jeudi 31 août 2017

Un sage a dit un jour

" Un sage a dit un jour que
la vie est ce qui se passe
quand on fait des projets..."



Fort du formidable et merveilleux équilibre qui lui permet de traverser les mondes, occupé à la réalisation de son ouvrage, au cœur des images qu'ils se projette à lui-même, Platon l'Ancien se demande:
– Dans cette merveille chaotique qui est ce monde dans lequel nous sommes, quel est mon projet? 



– Mon projet, se demande Platon l'Ancien, serait-il dissimulé dans mes écrits et les dessins qui lentement s'y gravent donnant lieu, tour-à tour, en une ronde incessante, des commentaires aux dessins et des illustrations à ces commentaires. Les uns se nourrissant des autres et les autre leur donnant la pareille en réciprocité, mais sans jamais que le point de départ ne fut le point d'arrivée...

– Serait-il possible qu’il existe des pensées s’exerçant à tarir le courant de la pensée? Qui donc serait à même d'exercer une telle influence?

– Comme le dit Goethe, "le langage fabrique les gens bien plus que les gens ne fabriquent le langage". Ainsi, le fait de se raconter serait une sorte de fabrication de soi...


Au sein d'un même chant


 "Néanmoins, malgré le manque de dessein qu'une narration aussi désorganisée en apparence pouvait suggérer, je devinai qu'il y avait un thème ou un mouvement sous-jacent. J'en vins à discerner que ses histoires confluaient, comme les rivières de son enfance descendant des montagnes, des forêts et des plaines, effectuant un long parcours depuis leurs sources mais finissant par s'unir au sein d'un même chant, d'une harmonie de lieu et de temps."*


– Qu’adviendrait-il si, se regardant dans un miroir, un chanteur n'entendait point le même chant que celui qu'il émet...

* À la lumière de ce que nous savons, Zia Haider Rahman






mercredi 30 août 2017

Ce que nous pouvons savoir


– Si j'avais une certain sens et quelque goût pour la démesure, j'eus fait mienne la pensée que contient ce récit: "la dimension essentielle des mathématiques fut toujours le trajet et pas la destination, la preuve du théorème, non pas sa simple exposition. Au fond, à quoi bon dire que quelque chose est vrai si on ne peut pas le démontrer? Je pense que dans le trajet, se dit Platon l'Ancien, certain d'entre nous peuvent trouver un chez-soi en mathématique, un sentiment d'appartenance, du moins pendant une certaine période; c'est un monde sans frontière, sans durée, dans lequel tout existe partout et à jamais, et je vois maintenant quelle puissance put exercer une telle réalité sur le psychisme d'un être aussi déraciné."*

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Il y avait dans l'attitude et la voix de Platon une légère faille qui montrait combien il semblait hésiter face à cette citation. Il semblait parfaitement y adhérer tout en sachant, sans pour autant être en mesure de pouvoir le démontrer, combien ce monde sans frontière pouvait devenir une sorte de chimère dans laquelle il ne pourrait éviter de perdre le fil...

– Ainsi, dans la mesure où j'appliquerai le principe contenu dans cette affirmation à ce qu'elle dit, il se pourrait que je me retrouve face à un miroir dans lequel celui que je verrai ne serait pas celui que vous voyais avant de l'énoncer...



* À la lumière de ce que nous savons, Zia Haider Rahman


L'essentiel


"Rien de ce qui s'y passe, de la moindre pensée intonation
à la moindre des pensées  jusqu'au plus léger souffle,
ne peut être sans effets..."

Walid Neill


 

"Dans la montagne tarahumara tout ne parle que de l'Essentiel, c'est-à-dire des principes suivant lesquels la Nature s'est formée; et tout ne vit que pour ces principes: les hommes, les orages, le vent, le silence et le soleil.
Nous sommes loin de l'actualité guerrière et civilisée du monde moderne, et non pas guerrière bien que civilisée, mais guerrière parce que civilisée: c'est ainsi que les Tarahumaras pensent. Et leurs légendes, ou mieux leur Traditions racontent (car ici il n'y a pas de légendes, c'est-à-dire de fables illusoires, mais des 

 
Traditions incroyables peut-être, et dont les fouilles savantes démontrent peu à peu la réalité), elles racontent, ces traditions, le passage dans les tribus de Tuhamaras d'une race d'homme porteurs de feu, et qui avaient trois maîtres ou trois Rois, et marchaient vers l'Étoile polaire."*


On pourrait dire que Platon l'Ancien lui aussi, pour l'essentiel "ne vit que pour ces principes: les hommes, les orages, le vent, le silence et le soleil"...





* Le Tarahumaras, Antonin Artaud









mardi 29 août 2017







D'un œil scrutateur



– Que diront les propriétaires, sir?
– Que les propriétaires restent sur la plage et que leurs vociférations couvrent la voix des typhons. Qu'importe à Achab? Les propriétaires, les propriétaires? Tu es toujours à me débiter des niaiseries au sujet de ces avares, comme si ces propriétaires étaient ma conscience. Mais écoute-moi bien, le seul vrai propriétaire de quoi que ce soit, c'est celui qui en a le commandement, et écoute encore, ma conscience est dans la quille de ce navire. Au pont!
– Capitaine Achab, répondit le second en rougissant et en pénétrant plus avant dans la cabine avec une audace si étrangement pleine de respect et de prudence qu'elle semblait éviter de se trahir si peu que ce fut extérieurement  et qu'intérieurement elle semblait douter d'elle-même plus qu'à demi. Un homme meilleur que moi passerait sur  ce qu'il prendrait en mauvaise part venant d'un homme plus jeune que toi, oui, et d'un homme plus heureux, capitaine Achab.
– Du diable! Ose-tu aller jusqu'à me considérer d'un œil scrutateur? Au pont!
– Non sir, pas encore. Je vous implore. Et j'ose, sir, vous demander d'être indulgent! Ne pouvons-nous comprendre l'un de l'autre mieux que ce que jusqu'à présent, capitaine Achab?


lundi 28 août 2017

Recul, politique et soumission


Platon prend du recul. Cela lui arrive...

