D'un autre côté, il pensait que ce qui allait se passer ne pouvait être pire que ce qu'il vivait en ce moment. Ce qui lui chatouillait l'autre oreille de façon assez agréable...
- Et puis, d'une certaine façon, ce n'est pas vraiment moi qui suis en train de vivre ces événements. Cela devrait pouvoir me donner une certaine distance. Chacun ne peut donner que ce qu'il possède.
Au lieu de penser à voix basse, les quelques mots qui lui traversèrent l'esprit traversèrent aussi la grande salle quasi vide.
Ce qui se passa alors ne fut qu'un début et non une fin.

Affrontement


"La vie humaine, spectacle répugnant, gisait
sur la terre, écrasée sous le poids de la religion,
dont la tête surgie des régions célestes
menaçait les mortels de son regard hideux,
quand pour la première fois un homme
osa la regarder en face, l'affronter enfin.
Le prestige des dieux ni la foudre ne l'arrêtèrent,
non plus que le ciel de son grondement menaçant,
mais son ardeur fut stimulée au point qu'il désira
forcer le premier le verrou de la nature."

Lucrèce, De la nature, I, 62

Les rigoureux envoyés du Vigilant furent à la hauteur de leur tâche. Il ne fallut pas longtemps pour que l'expulsion eut lieu sans que personne ne soit là pour protester... Et pour que l'affaire n'entache pas plus l'ordre public, ils emmenèrent Don Penul.

vendredi 10 octobre 2008

Frisson


À proximité presque immédiate de son abri se trouvait une maison dont l'aspect semblait familier à Don Penul. Il éprouvait une sorte de frisson chaque fois qu'il passait devant. Le soir surtout, quand l'ombre se répandait la rue et que la bâtisse, en douceur, s'illuminait sans attendre que ses fenêtres ne s'allument, il avait l'impression de la voir s'éveiller. C'était comme si elle recueillait subtilement les derniers rayons d'un feu qui s'éteint.
- Je reconnais cette porte et l'élégance qu'elle donne l'impression d'abriter. Nul doute ne me tourmente, je suis ici chez moi.
Autant vous dire qu'il n'eut guère le temps de faire dix pas au-delà du portail pour qu'une sirène se fit entendre d'une toute autre manière que celles qui nous enchantent dans les contes pour enfants.

jeudi 9 octobre 2008

Porte

"Car les chants arrachés à l'âme trop brûlante
Les accents bégayés par la bouche tremblante
Tantôt frappés de mort et tantôt couronnés
Au gouffre de l'oubli sont toujours destinés"

Goethe, Faust, Prologue sur le théâtre

- La porte du taudis que j'habitais et qui avait préservés ces touchants secrets ne s'ouvrirait ni ne se refermerait plus jamais. Elle m'obligeait, dans un seul et même mouvement à m'élever et me prosterner à la fois.

mercredi 8 octobre 2008

Transmission


"Tant d'avides regards fixés sur le rideau
Ont, pour notre début, compté sur du nouveau ;
Leur en trouver est donc ma grande inquiétude :
Je sais que du sublime ils n'ont point l'habitude ;
Mais ils ont lu beaucoup : il leur faut à présent
Quelque chose à la fois de fort et d'amusant."

Goethe, Faust


Malgré l'évidente contradiction résultant de la comparaison, Don Penúl ne pouvait que constater l'absurde similitude entre le geste du facteur et celui du médecin Souza Martins, dont la statue, figure emblématique et figée de la place des Martyres de la Nation, parle encore au cœur de ceux qui le vénèrent depuis des siècles. À ses pieds s'accumulent les messages gravés dans le marbre. Tous deux, le simple facteur, reconnu aussi bien pour son manque de savoir que pour son sens aigu de l'humanisme, et le docte serviteur, prestigieux médecin, qui se dédia aussi à la physique, à la chimie, à la botanique, à la zoologie, à la littérature, à la poésie, à la philosophie et à l'histoire, par l'intermédiaire du même geste, transmettent ce qui ne peut être l'objet de la transmission.
- J'aime l'idée que cet inconnu soit la part de l'humanité dont je serais issu. Je pourrais être à l'image des lettres scellées qu'il transportait en regardant ailleurs, perdu dans le lointain. Je serais ainsi une sorte de mémoire écrite dont le sceau ne serait pas encore défait et dont personne, si ce n'est l'auteur et peut-être un peu moi-même, n'en connaîtront le contenu.