– Qu'est-ce donc que cet infini qui semble planer au-dessus de nos têtes? Comment se fait-il que nous peinons si fort à voir que c'est nous... Tout embourbé dans nos luttes de pouvoir qui nous sont imposées, incapable de voir à long terme et nous soumettant sans réaction à l’incessante politique débile qui a pourtant  tant de succès...


– Tout, ou presque, mais ce presque n'est pas grand-chose, nous est imposé par l'opinion et la presse qui le relaie. Quand démonterons-nous le mythe de l'école? Je parle de l'école au sens larges, au pluriel. Qu'est-ce qui fait école? Ce qui arrange le plus grand nombre? Ou ce qu l'on fait croire au plus grand nombre par l'intermédiaire de l'école-institution. Le problème, je le vois bien, je l'entends, sitôt posé ce petit préambule, tout le monde croira que je parle politique... et pourtant... ce n'est pas le cas, mais déjà arrive au grand galop un lieu commun: "tout est politique"! 


Vivre ensemble



"À l'ombre des arbres qui les ont vu naître, quelques uns se promènent sous les yeux de ceux qui les verront mourir. Ils s'émerveillent de tant de possible. Aussi loin que leurs corps les transportent, dans cet insaisissable présent où se posent leurs regards, se mettent à vivre une infinité de présences et d'innombrables histoires dans lesquelles ils prennent place.
– Nous ne savons qui de nous regarde ou qui est regardé..."


Walid Neill



Messeigneurs,
Votre Altesse Pontificale,
Capitaine des Capitaines,

« Je parle, vous m'écoutez, vous parlez, je vous écoute, donc nous
sommes.»*


On me fait savoir que mes pensées, pourtant discrètes, largement proportionnées, soumises à une éprouvante censure, maîtrisées en parfaite conformité avec les règles du savoir-vivre et de l'honnêteté, largement circonscrites à l’espace privé dont je dispose sont parvenues jusqu'à vous. Elles semblent ne pas vous avoir plu. La règle souveraine est pourtant de plaire à Vos Altesses Toutes Puissantes Fondatrices et Refondatrices. Voilà sans doute la moindre de vos excellentes qualités. Croyez-moi, je le regrette.
Mais, Monseigneur le Commandeur et Monsieur le Capitaine Bienveillant, très attaché aux vraies valeurs, c’est la seule dont j’ai pu parler avec quelque connaissance ; les autres sont trop élevées au-dessus de moi. Très attaché aux valeurs qui font autorité, au sens le plus profond, je n’en puis parler sans les rabaisser par la faiblesse de mes pensées, et sans sortir de la profonde vénération avec laquelle je suis, au-delà des apparences et pour autant que vous vous en teniez aux principes qui nous régissent, croyez-moi, je regrette sincèrement tout ce qui s'est passé et vous promet, quel qu'en soit le prix, de faire en sorte que plus jamais une telle chose puisse se reproduire en silence sans que rien ne soit tenté pour s'y opposer.
Monseigneur, Votre Altesse Pontificale,

Capitaine des Capitaines,
Ombres de nous-même
Le très humble, très obéissant, très fidèle serviteur,
et ombre de Vous-même

Platon l'Ancien, autrefois nommé Auguste de son état



"Idiorrythmie

Grâce aux vertus de la métaphore, le mot sert de fil conducteur à l’exploitation systématique d’un désir : le rêve d’une vie à la fois solitaire et collective, d’un timing heureux où s’harmonisent le rythme de l’individu et celui de la communauté."*

*  En référence (libre) à Roland Barthes



dimanche 27 août 2017

Drôle de dialogue


" De nos jours tout se met en place spontanément pour qu'une réflexion sur l'éthique soit non pas interdite, mais "inutile". Non que l'éthique quelque chose de trop élevé, trop exigeant; c'est le cas, mais on a même pas lieu de s'en rendre compte; pour qui cherche à se loger aux lieux communs, comme pour s'assurer d'avoir lieu, penser l'éthique se réduit à s'assurer encore contre les risques et les non-lieux de la recherche même."*



Drôle de dialogue dans un esprit qui n'a de cesse de se multiplier...



– Le fil que l'on croit voir se tisser entre les différents régions de notre vie ne sont qu'une pure construction de l'esprit qui demande autant d'effort pour la lire qu'elle en a coûté pour se former...


* La jouissance du dire, Daniel Sibony 

 

Où suis-je ?


"En assumant pleinement sa subjectivité, le chercheur ne dérive pas du côté de l’égotisme ou de la confession impudique : il rappelle utilement que la valeur fonde le savoir et que le savoir sauve la valeur en lui donnant une forme communicable. En d’autres termes, si l’affect lance la recherche, il trouve en elle la sécurité du code et le réconfort de la durée."

Roland Barthes, La chambre claire




Platon l'Ancien, face au silence alors même que commençaient à circuler certaines rumeurs, se demande comment il vaudrait la peine d'envisager un futur largement compromis par le naufrage passé et le futur annoncé. Face à lui-même, conformément à la tradition il se demande quel sort était réservé à ce théâtre, bien avant le sien, où le jeu loin d'être incertain comme il eut du l'être ne faisait que répéter ce qui se joue depuis toujours conformément à la Grande Tradition et à ses coutumes. Celles-là même qui l'ont amenée à ces naufrages successifs... Face un bannissement de moins en moins incertain... C'est l'heure que choisit sa mémoire pour lui rappeler:

"Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore?
Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore?
Errante et sans dessein je cours dans ce palais.
Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais?
Le cruel ! de quel œil il m’a congédiée!
Sans pitié, sans douleur au moins étudiée!
L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment?
En ai-je pu tirer un seul gémissement?
Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,
Semblait-il seulement qu’il eût part à mes larmes?
Et je le plains encore ! Et pour comble d’ennui,
Mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui!
Je tremble au seul penser du coup qui le menace?
Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce?"


Monologue d’Hermione - Andromaque (Acte V) de Racine

 

 


Comme le temps passe



"Qui nous fait venir de nuit en ce lieu étrange?
Le Grand Prêtre vous demande.
Ismaël!
Mes frères!
Horreur, va-t'en!
– J'implore votre pitié!
– Le Seigneur t'a maudit!
Le vent porte une plainte amère à ses oreilles impies.
Sur son front luit comme l'éclair la marque fatale d'infamie.
En vain il boit le poison ou plonge la lame en son sein."*



Le temps passe, se trouve, semble se perdre, ne se rattrape ni ne se retrouve, c'est ce qui se dit et semble pouvoir être constaté. Difficile de dire le contraire en joignant le geste à la parole...

Des problèmes bureaucratiques, forcément, au sein de ce qui reste du condominium des membres Fondateurs, interdit au commun des mortels et des sans-grades, ont volontairement ralenti le processus d'Union qui pourtant les concerne au premier chef. Point n'est besoin d'avoir le regard, l'analyse ou l'esprit acéré pour le savoir. Qui perd gagne est un jeu bien étrange. Et l'on peut se demander si ce n'est pas le jeu dans son essence, avec l'inaliénable masculinité du mess des officiers au nom de "l'Avaton": frontière infranchissable à la moitié du ciel, la moitié de l'humanité, sol sacré aussi nomade soit-il face aux dieux qu'ils invitent et inventent, qui formeraient le socle de cette Union.
Finalement, comme sur le Titanic et comme le dit le Cap'tain dont l'ombre dissimule celle du Grand Commandeur:

– " Soyons positifs, en avant toute mes gaillards! La survie est à ce prix! Au regard du péril dans lequel certaines absences met le bateau"...

Peu importe le feu dans les profondeurs inatteignables du cargo, si personne n'y prend garde et ne lui accorde son dernier souffle, il finira bien par s'épuiser lui-même.

Tout ceci ne serait rien, si la modestie, pourtant de rigueur dans leurs préceptes, ne retenaient leurs élans et leur fasse voir que ce n'est point en se coupant du monde que l'inconduite morale est vaincue. Ce n'est point par le célibat et la soumission à "l'Avaton" que la traversée et l'union aie la moindre chance de se faire.
Le temps de la rentrée approchant à grands pas, le projet de restauration du bateau aurait été approuvé: un accord serait en phase terminale. Rien de surprenant, pour embarquer des visiteurs le bateau devrait être bientôt mis à quai, décors entièrement refaits. Reste que l'équipage, peu enclin à obéir à un nouveau despote, est un peu juste et nul ne sait qui viendrait le renforcer... ou le remplacer. Cependant, en pleine traversée, c'est la nature qui danse sur le pont au même moment que, hors du temps, dans les ors fatigués des anciens salons  se donnent en spectacle aux spectateurs ébaubis le prestige des médailles, le bruissement des cordons, la caresse des gants blancs ou le couinement des souliers vernis au rythme d'une valse à trois temps. Pourtant c'est dans la soute, sous le ciel, hors des salons, main dans la main que la manœuvre se fait. On sait de "source peu sûre" que le Cap'tain œuvre en ce sens. Plutôt que de réunir ce qui se peut encore dans ses propres rangs, il cherche ailleurs ceux qu'il dit être éparpillés. Ainsi se formerait un ensemble, une principauté qu' il serait sûr de contrôler et se mure dans le silence béat et sourd de sa "bienveillance" principière... ou princière. Selon la suite que l'on a dans les idées.