mardi 7 octobre 2008

Rencontre


Il fallut très peu de temps à Don Penúl pour qu'il ajoute un peu de couleur à ces photos. Il ne se doutait guère qu'en même temps il réveillait sa propre mémoire. Il faut dire, comme il arrive souvent en de pareilles occasions, que le hasard avait bien fait les choses.
- C'est incroyable ! La première photo sur laquelle se pose mon regard est un facteur et mon grand-père, que je n'ai pas connu, était facteur...
Ante n'en croyait pas ses yeux.
- L'histoire se fait sans nous demander notre consentement. Qu'on la prenne dans en sens ou dans un autre, elle continue inexorablement de tracer son petit chemin sur lequel se font et se défont les rencontres.
Sans aucun doute: surgie du passé, bien que beaucoup plus vieille que lui, la photo écornée montrait un homme beaucoup plus jeune que lui, mais qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.

lundi 6 octobre 2008

Caresse


"Avant la formation de la mer, de la terre, et du ciel qui les environne, la nature dans l'univers n'offrait qu'un seul aspect; on l'appela chaos, masse grossière, informe, qui n'avait que de la pesanteur, sans action et sans vie, mélange confus d'éléments qui se combattaient entre eux."

Ovide, Les Métamorphoses


De la masse de souvenirs qui s'accumulent dans les territoires vastes, chaotiques et étriqués d'une modeste vie, le mélange confus des sentiments et de ce que l'esprit se plaît et voudrait commander à ce qu'il appelle le réel, peu de choses s'en échappent.
Dans l'ombre inerte d'une maison, Don Penúl viole sans état d'âme les secrets les moins bien gardés.
- La vie d'un homme ne tient pas entièrement dans les images qu'il laisse traîner derrière lui. De ces quelques photos éparses, une part d'inconnu se projette sans pudeur dans le premier regard qui la caresse et la fait sienne aussitôt. La moindre des pensées fera surgir de ces ruines de la mémoire des arrangements imprévus, une sorte d'esquisse de vie possible, une espèce de mariage amoureux entre le dénuement et un dédoublement jubilatoire.

dimanche 5 octobre 2008

Courants d'air & autres inventions


"Le mouvement a la force de persévérer dans son état ; or cette force n’est pas autre chose que le mouvement lui-même, c’est-à-dire que telle est la nature du mouvement."

Spinoza

Ante Penúl est à la recherche d'éléments susceptibles de pouvoir étayer une histoire qui puisse être crédible et en qui il puisse, d'une certaine manière, s'identifier. Il n'a pas d'autre alternative que de susciter des courants d'air & autres mouvements conformes à leurs natures persévérantes.
- Finalement, tout peut être vrai et dépend de notre manière de lire ou de raconter l'histoire dans laquelle nous ne faisons rien d'autre que de nous projeter...

samedi 4 octobre 2008

Un rêve, autrefois


«On ne voyage pas pour se garnir d'exotisme et d'anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu'on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. On s'en va loin des alibis ou des malédictions natales, et dans chaque ballot crasseux coltiné dans des salles d'attente archibondées, sur de petits quais de gare atterrants de chaleur et de misère, ce qu'on voit passer c'est son propre cercueil. Sans ce détachement et cette transparence, comment espérer faire voir ce qu'on a vu ? Devenir reflet, écho, courant d'air, invité muet au petit bout de la table avant de piper mot.»

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion


- Il se peut que cette maison vide aux regards borgnes puisse faire l'affaire... Je ne crois pas qu'il y ait ici de cameras valides et il se pourrait que je puisse y entendre quelques échos flottants entre les murs et les reflets élimés de ce qui fut un rêve, autrefois.

vendredi 3 octobre 2008

En l'état


"Pendant ce temps vos cellules mangent, se font manger, se transforment, dorment, se réveillent, se reproduisent, vieillissent et meurent sans que jamais vous ne puissiez, en un seul regard, les embrasser."

Walid Neill, Tristes regards


- Je vais être comme ces immeubles dont on a vidé l'intérieur en sauvegardant la façade. Avec ceci comme différence avec eux que ce qui subsistera de moi sera ce qui mériterait le plus de disparaître. En l'état, le paraître du bâtiment ne sera pas le mien...

jeudi 2 octobre 2008

Quiètude


"Je suis parti
Par les chemins bordés de rosée
Où piaillait le soleil.

Je suis parti
Loin des jours croupissants
Et des carcans
Vomissant des laideurs
À pleine gueule.

Je suis parti
Pour d'étranges voyages,
Léger et nu,
Sans bâton ni besace,
sans but."

Léopold Sédar Senghor, Poèmes perdus


- Quel étrange destin que d'être la proie d'un chasseur inconnu dont je puis rêver ses gestes et une part de ses pensées en même temps qu'elles pourront être miennes.

mercredi 1 octobre 2008

Écoute



"Au fond du ciel d'un homme aux pieds lourds, à la gorge fugace et aux yeux à moitié fermés, jaillit une pensée sourde qui, lentement, remonte à la surface."

Gregory David Roberts, Walid Neill


- Je ne peux sans cesse m'abstenir de penser et si ce que je pense est ce qu'ils entendent, alors je peux agir sur eux.