* Nabucco, Verdi 



samedi 26 août 2017

Un silence étouffant


"Je ne crois pas qu’il faille «analyser» une séparation et encore moins un divorce.  Il faut lui survivre, laisser du temps pour cicatriser et se reconstruire."*


Face aux éléments, un bateau  normal est doté, par sa structure et sa mise en œuvre, d’un mode de réaction relativement constant et gérable. En fait, tout dépend des conditions, largement prévisibles, dans lesquelles il vogue. Notre embarcation, l'Abysse, quant à elle, peut être surprenante. Elle l'a été... par intermittence et surtout dans l’enthousiasme qui accompagne les naissances. C'était un beau bébé. Dûment baptisé, il semblait inébranlable sur ses assises. Et puis est venu le temps des épreuves où il a fallu apprendre à marcher. Ce qu'il a fait. Et puis est venu le temps d'apprendre à parler. Ce qui fut fait aussi. Et puis, lentement sans que rien ne fut fait en ce sens, naturellement, la parole est devenue discours... tant et si bien que, peu à peu la parole s'est perdue sans que personne n'y prenne garde. Et depuis le bébé-bateau est devenu par la grâce des discours, constamment changeant. Le plus souvent retombant sur ses assises, il se méprend sur les sentiments qu'il affiche. Ses comportements, ses silences comme ses opinions se multiplient à l'infini. Sans que personne n'y prenne garde, le souvenir de la parole s'est perdu. Si la chose fut dite, personne ne voulait l'entendre. Innombrables sont les variantes au gré du temps d'un discours fatigué. La bateau, devenu adulte, vogue cahincaha sous le vernis brillant encore. Ses hésitations marquent le pas d'une valse inconsciente qui le mène et qu'il ne maîtrise pas. Tant et si bien que les véritables tempêtes ne sont point à craindre de l'extérieur, mais chacun l'aura compris: de l'intérieur. Un intérieur qui n'en finit pas de se lamenter sur lui-même et de se perdre parmi les innombrables tentatives de se doter d'un règlement, d'une charte et d'une éthique tout ce qu'il y a de plus mouvante. Les valseurs se fatiguent, cèdent au tournis et rejoignent une terre ferme. Si bien que, pour ceux qui sont restés "faire le point" revient à se soumettre à une position: celle du Cap'tain à l'ombre de laquelle plane celle du Commandant. Impossible de la situer dans la relation ni à savoir ce qu'elle est réellement. Sa position est insaisissable, inexpugnable même, tant elle semble être ancrée dans le passé!
Que ne donnerait-on pour retrouver les fastes d'un temps qu'eux seuls ont connu. Advienne le temps où sera vaincue la "lex imperfecta".
Mais le temps passe, c'est bien connu et puis, lentement sans que rien ne fut fait en ce sens, naturellement, une certaine forme de violence institutionnelle** fit son apparition...


* Les mémoires d'un Cap'tain, Éditions Dents du Midi

** La violence institutionnelle concerne « toute action commise dans et par une institution, ou toute absence d'action, qui cause à l'enfant une souffrance physique ou psychologique inutile et/ou qui entrave son évolution ultérieure » 
Lucas Bemben Psychologue clinicien.



Qu'est-ce que la mémoire?



Depuis son enfance, il ne se passe pas une semaine, tout au plus un mois en période de "disette", sans que Platon l'Ancien ne se soit posé la même question. 
– Que cela soit clair, je ne veux point parler de ces petites pensées, ces petites interrogations qui passent, soit grossièrement en coup de vent ou mieux en "courant d'air" parce que quelqu'un a ouvert une porte avant de fermer la fenêtre, soit plus subtilement par un léger déplacement provoqué par le regard de quelqu'un que l'on croise...

Aussi loin qu'il se souvienne, cette question, qui le poursuit, n'est jamais seule.
 – Qu'est-ce que la mémoire?

Elle est toujours accompagnée par une ou plusieurs autres, selon le temps... comme un refrain légèrement changeant qui se cale avec la même mélodie à intervalles plus ou moins réguliers et qui rythment le récit de sa vie.


– Se pourrait-il que quel que soit ce que je me dis ou que vous me diriez, ce que nous avons sous les yeux  sera toujours une interprétation...

Platon l'Ancien sait fort bien que le dialogue invisible qui du dehors s'est installé depuis si longtemps n'est pas le fait de plusieurs

– Le discours ne peut être une vérité en soi... et pourtant c'est en lui et par lui que nous cherchons ce qui a été nommé vérité... 


Mémoire et manque





 Depuis son enfance, Platon l'Ancien ne cesse de se poser la même question.


 – Qu'est-ce que la mémoire?
Tout comme la mémoire collective, ce que nous appelons notre mémoire individuelle n'est-elle qu'une douce et douloureuse amnésie? Est-elle le symptôme tenace d'une incapacité à tenir entre ses mains un monde subtil qui s'offre et nous échappe ou un simple manque. Exactement le même que celui dont on dit qu'il est "en manque"... Que sont ces lieux, ces instants et surtout ces liens qui font cet attachement et qui nous rendent, en quelque sorte, prisonniers. Ce qui s'est emparé de nous n'est rien d'autre qu'une idée de la vie et non la vie elle-même. Ce serait un temps qui est parti et que nous tentons de retenir dans ce que nous appelons un souvenir...

vendredi 25 août 2017

Nostalgie


Entre le pont et sa cabine, entre son enfance et son présent, le Cap'tain se laisse aller à la douce, agréable et douloureuse nostalgie.

Discrète et tenace, cette maladie subtile et insidieuse qui atteint ceux qui dans le présent regrette ce qui fut et n'est plus que lointain souvenir. Ils s'imaginent revivant à l'infini ce qui fut et ne sera plus. Pour ce qui est de l'Abysse, il lui est difficile, à lui et au petit cercle des Officiers Fondateurs, d'imaginer que ce qui pendant si longtemps passait si facilement les écueils, se fut à ce point encastré dans les récifs.


– Les chiens aboient et la caravane passera...

Était-ce dû à une distorsion de la vision, une de ces autres visions avec lesquelles les enfants sont familiers et qui leur fait passer d'un monde à l'autre sans aucune difficulté ou simplement celles dans lesquelles chaque être humain se démène avec une aisance surprenante chaque nuit pendant ces moments inaccessibles qui sont leurs rêves.

– Quand reverrais-je enfin ce qui de cette histoire a fait de moi un autre, celui dont je rêvais à peine lorsque étant enfant je projetais dans le futur ce qui était mon présent et qui m’était réellement inaccessible autant qu'invisible... et pourtant...

Un fossé entre l'ancien et le nouveau

"Si nous consacrons régulièrement un moment à notre vie intérieure, nos bonheurs et nos souffrances, nos joies et nos colères, nous en diront beaucoup sur nous-mêmes, et sur la manière dont nous menons nos vies. "*


Platon l'Ancien, qui aujourd'hui porte bien son nom, écrit et pense tout à la fois.


– Se pourrait-il qu'écrire soit quelquefois une autre manière de penser... Certes, d'un côté, obéir aux règles de l'orthographe et de la grammaire n'est pas le meilleur moyen de libérer sa pensée, mais d'un autre côté cette manière de contraindre permet aussi de s'en libérer. Il y a là une sorte de paradoxe et même de contradiction qui me plait. Il faudrait que je creuse une de ces jours prochains



– Se pourrait-il que les idées confuses qui se bousculent certains jours soient de nature à m'empêcher de passer outre ces règles que j'imagine être  la source de cette confusion? Ce qui me semblait si petit il y a peu de temps me fait l'impression d'un seul coup d'être face à un géant que l'on eut dit taillé tout exprès pour que se comble irrémédiablement tout passage entre l'ancien et le nouveau... 


 – Que puis-je faire pour répondre à cela sans tomber dans un découragement où plus une seule parcelle d'esprit ne s'y fit voir ou entendre? Quel serait le moyen le plus sûr de ne pas y répondre par le désœuvrement? D'où viendrait cette "puissance" qui serait la source de l'action "pour peser sur le réel, pour modifier ce qui nous entoure ou parfois ce qui est en nous"*?


Ne rien pouvoir faire est l'inverse de ce que nous sommes: une nature vivante...



*  Christophe André




jeudi 24 août 2017

L'évasion



"On a beaucoup de peine à s'évader de ce que l'on connaît. Il est impossible d'imaginer avec ce que l'on n'a pas déjà dans la mémoire."

René Barjavel


Ce que l'on ne sait pas, peut-être malgré nous, on ne peut éviter de l'imaginer.




– Une idée, puis deux, puis trois, rarement plus, nous traversent l'esprit afin de tente de combler à notre convenance le vide de notre ignorance. Généralement, cela ne suffit qu'à masquer ce qui, dans notre observation, eut pu nous être utile...



Daemon, sans penser, observe d'autant mieux. Tout ce qu'il voit et entend ne fait pas que passer. Il enregistre tout sans jamais émettre de jugement ni classer les choses, ce qui les dénature.


Sentiment d’impuissance


"La puissance désigne la capacité à agir, à peser sur le réel, à modifier ce qui nous entoure, ou parfois ce qui est en nous. Et l’impuissance nous fait vivre et éprouver l’inverse : sentir, à tort ou à raison, que nous ne pouvons rien faire, rien changer, autour de nous ou en nous."*



Si le sentiment d’impuissance débouche volontiers sur des comportements d’impuissance, et sur une résignation douloureuse face à tous les obstacles de la vie, petits ou grands*, ce n’est pourtant point une loi incontournable, loin s'en faut. Platon l’Ancien, à de multiple reprises en a été le témoin. S’il n’est point aisé pour un auteur de se mettre à la place de ses personnages, il n’en est pas de même pour ses personnages. Ainsi il peut arriver, et de fait cela arrive fréquemment, que certains parmi eux se prennent pour l’auteur.

– La confusion que cela entraîne n'est pas toujours de nature à contrarier l’auteur. Au contraire il arrive que cela lui fasse découvrir ou alors le mette sur la piste d'une petite part d'inconscient qui jusque là lui avait échappé, nous dit Platon l'Ancien. Si nous voulons tirer profit de notre ouvrage, il nous appartient d'ouvrir nos esprits en mettant de côté les mouvements confus de nos passions et surtout les émotions négatives qu'ils suscitent.


* Christophe André , France Culture 23/o8/2017


mercredi 23 août 2017

Autrefois



À bord de l'Abysse, Auguste, tout comme Platon l'Ancien, fut autrefois un rude gaillard peu causant, taciturne quelques fois, dur à la tâche, bon matelot à ses heures, mais assez limité question obéissance... Ce n'était pas qu'il ne puisse faire et exécuter les travaux les plus divers, mais il exige, comme préalable de comprendre ce qu'il devrait faire et le fait savoir à qui veut l'entendre. Pour son malheur, il fut un jour le témoin hasardeux d'une dispute à laquelle il eut le malheur de penser qu'il était de son devoir d'y participer. 


Aujourd'hui, Platon le Très Ancien, confortablement installé dans la cabine de son bateau aime à regarder les grandes étendues désertes du lac au bord duquel il séjourne et se plait à se laisser bercer de la douce rêverie des vagues légères et des cancanements sauvages de canards qui ne le sont plus guère...



 – Tout n'est que passage et ne peut être relaté sans que se mette à pousser la fleur de l'ignorance. Les pensées des uns et des autres, limitées par les convenances sont depuis longtemps fanées et celles qui poussent aujourd'hui ne sont que de lointaines descendantes.




Prendre position




 – Voyez-vous, cher Justin, Platon l'Ancien, loin de toute agitation, tout comme moi, chacun à sa manière, lit et rédige du mieux qu'il puisse.



– Nous ne cessons de prendre position. Des position qui peuvent être de nature géographique, bien sûr, mais aussi dans le temps, ce qui nous semble normal et ne l'est pas tant que cela. Mais aussi nous avons l'aptitude de prendre position dans le domaine des idées, des concepts qui ne sont point de nature géographique ni temporelle même si, à leurs tours, elles prennent position de manière relative dans ces deux champs d'application. Aucun de nous ne semble pouvoir y échapper car même ceux qui ne s'exprimeraient sur aucune idée, par leur attitude même, s'expriment d'une certaine façon. Rares sont ceux qui de leur propre volonté sont capable de se retirer de ces débats d'idées, quels qu'ils soient.



Si vous aviez sous les yeux le premier de ces carnets vous y apprendriez que la première de ces idées qui est venue à l'esprit de Platon l'Ancien est celle de société. Si le carnet n'est pas daté, un certain nombre de recoupement permettent de considérer que si il écrit dans un âge que l'on peut qualifier de mûr, ce dont il parle s'est passé dans un temps assez lointain, celui de son enfance, et même de sa petite enfance.




mardi 22 août 2017

Suffisance

 Combien les mots sont chargés de sens... qui demande de rester sur le qui-vive. À l'affut du moindre changement de la moindre piste qui permette sans conteste de lever quelque lièvre que ce soit. 
– L'entendement peut être à ce prix...



Abracadabra: de toute part l'eau fait source. Pour le Cap'tain, homme de spectacle avant tout, le moindre verre d'eau recèle d'infinies possibilités. En un éclair, deux temps, trois mouvements, il enjambe le macchabée, dans un sens puis de l'autre et le voilà d'aplomb. Le rafiot racheté et rafistolé peut être remis à flot.



Il ne reste plus qu'à revêtir les habits de lumière, mettre des gants blancs, se laisser porter par la vague et déboucher le champagne.






"Qu'en dites−vous ?
O que cela me plaît ! lui répondis−je.
Que j'en vois de belles conséquences!
Je perce déjà dans les suites : que de mystères s'offrent à moi!
Je vois, sans comparaison, plus de gens justifiés par cette ignorance et cet oubli de Dieu que par la grâce et les sacrements.
Mais, mon Père, ne me donnez−vous point une fausse joie?
N'est−ce point ici quelque chose de semblable à cette suffisance qui ne suffit pas?
J'appréhende furieusement le distinguo: j'y ai déjà été attrapé.
Parlez−vous sincèrement ?
Comment ! dit le Père en s'échauffant, il n'en faut pas railler. Il n'y a point ici d'équivoque.
Je n'en raille pas, lui dis−je;
mais c'est que je crains à force de désirer."*


* Les Provinciales, Pascal

Le sujet est le maître



Bien du temps est passé depuis les uns et les autres étaient encore de petits enfants et jouaient avec une innocence qui devait tout à l'ignorance. À moins que cette ignorance fut la clé de tous les savoirs... Ce qui reste à démontrer...




" Cher Cap'tain,

Comme vous le savez, jusqu'à il y a peu de temps, je ne savais ni lire ni écrire. J'apprends cependant, et si mon apprentissage de la lecture ne fait certes que commencer, il se trouve que, emporté par un désir aussi subit qu'imprévisible, je me suis aussi mis à écrire. Peut-être suis-je présomptueux, mais si je dois travailler longuement et souvent corriger, je n'en éprouve pas plus de fierté que de difficulté. Certes il se peut que, de votre point de vue, je sois parfaitement inculte ou pour dire les choses avec plus de subtilité "que je ne correspond à rien de connu". Si je suis aujourd'hui capable d'écrire, ce n'est pas le résultat d'une méthode ou d'un système, c'est à mes lectures et à mon travail que je le dois. Je sais combien ces lectures sont encore présentes à mon esprit lorsque je rédige. En est-il aussi ainsi de vous? Je fais référence aux deux lettres que vous avez eu l'amabilité de me faire parvenir. Même si je sais que vous n'en êtes pas l'auteur et que je n'en étais point le destinataire principal, elles n'ont finalement, comme il se doit, pas été pour moi seul. Tout le monde les voit, tout le monde les entend, tout le monde les croit. Elles ne sont pas seulement estimées par les théologiens; elles sont encore agréables aux gens du monde, et intelligibles aux femmes mêmes.* Il faut simplement que je vous dise, par écrit à défaut de vous le dire en face –ce n'est que partie remise–, que malgré l'agréable bienveillance des mots, de la croyance, de l’intelligibilité des concepts et même de la foi qu'elles pourraient inspirer, quelque chose d'aussi minuscule qu'un grain de sable est ressenti et qui, loin d'être négligeable, entrave radicalement la possibilité d'une bonne marche du navire."

– Si le sujet est le maître, alors peut-être faudrait-il revisiter tout ce qui peut se dire du pouvoir...





[...] que le sujet soit une chose ou une personne qui prononcent les mots, ils sont prononcés...

– Concentrez-vous, cher Justin, et entendez la petite merveille qui va suivre!
– Je suis toute ouïe!
– Les sujets qui les prononcent deviennent leurs maîtres...
– Je n'y comprend rien...
– C'est pourtant simple. La manière dont se comporte le verbe dépend de son sujet...
– Oui, cela je l'ai appris...




– Eh bien, faites donc un petit pas supplémentaire, ouvrez les yeux et les oreilles: c'est du sujet que dépend le verbe! Ou si vous souhaitez que cela soit dit autrement: c'est le verbe qui s'accorde à son sujet! On pourrait aussi ajouter...

* Les Provinciales, Pascal

lundi 21 août 2017

Qui ou quoi?

Quand deux mots fusionnent en un seul, ils créent, sans le savoir un ensemble qui ne représente ni l'un ni l'autre mais une entité beaucoup plus grande qui ouvre largement le champ des possibles et un infini dans lequel l'hôte peut se perdre...




– Cher Justin, puis-je vous demander au nom de quoi ou de qui, parlez-vous?
– Cher Auguste, il y a dans votre question une sorte d'incohérence.
– Laquelle, je vous prie?
– Les choses ne parlant point, on ne peut  donc pas parler en leur nom.
– Si, d'une certaine manière, je conteste ce que vous dites, d'une autre manière  je comprends ce que vous coulez dire par là. Mais d'un autre côté il me semble que les hommes, les êtres humains, certains êtres humains considèrent que les animaux sont des choses...
– Quel est le rapport avec votre question?
– Eh bien c'est simple, dans ce dernier cas, nous serions des choses... on peut parler des choses, mais les choses ne parlent pas.
– Ce qui donne loisirs à quiconque d'en parler à son aise et à leur insu...


Il eut été évident, pour quiconque doué de raison eut été témoin de cette scène purement imaginaire, que rien de ce qui se disait n'avait plus aucune importance dès lors que les paroles étaient clairement audibles, que ce fut une chose ou une personne qui les prononçaient, elle étaient prononcées.

Sans le savoir






L'esprit de Platon l'Ancien, sous l'action bienfaisante de la lecture, s'était mis en mouvement. Bientôt, toujours sous l'effet de ces lectures, bien avant que de savoir écrire et sans le savoir, il se mit à dire. Certes ce n'était qu'un petite voix intérieure, absolument inaudible pour le moment. Il en eût bien dit davantage s'il ne s'était passé que plus il parlait, plus son esprit lui semblait grandir. Mais sans qu'il ne puisse s'en rendre compte, il s'échauffait de plus en plus... ce qui fit que, ruisselant de moiteur il dut s'interrompre pour s'aérer et se mettre à la recherche de boisson.




L'interruption lui fut largement bénéfique.Ce qu'avait lu Platon l'Ancien prenait sous ses yeux une signification différente. Libérés des contraintes du livre, les mots, poursuivant leur incessantes transformations, reconstruisaient le discours dans l'infinie complexité du Réel dont ils se faisaient les témoins.



Platon l'Ancien, sans le savoir, parle au présent avec le passé:

– En vérité, je vous le dis, mes très chers amis, si, en ce pays j'avais quelque crédit, j'annoncerai, en grande pompe et somptueux décors, que, quand La Très Ancienne Compagnie des très Hauts, nos maîtres qui aimeraient être vénérés, disent qu'une certaine grâce "suffisante" est donnée à tous, ils entendent que tous n'ont pas la grâce qui suffit effectivement.*


* Référence aux "Provinciales" de Pascal



dimanche 20 août 2017

Souffle passé


"[...] quand la volonté, à la volée et sans discussion, se porte à vouloir ou abhorrer, faire ou laisser quelque chose avant que
l'entendement ait pu voir s'il y a du mal à la vouloir ou à la fuir, la faire ou la laisser, telle action n'est ni bonne ni mauvaise, d'autant qu'avant cette perquisition, cette vue et réflexion de l'esprit dessus les qualités bonnes ou mauvaises de la chose à laquelle on s'occupe, l'action avec laquelle on la fait n'est volontaire."*






– Le vent ne sait rien des voix qu'il transporte...

 Seul dans les salons voilés de l'Abysse Platon l'Ancien lit et rédige à haute voix. Les sombres rideaux vibrent légèrement d'un souffle qui ne fait que passer.


* Pascal, Les Provinciales



Quelques échos


Partout retentissent les échos de l'origine et la moindre des choses en est encore et pour toujours le témoin.




"– Et je n'en parlais pas, je n'y pensais même pas du tout. Partez! Laissez-la couler. Moi-même je ne suis que fuites. Oui! des fuites au sein des fuites! Non seulement plein de barils qui fuient, mais ceux-ci encore dans un navire qui fait eau, c'est une situation bien pire que celle du Péquod, homme. Pourtant je ne m'arrête pas pour boucher ma fuite, qui la trouverait au fond d'une coque si lourdement chargée, et même viendrait-elle à être découverte, quel espoir de l'aveugler dans la tempête hurlante de cette vie?"*




– À propos, je vous le rappelle... ne m'aviez-vous pas promis de me parler de la tête du Cap'tain que l'équipage, pour le moment, si rien ne change, selon vous, ne désirerait nullement... 
– Je vous l'ai dit, la chose est complexe et demande du doigté. Encore un peu de patience et je vous promet d'en reparler... En tous cas, pour vous rassurer, si le Captain perd la tête ce ne peut être que de son propre fait.
– Je brûle...
– Vous aussi?
– Ne vous moquez pas! Je brûle d'en savoir un peu plus...
– Le Cap'tain Gabar se moque totalement que, pour de mauvaises raisons, selon lui, certains veuillent "déserter l'Abysse", comme il dit. Il leur souhaite bon vent et bon vent ne saurait mentir, comme il est dit dans les livres. Disons pour simplifier que si peu lui importe qui formera l'équipage, pourvu qu'il soit à la manœuvre, ce n'est pas une raison de s'en prendre à lui en tant que personne. Il a fait, il fait et il fera, comme tant d'autres capitaines avant lui, selon ses limites...
– Rien de nouveau sous le soleil...


* Moby Dick, Melville



Juchés sur leur perchoir



"– Capitaine Achab, répondit le second en rougissant et en pénétrant plus avant dans la cabine avec une audace si étrangement pleine de respect et de prudence qu'elle semblait éviter de se trahir si peu que ce fût extérieurement et qu'intérieurement elle semblait douter d'elle-même plus qu'à demi. Un homme meilleur que moi passerait sur ce qu'il prendrait en mauvaise part venant d'un homme plus jeune  que toi, oui, d'un homme plus heureux, capitaine Achab."*



Ayant plané avec avec joie et respect dans les plus hautes sphères, maintenant idéalement juchés sur leur perchoir, les deux compères perroquets, bien au-dessus de la plus haute tour comme du grand mât poursuivent avec l'audace des ignorants et l'indulgence des inconscients, avec calme toutefois, leur petite discussion à propos des hommes desquels, lentement mais sûrement, ils se rapprochent.

– Regardez et prenez garde sur votre droite, juste au-dessus de l'horizon, mon Cher Justin. Il me semble y avoir vu bouger quelque chose. Ne serait-ce point quelque embarcation?
– Pas de risque, mon cher Auguste, « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et la mer qui verdoie. »**
– Croyez-vous que notre petite conversation puisse être entendue?
–  Croyez-moi à votre tour, rien de ce que nous disons n'entre dans l'oreille d'un sourd, même s'il ne sait ni lire ni écrire...
– À propos, ne deviez-vous pas me parler de la tête du Cap'tain que l'équipage, selon vous, ne désirait nullement... 
– La chose est complexe et demande du doigté. Un peu de patience et je vous en reparlerai...




* Moby Dick, Melville

** Barbe bleue de Charles Perrault
 

samedi 19 août 2017

Pieusement restitué


"hunc tuum librum piè restituo"

L'histoire de l'Abysse, si tant est qu'elle ait la moindre importance, a-t'elle été "pieusement" restituée? On peut se poser la question. Toujours est-il que c'est impossible. Parfaitement impossible, même si l'on accepte qu'une forme de fidélité a pris place dans la tête du secrétaire en charge de la transcrire, encore eut-il fallu qu'il ait eu accès à tout ce qui se passe dans la tête de tous les belligérants comme dans celles des témoins qui eurent un rôle à jouer, car comme chacun devrait le savoir et ne pas l'oublier, le témoin, tous les témoins, de près ou de loin, et les pensées de chacun, jouent un rôle. Lesquels rôles sont d'autant moins négligeables que c'est souvent pour ces témoins que tout se joue.
Pour Platon, l’Ancien, qui joue le rôle du secrétaire ou de l'écrivain:

– Ceux-ci, secrétaires ou écrivains, savent que si "l'ordre est le plaisir de la raison, le désordre est le délice de l'imagination"*, ils ne délivrent aucune vérité et n'ont pas besoin d'être plus savant que quiconque de leurs temps, pas plus que d'être un saint homme. Sans aller jusqu'à l'exigence d'une "âme infiniment pure, innocente, et douce, une vraie âme d'enfant", il suffit d'être honnête, ou se comporter comme tel, et de constater... que l'ordre n'est qu'une des formes innombrables et temporelle du chaos.





– Il l'a dit et je vous rapporte mot-à-mot l'exact contenu de ses dires: "L'ordre n'est qu'une des formes innombrables et temporelle du chaos". On sait, vous le savez, nous en avons été les témoins, l'ouverture que ce type de prétention fait apparaître. Pour parler marine: des nœuds à la sophistication extrême apparaissent dans le gréement de la dialectique ou de la logique et préparent inlassablement l’effondrement final du grand mat.


Platon l'Ancien souvent doute et prend de la distance. Tout entier à la tâche qu'il s'est imposé, il essaie, vainement, il le sait, de mettre de l'ordre dans ses pensées:

– Si l'on se donnait la peine de relire avec honnêteté mes écrits, reprend Platon, on pourrait voir qu'ils ne manquent point d'objectivité, même s'ils sont, d'une certaine manière et pour certains, certainement dérangeants et non conformes aux usages... Mais justement, ce sont ces usages qui sont remis en questions. Car ce sont ces usages, sans même tenir compte de la personnalité des usagers, qui sont à l'origine de la situation présente.

On le voit, Platon, en parfait émissaire, se donne de la peine, non pour ménager la chèvre et le bouc, mais pour donner à tous la possibilité d'un nouveau voyage. Parce que, Platon ne le dit pas, mais on peut penser qu'il aime voyager.



 
– Cher Auguste, la pureté de l'intention excuse-t'elle la faute?
– Mon Cher Justin, croyez-moi, pour cela il faut que faute il y ait...
– Croyez-vous qu'ils veulent la tête du Cap'tain? 
– C'est parfaitement ridicule. 




* Le soulier de Satin, Paul Claudel